❦ Chapitre 47 ❧
Le coût de la guerre contre les créatures des marais demeurait bien lourd. Nous avions perdu la moitié des hommes ayant livré bataille. Nos tentatives pour récupérer les corps avaient été vaines : ils avaient été engloutis par les eaux boueuses à jamais. Alors que nous préparions à enterrer des cercueils vides, une nouvelle plus déplaisante encore survint. J'avais demandé à Turenne de rassembler ses forces et mener de nouvelles batailles en Hollande, espérant qu'en anéantissant les gobelins, j'affaiblirais les alliés féériques de Guillaume. C'était un mauvais calcul.
Les troupes françaises avaient été mise en déroute par non seulement la rébellion des habitants hollandais, le dégel des eaux déversées par les digues brisées au printemps, mais de surcroît leur retraite avait été coupée par les renforts envoyés par l'Empereur Leopold qui pourtant m'avait juré de ne point participer à la bataille. J'étais furieux en apprenant cette défaite, plus encore que Guillaume avait de nouveaux alliés et nul besoin des fées pour nous mettre en déroute.
Je pouvais compter sur l'appui d'Aubéron, n'en allait-il pas de même pour les Hollandais ? Si je me fiais à ses confidences, la Reine d'hiver soutenait mon ennemi et avait, avec lui, conçu un odieux complot impliquant ce fameux changelin... un tremblement de fureur presque autant que d'effroi me saisit.
— Majesté... me coupa Bontemps, je dois vous avertir que...
En voyant Nicolas de La Reynie qui lui emboîtait le pas, je me redressai aussitôt.
— Que tout le monde s'en aille, exigeai-je.
Mon lieutenant général ne venait jusqu'à moi pour des affaires sans importance.
— Sire, nous avons arrêté la Brinvilliers. Elle a tout avoué sous la question.
C'était ainsi que se nommait la torture. Hélas, il était parfois d'en user pour obtenir des confessions, surtout lorsque celles-ci pouvaient sauver des vies.
— A-t-elle donné des complices ?
La Reynie hocha gravement la tête.
— Majesté, ces noms qu'elle a offerts... ce sont des personnes importantes... intervint Bontemps. Il ne serait guère prudent de les évoquer à voix haute...
Mon Valet avait raison, comme toujours, les murs avaient des oreilles. L'inspecteur général me tendit alors un carnet où des noms étaient griffonnés. Certains m'étaient parfaitement inconnus comme La Voisin, mais d'autres m'étaient fort familiers. Il y avait là les noms de nobles familles qui m'avaient servi, des personnes que j'estimais, certains étaient même des proches... de la marquise... Ma main tremblante lâcha le carnet qui tomba au sol.
— Majesté ? s'inquiéta mon Valet.
— Ces noms... est-ce qu'elle les a donnés pour se protéger ?
— C'est fort possible, elle sait toutefois qu'elle n'échappera à la peine de mort après ses crimes. Sire, certains noms m'avaient déjà été confiés par votre confesseur. Je crains que cette liste compromettante ne soit vraie.
— Cela voudrait dire...
— Qu'un grand nombre de vos courtisans et membres de la noblesse participe à ces... horreurs, acheva Bontemps d'un ton sombre. Nous allons...
— Non, nous n'allons pas nous lancer dans une chasse aux sorcières. Continuez votre enquête et ne procédez à des arrestations que lorsque vous avez suffisamment de preuves ! exigeais-je.
Nicolas de La Reynie accepta cette mission en sachant que je ne voudrais que l'affaire devienne un sordide scandale. Bien sûr, j'avais conscience que nous ne pourrions y échapper, mais je devais m'assurer qu'il ne causerait pas une crise comparable à la Fronde. Je me tournais vers Bontemps, les lèvres blanches.
— Vous pensez que la marquise...
— Sire, je ne crois pas...
Je soupirais, il aurait été aisé pour lui de l'accabler. Nombre de ses amis figuraient sur cette liste, plus encore, nous savions tous deux qu'elle consultait des sorcières comme cette La Voisin qui était cité. Mais pouvais-je l'en accuser ? Pouvais-je seulement...
Bontemps me retint de la chute. J'avais consacré tant d'énergie à combattre les fées, les hollandais, que cette nouvelle venait m'abattre au lieu de m'aider. Moi qui croyais qu'en luttant contre ces sorcières usant de ces maléfices, je triompherais de l'obscurantisme, je réalisais que le mal était enraciné bien trop profondément et bien trop étendu.
Quand j'en parlais à Aubéron, ce dernier m'avertit que je ne pourrais affronter les fées d'hiver, qu'elles étaient bien trop redoutables et qu'il ne pourrait m'y aider. Face à ce sentiment d'impuissance totale, la colère me donnait suffisamment d'énergie pour tenir.
— Je vais aller à Marly, annonçai-je à mon Valet.
— Sire, vous n'êtes pas ne forme...
— Je ne pourrais pas me reposer tant que je n'aurais pas résolu ce problème, affirmai-je.
Mais quand je tentais de monter sur le dos de mon cheval, un vertige m'obligea à admettre que j'étais trop exténué pour une telle chevaucher et je dus rentrer me reposer. Cependant, je refusais d'abandonner pour autant mon plan. Mon double connaissait ces fées ennemies, il en savait bien plus à leurs sujets qu'Aubéron voudrait bien m'en dire. J'appelais alors La Reynie et D'Artagnan.
— Je veux obtenir des réponses, à tout prix, leur ordonnai-je. Vous avez carte blanche, messieurs. Et ne vous laissez pas abuser par son apparence. C'est un espion qu'il nous faut faire parler. Vous avez chacun vos méthodes, employez-les.
Le harassement était tel que je dus garder le lit. La Reine ne me voyant plus paraître s'en inquiéta et vint me trouver. Elle portait une magnifique robe d'un rouge profond soulignant son teint clair et ses cheveux auburns. Elle s'assit à côté de moi sur le lit.
— Mon Roi, avez-vous attrapé le mal des marais ?
La bataille contre Vodiano avait eu lieu quelques jours à peine, je comprenais qu'elle y songe. Prenant sa main dans la mienne, je la rassurais.
— N'ayez crainte, c'est seulement de la fatigue. Trop de mauvaises nouvelles.
— C'est à cause de la Hollande ? Je vous assure que vos généraux se débrouilleront.
— Non, ils ont besoin que je paraisse à leurs côtés pour remonter le moral des troupes. Mais cela devra attendre que j'aie repris un peu de forces, lui expliquai-je.
En réalité, il me fallait surtout vaincre les nouvelles alliances de Guillaume. Tant qu'il aurait le soutien de l'Empereur et des populations locales, la victoire ne sera jamais aussi écrasante que je le souhaitais.
— Ma mie, j'ai entendu dire que votre frère est malade, peut-être voudrez-vous lui rendre visite ? lui proposai-je. Notre nièce est fort jolie et ferait une très bonne épouse...
Elle caressa mon visage.
— Nous aurons tout le temps d'y songer, reposer vous mon époux.
J'attrapai sa main et le regardai avec le plus grand sérieux.
— Votre frère a eu la très mauvaise idée de se joindre à Guillaume et à l'Empereur, je crains ma chère qu'il néglige plus encore les liens familiaux si nous n'essayons de les resserrer, n'êtes-vous point d'accord ?
À son froncement de sourcil, je constatais que le sujet la contrariait.
— Mon Roi, je n'aurais pas de plus grand bonheur que d'unir à nouveau nos familles, mon frère est de santé fragile et je pense que l'Empereur le sait et en joue. Vous avez raison, il lui faut une épouse et Marie-Louise est une vraie joie de vivre, cependant...
— Qu'y a-t-il ? soupirai-je d'agacement.
— Je ne suis pas certaine que votre Philippe et Liselotte soient prêts à voir leur fille partir au loin, répondit-elle d'une toute petite voix.
— Liselotte est une belle-mère aimante mais elle doit comprendre comment ses devoirs ! Quant à mon frère, il n'a jamais démontré un si grand attachement à ses enfants, je doute qu'il s'y oppose !
— J'irais parler avec eux pour les convaincre, me rassura-t-elle. La Cour de France n'est pas un lieu pour de jeunes gens. Avec toutes ces histoires de poison, il est préférable d'envoyer au loin les enfants. Je pourrais y aller avec les nôtres d'ailleurs, Marie-Louise se sentira moins seule ainsi...
Je connaissais suffisamment mon épouse pour reconnaître la peur en elle. Attachée à la santé physique autant que morale de nos enfants, elle réagissait fort mal aux rumeurs scandaleuses courant à travers la Cour. J'aurais espéré que celle des poisons se répandent moins vite, mais l'affaire de la Brinvilliers agitait déjà les conversations. Nul doute que le contenu de ses révélations finissent par être connu de tous et que le scandale éclate. J'en craignais les conséquences.
— Très bien, préparez ce voyage comme bon vous semble, emportez qui vous jugerez utile et obtenez ce mariage !
C'était tout ce qui m'importait en cet instant : enlever un allié possible à Guillaume et punir l'empereur de m'avoir isolé. Nul doute que cette manœuvre était revancharde, mais l'amertume me remplissait trop pour que je fasse preuve de la moindre mansuétude. Demeurer enfermé dans cette chambre pleine de courant d'air au Louvre où mon père avait agonisé dans d'affreuses douleurs ne m'aidait guère à aller mieux. Mais je ne laisserais pas le mal m'emporter.
Lentement les forces me revinrent, et tout aussi lentement, le lieutenant général et mon capitaine arrachaient des réponses. Il me fallut attendre une semaine avant de les voir revenir vers moi, d'entendre leurs bottes frapper le marbre tapissant le sol et faire grincer contre le parquet en chêne massif où était dessinée une fleur de Lys.
— Que vous a-t-il dit ? demandais-je en les voyant paraître, croyant discerner des taches de sang encore humides sur leurs chemises à peine dissimulées par leurs pourpoints.
— Sire, il a avoué être complice d'un complot visant à vous détrôner. Il n'est qu'un pion, les investigateurs sont, d'après lui, une certaine Reine Arpia et le stathouder, Guillaume d'Orange.
— Dites-moi quelque chose que je ne sais déjà, lâchai-je, les lèvres pincées.
— Guillaume n'est qu'un complice tardif. Ce sont ses espions qui lui ont appris l'existence de cet homme masqué. Ensuite, ce dernier a proposé de se joindre à eux.
— Et la Reine Arpia ?
— Il prétend qu'elle l'a créé. D'après ses dires, elle aurait tenté plusieurs fois de vous faire enlever, afin que cet ersatz vous remplace.
Ainsi c'était elle qui était à l'origine de ces fées se penchant sur mon lit enfant, mais pourquoi s'en prendre également à Philippe ? Dans quelle mesure avais-je accusé les gobelins des marécages de crime qui étaient siens ?
— Et qu'en est-il maintenant ? demandai-je.
— Il attend simplement qu'on vienne le chercher, il pense qu'ils ne tarderont plus et qu'il sera roi à votre place...
La Reynie était manifestement embarrassé, presque autant que lorsqu'il m'avait avoué la très longue liste des complices de la Brinvilliers.
— Très bien, j'en ai suffisamment entendu, soupirai-je.
— Que voulez-vous qu'on fasse de lui ?
— Exécutez-le, discrètement. Et remplacez-le par... n'importe qui. Que nos ennemis continuent de penser qu'ils ont encore leur atout dans leur poche. Tout particulièrement Guillaume, je veux qu'il ne sache rien de notre découverte, du fait qu'il vous a parlé et que nous avons éliminé son pion.
— Sire, suggéra D'Artagnan, il vaudrait mieux embaucher un comédien. Autrement, je doute que les espions hollandais croient en notre mascarade.
J'acceptais sa proposition et les renvoyais tous deux. J'avais besoin de solitude pour réfléchir à la suite, il était évident que je devais affronter Arpia. Je n'avais que trop tardé. Et dire que c'était elle qui m'avait envoyé ces fées quand j'étais enfant, lui devais-je également la noyade dans le bassin ? La petite vérole qui avait failli nous tuer mon frère et moi ?
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