La galerie que je traversais était remplie de courtisans, nombre d'entre eux auraient fait n'importe quoi pour une entrevue avec moi, mais rares étaient ceux osant m'approcher quand je marchais de ce pas décidé, faisant claquer mes talons d'un rouge affirmé sur le parquet ciré et marqueté. Seul quelqu'un au caractère trempé de ma cousine le pouvait.
Celle-ci ne chercha même pas à masquer sa colère, ses yeux brillaient de l'éclat qui manquait dans ceux de mon frère.
— Louis, vous ne pouvez me marier à Philippe ! C'est mon seul ami ! déclama-t-elle d'une voix forte.
La Grande Mademoiselle ne s'était jamais vraiment souciée de ce que les autres pouvaient bien penser d'elle, autrement, elle aurait accepté l'un des nombreux prétendants à ses pieds, autrement, elle aurait cherché à lisser sa réputation et son caractère, autrement, elle aurait tenté de me faire oublier ses jeunes années de rébellion aux côtés de son père, Gaston, frondeur, comploteur et traitre de renom.
— Au contraire, ma chère cousine, il n'y a rien de mieux qu'épouser son meilleur ami. Vous aurez ainsi toujours un sujet de conversation. Quant à l'amour, je crois que vous ne l'avez jamais cherché et vous commencez à être bien trop âgée pour le trouver.
Mes paroles étaient sans doute dures à entendre, mais le reflet de la vérité. Quoi que ce n'était point quelques rides qui repoussaient les prétendants, plutôt son caractère affirmé par des années d'indépendance et une volonté farouche de n'en faire qu'à sa tête.
— Cousin, vous êtes fort méchant avec moi, qu'ai-je donc fait pour attiser ainsi votre colère ?
— Refuser mes ordres, chère cousine, ce qui chez vous est une fâcheuse habitude, répliquais-je.
Le fait qu'elle le fasse en public, alors que nous étions entourés de courtisans qui ne perdaient une miette de notre échange, ajoutait à la fureur que j'éprouvais à son égard. Qu'elle se fiche du regard des autres était une qualité indéniable dont j'étais quelque peu jaloux, car je ne possédais ce luxe.
Dès le début de mon règne, alors que je n'étais qu'un enfant, tous me scrutaient attendant le moindre faux pas. J'avais dû déguiser mes sentiments, redresser ma posture et cacher au plus profond de moi-même mes peurs et mes doutes. Peut-être lui en voulais-je de cette liberté dont je n'avais jamais bénéficié.
— Vous ferez ce que j'ordonnerai et vous le ferez avec le sourire !
Les larmes aux yeux, elle me fixa avec impudence.
— Faites attention, Louis, vous devenez cruel avec les années. Bientôt, vous ne pourrez plus cacher ce pli méchant que vos lèvres sont en train de prendre.
J'ignorais cette remarque et m'éloignais d'elle d'un pas vif, ne souhaitant lui montrer combien cet éclat échangé à la vue de tous me touchait profondément. Anne-Marie-Louise avait pu rester indépendante durant toutes ces années parce que mon père et moi-même avions respecté son choix, mais sa colossale fortune risquait de tomber entre de mauvaises mains. Nombre de charlatans l'approchaient chaque jour et je craignais qu'avec l'âge et le poids de la solitude, elle ne finisse par ouvrir son cœur et sa bourse à l'un d'entre eux.
Je ne voyais d'autre moyen que le mariage avec mon frère pour nous protéger de cette infortune. Hélas, aucun d'eux n'avait envie de cette nouvelle alliance. Pouvais-je réellement les forcer et les rendre tous deux malheureux ? Hélas, nous n'avions le luxe de chercher le bonheur en ces unions purement financières et politiques. J'espérais que la marquise de Montespan saurait convaincre mon frère de se plier à mon avis, mais je ne voyais aucun moyen d'en faire autant avec ma cousine si ce n'est en la forçant. Je détestais ce rôle de méchant frère et cousin qui m'incombait, mais je n'avais guère le choix. La guerre en Hollande coûterait cher, tout comme la construction de Versailles et l'assainissement de Paris.
Tout à ces douloureuses pensées, je traversais les jardins flanqué de mon Valet qui avait assisté à ce houleux échange et des mousquetaires venus renforcer ma garde. Pour apaiser mon esprit, j'observais les avancées des travaux sur la nouvelle aile qu'on voyait mieux depuis la terrasse. Je regrettais qu'Henriette ne vît jamais l'achèvement du palais et surtout des jardins, elle qui les avait tant aimés. Je me souvenais sans peine de nos jeux d'enfants en ces terres marécageuses vouées à disparaître.
Une partie de moi aurait voulu les conserver intacts, j'aimais le contraste entre ces splendides jardins structurés et cette faune indomptée, cet écrin de verdure boisée autour de mon palais. Hélas, la noblesse venant s'installer aux alentours avait besoin de place et les marécages donnaient une fièvre mortelle. Il était nécessaire de les faire assécher à mon grand dam. Lorsque la ville ceinturera totalement le palais et ses jardins, alors les dernières traces de mon enfance sauvage auront disparu.
Nous rejoignîmes La Reynie et ces messieurs de la police. Nous avions imaginé avec Colbert une organisation d'hommes armés afin de protéger le peuple des brigands, à l'instar des mousquetaires qui me protégeaient. Notre choix s'était porté vers monsieur de La Reynie afin de diriger cette police et amener la justice vers la modernité.
Nous avions besoin d'inspecteurs capables de mener des enquêtes et d'apporter des preuves aux juges, nous connaissions tous la limite de la Question qui faisait avouer n'importe quoi à n'importe qui. Et puis, laisser les soldats sécuriser les routes risquait fort de répandre plus la violence que de l'endiguer.
— Messieurs, allons-y, lança D'Artagnan.
Nous descendîmes de cheval et nous avancèrent dans les sous-bois. Je n'eus à écarter les branches ni à me méfier des ronces cette fois-ci, car j'avais avec moi mes mousquetaires qui traitaient cette végétation sauvage comme si c'était des ennemis.
Enfin, nous atteignîmes le Sanctuaire. Soudainement la présence de tous ces hommes piétinant les feuillages de leurs bottes et pénétrant ces lieux sans gêne, brisant le caractère sacré de l'endroit me dérangeait et je dus réprimer l'envie de les chasser tous.
— Vous avez trouvé l'homme ici, Sire, déclara le Premier Lieutenant en s'avançant vers le Sanctuaire jusqu'à en frôler les pierres.
Je dus me pincer les lèvres tant la proximité de cette main impure avec ces pierres antiques m'arrachait un vif sentiment d'indignation. J'avais insisté pour que tout le monde vienne ici et à présent, je le regrettais. S'il existait encore d'anciens dieux, notre présence allaient les courroucer, j'en étais certain.
L'avertissement de mon épouse me paraissait lointain en cet instant, comme s'il n'existait plus que les ténèbres et les croyances antiques.
— Nous pensons qu'il a été suspendu ici, ajouta-t-il en s'avançant vers un arbre majestueux dont sa taille imposante suggérait qu'il était très âgé.
Je levais les yeux en observant sa ramure et son feuillage.
— C'est un frêne, murmurai-je.
Je m'intéressais aux arbres comme aux plantes, pour l'élaboration des jardins j'avais dû compléter mes connaissances somme toute basiques. Je ne pouvais conter l'histoire de cet arbre, mais je pouvais estimer à sa largeur et du fait qu'il se trouvait dans un lieu païen que...
— C'était un sacrifice aux Dieux, ajoutais-je.
La Reynie m'observait sans oser dire un mot, il jeta un œil circonspect à Bontemps. Ce dernier fit un signe de tête encourageant le Premier Lieutenant à s'exprimer librement.
— Votre Majesté, vous semblez vous y connaître, pensez-vous que cet arbre est... sacré ?
J'entendais le doute dans sa voix. Comment pourrais-je lui en vouloir ? Mes paroles tenaient presque du blasphème. Mère aurait détesté cela.
— Cet arbre est sacré, disons qu'il l'était pour nos ancêtres. Si cet homme a été vidé de son sang à cet endroit, alors peut-être que le sang était une offrande et qu'on l'a laissé ruisseler au pied de l'arbre afin de le nourrir.
Je ne sus comment de telles conclusions me parvinrent, un frisson m'étreint alors que le Premier Lieutenant se penchait pour vérifier. Il n'eut besoin de creuser, les racines portaient encore les couleurs carmins.
— Sire, vous feriez un excellent enquêteur.
— J'en doute fort. Relevez-vous monsieur.
Il parut hésiter.
— Dites-moi ce qui vous tracasse, je vois bien qu'il y a quelque chose dont vous vous retenez de me faire part, le poussais-je à la confidence.
La Reynie jeta un nouveau coup d'œil à Bontemps avant de parler.
— Sire, ce n'est pas le premier corps qu'on trouve égorgé dans ces bois. Il y a souvent des trépassés ici, comme vous le savez entre les marécages et les bandits... Mais depuis votre découverte, nous avons examiné tous les cadavres retrouvés dans les parages et certains sont...
— Égorgés ? Suspendus comme cet homme ?
La Reynie élargit ses bras et haussa ses épaules, geste malpoli en présence de son roi, mais je lui pardonnai bien volontiers.
— Sur les corps trop anciens, c'est difficile à percevoir, mais il semblerait que certains l'aient été.
Je regardais D'Artagnan puis Bontemps.
— Vous soupçonnez des messes noires ? demandais-je.
Comme pour accompagner mes paroles, un nuage obstrua la lumière du soleil et une masse noire parue nous tomber dessus. Comme beaucoup des hommes ici présents, je réprimai un frisson glacé.
— Nous n'excluons pas la possibilité, il y a des assemblées d'apostats et de sorcières en ces lieux considérés comme sacrés comme vous le dites, Majesté.
Je hochais la tête gravement.
— Je veux que vous meniez une enquête approfondie, interrogiez les villageois en leur promettant une coquette somme pour toute information.
— Si je puis me permettre, Sire, les récompenses donnent bien souvent lieu à des vagues de témoignages qui n'ont ni queue ni tête.
— Ne leur en faites part qu'une fois devant leur porte. N'affichez point d'annonce sur la place du marché et ne procédez à aucune communication officielle sur le sujet, mais sans récompense, je crains que personne ne s'exprime.
La Reynie s'inclina bien bas, les plumes de son chapeau caressant le sol boueux.
— Dites-moi si la voyante vous a révélé quelque chose ?
— Sire, elle a succombé avant que nous n'ayons pu l'interroger.
— Succombé ? m'inquiétais-je soudainement. Elle n'avait point l'air malade.
— De la bile noire sortait de sa bouche et son estomac en était rempli, répondit le Premier Lieutenant.
— Empoisonnement ?
— Nous le soupçonnons, mais n'en avons aucune preuve.
Je me tournais vers Bontemps, la marquise serait furieuse en apprenant le trépas de sa voyante, plus encore si elle en connaissait les circonstances.
— Bontemps, faites-le nécessaire, que cette femme soit enterrée dignement. La Reynie, je veux que vous poussiez votre enquête plus loin, si l'on se permet d'empoisonner les témoins sous votre surveillance, il est de votre ressort d'arrêter ces infamies !
Ma colère n'était pas dirigée vers lui, bien que je le considérais toutefois comme responsable de ce trépas. La voyante devait seulement être interrogée avant d'être relâchée, je ne lui souhaitais aucun mal bien qu'elle m'eut déçu et insulté par ses allégations. C'était par ce genre d'erreur que mes ennemis pouvaient instrumentaliser dans leurs critiques à mon encontre et dresser un portrait bien peu flatteur de ma personne.
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