❦ Chapitre 22 ❧

Les funérailles royales eurent lieu à Saint-Denis où chacun de mes enfants et de mes parents reposait désormais. J'avais déjà eu le chagrin d'enterrer cinq de mes enfants : deux princesses et trois petits garçons que m'avait donnés Louise. La mort les emportait si jeunes qu'on essayait de ne s'y attacher, pourtant la perte de chacun d'entre eux me fut douloureuse. Si j'eus de nombreux enfants, de mes maîtresses comme de mon épouse, cela ne diminua en rien mon amour et la souffrance de leur survivre.

La Reine portait le deuil à la façon espagnole, un grand-voile de dentelle noire tombait sur son visage et ses cheveux, et son corps était serré dans une grande robe élargie de multiples jupons, couverte de rubans de satin violet. C'était la couleur du deuil royal. Je n'aimais cette couleur qui me rappelait mes pertes, et la Reine le sachant décida de rester en ses appartements les semaines qui suivirent. Mais ce n'était pas uniquement pour m'épargner la vue de tout ce noir et de toutes ces dentelles, elle n'aurait supporté d'entendre les plaisanteries et la musique dans les salons alors que notre fils ne pouvait plus ni danser ni rire. De toute façon, je n'aurais été de bonne compagnie, bien que sa présence aurait sans nul doute radouci mon humeur.

Philippe non plus ne resta guère, il regagna Saint-Cloud sitôt les funérailles achevées. Sa présence lors de ces douloureuses semaines avait été un tel soulagement que je ne l'obligeais à demeurer. En partant, il me fit la promesse de nous inviter à dîner très prochainement. C'était là un geste de réconciliation, pensais-je, ou du moins, voulais-je y voir cela. Je ne savais jamais s'il fallait que je lui donne de l'espace ou si je devais le forcer à rester auprès de moi à la Cour. Comment lui faire comprendre que je tenais à lui ? Que j'avais besoin de lui ?

Demeurant seul, je m'attelais les jours suivants à l'organisation dans les moindres détails de la campagne à venir. Du ravitaillement des troupes aux villes que nous devions traverser, du décompte de garnissons et de jour nécessaire à la réédition de chacune d'elles, je traçais dans les grandes lignes nos plans d'attaque comme de retraite. Je travaillais si durement que je n'eus conscience du temps s'étant écoulé depuis l'enterrement. C'est Bontemps qui me fit part de son inquiétude vis-à-vis de la Reine qui n'avait reparu à la Cour depuis deux semaines, ce qui commençait à faire long.

L'inquiétude de mon valet était tout à fait légitime, mon frère le fêtard vivait en reclus depuis le trépas d'Henriette. Louise qui n'avait jamais été très religieuse s'était enfuie dans un couvent après la mort de nos enfants. Seulement deux avaient survécu et elle y voyait le signe que Dieu réprouvait notre union. Je craignais par conséquent l'affect de la disparition de Philippe-Charles sur mon épouse. Elle qui s'était montré si courageuse ces derniers temps au point que j'avais envisagé d'en faire ma régente durant la campagne hollandaise.

Je la trouvais jouant avec ses chiens, son visage tout fripé d'avoir pleuré, ses paupières encore gonflées et rougies. Ma Reine releva ses yeux bleus vers moi et fronça les sourcils, tout étonnée de me voir en pleine journée. Il est vrai que je lui réservais des visites plutôt tardives, excusant mes absences par les affaires d'État. Pendant longtemps, elle n'avait eu aucun reproche à mon encontre, me pardonnant tout d'avance. Mais cela risquait fort de ne plus durer, Athénaïs attisait sa jalousie et sa colère. Mais point à cet instant où la tristesse prédominait nos cœurs endoloris.

Passé l'étonnement, elle me demanda de m'asseoir auprès d'elle.

— Je m'excuse de ne pouvoir remplir correctement mon rôle d'épouse, de Reine et de mère, commença-t-elle.

— Que me dites-vous là ? Vous êtes une épouse fabuleuse, une mère des plus attentionnée et quant à votre rôle de Reine, j'ose espérer que vous le remplirez pour moi quand je partirai en Hollande.

Elle me regarda avec de grands yeux étonnés.

— Majesté... c'est un si grand honneur, votre confiance... je vous promets de vous offrir un autre petit duc d'Anjou !

Je caressais ses boucles blondes en lui chuchotant

— Laissons-nous le temps du deuil.

Mais elle secoua la tête et se redressa pour venir m'embrasser. Je fus surpris par ce baiser et son élan charnel, mais j'y répondis. Moi aussi j'avais perdu un enfant et j'éprouvais le besoin de me consoler auprès d'elle.

Nos corps se sont enlacés maladroitement au début, et puis nos chairs ont retrouvé le chemin de nos effusions de tendresse avec un soupçon de passion. L'amour et la mort, Éros et Thanatos, il est vrai que le deuil donne souvent de la vigueur aux ébats comme si la vie avait besoin de s'exprimer après le passage de la mort. Cela m'a toujours étonné.

Après ce tendre instant, elle me demanda :

— Quand vous avez eu cet accès de fièvre, vous avez dit quelque chose d'étrange. Laissez-le tranquille. À qui parliez-vous ? Sur le moment, j'ai cru que c'était à la faucheuse en personne !

Je la dardais à mon tour, caressant sa peau de pêche, elle avait perdu de son teint hâlé en demeurant si longtemps enfermée dans ses appartements.

— Vous devriez vous promener plus souvent dans les jardins, vous êtes si pâle.

Ses yeux s'enfoncèrent dans les miens, elle prit enfin un air grave.

— Louis, ne changez pas de sujet, je vous en prie. Je suis votre confidente, je peux tout entendre.

L'informer de mes questionnements sur les messes noires était une chose, lui révéler que j'avais vu une fée penchée sur notre fils en était une autre. D'ailleurs, je n'étais sûr de rien. Si je n'avais pas été si entêté, ils ne m'auraient pas cru délirant et plein de fièvre et j'aurais pu rester auprès de mon fils jusqu'à la fin. Je m'en voulais terriblement, pourquoi n'avais-je pu tenir ma langue ? Que m'arrivait-il ? Je n'étais vraiment pas homme à perdre le contrôle de moi-même.

— Pardon, ma mie, mais je crois avoir été impressionné par quelque chose que m'a dit Colbert. Je n'avais point de fièvre, j'étais épuisé. J'ai si peu dormi ces derniers temps.

Sa main caressa ma joue et son regard attendri se posa sur moi.

— Vous vous épuisez toujours à la tâche Louis. Je ne suis pas l'un de vos ministres, vous n'avez nullement besoin d'avoir l'air toujours aussi fort. Vous pouvez vous appuyer sur moi ou sur Dieu, confiez-vous à moi ou à lui, mon époux, mais ne restez pas seul avec vos inquiétudes chargées sur votre dos.

Je lui tus cependant mes aventures nocturnes où j'avais manqué de tuer mon valet. J'avais laissé bien trop d'emprise à ces créatures, je leur avais laissé l'accès à mes pensées, c'était de ma faute. Je devais me fier à Bossuet pour chasser les fées de mon palais tandis que je les bannirais de mes pensées avec mes prières !

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