❦ Chapitre 30 ❧
Un monastère fut sélectionné pour la rencontre, c'était un choix délibéré pour contraindre mon ennemi protestant de se rendre en un bastion catholique. Le fait qu'il accepta ce lieu était déjà un mouvement en vue de la négociation. En diplomatie, le moindre geste, la moindre parole, le moindre choix a son importance et peut avoir des conséquences dévastatrices. Colbert et moi y consacrions un grand nombre d'heures, mais cela était indispensable à la grandeur de la France.
J'étais à peine remis de la fièvre, pourtant je marchais d'un pas vif et décidé entre les arches de pierres afin de rejoindre une table en bois de chêne massif, belle par sa simplicité. Les nonnes nous avaient demandé de ranger nos armes, elles auraient aimé que nous les laissions à la porte du monastère, mais une telle exigence envers un roi était impossible. Je m'installais en observant la sobriété des lieux peu éclairés, humides, mais bien tenus.
Guillaume ne tarda guère, arrivant entouré de ses plus proches conseillers et généraux. La tentation de tous les occire me saisit comme un rêve sanglant, mais je n'en fis rien, me contentant de le saluer. Je fus frappé par son apparence alors qu'il prenait place face à moi. Il était petit, chétif, son teint était cireux pour ne pas dire maladif, comme si c'était lui qui sortait d'une convalescence et non moi. Pourtant, son maintien, son pas, son regard brûlant démontraient une volonté infaillible que j'avais déjà devinée en ses décisions militaires.
— Enfin nous nous rencontrons, déclara-t-il avec espièglerie.
À son pourpoint orange, à ses lèvres retroussées et à sa posture, il s'octroyait déjà la victoire. D'une certaine manière, c'était le cas. Pour le moment, son peuple le voyait en héros triomphant ayant arrêté la saignée française, telle était le nom qu'ils donnaient à notre avancée foudroyante.
— J'étais curieux de rencontrer l'homme qui a préféré noyer son peuple à m'affronter, répliquai-je.
— Ne soyez mauvais perdant, Louis. Vous m'avez contraint à de telles extrémités, mais vous devez admettre que j'ai gagné.
— Vous avez noyé votre pays, il ne vous reste qu'une Amsterdam isolée comme une île, tout le reste, je l'ai conquis, rétorquai-je.
— N'allez pas crier aussi vite victoire, vous avez remporté quelques villes, mineures et sans importance, quelques champs à présent noyés, mais vous n'avez nos cités les plus florissantes, et désormais, elles vous sont inaccessibles.
Je l'observais avec aigreur, car il avait raison, nous ne pourrions atteindre les cités les plus stratégiques, celles qu'on visait en premier lieu. J'entendis le soupir de frustration de Louvois, il avait suggéré que nous rompions la politique du pré carré pour nous emparer d'Amsterdam. Si nous l'avions fait, Guillaume aurait peut-être eu l'espoir de l'emporter et n'aurait noyé ses terres, mais il aurait pu le faire ensuite pour nous couper toute retraite, nous piéger. Cette pensée me glaça comme un frisson.
— Elles le seront à l'hiver, fis-je remarquer.
Cette fois-ci, ce fut mon ennemi qui fit grise mine. Ses fines lèvres se pincèrent en une moue grincheuse. Il savait que j'avais raison, il n'avait fait que gagner du temps. Et nos troupes que nous laisserions l'empêcheraient d'obtenir des renforts, du moins, je l'espérais.
— Alors peut-être devrais-je demander de l'aide à mes alliées. Elles règnent en hiver, je crois qu'elles vous ont déjà causé quelques ennuis.
Je fronçais les sourcils. De quoi parlait-il au juste ?
— Je vous en prie, Louis, ne feignez pas l'ignorance. Elles vous ont déjà rendu visite, plusieurs fois. Vous devriez y prêter davantage attention, autrement elles finiront par se vexer.
— Pourriez-vous être plus explicite ? lui demandai-je d'une voix aigre.
— Oh non, c'est trop amusant de vous voir grimacer de la sorte ! Mais je me dois de vous avertir, Louis, si vous ne vous montrez pas plus sage à mon égard comme au leur, elles séviront. Vous savez, elles pourraient vous remplacer.
À ces mots, mon sang se glaça. Le rêve que j'avais fait me revint, les paroles de Perette avec. Etait-il possible que le garçon me ressemblant soit encore en vie, que les fées, puisque ce devait être elles dont il parlait, eussent ourdi un complot avec Guillaume ? Et pourquoi pas, si mon dernier songe était réel, si chacun de mes songes n'était qu'un passage vers leur monde... à moins que ce ne soient des messages qu'elles m'envoyaient ?
La terreur me glaçait, d'être le jouet de ces créatures, qu'elles parviennent à détruire tout ce que j'avais bâti. Plus encore, j'étais furieux que mon ennemi en sache autant à mon sujet. Si les fées me voyaient en ennemi, pourquoi leur était-il allié ? Il était un protestant, un ennemi encore plus grand, non ?
— Cessez ces petits jeux, vous n'avez donc aucune négociation à nous offrir ? Coupa Louvois qui percevait mon mal être et ne voulait que les Hollandais n'en profitassent.
— Ne voyez-vous pas que je vous offre la paix, Louis ? La paix de l'esprit. Si vous daignez m'écouter, je ferais en sorte qu'elles cessent de vous importuner. Vous retrouveriez le sommeil et plus personne ne vous menacerait ni vous ni vos enfants.
À ces mots, je me levais, prêt à l'étrangler. Guillaume se gaussa de ma hargne soudaine.
— Vous comptez me tuer ? me railla-t-il. Je me croyais désespéré, mais vous l'êtes plus encore.
— Notre Roi ne s'abaisserait pas à cela, même si je crois qu'il nous rendrait à tous service et en premier lieu à votre peuple. Mais vous préférez le voir souffrir de la famine plutôt que nous céder ces quelques terres dont vous dites n'avoir que faire, répliqua mon ministre.
— Oh, Louvois, vous voudriez me faire croire que votre bon Roi se contenterait de ces quelques victoires ? Il veut bien plus, il veut voir la Hollande à genou, il veut se venger de toutes les vilenies que nous lui avons faites. Il ne s'arrêtera que lorsque nous serons exsangues, répondit Guillaume.
— Et vous le serez, à l'Hiver. Nous reviendrons alors pour vous achever ! rétorqua-t-il.
La joute verbale m'avait épuisée, les sous-entendus de Guillaume alertés, je voulais rentrer au plus vite. La Reine m'avait donné un fils, c'était la seule nouvelle que m'avait confiée Bontemps pendant la fièvre, sans doute parce que les autres étaient mauvaises. Je voulais me rendre auprès d'elle, la protéger de ces maudites fées que mon ennemi agitait comme autant de menaces.
— Laissez-le donc, intervins-je, Louvois, son orgueil l'empêche de faire la moindre proposition digne de ce nom qui pourrait sauver son peuple, comme l'a démontré ses actions, il préfère la ruine à la déconvenue.
— Je t'aurais prévenu, Louis. J'espère que ton remplaçant sera dans de meilleures dispositions !
Guillaume éclata d'un petit rire narquois avant de disparaître. Louvois le regarda s'éloigner puis se tourna vers lui. La bonne chair qu'il consommait lui avait donné un sacré embonpoint, mais chez lui, cela ne faisait que le rendre plus impressionnant. Sa voix en était grave, profonde, comme son regard qu'il posa sur moi.
— Majesté, je n'ai pas saisi ses sous-entendus, mais il me semble qu'il vous menaçait, vous et votre famille. Je crois que nous devrions en avertir immédiatement D'Artagnan et mettre nos meilleurs espions sur l'affaire.
J'aurais aimé lui dire qu'il n'y en avait guère besoin, mais en vérité, ces menaces étaient tout à fait réelles, mais ceux qui les appliqueraient seraient impalpables. J'avais cherché à fuir ces créatures et à présent, elles me menaçaient directement. Pire encore, mon ennemi s'était allié avec, connaissait les attaques que j'avais pu subir et leurs effets désastreux sur ma santé. Je ne pouvais décemment plus leur offrir mon flanc ni une telle emprise sur mon esprit !
Dès que nous fûmes prêts, une bonne partie de nos garnisons se mirent en branle pour rejoindre Paris. Sur le chemin, la propagande ayant fait son travail, le peuple en liesse saluait le retour de nos soldats victorieux. L'inverse était vrai, Guillaume d'Orange s'était offert un large répit, mais s'était également autoproclamé vainqueur d'une bataille qui de facto n'avait jamais eu lieu. J'avais peut-être perdu un temps précieux, mais je savais qu'à l'hiver nous pourrions le battre. Ses menaces répétées à mon encontre prouvaient qu'il comptait sur le support des fées pour s'en sortir. Si je parvenais à me défaire de cette menace, j'aurais alors les coudées franches pour l'affronter.
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