❦ Chapitre 14 ❧

Revenir au Sanctuaire m'avait agité. Au souper, je parus maussade. L'absence de mon frère, la dispute avec ma cousine et l'inquiétude que la marquise m'en veuille pour la mort de la voyante m'avaient enlevé tout appétit. Je laissais quasiment tout sur la table en sortant de celle-ci. Bontemps n'osa dire mot sentant à mon regard sombre qu'un rien pourrait faire éclater l'orage.

Au lieu de rejoindre Athénaïs, j'allais dans la chapelle située juste à côté de mes appartements. Je craignais d'y trouver mon épouse et peut-être même mademoiselle de La Vallière sous les dorures et le marbre. Le somptueux plafond était l'un des rares à ne montrer une métaphore piochée dans des scènes de la mythologie gréco-romaine, ici, tout était sacré et tourné vers Dieu, y compris mon ancienne favorite qui voulait trouver refuge en un couvent. Décision qui lui offrait le soutien de ma fervente Reine. Si j'étais heureux de cette nouvelle amitié, je ne souhaitais me trouver entre ces deux femmes.

Heureusement pour moi, l'abbé du Bréau y était seul. Le vieil homme possédait encore toute sa vaillance et sa force de caractère. Il avait été le confesseur de ma mère avant de devenir le mien. Je crois qu'il aurait aimé être celui de mon père si Richelieu lui en avait laissé l'occasion. C'était un brave homme, quoiqu'un peu sévère. Mes amours ne lui plaisaient guère, encore moins ceux de mon frère, mais il avait la présence d'esprit de retenir son jugement. Et en matière de politique, il s'avérait être de bon conseil.

Justement, c'est de cela dont j'avais besoin.

Me sentais-je coupable de prêter oreilles aux vieilles légendes au point d'avoir ressenti devant le Sanctuaire une vive colère en voyant mes mousquetaires piétiner ces lieux ? C'est fort possible. C'est après tout pour cela qu'on venait se confesser, pour reconnaître ses moments de faiblesse et s'assurer que la prochaine fois, on les combatte plus aisément.

Je voulais également savoir s'il avait eu vent de ces messes noires. J'avais besoin de quelque chose de plus tangible que l'avertissement d'un spectre en songe et la mort d'une voyante. En tant que confesseur, il connaissait tous les secrets de la cour.

— Mon père, je dois vous entretenir d'une affaire délicate.

L'abbé m'enjoignit à l'accompagner vers les fenêtres qu'il fermait au soir. Je préférais attendre qu'il eût fini, n'ayant guère envie que des oreilles indiscrètes de promeneurs tardifs entendent notre conversation. La chapelle était située juste à côté de mes appartements, sa riche décoration de marbre et d'or, de statues de saints m'apaisait généralement et me permettait de me concentrer sur l'essentiel, sur mon lien à notre Seigneur. En cet instant, plus qu'en tout autre, j'en avais besoin.

— Auriez-vous entendu parler de messes noires ?

Je ne pouvais m'empêcher de guetter ses réactions. Il pivota sur lui-même et me fixa d'un grand regard sombre, mais nul haussement de sourcil ne vint marquer une éventuelle surprise, au contraire, les siens étaient fortement froncés.

— Majesté, je reçois beaucoup de confessions inquiétantes. Il ne s'agit pas seulement de voyantes et sorcières consultées par vos courtisans, mais de poisons et de potions d'amour achetés auprès d'alchimistes. Certains évoquent même des mauvais sorts. Je crains, Votre Majesté que votre Cour soit empoisonnée.

Littéralement, d'après ce qu'il disait. Hélas, les poisons avaient toujours été utilisés dans les Cours de tout pays, arme des espions évidemment, mais aussi d'épouses empressées et de neveux ayant des problèmes d'argent.

— Je suppose qu'il serait contraire au secret de la confession que vous donniez quelques noms de ces empoisonneurs à Monsieur de La Reynie ? demandai-je.

L'abbé s'approcha de moi, avec un air grave assombrissant ses traits.

— Lorsqu'il y a danger de mort, je pense qu'on peut briser ce secret. L'Église n'interdit pas de le lever afin de sauver des vies.

— J'organiserais une rencontre alors afin que vous transmettiez les noms de ceux que vous jugez dangereux et si possible, de ceux que vous pensez en danger.

La Reynie qui enquêtait déjà sur le sujet saurait s'en occuper. J'étais plus inquiet à propos des messes noires. Si le sacrifice dans les bois avait été fait par des courtisans, il y avait là quelque chose d'effrayant qui s'ajoutait au sentiment que j'avais eu au Sanctuaire. Pourtant, je n'étais pas pétrifié, bien au contraire, l'excitation précédant la bataille enflait en moi. De cela je devrais me méfier, plus encore que des étrangetés qui se produisait en ma psyché.

— J'aimerais que vous m'en disiez plus sur les messes noires, mon père.

Son regard se referma quand je prononçais ces paroles.

— Vous ne désirez pas entendre cela, Majesté. Je dirais tout ce que je sais à monsieur La Reynie.

Je me retins de lui ordonner d'un ton sec de m'en laisser seul juge. La colère parfois me possédait, toutefois j'avais appris à la garder en moi et à m'en servir comme énergie. Je devais veiller à ce qu'elle n'éclatât point. J'avais blessé Mère autrefois avec et plus encore mon frère. J'inspirai donc longuement, puis posais sur l'abbé un regard parfaitement assuré sans être dur pour autant.

— Je dois savoir, mon père.

Ses yeux continuèrent à m'implorer un bref instant, mais ils rencontrèrent un mur de froideur et d'autorité qui le firent céder. Tous finissaient par rompre à l'exception de mon frère et d'Athénaïs, c'était les seuls à me tenir tête, les seuls à qui j'autorisais cela. Parce qu'ils possédaient tous deux les clés de mon cœur. Le reste devait ployer devant ma volonté.

— Les récits que j'en ai entendus évoquent des sacrifices de nouveau-nés, d'une chapelle désacralisée qui seraient les ruines d'un sanctuaire très ancien dans la forêt à quelques kilomètres du palais, et... oh sire... ne m'obligez pas à vous le dire.

Je l'y contraignis d'un regard implacable.

— Si vous insistez... il semblerait qu'y participe des curés... des abbés... ce sont des apostats, sire, qui bafouent la religion et Dieu !

Le pauvre homme se signa à plusieurs reprises comme pour conjurer le sort. Ses mains tremblaient alors qu'il exécutait le signe de la croix. Je l'observais avec plus de douceur, à présent qu'il m'avait obéi.

— Ne vous inquiétez point, mon père, nous les arrêterons. Je sais bien ce qu'ils sont et en tant que représentant de Dieu, je me dois de les arrêter. Nous le ferons ensemble si vous le voulez bien.

Bien qu'il était sans doute trop âgé pour une pareille chasse, il me jeta un regard reconnaissant. La honte le submergeait et j'en voyais les traces sur ses traits. Sans doute que ma compassion allait bien au-delà, car il me semblait avoir failli moi aussi en leur laissant tant d'empire. Ma Reine avait raison, je ne devais laisser ces antiques croyances me posséder pas plus que je ne devais leur céder mes sujets !

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