❦ Chapitre 3 ❧
Après avoir quitté la couche d'Athénaïs repu d'amour et de plaisir, je me dirigeais vers les appartements de la Reine.
Le parquet en chêne massif pourtant relativement neuf grinçait à chacun de mes pas malgré mes efforts, avertissant ainsi de mon arrivée dans cette modeste chambre aux motifs floraux. Les couleurs pastel offraient une atmosphère plus douce qu'en mes appartements où les couleurs vives tranchaient. J'observais le décor bucolique des peintures au plafond en attendant que les dames de compagnie nous laissent seuls.
Sans ma présence nocturne, qui sait jusqu'à quelle heure les jeux de cartes auxquels elles s'adonnaient auraient duré ?
— Ma mie, vous devriez dormir, vous aurez l'air fatiguée à la messe, la grondai-je avec douceur.
— Je ne suis la seule à veiller tardivement, rétorqua-t-elle.
Ses sourcils levés à mon encontre, je haussais doucement mes épaules en réponse.
— Allons-nous coucher ensemble, proposais-je comme geste de paix.
Un soupir échappa à ses lèvres rondes. Ravi qu'elle n'insiste point sur mon inconduite avec la marquise, je m'approchais d'elle, non sans jeter un œil au-dehors.
Les torches flamboyaient encore dans les jardins comme les candélabres dans les galeries afin d'éclairer la vue des gardes veillant de jour comme de nuit. Je préférais que les volets et les fenêtres restassent ouverts, ainsi la lumière de la lune se reflétait sur ces grandes fenêtres donnant le sentiment d'être presque au-dehors. Pourtant, toutes ces lumières ne suffisaient pour éloigner les spectres pour mon épouse et ce soir, je craignais de comprendre sa crainte.
Enfant, j'étais fermement convaincu que Saint-Germain était hanté, ayant déjà surpris quelques ombres se glissant dans les galeries une fois la nuit tombée, certaines allant jusqu'à se pencher sur votre lit quand vous étiez à demi assoupi. Même dans le château de chasse de mon père, je tremblais sous les draps et Philippe n'en menait guère plus large. Nous étions convaincus d'être épiés par quelques esprits malfaisants. En grandissant, ces peurs enfantines avaient disparu. Mais point pour mon épouse.
Elle en avait si peur que je n'osais lui parler des morts causées par le chantier qui engloutissaient régulièrement les malheureux qui s'y affairaient jour et nuit afin de permettre à mon rêve de se réaliser. Parfois j'étais pris de vertige face à l'ampleur des travaux, mais dès qu'une aile s'agrandissait, qu'un bassin poussait, la fierté me remplissait et éloignait les doutes. J'aurais aimé qu'il en fût de même pour ma Reine. À défaut, je lui offrais mes bras protecteurs.
Cette nuit cependant, ce câlin m'offrit un curieux réconfort, si bien que je n'eus envie de l'en délivrer quand elle s'assoupit. L'observant avec tendresse, je me souvenais de la jeune princesse dont la timidité m'avait touchée, et plus encore, de l'amour qu'elle me portait. Un amour que je ne pourrais jamais dépasser, j'en avais conscience, mais que je ne pourrais également jamais perdre. Cela était si réconfortant qu'il m'arrivait d'être odieux avec elle juste pour éprouver cet amour dans son pardon.
Après avoir déposé un baiser sur son front, je me dégageais doucement et veillais à ce que la chandelle demeure allumée encore quelques heures. Puis, je me glissai hors de la chambre pour gagner la mienne où mon valet m'attendait.
Celle-ci possédait plus de faste encore. S'il n'y avait de plumes d'autruche au-dessus de mon lit d'apparat, tous les symboles royaux y figuraient sous le saint patronage de la déesse Athéna sculptée dans un haut-relief d'or. Le tissu de satin aux murs était d'un rouge flamboyant tandis que les boiseries et coffrages étaient recouverts d'or. Les peintures de Le Brun sertissaient le plafond d'allégories célébrant mes exploits. Le tableau se complétait d'une petite barrière dorée qui, au Lever et au Coucher, me séparait des courtisans venus me mirer.
C'était devant elle que se tenait Bontemps. Il avait remplacé Laporte, devenu trop âgé pour ces fonctions. Il était plus qu'un simple domestique serviable et utile. Nous avions dansé ensemble sur scène autrefois. Désormais, il était mes yeux et mes oreilles et sa loyauté était sans pareille. Toutes ces qualités le rendaient fort précieux. Nous avions une intimité et une confiance que je ne partageais avec personne d'autre, pas même mon épouse ou mon frère.
— La Reine va bien, Sire ?
— Parfaitement.
— Ravi de l'entendre. Bonne nuit, Majesté.
— Bonne nuit, Bontemps.
Mais ma nuit ne fut pas bonne. Mon sommeil fut agité, secoué par les fantômes du passé. Dès que Morphée m'eût emporté, je me retrouvai à nouveau dans les bois qui refermaient leurs bras verdoyants sur mon chemin. Le bruissement de la végétation se faisait si assourdissant qu'il m'était impossible de l'ignorer, pas plus que les battements effrénés de mon palpitant. L'impression que j'avais éprouvée enfant me revint, enserrant mon cœur jusqu'à l'en rompre.
Le corps enlacé par les ronces, tout noirci par la pourriture, se redressa et une fois sur son séant, il tourna son horrible tête vers moi. Ses yeux jaunes et intenses m'observaient tout en me défiant. Son effroyable main décharnée se tendit et se replia, son index pointé vers moi.
J'en ressentis un immense choc, une profonde terreur, mon cœur battait plus vite encore. La sensation d'être confronté à quelque chose d'à la fois terrible et fascinant, quelque chose qui avait toujours été là, caché et invisible, comme une ombre mouvante précédant le moindre de mes gestes.
Le hululement d'une chouette résonna au loin, les bruits de la nature et de la nuit devenaient plus forts, formant une symphonie dissonante. J'avais envie de hurler, de me boucher les oreilles, mais j'en étais incapable.
Cela confinait à la folie, à la terreur et aux cauchemars, mais ce n'était que cela, n'est-ce pas ? Un cauchemar venu de mon enfance. Tout mon être frémissait à l'idée que ce soit plus que cela.
Je ne pouvais détacher mes yeux de la créature qui se redressait, déployant ses longues jambes et de son corps décharné qui craquait comme des branchages se brisant sous les pas. Son apparence m'évoquait l'écorce humide avec la noirceur de sa peau et les nœuds s'y faisant, et sa tête, son horrible tête était dotée des bois d'un cerf qui poussaient et s'étendaient sous mes yeux.
Je réalisais avec épouvante qu'il me rappelait l'ombre penchée sur mon lit d'enfant pendant cet épisode fiévreux où j'avais manqué de périr. Ce mélange de beauté sauvage et de fantasmagories dont l'impossibilité me frappait le cœur. Dans ce songe cauchemardesque, le danger me paraissait effroyablement proche. Ses racines s'étendaient vers moi, s'agrippaient à mes chevilles menaçant de me faire chuter. Je redoutais qu'en touchant le sol, je ne devienne sa proie.
Mon palpitant heurtait durement ma poitrine lorsque mes yeux s'ouvrirent sur les tentures ouvragées de ma chambre. Mes jambes étaient prises dans les draps mêlés, s'enroulant autour d'eux, mais en relevant la tête, je découvris la créature penchée sur mon lit, sa bouche toute noire grande ouverte prête à m'engloutir. J'eus alors un mouvement de recul et me sentis tomber en arrière.
Quelque chose ou plutôt quelqu'un me retint, je pris conscience du froid glaçant de l'eau du bassin où je me trouvais en réalité. L'effroi me saisit, alors que je sentais les algues s'agglutiner autour de mes chevilles dénudées, dans ma course nocturne j'en avais perdu souliers et bas, déchirés par la végétation, tandis que ma chemise de nuit portant mes initiales brodées s'alourdissait d'humidité. Sans le réflexe de mon Valet, je serais tombé dans les bassins et aurais pu m'y noyer.
Un pareil incident était survenu durant mon enfance. Pendant des années, je n'avais conservé comme souvenir de cet incident que la terreur que j'avais lue dans les prunelles maternelles posées sur moi. Pourtant, à cet instant, je sus sans le moindre doute qu'une créature mutine cachée entre les gouttes de la fontaine m'y avait attiré, tout comme cette horrible créature boisée m'avait attirée jusqu'ici.
La voix inquiète de Bontemps résonna à mes oreilles :
— Sire, sortez de là, je vous en supplie.
Je sentis le poids de la robe de chambre en velours qu'il posait sur mes épaules avant de me tirer en arrière pour me sortir de l'eau. Le mouvement opéré me permit de découvrir les visages inquiets de mes mousquetaires qui m'avaient suivi jusque-là sans oser m'éveiller.
Hélas, ce n'était la première fois que mon sommeil agité provoquait une crise de somnambulisme. C'était un secret très bien gardé autant par mes médecins que mon intendant. Si l'un de mes ennemis apprenait qu'il m'arrivait de me promener ainsi la nuit, il pourrait faire courir le bruit qu'un démon ou la folie possédait le Roi. J'étais tout à fait conscient que Guillaume d'Orange n'aurait pas le moindre scrupule de m'embarrasser avec une telle rumeur.
Aussi la panique dans la voix de Bontemps n'était nullement feinte. Généralement, il me rattrapait avant que je ne sois visible de tous. J'ignorais ce qui l'avait empêché d'agir avant que je ne sois au-dehors, à dire vrai, je craignais qu'il ne soit lui aussi la proie d'un maléfice. Cette inquiétude cependant n'ayant pour seule source qu'un diffus sentiment d'effroi, je n'en fis mention. Je me contentai de le suivre, réprimant les frissons glacés qui parcouraient ma peau devenue pâle comme l'éclat de l'astre d'argent se reflétant dans l'eau sombre du bassin que nous quittions.
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