❦ Chapitre 16 ❧
À la collation matinale, mon frère fut présent. Ma surprise fut complète de le voir s'asseoir à ma table dressée dans le salon de l'abondance où le vert chatoyant du tissu couvrant les murs allait divinement avec les prunelles de Philippe. En ce salon verdoyant, je prenais certaines de mes collations afin de ne déranger la reine. C'était ici aussi où se trouvait mon cabinet de curiosité. Tous ces cadeaux, raffinés et extraordinaires que les suzerains et diplomates m'offraient étaient exposés ici, sous des vitrines.
Mais j'étais bien trop troublé par ma nuit agitée pour y songer, je n'avais même pas remarqué la disposition modifiée des meubles, signe du passage de Philippe.
— Je suis bien aise de ta présence, mon frère, lui signifiai-je.
Je craignais quelque peu sa réaction à ce mariage que j'avais essayé de tisser entre lui et notre cousine. Après son éclat en une galerie remplie de courtisans, je n'avais nul doute que Philippe en avait entendu l'écho, peut-être même était-ce la raison de sa venue à la Cour de si bon matin. Il m'avait demandé d'attendre et de respecter son deuil, ce que j'avais l'intention de faire !
— Vous devriez remercier votre amie, mon royal frère.
Sa réponse fut froide tout comme le regard qu'il me jeta.
— J'ai besoin de toi, Philippe. Ne me rejette point, je t'en prie. La mort d'Henriette devrait nous rapprocher, point nous éloigner. Nous l'avons perdue tous les deux, lui dis-je en lui tendant une brioche en signe de paix.
Philippe quitta mon regard pour le poser sur une viennoiserie, je sentis le tiraillement en lui. La voix de son amant résonnait-elle à son oreille ? Le chevalier de Lorraine avait soufflé le froid et le chaud dans la vie de mon frère, je ne doutais pas qu'il devait me voir en ennemi. J'étais une barrière sur le chemin de son ambition. Pourtant, un mariage avec notre fortunée cousine ne devrait lui déplaire. Non, cette colère que je percevais chez Philippe devait plutôt son origine à notre chère Anne-Marie-Louise.
— J'accepte de revenir à la Cour, d'envoyer des lettres à mon beau-frère qui ne daigne me répondre, je te demanderais seulement de ne point hâter d'union et de me laisser le temps du deuil.
L'ombre projetée par un nuage sur le visage de mon frère s'attarda un instant avant d'être chassée par un rayon de soleil. Un sourire teinté de tristesse, mais ayant le mérite d'exister vint ourler ses lèvres et sa main se referma sur la brioche qu'il déchira faisant tomber les miettes sur la dentelle française. Le café coula dans nos tasses dont la porcelaine venait de Limoges.
— Ce ne sont que des négociations. Tu connais notre cousine, avec son tempérament, cela prendra du temps. Ne t'en soucie point, c'est mon affaire.
— Louis, c'est tout autant la mienne, surtout lorsque vos négociations ont lieu en public ! Ne crois-tu pas qu'on va me reprocher de vouloir me remarier si vite, surtout avec la femme la plus riche de France ? N'importe quel noble envisageant aussi vite de nouvelles épousailles aurait été placé entre les mains de La Reynie pour s'assurer de son innocence dans le trépas prématuré de son épouse, m'expliqua Philippe.
— Je n'ai point cherché la discorde en public avec notre cousine et je serais plus discret à l'avenir, mais sache que, justement, les courtisans voyant qu'il s'agit de ma décision, porteront d'autant plus foi à ton innocence qu'on ne saurait remettre en question !
Philippe garda les lèvres pincées. Les dorures reflétaient les rayons du soleil tombant sur notre table et embrasant la chevelure sombre de mon frère. Il n'avait pas seulement hérité de la foi de notre mère, mais également de ses traits. Pour ma part, c'était à notre père que je ressemblais, du moins, physiquement, car pour le caractère, je tenais plus de mon parrain et de ma mère visiblement. Ce qui était une bonne chose, j'aimais mon père, mais il avait laissé ses ministres diriger la France à sa place. Et dans l'intimité, il n'avait su dominer les élans mélancoliques de son cœur. Je craignais que mon frère n'ait hérité cela de lui, qu'il soit plus enclin aux affres qu'au bonheur.
— Bontemps m'a raconté ce qu'il s'est passé cette nuit, changea-t-il de sujet. Tu ne devrais plus te mêler de cette affaire, Louis. J'espère que tu ne comptes pas faire venir des sorcières à la Cour pour les interroger toi-même !
J'en fus surpris, je pensais avoir rassuré mon Valet hier soir en acceptant ses nouvelles consignes de sécurité. Pourquoi avait-il éprouvé le besoin de se confier à mon frère et d'avoir fait en sorte que nous soyons seuls en cette matinée ?
— Tu as des hommes pour faire ce genre de choses, insista Philippe. Est-ce nécessaire de te rappeler que tu n'en as ni le temps ni les capacités ? Je te pensais plus rationnel que moi, mais manifestement, je me trompais.
Nous étions tous deux surpris, lui de me voir céder à des croyances dont jusqu'à présent je m'étais moqué, moi de le voir me sermonner ainsi.
— En vérité, Louis, nous sommes inquiets. Tous autant les uns que les autres, de te voir aussi agité, tenant des propos incohérents et si éloignés de ta façon d'être. Sans parler de ces crises de somnambulisme que tu fais de plus en plus ! As-tu au moins consulté tes médecins à ce propos ?
J'étais trop sous le choc pour répliquer. Ce n'était pas seulement Bontemps qui s'était épanché ! La Reine avait été mise dans la confidence et m'avait trahi de la plus honteuse des manières !
— Louis, écoute-moi, je suis vraiment inquiet. Nous ne voulons que ton bien. Cette affaire t'accapare beaucoup trop. Tu ne devrais plus t'en occuper et laisser l'Église s'en charger. Le Vatican t'enverra des exorcistes qui viendront seconder monsieur de La Reynie !
Demander de l'aide du Pape ne m'avait même pas traversé l'esprit. Mais comment aurais-je pu y songer alors que son représentant à mes côtés m'avait caché ce que les apostats faisaient sous mon nez ? Sans parler de ma défiance envers le Vatican qui soutenait les Habsbourg plutôt que moi.
— Rome n'aime guère ma politique, objectai-je.
Philippe me fixa de ses grands yeux noisette.
— Il ne s'agit point de politique, c'est de prêtres dont nous parlons. Je suis persuadé qu'ils mettront de côté leurs différends afin de ramener leurs ouailles dans leur giron. Sans parler du scandale que cela serait si ça se savait.
Mon frère venait-il de me suggérer de faire du chantage au Pape ? Je n'aurais jamais cru entendre cela sortir de ses lèvres, mais nous n'en étions plus à une surprise près en cette matinée. Je ne répondis pas immédiatement, pensif je portai une gorgée de café à mes lèvres. Cette boisson amère apportée par l'émissaire du Sultan avait vite ravi les cœurs et fait fureur, mais son parfum sombre et profond n'égalait son pouvoir à vous tenir éveillé.
— Louis, je t'en prie, tu dois faire appel à l'Église. Ne demande rien à Rome si cela t'en coûte trop, mais tu ne peux pas te lancer seul dans une chasse aux sorcières.
Justement, c'était cela que je souhaitais éviter, mais comment Philippe pourrait-il comprendre cela ? Faire intervenir des exorcistes me paraissait une réponse disproportionnée. Plus encore, je tenais à ne pas ébruiter cette affaire. Heureusement que nous étions seuls.
Néanmoins en dépit de mon indignation, je devais admettre que mon frère avait raison : je ne pouvais pas continuer ainsi en laissant ces créatures s'insinuer en mes pensées et troubler mon sommeil comme mes gestes et mes paroles.
— Promets-moi de faire attention, d'accord ? insista Philippe.
Je relevai les yeux, et croisant son regard, je lui répondis presque avec sincérité.
— Je te promets que je serais prudent à l'avenir.
Si j'étais aussi inquiet que lui ou Bontemps l'étaient, je ne savais comment me délivrer de ce poison. J'avais cru que ce n'était que vanité de craindre être l'objet de ces messes noires, mais peut-être m'étais-je trompé, peut-être cherchait-on vraiment à me nuire !
Au sortir de cette collation, je pris la direction de la chapelle d'un pas furieux, affublé d'une mine sombre qui aurait dû repousser n'importe qui. Mais un malheureux courtisan s'enhardit à s'approcher et je manquai de le renverser, plongé dans mes pensées je n'avais remarqué sa présence sur mon chemin.
— Que voulez-vous ? demandai-je en laissant deviner ma tempête intérieure.
— Ma... Majesté... je m'excuse de... vous troubler en si bonne matinée... c'est que je souhaiterais m'entretenir avec vous... balbutia le pauvre hère.
— Ne voyez-vous donc point que je me rends à la chapelle ? répliquai-je avec humeur. D'ailleurs, vous devriez y être !
— Je compte bien m'y rendre, messire... euh sire... c'est que j'ai l'esprit tout retourné...
— Vous n'êtes point le seul dans ce cas, murmurai-je.
— Que dites-vous majesté ?
— Rien, soupirai-je, dites-moi ce que vous attendez de moi. Je vous écoute toutefois, je dois me rendre à la messe alors faite vite !
L'homme se mit à me suivre, ses petits pas essayant de suivre le rythme des miens bien plus grands et bien plus vifs.
— Majesté... mon fils... il... Oh, seigneur... il a...
— Eh bien quoi ? Accouchez donc ! m'exclamai-je avec une rare vulgarité en ma bouche.
Mon frère avait réussi à me mettre dans la plus sombre des humeurs. Mais peut-être que le misérable qui me suivait m'inspirait plus de mépris que de compassion, à mon grand regret. Je ne suis pas toujours aussi accessible et bon que je souhaiterais l'être.
Le malheureux s'effondra soudainement en larmes. Ne sachant que faire, je fis signe à l'un des gardes d'aider le pauvre homme. Finalement, je sortis un mouchoir où mes initiales étaient brodées que je lui tendis.
— Allons, séchez vos larmes et dites-moi ce qui pèse si lourdement sur votre cœur.
— C'est mon fils... sire... il... il a disparu !
Sa voix s'étrangla alors que je demeurais silencieux n'arrivant à chasser de mon esprit les images de mon songe qui revenaient avec d'autant plus de force. Ce nourrisson emporté par cette odieuse créature pouvait-il être le sien ?
— Sire, nous vous attendons... intervint Bontemps dont je n'avais entendu les pas pourtant rapides. Que...
Son regard plein d'interrogation se posa sur le malheureux toujours en larmes dont le mousquetaire tentait de rassurer autant qu'il le pouvait.
— Cet homme a perdu son enfant... quel âge a-t-il d'ailleurs ? demandais-je.
— Il... il est tout petit... ce n'est qu'un bébé incapable de faire du mal à qui que ce soit...
— Allons calmez-vous, dites-nous comment cela s'est-il passé ? Où était sa nourrice ? questionna Bontemps avec un ton pragmatique.
Le malheureux regarda mon Valet avec surprise, il me jeta un rapide regard avant de répondre entre deux sanglots.
— Nous ne savons pas, messire, elle a disparu...
— Cela s'est-il produit à la Cour ? demanda Bontemps. Vous savez que les enfants y sont interdits...
— Nous le savons fort bien, monsieur, se perdit-il dans les rangs ignorant sans doute qui était mon intendant. Nous ne nous permettrions pas... la nourrice et notre enfant se trouvait en notre demeure, fort modeste je l'avoue, qui se trouve à quelques lieues d'ici.
— Vous n'avez point reçu aucune demande de rançon ? insista mon valet.
— Pas la moindre, il n'y avait pas le moindre signe d'attaque... tout était... simplement abandonné.
— Je vous assure que nous allons mener la plus assidue des enquêtes, intervenai-je. Je vais mettre mes hommes les plus compétents dessus. En attendant, permettez-moi de vous soutenir jusqu'à la chapelle. Je demanderais à l'abbé de dédier ses prières à votre enfant.
C'était un maigre réconfort, mais l'homme parut s'en contenter, me remerciant encore et encore, baignant mes mains de ses larmes. C'est donc à son bras que je me rendis à la messe flanqué de mon Valet à qui je ne pouvais révéler mes inquiétudes que ce nourrisson disparu eût été sacrifié, autrement, je risquais un nouveau sermon fraternel ! La colère courrait à nouveau en mes veines, mais cette fois-ci, c'était contre ces satanistes que je souhaitais la voir éclater.
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