❦ Chapitre 33 ❧

Les festivités s'imposaient, non seulement j'en avais besoin pour attirer des fées dans l'espoir de les capturer, mais de surcroît il nous fallait célébrer notre victoire sur la Hollande. Transformer la noyade du champ de bataille en une semi-victoire, puisqu'après tout, nous avions bel et bien remporté de nombreux territoires. Il en allait de la gloire du pays, mais également du moral des troupes ! Les festivités étaient toujours un bon un moyen d'oublier les épreuves.

Ainsi, tous les soldats et officiers étaient conviés, du moins ceux pouvant venir. Une telle quantité d'invités effrayait Colbert sur le sujet des dépenses et Bontemps pour la sécurité de ma personne et de la famille royale. Pour ma part, je me souciais plutôt du déroulé de la soirée qui se devait d'être une réussite.

Mon frère était en charge du spectacle : Molière et Lully allaient nous offrir une comédie en musique et Philippe veillerait à chaque détail. Afin de satisfaire les palais, j'avais laissé à Bontemps le soin d'appeler autant de cuisiniers qu'il serait nécessaire et de voir avec le chef afin que nos papilles soient enchantées : soufflets, macarons, veloutés et pièces montées étaient au programme. Mais les autres sens ne seraient en restes ! Le Nôtre m'avait assuré que les jardins seraient en beauté et tout en senteur. Les artificiers Ruggieri allaient les sublimer avec leurs créations. Enfin, les bassins seraient mis en valeur par des embarcations vénitiennes que nous allions remplir de fleurs délicieusement parfumées.

Je voulais que la fête fût si incroyable que les fées ne puissent résister à l'envie de s'y inviter. Nous projetions d'en capturer, mais l'aventure promettait d'être compliquée. Ne pouvant mettre grand monde dans la confidence, tous mes espoirs reposaient sur la capacité de Colbert à dénicher des chasseurs adroits. Heureusement la guerre nous avait rendu bon nombre de soldats, parmi eux, se trouvait sans nul doute des hommes parfaitement capables de s'acquitter de cette tâche, du moins, je l'espérais.

En attendant, je retrouvais mon frère pour les préparatifs. Après tant de batailles, la paix était enfin acquise entre nous. Les difficultés que nous avions eues pour communiquer depuis la mort de notre mère semblaient effacées par les coups de canon hollandais. Rien de tel que combattre l'ennemi ensemble.

Quand j'avais appris pour ces quatre villes qu'il avait prises si promptement, j'en avais été fier, convaincu qu'il avait du talent. En vérité, j'ai presque frémi à l'idée qu'il conquiert trop vite la Hollande que je voulais voir souffrir encore un peu. À son habitude, Philippe ne perçut que ma jalousie et mon inquiétude, persuadé que je voulais lui retirer ces victoires, m'en attribuer le mérite peut-être. Cette bonne vieille jalousie revenait dès qu'on la chassait.

— C'est la gloire de la France qui compte, lui avais-je dit.

— La France c'est toi.

Je n'avais pu m'empêcher de sourire en l'écoutant.

— Tu sais que c'est toi aussi.

Mais un froncement de sourcil était apparu sur son visage boudeur.

— Je t'en prie Philippe, je ne veux pas être en guerre contre toi. Nous sommes frères, ne pouvons-nous nous soutenir ?

L'air ronchon, il avait secoué la tête en poussant un lourd soupire.

— Nous sommes frères, mais je serai toujours le second, toujours dans ton ombre, et même sur le champ de bataille, mes victoires seront toujours tiennes.

Ma main serra alors son épaule dans un geste se voulant fraternel.

— Tes victoires sont pour la France, non pour moi. Je suis peut-être le Roi, mais je suis aussi ton frère. Et je te suis reconnaissant, tu as été brave, même redoutable. Je suis persuadé que Guillaume d'Orange a frémi plus d'une fois.

Le sourire qu'il eut fut trop succinct.

Liselotte, la pimpante Princesse Palatine, m'avait conseillé d'attendre qu'elle lui rende le sourire. Nous savions, elle comme moi, qu'en réalité ce serait ses mignons qui s'en chargeraient. Liselotte était une femme pleine de caractère et de volonté, mais ses qualités demeuraient invisibles à mon frère. Elle était trop virile pour lui, ironiquement. J'espérais qu'avec le temps, elle réussirait à composer avec son caractère et à l'apprivoiser comme elle avait réussi à le faire dans sa jeunesse avec les animaux de la forêt, d'après ce qu'elle m'avait conté.

Mais à cet instant, ce n'était lui et moi qui bataillons, mais bien Molière et Lully. Je fus stupéfait en m'approchant de constater que les éclats de voix que je percevais par-delà les bosquets venaient de mes deux artistes favoris.

— Comment puis-je laisser faire pareille chose ? Ta comédie enlaidit ma musique ! s'exclamait Lully.

— Pourquoi dites-vous cela, votre musique est admirable et la comédie proposée par Molière ne fait que la sublimer, tentait de les calmer Philippe.

Mon frère m'accueillit avec un regard où je pouvais lire le soulagement de ne plus être seul sur ce nouveau champ de bataille.

— C'est tout le contraire, la comédie ridiculise la musique ! répliqua le compositeur.

— Ma comédie ridicule ? Mais voyons, les spectateurs rient avec nous, pas de nous, s'offusqua Molière.

— Exactement, confirma Philippe.

Nous regardant tous d'un air désespéré, Lully insista :

— Vous ne comprenez rien ! L'art de la musique doit s'élever au-dessus du peuple, l'entrainer vers le ciel, vers l'adoration. Si on s'abaisse à l'art de la comédie...

— Que dis-tu là !? S'étouffa d'indignation Molière.

— Je ne dis rien de plus que la vérité, répliqua Lully dont l'accent italien resurgissait avec férocité quand il s'énervait.

— Allons, allons, calmez-vous, vos deux arts s'associent parfaitement, et le premier qui dira le contraire sera envoyé à la Bastille ! plaisantais-je.

Mais au regard que m'adressa Lully, je sus qu'il était parfaitement sérieux et aurait aimé que j'applique à la lettre mes dires de l'instant. Mon pauvre ami était devenu une masse de nerfs ces derniers temps, susceptible, irascible et jamais satisfait.

Pourtant, il venait d'être nommé à l'Académie de musique. C'était le meilleur moyen de faire taire ses ennemis qui ne cessaient de critiquer sur ses manières italiennes, le caractère baroque de sa musique ou encore sur son vice italien qui, je l'avais déjà prévenu, lui causerait bien des torts à la Cour. Mon cher frère pouvait s'y adonner autant qu'il lui plaisait, même le Chevalier de la Lorraine. Ils étaient nobles, riches et proches du pouvoir. Il serait difficile de leur nuire et de les atteindre sans risquer la prison ou la mort. Mais Lully n'avait d'autre protecteur que moi. J'étais certes puissant et redoutable, mais ses ennemis étaient nombreux et retors.

Lully n'avait pas seulement révolutionné la musique, conquis mon cœur et ma Cour, il avait fait passer de mode tous les compositeurs classiques de l'ancienne garde que mon père avait élevée au rang d'académiciens. Ils formaient une cohorte d'ennemis qui chercheraient par n'importe quel moyen à lui nuire et malheureusement, Lully refusait d'être prudent.

Molière avait tenté de l'en avertir. Mal lui en avait pris, depuis Lully se montrait difficile, caractériel et distant. J'avais suggéré à Molière d'attendre que notre ami s'apaise, même moi ne savais plus comment lui parler. J'avais espéré que lui donner l'académie suffirait à le combler. Hélas, cela n'avait qu'accentué son mauvais caractère et sa guerre fatale avec ses ennemis qui finiraient par l'isoler et lui faire perdre le peu d'amis qu'il lui restait.

Après m'être assuré que Lully ne s'en prendrait plus ni à Molière ni à mon frère, j'allais aux cuisines surveiller l'avancée des préparations culinaires. Mon épouse avait accepté de les aider pour préparer des douceurs chocolatées. Elle l'avait amené en France dans ses bagages. Je n'en étais pas particulièrement friand, mais mon épouse en raffolait et elle était loin d'être la seule. J'avais demandé à ce qu'on utilise les fruits de l'Orangerie. L'idée de mêler les deux fut proposée par la Reine qui avait déjà goûté à ce délicieux mariage de la fleur d'oranger et du chocolat.

Comme il était difficile d'offrir quelque chose à mon épouse sans en faire de même à ma maîtresse, je fis d'Athénaïs la Reine du bal en lui commandant une robe à la magnificence dorée et je composais ma propre tenue sur la même thématique. Lorsque je lui révélais que c'était pour attirer les fées aux festivités, elle m'observa avec un sourire plein d'audace. Athénaïs avait toujours aimé les défis et celui-ci s'avérait être à la hauteur de ses ambitions. Mais une telle tenue n'attirait pas seulement l'œil des fées. Je n'avais songé à la colère que ressentirait la Reine. S'il y a bien des choses que je regrette en voici une, je n'ai jamais su ménager les fiertés des femmes que j'aimais.

Mais à cet instant, je ne songeais qu'aux fées : j'avais une chance de les battre à leur propre jeu en les attirant au bal qui aurait lieu à la tombée de la nuit après la représentation de la comédie-ballet. J'étais fier du piège que nous avions dressé. J'étais si heureux de voir tout le monde se prêter au jeu. J'attendais avec impatience que la nuit tombe et que le piège se referme.

Celui-ci impliquait évidemment D'Artagnan et quelques mousquetaires soigneusement sélectionnés. Bontemps avait insisté : le vieux capitaine ne devait me quitter ; il ne fallait en aucun cas que ces créatures puissent m'atteindre si tel était leur but. Mon valet était toujours aussi réticent, mais pour rien au monde il ne m'aurait laissé seul affronter les fées. Et puis, la présence de D'Artagnan me rassurait moi aussi, il avait veillé sur mon enfance et j'avais pleinement confiance en lui.

La réussite de notre plan dépendait des conseilsprodigués par la sorcière et le prêtre normand. La nourriture, les ornements,la danse et la musique seraient réunis en un seul lieu, où des croix en feravaient été cachées. Nous avions prévu de les révéler à mon signal. L'abbé nousavait recommandé d'avoir chacun un bout de fer. De l'aubépine consumée par desflammes pourrait aussi nous protéger, mais le fer serait plus aisé à avoir sursoi. Nous devions agir au milieu d'une foule de courtisans, il fallait que nousdemeurions discrets jusqu'au dénouement que j'attendais avec impatience.

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