❦ Chapitre 5 ❧

Bien après cette discussion matinale avec Perette, mes pensées s'ancraient encore aux fantasmagories ayant secoué mes songes. Il me fallut un conseil des ministres dédié à la guerre que je souhaitais mener en Hollande pour qu'enfin, le sous-bois abandonne sa place forte en mon esprit. La nécessité de se concentrer sur la stratégie que nous devions adopter m'y aida grandement.

Lionne préconisait de s'attaquer directement à Amsterdam qui était non seulement la capitale, mais aussi une manne financière grâce à son port. Sans les apports économiques et les denrées alimentaires qu'il amenait, nos ennemis cèderaient rapidement face à notre puissante armée.

Colbert quant à lui s'inquiétait de l'argent qu'un tel projet allait demander. Il préférait que nous investissions dans la construction d'un canal qui permettrait d'acheminer les marchandises depuis le sud jusqu'à Paris. Pour me rallier à sa cause, Colbert argumenta que s'il passait du côté de Versailles, nous n'aurions plus besoin de bâtir un aqueduc pour approvisionner les fontaines.

Sur la simple évocation des jeux d'eau, le souvenir des ondines et surtout de mon réveil détrempé me revint à l'esprit, et pendant quelques secondes, je ne fus aussi présent que je l'aurais voulu.

C'est alors qu'une grande agitation me ramena à la réalité. Mon frère venait d'arriver, en tenue de cavalerie, des plumes pourpres fixées à un ruban au bleu royal ornaient sa cuirasse, comme s'il était sur le champ de bataille. Sa parure flamboyante se complétait d'un maquillage bien trop coloré, Philippe ne connaissait que l'exubérance.

— Mon frère, ne voyez-vous pas que vous nous dérangez en plein cabinet ? demandais-je ébahis par son audace.

Si je lui permettais une grande familiarité dans l'intimité, il en allait autrement devant mes ministres, particulièrement durant un conseil de stratégie militaire.

— C'est justement la raison de ma présence, ne voyez-vous pas, mon cher frère, que je porte les atouts de la guerre ?

— Ce n'est guère un sujet de plaisanterie, Philippe, rétorquais-je les joues rouges de colère.

— Mais je suis très sérieux, Louis. Je suis venu vous présenter mes idées pour la campagne. Vous avez toujours loué mes capacités sur le champ de bataille, mais vous n'avez jamais écouté mes talents de stratège. Je vous en prie, écoutez-moi, et si vous n'estimez mon plan, n'en tenez pas compte.

La proposition était audacieuse, à son image. Je jetais un regard à mes ministres, tous plus désappointés les uns que les autres. Généralement, ils ignoraient les éclats entre mon frère et moi, préférant faire mine de n'avoir rien entendu.

Aux yeux de tous, nous étions jaloux et querelleurs. Toute la Cour connaissait l'histoire de la bataille de bouillie ou encore celle où nous avions chacun pissé sur le lit de l'autre. Nous avions été d'autant plus turbulents que la Fronde occupait ceux chargés de notre éducation. Je crois que c'est justement parce que nous avons toujours été proches que nous étions si prompts à la dispute. Philippe avec toute son intensité dramatique et moi avec toute mon autorité royale.

— Très bien, quelles sont ces idées ? cédais-je par lassitude.

Mon frère avait le rare talent d'épuiser ma patience. Depuis qu'il était marié avec Henriette, il se montrait de plus en plus capricieux, me faisant toutes sortes de demandes, toutes plus ridicules les unes que les autres. Cependant, à la guerre, il m'avait toujours accompagné et témoigné une grande loyauté, je serais bien injuste de ne point lui laisser l'occasion de me prouver sa valeur.

— Attaquer frontalement Amsterdam serait une erreur, pardonnez-moi Lionne, mais je crois que vous vous trompez. Les Hollandais sont un peuple fier et avec l'aide de la flotte anglaise, ils pourraient résister fort bien à un siège. En revanche, si nous prenons toutes les cités sur notre chemin, leur assurance sera morcelée et la victoire pourrait nous sourire en fin de compte.

Philippe m'étonna grandement, alors que je le pensais occupé avec son Chevalier et ses favoris à Saint-Cloud, il avait préparé son dossier pour m'entretenir sur le sujet.

— C'est une stratégie intéressante, Monsieur mon frère, nous prendrons soin de l'étudier minutieusement, répondis-je avec un sourire rempli de fierté.

Son maquillage empêchait de voir ses joues rosir de plaisir sous l'effet du compliment, mais ses yeux brillaient par conséquent. Il nous salua, faisant voler ses plumes en se retirant. Je demeurais pensif un long instant, bien après qu'il eut quitté l'antichambre.

Le débat s'ensuivit : Lionne défendit son idée bec et ongle tandis que Colbert quantifiait chaque stratégie émise. Toutes ces réflexions me ramenaient sur les propos qu'avait eus mon frère.

— Philippe a raison, nous ne pourrons nous battre contre la flotte anglaise et hollandaise, nous devons gagner les Anglais à notre cause !

Ce fut sur cette déclaration que je mis fin au conseil et parti en quête de mon frère. Il n'était jamais difficile de le trouver, il préférait ses appartements aux jardins. Je le retrouvais au milieu d'un parterre de jeunes gens tout aussi fardés que lui.

— Monsieur mon frère, puis-je vous dire un mot ?

Une fois que je l'eus écarté de cette flopée de courtisans qui lui faisaient les yeux doux en espérant quelques faveurs, je lui parlais de l'idée m'étant venue.

— Tu as raison, nous ne pouvons combattre les Hollandais et leurs alliés. Ton épouse pourrait nous y aider, elle entretient toujours une correspondance avec son frère, non ?

Ce dernier avait reconquis le trône d'Angleterre des mains de Cromwell, le régicide et révolutionnaire qui avait ébranlé toutes les monarchies d'Europe. À l'époque, mon père avait offert l'asile à la famille royale anglaise en fuite, c'est ainsi qu'Henriette partagea parfois nos jeux d'enfants. Je savais qu'elle accepterait avec plaisir de plaider ma cause auprès de son pays natal.

— Naturellement, je lui demanderais, s'enthousiasma Philippe avec un sourire tout aussi rose que ses joues.

À le voir ainsi, si fier de lui, entouré de tous ces jeunes gens dont les manières efféminées faisaient douter de leur genre, aiguillé par ces rires cristallins qu'ils avaient, mes pensées dérivèrent vers le songe de cette nuit et les souvenirs d'enfance m'étant revenus au matin. Je réalisais qu'il me brûlait d'en parler avec lui. Sans doute parce que je connaissais son esprit rationnel, qui me ramènerait vers des rives plus sûres.

— Tu te remémores, quand la vérole nous a frappées et que nous avions une si forte fièvre ? Nous avions vu une créature dans les jardins...

C'était en la forteresse de Saint-Germain, où bon nombre de membres de la famille étaient venus au monde, mais également, l'avaient quitté. Ce même palais où les derniers râles d'agonie de père avaient résonné. Nous nous y étions réfugiés officiellement pour fuir une épidémie de variole, officieusement, c'était nos oncles dont nous nous éloignions ainsi que d'une foule parisienne peu amicale. Une garnison de mousquetaires faisait le guet au cas où des frondeurs viendraient nous y trouver.

En pareille situation, était-ce si étonnant que deux enfants terrifiés crurent voir d'étranges spectres dans les vastes jardins alors plongés dans l'obscurité, car toute torche aurait pu attirer nos ennemis ? Nous étions d'ailleurs si peu installés en cette demeure familiale que nous dormions sur des paillasses sans le moindre confort.

Philippe hocha la tête.

— Je m'en souviens.

— Je l'ai revu cette nuit, en songe, cette créature qui te faisait hurler de peur.

— Nous étions deux enfants épuisés et apeurés.

La peur nous enlaçait, la maladie nous donnait la fièvre, toutes les raisons semblaient réunies pour justifier ce monstre que nous avions cru voir dans le noir.

— Je l'ai aperçue, un bref instant, dans le sous-bois, lui révélais-je.

Il fut le seul avec Perette dont je pouvais faire part de mon trouble, même au plus fort de nos disputes, il ne remettait jamais en doute mon autorité royale devant n'importe qui d'autre, il taisait mes faiblesses et mes erreurs alors qu'il aurait pu en tirer parti s'il avait possédé le caractère féroce de notre oncle Gaston.

— Cet homme a été tué par des brigands, répéta-t-il. Laisse les mousquetaires s'en occuper.

— Tu n'as rien vu ? insistai-je encore une fois.

Mon frère me regarda en secouant la tête.

— Louis, ce n'était qu'un cauchemar, rien d'autre.

Je ne sais pourquoi je m'acharnais autant. Tout cela frisait l'absurdité, ce n'était qu'une dépouille dans les bois. Probablement que ce lien créer par mon esprit provenait du souvenir des corps honteusement exposés sur notre route par les frondeurs qui déchiraient alors notre doux pays.

Philippe posa sa main sur mon épaule.

— Tu as l'esprit trop chargé mon frère. Tu ne peux poursuivre autant de projets, la guerre ou les chantiers, il te faudra choisir.

Bien que pleines de sens, les paroles de mon frère me piquèrent dans mon orgueil. J'avais renoncé à la danse auprès de Lully uniquement parce que mes pas devenaient moins assurés et moins délicats avec l'âge, mais je ne voulais renoncer à rien de plus. Je n'étais pas un simple mortel, j'étais le Roi Soleil. J'allais bâtir une splendeur qui éclipserait la beauté de Chambord et toutes les créations de mes ancêtres, sans sacrifier à mon projet d'écraser les Hollandais et ainsi faire taire à tout jamais mes détracteurs. Je leur prouverais qui j'étais, peu importe si pour cela je devais m'épuiser à la tâche et rendre fou mon entourage !

— Oh, mais sois rassuré, mon petit frère adoré, je ne compte négliger aucun de mes projets ni de mes devoirs, répliquai-je en claquant ma langue comme mon talon contre le sol.

Mon sang palpitait à mes oreilles, furieux et tempêtant, pourtant je pouvais presque discerner au lointain une voix enchanteresse me susurrant de n'écouter mon frère pas plus que de prêter attention aux sourcils froncés de Bontemps. Quand je me tournais, cherchant l'auteur de ce murmure, je ne distinguais qu'un garde à la mine patibulaire. Se pourrait-il que j'eusse imaginé ce soupir délicat ?

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