❦ Chapitre 15 ❧
C'est vers elle que mes pas me portèrent, je ne rendis point visite à Athénaïs ce soir-là, éprouvant quelques besoins de me faire pardonner mes péchés qui me paraissaient si nombreux. Avais-je une part de responsabilité dans tout cela ? Avais-je été trop négligent ou au contraire trop strict pour que mes courtisans s'adonnent aux messes noires jusqu'aux portes de mon palais ? Il me fallait rejoindre ma Reine si pieuse, elle me ramènerait dans le droit chemin.
Je la retrouvais allongée sur une marquise, ses cheveux blonds relâchés sur ses épaules, une robe de nuit aux couleurs ibériques : rouge et noir contrastaient avec sa peau pâle. En me voyant arriver, elle délaissa la bible qu'elle lisait. J'étais quelque peu étonné de l'y trouver seule et sans autre distraction que le texte sacré.
Je me demandais si ce n'était un juste rappel de mon faux pas dans le Sanctuaire où je m'étais laissé aller à ces grotesques fantasmagories. Cela me rendait d'autant plus furieux que ce n'était pas mon genre d'être si impressionnable. J'avais toujours mon idée à moi dont je déviais assez peu, ce qui me valait quelques reproches de mes proches d'ailleurs.
— Mon Roi, vous avez l'air soucieux.
Elle posa sa bible en cuir usé sur un guéridon et plongea ses prunelles chocolatées dans les miennes.
— Vous connaissez mon cœur, ma Reine, je redoute cependant de vous livrer le secret de mes pensées.
À ces mots, elle fronça les sourcils, presque indignée.
— Vous m'avez déjà partagé vos craintes. Dieu vous a placé en mon cœur pour que je vous soutienne et que je vous aide.
Je ne voulais l'accabler de honte et de chagrin à l'idée que l'Église qu'elle chérissait tant soit corrompue. Mais les rumeurs finiraient par courir et ses dames de compagnie lui rapporteraient cela si ce n'est la gazette au moment des arrestations. Mieux valait qu'elle l'apprenne de moi.
— Je viens de parler avec mon confesseur, il semblerait que nous ayons des apostats qui participent à des messes noires.
Ses yeux s'agrandirent de surprise, ses tendres lèvres demeurèrent ouvertes un bref instant.
— Que me dites-vous là, mon tendre époux ? Où de telles horreurs ont lieu ?
Mon réflexe fut de prendre ses mains et de les serrer contre les miennes, je lui contais ce que j'avais appris, ce que m'avait révélé l'abbé ainsi que LaReynie. J'hésitais cependant à lui conter l'étrange sentiment qui m'avait saisi au Sanctuaire et ces paroles que j'avais eues, comme si je croyais moi aussi à ces ridicules superstitions. Sentant ma gêne, elle posa sa main sur ma joue.
— Vous avez peur de vous égarer dans les ténèbres, mais j'ai foi en vous, Louis. Dieu également, il ne vous abandonnera pas, je vous en fais la promesse.
Disait-elle vrai ? Pendant un bref instant, le doute me submergea, me plongeant dans l'inconfort de l'incertitude.
— Et s'il m'avait réellement abandonné ? Ces messes noires sont menées par des nobles que j'accueille en ma Cour, par des abbés et curés à qui j'ai confié une paroisse ! Et si Dieu nous punissait pour nos péchés ? Pour notre orgueil ?
Ma tendre Reine secoua la tête, elle posa sa deuxième main sur mon autre joue et m'obligea à relever la tête et à la regarder dans les yeux. Cet instant de faiblesse et de doute, je n'aurais voulu d'autre témoin, elle conserverait le secret, plus encore, elle se battrait pour m'arracher à ces ténèbres.
— Dieu vous met peut-être à l'épreuve, mon époux, mais il ne vous abandonnera jamais. Pas plus que ses autres enfants. Il vous aime, il veille sur vous et continue de croire en vous même quand vous n'en avez plus la force. Et il n'est pas le seul à croire en vous.
En disant cela, ma courageuse Reine me sourit témoignant d'une force de caractère que je voyais si peu en elle. Je regrettais de l'avoir abandonnée ces derniers mois, de l'avoir délaissée au profit d'Athénaïs. Cette liaison me coûtait, quand j'étais éloigné de la marquise, je pouvais en sentir les conséquences, la blessure que j'infligeais à la Reine, les craintes de mes ministres et de mon intendant. Pourtant, je finissais toujours par revenir à elle.
Je me couchais aux côtés de mon épouse en me promettant de lui être plus loyal, de faire mieux, d'être à la hauteur de sa force de caractère et de sa foi, que ce soit en moi ou en Dieu. J'en étais même un peu jaloux, à dire vrai. Nous nous étions enlacés, et mon regard se perdit un bref instant dans le verger peint sur le plafond que j'aurais eu les plus grandes peines à voir dans sa chambre d'apparat avec les plumes d'autruche juchées sur le baldaquin de son lit.
Marie-Thérèse sombra assez vite dans les bras de Morphée, j'entendis sa respiration un peu lourde qui me berçait. J'aurais aimé l'y rejoindre, plonger avec elle dans de doux rêves, mais je redoutais tout autant mes songes que l'avenir. Je refusais d'abandonner mes projets pour Versailles, la Cour s'y installerait dès qu'il y aurait suffisamment d'appartements pour l'accueillir. Naturellement, certains s'y opposaient. Mais iraient-ils jusqu'à pratiquer des messes noires ?
Je doutais cependant qu'ils vendaient leurs âmes pour nuire à mes projets, je n'étais pas si orgueilleux pour croire cela. Peu m'importait les raisons de cet obscurantisme, il me fallait le combattre. Je pensais avoir discipliné la noblesse, mené mon peuple vers la lumière et l'ordre après le chaos de la Fronde, mais j'avais négligé la tentation des ténèbres.
Mon esprit était la proie aux angoisses nocturnes. Il l'avait toujours été, mais cette nuit, leur empire s'étendit un peu plus. Et même la présence rassurante de la Reine à mes côtés ne parvenait à les éloigner.
N'arrivant à m'endormir, je finis par ouvrir grand les yeux et entendre des bruits de petits pas courant sur le parquet. La lumière de la lune projetait des ombres allongées dans la petite chambre aux tentures vertes. Je repoussais les draps et les couvertures, pour poser mes pieds nus sur les lattes de chêne massif qui craquèrent aussitôt.
Je ne me souviens si j'ai allumé une bougie, mais je voyais comme en plein jour bien que tout était teinté d'un gris bleuté. Les ombres se mouvaient comme le spectre dont j'entendais les pas sans pouvoir le discerner dans l'obscurité. Était-ce Henriette me rendant à nouveau visite ou bien la voyante cherchant à m'accabler de son trépas ?
Je ne me souviens d'avoir traversé les galeries ni descendu le grand escalier de marbre, pourtant, je me retrouvais dans les jardins. Les jeux d'eaux qui auraient dû être coupés à cette heure-là m'éclaboussèrent de leur puissant jet bercé des rires des créatures dansant dans l'eau. Je restais figé, pas vraiment effrayé, plutôt fasciné par la beauté spectrale de ces êtres.
Je ne ressentais pas le froid, en dépit de ma simple chemise de nuit mouillée. Je n'avais pas non plus l'impression d'être dans l'obscurité même si les torches s'étaient éteintes depuis bien longtemps. La lune me suffisait amplement comme éclairage, maîtresse des songes, déesse lointaine.
Ces ondines chantantes étaient d'une beauté époustouflante, en bonnes tentatrices, elles faisaient onduler leurs hanches et jouaient avec les reflets de l'eau pour masquer leur intimité. Adolescent, je n'aurais résisté à l'appel de la chair, mais j'étais un adulte et j'avais promis de rester fidèle. Je continuai donc mon chemin, remontai le long du grand bassin qui dans mes songes était achevé tout comme la galerie des Glaces. Je quittais les compositions florales qu'aimait tant Henriette, pour gagner les sous-bois qui ceinturaient les jardins.
Ma progression me parut naturelle, et même dans la forêt, je ne manquais de lumière. J'étais guidé par une force supérieure, peut-être celle qui m'avait déjà emmené jusqu'au Sanctuaire. C'était là que mes pas me menaient. L'être qui me guidait daigna enfin paraître. C'était un homme doté de bois impressionnants comme ceux d'un cerf royal. La même créature que j'avais vue plusieurs fois, toujours liée à cet endroit à la fois maudit et sacré dont les ruines dévoraient les étoiles.
Là, dans la pâle obscurité, je distinguais des silhouettes affairées que ma présence ne parut troubler. Des hommes et des femmes portant de longues capes noires, aux visages masqués par leur capuche, d'où je vis jaillir des mains dotées d'une lame qui resplendissait d'un glaçant éclat sous l'astre blanc. Avec horreur, j'imaginais que ce fût ma dernière-née et je ne pus retenir un cri lorsque je vis l'éclat d'une lame s'apprêtant à plonger dans ce petit torse gigotant.
— Arrêtez ! Je vous en prie, arrêtez ! scandai-je à l'intention des maudits commettant ce crime.
Je tremblais alors, non de froid, mais d'émotions.
Mes hurlements de terreurs les firent se retourner. Je réalisais avec effroi que je n'avais nulle arme à la main, rien pour me protéger de cette marée noire porteuse de tant de lames acérées. Alors que je croyais ma dernière heure arrivée, une créature difforme et abominable descendit du ciel dans un croassement lugubre. Son ignoble tête était celle d'un gigantesque oiseau, sa gueule un bec tordu, et ses mains étaient d'affreuses serres qui s'emparèrent du bébé sous mes yeux alarmés.
Je hurlais à nouveau, non pour moi, mais pour l'enfant avec qui la créature s'envolait. Sous l'effet du mouvement, le maigre tissu noir qui l'habillait se souleva et je vis que le reste de son corps paraissait être humain, avec de vieux seins aplatis pendant sur une chair fripée. Je fus le seul choqué par cette vision infernale, car cette masse sombre acclama l'abominable apparition.
À présent que la créature était partie, je craignis qu'ils ne veuillent en finir avec moi, mais ils disparurent à mon plus grand soulagement. J'entendis le bruissement de leurs nobles tissus, les chuchotis affreux et terribles alors qu'ils s'enfonçaient dans les bois se rendant parfaitement invisibles.
Mon cœur battait si fort, j'en tremblais de tous mes membres.
Je finis par chasser les larmes de mes yeux embrumés et vis apparaître Bontemps. Il n'était pas le seul. Une fois encore, j'avais quitté le palais durant mon sommeil, entraînant mon Valet et mes mousquetaires en promenade dans les bois. Je n'aimais pas du tout l'idée qu'on puisse m'avoir conduit jusqu'ici, au Sanctuaire. Je commençais à craindre que ma volonté m'eût abandonné, pour qu'il eût été si aisé de m'y amener.
— Majesté, je ne vous trouvais plus, la Reine dormait à point fermé et ne vous a vu vous lever. Fort heureusement, vos mousquetaires vous ont suivi et je vous ai retrouvé... vous étiez en train de hurler comme si quelqu'un vous assassinait.
Pouvais-je lui dire que ce n'était pas moi, mais un nourrisson qu'une créature avait enlevé ? Non, bien sûr que non. Pourtant, j'avais envie de tout lui conter, espérant vainement qu'il pourrait me sauver. Mais si les prières de ma Reine n'avaient su me protéger, peut-être que personne le pouvait, peut-être qu'il me fallait affronter seul ces ténèbres.
— Tout ce qui importe c'est que vous m'ayez retrouvé, Bontemps, je vous en remercie.
Mon valet était éprouvé, et je lisais le trouble dans le regard de mes gardes. Mes médecins préconisaient de ne pas m'empêcher de ne pas m'éveiller sauf si je paraissais particulièrement agité ou me mettais en danger. Ils avaient donc pour ordre de me suivre sans agir, seul Bontemps prenait la décision de m'arrêter ou pas. Mais pour cela ils avaient dû traverser les jardins jusqu'ici et sans cheval... cela expliquait pourquoi j'avais mal aux pieds.
— Quel était votre rêve, Sire ? me demanda mon Valet alors que nous prenions le chemin vers mes appartements.
— Vous ne voulez l'entendre, Bontemps.
Il m'arrêta et se tourna vers moi, l'air grave.
— Je me dois de l'entendre, Majesté, vous êtes manifestement troublé. Ce que nous a révélé monsieur de La Reynie m'inquiète fort. Je voudrais que la garde soit doublée, mais...
Qu'hésitait-il à me dire ? J'aurais pu tout entendre, y compris ses doutes et ses frayeurs. Bontemps se mordit la lèvre, ses mains se serraient l'une contre l'autre, mais il finit par céder à mes prières.
— Je crains d'avoir manqué à mes devoirs, à votre première sortie nocturne j'aurais dû prendre des mesures... je vous ai failli majesté, je comprendrais si vous préférez changer d'Intendant.
— Bontemps, vous faites au mieux, nous sommes tous deux face...
À quoi faisons-nous face, telle était la question. Je n'avais qu'une certitude, mes songes étaient empoisonnés comme mes pensées, et je devais cela à quelques apostats et sorcières. La Reine avait raison, je devais renforcer ma foi, prier tout en m'assurant que La Reynie dispose des armes adéquates pour combattre ce mal.
— Vous n'êtes coupable d'aucun manquement en ce qui me concerne, le rassurais-je. Et sachez que j'approuve toutes les mesures de sécurité que vous comptez mettre en place.
La stupeur peignit ses traits, d'ordinaire, je refusais de laisser ses inquiétudes modifier en quoi que ce soit le bon déroulé de la vie à la Cour ou de mes journées réglées comme du papier à musique.
— Vous avez raison de vous inquiéter, Bontemps. L'ennemi dont nous parlons a atteint la Cour et placé en son pouvoir des membres de l'Église.
Je lui révélais ce que m'avait confié l'Abbé, mais tusmon rêve. C'était suffisamment alarmant d'apprendre qu'il y avait des messesnoires en la Cour. Ce n'était pas un simple songe, c'était un avertissement,j'en étais convaincu. Mais Bontemps l'aurait-il vu ainsi ? J'en doutais.Même s'il venait de s'excuser, en vérité, je commençais moi aussi à penser quele malin jouait avec mon esprit.
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