❦ Chapitre 41 ❧
Le déménagement de la Cour se déroulait à merveille, Bontemps y veillait. Colbert et Louvois me tenaient informé des avancées de nos autres projets, le premier m'entretint d'un accord avec un prince d'Afrique qui nous ouvrirait de nouvelles portes commerciales tandis qu'avec le second nous planifions la prochaine campagne de Hollande. Malgré toutes ces préoccupations, mes pensées me renvoyaient aux marais.
D'Artagnan ne me lâchait d'une semelle quand je m'y rendais. Peu importait sa charge de travail devenue plus conséquente, Bontemps s'assurait de ma sécurité à tout instant par le biais du valeureux capitaine dont la compagnie ne me déplaisait, bien au contraire.
Après le conseil, je retrouvais Philippe qui, sur son élégante monture, surveillait les avancées. C'était une bien curieuse armée composée autant de soldats que de prêtres qui se déployait dans les marécages. Après une courte discussion, je le priais de conserver la plus grande vigilance avant de partir vers le hameau.
Je voulais m'entretenir avec la sorcière au sujet de la Reine des fées. Mais à notre arrivée, nous fûmes assaillis par l'odeur nauséabonde qui y régnait. Une sorte de vapeur âcre flottait dans la rue désespérément vide. Je plaçais un mouchoir sur mon nez tant la puanteur était étourdissante. Le capitaine posa sa main gantée sur mon bras.
— Restez ici, majesté.
Obéissant aux instructions, je demeurais dans la calèche tout en suivant des yeux les mouvements des mousquetaires. Le silence était lourd et inquiétant. Je ne pouvais détacher mes yeux de ces habitations qui paraissaient abandonnées. L'odeur qui en émanait était agressive et inquiétante. Je craignais qu'un mal ronge les lieux, un mal que les créatures pouvaient avoir amené...
Quelques mousquetaires entourèrent la calèche, arme à la main, en surveillant les environs, pendant que le capitaine envoyait le reste inspecter les maisons. Ils en revenaient l'estomac secoué, mais sans signe de vie. Mon inquiétude grandit quand je réalisai qu'ils sortaient de celle de la sorcière avec le même signe de tête négatif. Alors que je perdais tout espoir, une silhouette encapuchonnée toute de blanc vêtue apparue.
L'individu s'approcha et le capitaine l'intercepta. Je ne pus que suivre l'échange de loin. Finalement, l'être en blanc demeura statique pendant que le capitaine venait m'informer.
— La peste, sire, il nous faut vous éloigner d'ici. Les corps seront brûlés une fois qu'ils seront tous rassemblés.
Je me penchai à la fenêtre et observai un bref instant le monticule des dépouilles enroulées à la hâte dans des draps noircis. Je n'eus aucun doute que c'était l'œuvre des créatures, elles empoisonnaient l'eau, les terres, les cultures et à présent les hommes en guise de représailles à l'assèchement du marais.
— La sorcière, où est-elle ?
— Elle n'est pas chez elle, elle est probablement morte, répondit le capitaine en secouant la tête.
— Où sont les survivants ? insistais-je.
D'Artagnan m'observait avec une supplique silencieuse, il aurait préféré que nous quittions sur le champ cet air pestiféré. Il en allait de ma sécurité, j'en étais conscient, comme de celle de ses hommes. Mais je doutais que quelques secondes de plus y changent quoi que ce soit.
— Laissez un homme ou deux chercher des survivants. Si elle s'y trouve, qu'ils l'éloignent d'ici.
Le capitaine hocha la tête avant de donner des ordres et nous partîmes au pas de course.
Comment des créatures pouvaient-elles insuffler la maladie ainsi aux hommes ? Le curé normand avait évoqué des armes magiques invisibles pouvant être retourné contre les fées et les tuer. Mais ce mal ne pouvait être le résultat d'une arme invisible. Alors comment procédaient-ils ? Jetaient-ils un mauvais sort ? Je n'avais jamais cru à la sorcellerie, à la magie, à présent, je doutais de tout.
À peine Philippe eut-il déployé ses hommes que la mort commença à les ourdir également. Des fièvres bien sûr, mais aussi des incidents et des noyades. Certains tombaient raides morts sans qu'aucun signe avant-coureur ne parût. J'avais perdu ma sorcière, décimée par la peste, et à présent, je perdais mes soldats. Philippe dut retourner à Saint-Cloud avec la cour, je lui en avais donné l'ordre. Au vu des décès s'accumulant, je refusais qu'il prenne le moindre risque en restant là-bas.
Versailles me paraissait condamnée. La maladie frappait toute la région. Le mal s'enracinait. Des vagues de fièvre touchaient toutes les populations et le retour de la peste contraignit les survivants à brûler leurs fermes et champs, se condamnant ainsi à la famine alors que l'hiver s'annonçait rude. Pire encore, considérés comme contagieux, les villages voisins les refoulaient craignant que la maladie se propage. Certains de ces malheureux devaient gagner Paris dans une misère des plus totales ayant perdu toute leur famille et tous leurs biens.
Bien sûr, je craignais que l'épidémie touche la capitale. La Reynie éprouvait déjà les plus grandes difficultés à confronter les empoisonneurs. Les confessions transmises par l'évêque n'aboutirent qu'à de trop rares arrestations et la Brinvilliers continuait d'échapper à la police. Les négociations avec l'Angleterre avaient échoué. Il était capital de procéder à son arrestation et pour cela, je donnais à La Reynie carte blanche en la matière. Quelqu'un rendu coupable de meurtre devait être poursuivi et puni en conséquence, quel que soit son rang, sa situation ou son genre !
Au même moment, des nouvelles désastreuses me parvinrent de Hollande.
— Majesté, Turenne a commis... je ne sais comment vous l'annoncer, déclara piteusement Louvois.
Je ne l'avais encore jamais vu ainsi, ce n'était pas son genre de courber l'échine et de baisser le nez, même quand sa maîtresse avait été surprise dans le lit du Chevalier à lui faire des confidences bien mal avisées, il n'avait paru aussi fautif.
— Qu'y a-t-il donc ? questionnai-je d'un ton sec.
— Nous l'avons autorisé à attaquer à l'Est... c'est ce qu'il a fait et il a remporté une éclatante victoire qu'ensuite... il a entachée...
— Qu'a-t-il donc fait ? Parlez Louvois !
— Ses hommes ont violé, pillé, tués de simples paysans, sire. Ils... ont été si barbares que...
— Toute l'Europe se rangera aux côtés de Guillaume d'Orange ! conclus-je d'une voix blanche.
Louvois hocha une tête tremblante. Il était mon ministre de la guerre, il se sentait responsable d'un tel fiasco. Les Hollandais nous dépeignaient déjà comme des monstres, mais jusqu'à présent, personne n'écoutait vraiment leur rengaine. À présent, cet idiot de Turenne donnait non seulement raison à notre ennemi, mais l'occasion de se faire de nouveaux alliés, d'obtenir peut-être même le soutient du Vatican.
Ma main frappa la table où étaient posées les cartes et les rapports venant de nos armées stationnées en Hollande.
— Cet idiot !
— Sire... dois-je le rappeler ?
— Non... nous ne pouvons nous permettre d'avoir l'air faibles... Trouvez une manière de le sanctionner... et de le raisonner, soupirais-je.
Je ne pouvais pas risquer de le faire revenir au pays, de plus, mieux valait que nos ennemis nous craignent même si c'était de la pire des manières... J'enrageais que de telles choses puissent arriver, ce n'était en rien la façon dont j'envisageais la guerre. J'avais en horreur ces ignobles manières de faire, mais bien des soldats s'adonnaient à ces pillages parfois même sous l'aval de leur chef. Et je l'en savais capable, c'était pour cela que je l'avais toujours tenu éloigné de mes sujets...
Comme si ces mauvaises nouvelles ne suffisaient, mon dernier-né était malade. La Reine et moi étions vivement concernés par le mal qui rongeait notre fils. Je ne savais si Marie-Thérèse pourrait supporter de perdre encore un enfant, particulièrement un fils. Elle se sentait fautive de ne parvenir à m'offrir un autre héritier aussi solide et en bonne santé que le premier. Je l'épaulais durant la maladie, craignant que ce soit une nouvelle fois l'affaire des fées. La Reine partageant mes inquiétudes fit porter des crucifix dans la chambre de notre fils.
L'obscurité n'avait jamais été aussi palpable. Il me fallait trouver comment frapper plus durement le seigneur des marais et protéger mes gens, je ne pouvais me contenter de lui offrir mon flanc. Philippe m'en voulait de le tenir éloigné, pourtant j'avais besoin de lui, plus que jamais. J'avais perdu la sorcière bretonne et l'abbé normand était au plus mal me disait-on. Je ne savais si j'allais pouvoir vaincre ces gobelins. La victoire ne m'avait jamais paru aussi fragile.
C'est au cœur d'une nuit noire que Bontemps m'appela, le désespoir était palpable dans sa voix tremblante.
— Majesté, votre fils...
Je le suivis d'un pas empressé jusqu'à la chambre enténébrée. La Reine tentait si vaillamment de retenir ses larmes alors qu'un déchirant râle d'agonie s'échappait de la gorge de notre enfant. Je me jetais au pied du lit, faisant fi de l'image royale dont je ne me dépouillais que dans le secret des alcôves et des chambres fermées à clé.
— Je vous en prie, ne me l'enlevez pas ! J'obéirais à votre stupide pacte, mais ne me l'enlevez pas ! suppliai-je en fixant les ténèbres.
C'était eux, n'est-ce pas, qui avaient envoyé cette terrible fièvre, ces maladies infâmes, ces pustules noires qui rongeaient mes sujets. Malheureusement, mes prières restèrent sans réponses, l'obscurité et le silence demeurèrent intacts. Ma main serra celle de mon infortuné enfant dont la chair était si froide.
Soudainement la Reine poussa un hurlement déchirant. Mes yeux se posèrent sur elle, sur ses prunelles agrandies de frayeur, sur ses sourcils levés, ses lèvres arrondies sous l'effet de l'horreur qui la tétanisait. Quand je baissais les yeux vers notre fils, j'en sus la raison. La mort venait de l'emporter, ignorant mes suppliques.
— Non ! hurlai-je, en vain.
Je pressai cette main blême et si froide contre mes lèvres, voyant mon épouse presser les siennes contre le visage de notre enfant. Le désespoir me saisissait, ils m'avaient ainsi tout pris : mes deux fils, mon palais... et je ne pouvais le détruire, je ne pouvais rien faire...
De fureur, je refusais de quitter son chevet, ne laissant les médecins emporter son corps. C'est de force que Bontemps aidé de Philippe arracha le corps de mon fils de mes bras endoloris. J'étais resté prostré avec lui dans cette chambre empestant la mort, les volets et fenêtres closes, n'étant plus vraiment moi-même. Qu'avais-je donc pu faire pour mériter un tel acharnement ? Parce que j'avais tenté de lutter ? Refuser de ployer l'échine devant un stupide seigneur et quelques gobelins ?
L'amertume et la colère me rongeaient alors quand la fièvre me frappa. Le mal qui avait emporté mon fils menaçait d'en faire autant avec moi. La Reine me veilla au début, me suppliant de ne point l'abandonner, pas maintenant, et quand je lui répondais d'une voix faible :
— Ne voulez-vous donc point que je rejoigne nos enfants, que je veille sur eux ?
Elle me répondait avec des pleurs et des petits cris de colère. Elle me frappait doucement, plus par désespoir que par fureur, avant de se reprendre et de saisir ma main pour l'embrasser. Les médecins se pressant autour de nous redoutaient que mes proches tombent malades à leur tour. Même si la Reine avait résisté au mal jusqu'à présent, Bontemps préférait l'éloigner. Il prétexta qu'il fallait qu'elle assure la régence pendant que j'étais fiévreux. Je l'en remerciais, même si sa présence était douce à mon cœur, je craignais de l'emporter avec moi dans la tombe.
L'agonie se prolongea durant trois jours qui furent aussi éprouvants pour moi que pour mon pauvre valet qui devait subir mes exigences nourries par les accès de fièvre qui m'emmenaient en d'étranges rivages, me ramenant sans cesse auprès des marais et de mon fils où je croyais entendre ses hurlements de frayeur. Je m'éveillais en sueur, tremblant encore de frayeur et réclamais toutes sortes de choses. Bontemps ne sachant si je vaincrais le mal pourvu au moindre de mes caprices, tentant de soulager ainsi ma peine.
Quand enfin, je sentis la fièvre décliner et me rendre peu à peu mes forces, sans une once de pitié pour mon vaillant gardien, je m'échappais de ma chambre et allais chevaucher au soleil mourant. Il n'y avait qu'ainsi que je me sentais vivant alors, au-dehors, l'air fouettant mes joues, s'engouffrant contre mon torse, s'insinuant en ma gorge. J'entendais le sifflement du vent à mes oreilles, sentait mes cheveux s'envoler, au rythme des sabots frappant le sol.
Au loin, l'écho de mes mousquetaires qui mepoursuivaient, espérant me ramener à ma chambre et à une plus sage attitude.J'avais été prudent et la mort m'avait enlacé, la défaite m'avait méchammentmis à terre. Je ne serais plus aussi raisonnable à l'avenir.
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