❦ Chapitre 27 ❧
Dans quelques minutes Perrette pénétrerait dans la chambre, je me glissai dans le lit, feignant d'y dormir encore attendant qu'elle baise mon front d'un baiser maternel dont je ne me serais passé pour rien au monde, particulièrement en cet instant.
Mes yeux détaillèrent les ornements dorés aux plafonds et aux murs, croyant avec la pénombre y distinguer quelque silhouette étrange m'observant. Les rayons rosés de l'aube ne parvenaient à chasser totalement les ombres de la nuit qui s'attardaient. Le Lever allait commencer, les courtisans me presseraient de leurs demandes tout en ignorant ce qu'il se cachait parmi eux. Que ce soit des fées, des empoisonneurs ou des espions hollandais, j'avais juré de les protéger.
Quand Perette m'eut éveillé de son doux baiser, je relevai la tête :
— Restez auprès de moi, je vous prie, j'ai besoin de vous, Perrette.
D'un geste, je l'invitai à s'asseoir sur le lit. Nous pouvions avoir une certaine familiarité lorsque nous étions seuls, c'est pour cela que j'avais chassé Bontemps qui était parfois un peu trop scrupuleux dans l'application de l'Étiquette. Perette m'avait nourri bébé, vu nu quand elle me toilettait, nous avons toujours été familiers l'un avec l'autre.
— Parlez-moi de ces contes que vous me racontiez enfant. D'où venaient ces histoires ?
Ma nourrice dont la peau était devenue pareille à du parchemin, les coins des yeux ridés et les cheveux blanchis, conservaient la même honnête beauté qui avait été sienne dans sa jeunesse, lorsque je tétais ses seins avec ardeur.
— Mon cher Sire, je ne sais d'où proviennent ces histoires, on se les raconte depuis la nuit des temps, en les améliorant un petit peu à chaque fois. Votre préférée a toujours été celle du Roi Arthur. Vous étiez inconsolable quand je vous ai conté la trahison de son fils Mordred.
— Cela me revient, j'avais l'avais surnommé Brutus, car comme ce dernier, il trahissait son père au nom de comploteurs qui ne faisaient que le manipuler. Tristement, double pour Arthur puisque Morgane, sa sœur, avait poussé ainsi le fils à assassiner le père.
— Vous étiez furieux contre elle et le lendemain vous avez joué à la guerre en Bretagne dans le fortin que vous avait offert votre parrain.
À l'évocation de cet épisode, j'éclatai de rire. Mon pauvre frère avait dû jouer Lancelot, le meilleur ami d'Arthur, mais aussi l'amant de son épouse. J'ignorais que je me vengerais quelques années plus tard. Mon cher frère se pliait de mauvaise humeur à mes caprices et boudait ensuite des journées entières. Je parvenais à apaiser sa colère plus aisément à l'époque, il me suffisait de lui demander pardon en ayant l'air sincèrement désolé. J'aurais aimé que les choses restassent aussi simples.
— Pourquoi, Sire, souhaitez-vous que je vous évoque ces souvenirs ?
Perrette me connaissait bien, elle savait que je n'étais pris d'une étrange nostalgie matinale et nos conversations des mois précédents lui revenaient sans nul doute à présent.
— Pensez-vous encore à ces créatures dans le bassin que vous aviez vu enfant ?
— Ma douce Perrette, vous êtes clairvoyante, rétorquai-je avec un sourire.
— Je vous connais bien, Sire.
— Certes, vous me connaissez. Mais Bontemps s'en inquiète suffisamment. Dites-moi plutôt, si dans ces contes y a-t-il de pareilles créatures ?
Perrette fronça les sourcils.
— Pas dans ceux que je vous contais. Madame votre mère ne voulait que vous soyez trop affecté par les superstitions liées au petit peuple. Je me souviens qu'une fois vous aviez commis quelques bêtises et aviez accusé les lutins d'être responsables du désordre produit par vos jeux espiègles. Votre mère en a été furieuse et m'a réprimandé à ce sujet. Si bien que je ne vous ai plus parlé ni des fées ni des lutins et encore moins des ogres !
La chose ne m'étonnait guère, Mère était très chrétienne et voulait que je le sois tout autant. Ma couronne et mon règne m'étaient donnés par Dieu disait-elle, et je devais en être digne. Mes amours adultères la rendaient folle et la poussèrent à se réfugier au Val de Grâce. Je fus bien sot de ne pas les avoir mieux cachées, de ne pas avoir résisté à la tentation, mais j'ignorais alors que le mal la rongeait déjà et que ses années étaient comptées.
— Perrette, je voudrais que vous me disiez tout ce que vous savez sur ces fées, ces lutins et ces ogres, je vous prie.
Ma douce Perrette me regarda avec de grands yeux épouvantés.
— Sire, pourquoi toutes ces questions ? Cela ne vous ressemble pas.
— Je vous assure Perrette qu'il est d'une grande importance pour moi de connaître ces choses-là que j'ai trop longtemps ignorées.
Le froncement de sourcil perdura chez ma nourrice.
— Les contes qu'on raconte aux enfants se transmettent de génération en génération, mais certains ont été couchés sur le papier. Votre Majesté devrait s'attarder sur les fables et les lais d'autrefois. Je n'ai la science pour ces choses-là, ces messieurs de l'académie vous répondront mieux que moi.
Je dus l'encourager d'un long regard afin qu'elle me dise ce qu'elle avait sur le cœur et retenait de ses lèvres serrées.
— Sire, je connais des gens venant de Bretagne, du Berry ou encore de Bourgogne qui affirment avoir vu les lavandières la nuit laver leur linge plein de sang et que ceux qui s'en approchent trop tombent dans l'eau et se noient. Certaines prétendent que leur époux a été enlevé par les fées. Un paysan de nos terres a perdu toute sa famille et dans le pays on dit que c'est parce qu'il a labouré le territoire des fées... Je ne sais si ces choses-là sont vraies, mais j'ai toujours veillé pour ma part à respecter les enseignements de ma mère, en évitant de fâcher qui que ce soit, pas même le petit peuple.
La Bretagne était réputée pour ses légendes, son peuple fier de ses racines celtes que d'autres avaient oubliées. Le Berry quant à lui était connu pour ses sorcières et ses sabbats. Nul doute qu'en toute région il devait y avoir de pareilles croyances, puisque jusqu'à Paris et Versailles, l'on sacrifiait dans les bois des enfants et des hommes aux fées ou au diable ! J'avais été si naïf de croire qu'ici nous étions à l'abri de pareilles choses.
— Je vous remercie Perette de m'avoir répondu.
Dans ses yeux, je lis encore beaucoup de perplexité, mais je n'étais habitué à expliquer mes décisions pas plus que mes actes, précisément à cet instant, je me réjouissais d'avoir su adopter ce comportement très tôt durant mon règne, il m'évitait de gênantes explications.
— J'aurais une dernière question, est-ce que j'aurais été victime d'une tentative d'enlèvement enfant ?
Perette fronça les sourcils.
— Votre oncle voulait vous enlever à votre mère, mais est-ce de cela dont vous voulez parler ?
— Non, ma bonne Perette, j'ai cru me souvenir de quelque chose, d'un autre me ressemblant fortement.
— Oh, je vois, et bien, il est vrai que votre mère et le Cardinal ont eu affaire à un étrange complot. Vous étiez déjà Roi, mais pas encore majeur et quelqu'un a prétendu que vous n'étiez pas le vrai Louis XIV. Le Cardinal a été très malin alors, il répondit à l'invitation de l'homme en question et me demanda d'être présente en tant que témoin, vous comprenez, l'homme prétendait avoir le vrai vous. Nous avons alors vu un garçon qui vous ressemblait drôlement. Mais il parlait étrangement et ses yeux étaient noirs comme ceux d'un démon. Le Cardinal appela les mousquetaires qui se tenaient jusqu'alors cachés. L'homme et le garçon furent arrêtés et longuement interrogés, mais l'homme s'arracha la langue afin de ne parler et le garçon demeura muet... j'ignore ce qu'il lui est arrivé.
— Comment a-t-on pu me cacher pareilles choses ?! m'étonnai-je.
— Mon Roi, il y avait à l'époque mille et un complots pour vous retirer votre couronne et votre royaume. Vos oncles y travaillaient activement. Le Cardinal et madame votre Mère ne vous disaient tout de peur que vous ne soyez effrayé.
Un enfant pareil à moi, l'idée était terrifiante. Même si, le complot fut stupidement mené. Une autre pensée était plus terrifiante encore : si cette créature que j'avais vu en mon rêve était bien ce garçon et qu'il eût survécu...
Je partageais cette révélation avec Bontemps sitôt le Lever achevé. Ce dernier demeura perplexe, jurant n'avoir jamais entendu parler de pareille chose. Je ne m'en étonnais guère, Laporte était encore en service à cette époque-là. Malheureusement nous ne pouvions l'interroger, le malheureux avait succombé à la fièvre pourpre. Mais nous ne pouvions demeurer ainsi dans l'ignorance, je lui demandais de se renseigner autant qu'il le pourrait, mais dans la plus grande discrétion.
J'étais tracassé, non seulement ces créatures s'en prenaient à mon peuple, sous mes yeux, mais elles me menaçaient à présent. L'avertissement d'Henriette s'avérait des plus justes. Je regrettais qu'elle ne fût plus là pour me guider. Pourrais-je réellement m'attaquer à une peuplade entière capable de se rendre invisibles et prendre des vies en toute impunité sous mes yeux ? Combien étaient-ils seulement ?
Hélas, Colbert peinait à convaincre une sorcière de venir à Paris, les procès en Écosse avaient été suffisamment retentissants pour qu'on se méfie de telles invitations. Quant à Bossuet, il m'avait déjà dit que son séminariste ne pourrait arriver avant quelques mois, sa paroisse était la proie d'une épidémie de peste qu'ils tentaient de soigner tout en confinant la région. En de telles circonstances, je ne pouvais prendre le risque de le faire venir ici.
Pour me distraire de ce terrible contretemps, je passais voir les courtisans s'adonner aux jeux dans les salons. Certains se défiaient au billard, jeu auquel j'avais une certaine adresse dont je n'étais pas peu fier, d'autres aux cartes. Je ne pus m'empêcher de sonder chacun d'eux afin de vérifier si nulle créature ne se cachait parmi eux. Mon regard s'attarda finalement sur Puyguilhem qui dilapidait lui aussi des fortunes au jeu.
J'adorais suffisamment cet idiot pour le laisser épouser ma cousine, la Grande Demoiselle malgré la rebuffade qu'elle m'avait infligée. Aussi distrayant soit-il, je reconnaissais qu'un jour je ne pourrais plus m'opposer au souhait de mes ministres de l'enfermer à la Bastille pour lui donner quelques leçons.
M'arrachant à ces pensées, je gagnais le salon où s'échangeaient des mots d'esprit et j'y retrouvais ma chère Athénaïs. Madame Scudéry avait répondu à mon invitation. La marquise tirait un grand bonheur de la compagnie de ces dames qui avaient nourri son jeune esprit avec des jeux de mots et savants défis. Athénaïs avait eu raison de me pousser à les inviter, c'était une activité bien plus salvatrice pour l'âme que les jeux de cartes.
Ces dames qui avaient inspiré Molière, n'étaient pas si ridicules que cela. Femmes Savantes, elles l'étaient infiniment plus. Je rejoignis ma maîtresse qui sitôt me fit une place auprès d'elle, ses mains cajoleuses m'attirant à elle. Si elles s'interrompirent un instant à mon arrivée, je pus néanmoins constater combien elles aimaient se tancer et se défier : les vers et les poèmes fusaient, certains manifestement préparés de longue date, d'autres aiguisés par la conversation, jaillissaient sous une inspiration aussi soudaine que géniale valaient à son autrice de beaux applaudissements et m'arrachaient un sourire.
Madame Scudéry qui me pensait son ennemi m'observait avec surprise, elle ne s'était attendue ni à l'invitation ni à ma présence en ce salon. Elle me remercia par quelques vers forts polis, mais où se cachait encore l'audace dont elle avait fait preuve au cœur de la Fronde. Je lui répondis, avec ce petit sourire en coin dont j'avais le secret.
— Madame, j'ai su pardonner à mes cousins, pourquoi pas à vous ? Vous êtes l'un des plus beaux esprits et je ne souffrirais de priver la France de vos mots et de votre science.
À ces mots, flattée, elle baissa la tête en une petite révérence. Ces dames reprirent alors leurs joutes verbales et un chuchotis au creux de l'oreille de ma maîtresse, appuyé par ma main glissée autour de son poignet, suffit pour orienter la conversation sur les contes d'autrefois.
Madame Scudéry qui goûtait le sujet des mythes ayant façonné l'humanité, voulut célébrer celle qui avait permis qu'on se souvienne de ces contes et de ces histoires merveilleuses : Marie de France, autrice du moyen-âge qui retranscrit bien des fables et des lais de Bretagne.
Elle débuta en nous contant l'histoire du Bisclavay. Ce chevalier qui se transformait en loup et, par la trahison de son épouse, se retrouva coincé sous cette forme jusqu'à ce que son roi le reconnaisse en dépit de son impressionnante forme lupine. Il me semble que ce lai, plus que tous les autres, résonnait comme un avertissement.
Le lai suivant concernait une Dame fort belle qui n'apparaissait qu'à son amant et interdisait à celui-ci d'évoquer leurs amours au risque de ne plus jamais la revoir. En voici quelques vers qui me marquèrent particulièrement.
— Avant de nous quitter, je dois vous faire part d'une chose, lui dit-elle ; lorsque vous voudrez me parler et me voir, et j'ose espérer que ce ne sera que dans des lieux où votre amie pourra paraître sans rougir, vous n'aurez qu'à m'appeler et sur-le-champ je serai près de vous. Personne, à l'exception de mon amant, ne me verra ni ne m'entendra parler.
En effet, dès leurs amours découverts, la belle disparue et le chevalier fut accusé par la Reine d'avoir tenu des propos insultants à son égard en qualifiant sa maîtresse de plus belle et plus agréable compagnie. Heureusement pour lui, son amante arriva à temps. Mais les vers qui retinrent mon attention évoquaient des êtres quasi surnaturels.
— On alloit donc prononcer lorsque de bruyantes acclamations indiquent l'arrivée de la dame qui venoit d'être annoncée. Elle étoit d'une beauté surnaturelle et presque divine. Elle montoit un cheval blanc si admirable, si bien fait, si bien dressé, que sous les cieux on ne vit jamais un si bel animal.
Cette histoire me parut avoir tant de point commun avec les créatures qui me hantaient : leur beauté surnaturelle, leur charme impossible et ces facultés d'apparaître et de disparaître à volonté devant les personnes de leur choix. Et si tout ceci n'était suffisant, le lai s'achevait ainsi :
— Les Bretons rapportent que la fée emmena son amant dans l'île d'Avalon où ils vécurent longtemps fort heureux. On n'en a point entendu parler depuis, et quant à moi, je n'en ai pas appris davantage.
C'était bien de ces fantastiques créatures dont ces lais parlaient, celui-là en particulier, celui de Lanval. Je m'abreuvais de chaque lai qui fut conté, de chaque histoire, y compris celles d'un anglois, un certain Shakespeare qui écrivait des pièces avec des fées qui faisaient de forts méchants tours à tous ceux ayant le malheur de croiser leur chemin. J'écoutais avec une parfaite concentration et le nom d'Obéron, le roi des fées, s'imprima en mon esprit, en revanche celui de la Reine m'échappa malheureusement, mais il était différent de celui que j'avais déjà entendu.
Je demandais à ces dames si les pièces de Shakespeare avaient été traduites en françois. Ces dernières furent surprises de mon intérêt en la matière. Ce n'était point pour l'expansion de la culture anglaise en France, mais plutôt que je n'étais aussi habile que je l'aurais souhaité. Il m'était impossible de lire en anglais alors que je pouvais discourir librement en cette langue, il en allait de même avec l'espagnol ou le latin d'ailleurs. Hélas, mon éducation souffrait de lacune sur la lecture qui me gênait terriblement, c'est quelque chose que j'ai conservé secret tout au long de ma vie, prétextant n'avoir le temps de lire.
J'avais donc délaissé la littérature, mais je comptais me rattraper, d'une part en donnant à Colbert les moyens d'enrichir l'académie, et en second lieu en attirant les plus talentueux artistes à la Cour, y compris les anciens protégés de Fouquet. Même Madame de Sévigné qui me gardait rancœur d'avoir envoyé son protecteur à la Bastille. Ce dernier, hélas, était responsable de la discorde que j'avais avec les gens de lettres et de certains des plus beaux esprits de France.
Fouquet avait détourné l'argent de l'État afin de verser des rentes à des artistes qui devinrent vite illustres. De sorte que, après son arrestation, beaucoup de ces artistes m'en ont conservé rancune. Je me suis assuré la réconciliation avec la plupart. La Fontaine nous enchante avec ses fables qui possèdent autant de mordant que les pièces de Molière, j'aimais leur esprit critique et l'encourageais. Il n'est jamais bon de se reposer sur ses lauriers et de laisser son ego trop gonfler.
Madame Scudéry faisait partie des derniers que je n'avais réussi à radoucir. Mais grâce à la marquise, elle accepta la paix et de revenir à la Cour.
Plus tard dans la soirée, Athénaïs allongée contre moi, la sueur ruisselant sur sa peau dénudée, en prit la bonne mesure. Tout heureuse de savoir que ces salons qu'elle aimait tant seraient désormais avec nous au sein de la Cour.
— Je suis heureuse, mon Roi, d'avoir amené Madame Scudéry au palais, qu'il t'ait plu d'écouter nos joutes verbales et plus encore, que tu te sois réconciliées avec elle.
Un sourire releva ses lèvres roses comme des pétales et taquina son grain de beauté fort à propos sur sa tendre joue.
— Ma mie, c'est moi qui te remercie, tu as fort bien contenté ton Roi ce soir, fis-je en glissant un index sous son menton.
L'attirant à moi, je lui montrai ma reconnaissance en un long et délicieux baiser. Je décidai de dormir avec elle, sa présence m'assurait un repos digne de ce nom.
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