❦ Chapitre 12 ❧

De retour à Versailles, je retrouvai Bontemps avant le souper et lui donnai mes instructions.

— La Reynie a eu amplement le temps d'enquêter sur le pendu, avertissez-le que je souhaite qu'il m'informe de ses avancées.

Je ne laissais l'occasion à mon Premier Valet de Chambre de répondre à cela en usant d'un ton autoritaire et sans appel, le même que j'avais utilisé naguère avec ma mère et les princes de sang afin de les exclure de la gouvernance de l'État.

— Je veux qu'il me rejoigne dans les sous-bois où j'ai trouvé la dépouille, ce n'est point ici que l'affaire sera résolue, mais sur place !

L'idée m'était apparue lorsque nous avions traversé les bois pour revenir de Reuil. Ce n'était pas au sein du Palais que des corps exsangues étaient retrouvés, mais au Sanctuaire. C'était là-bas que l'enquête devait être menée et je me devais d'y retourner.

— Majesté, je vous en prie, pourquoi cette folie de retourner là-bas ? me supplia-t-il.

Bontemps avait raison, c'était de la pure folie, non seulement les lieux étaient réputés pour leurs bandits, mais je risquais fort d'en avoir le sommeil agité. Cependant, je n'avais pour habitude de fuir le danger.

— Ne voyez-vous donc point que cela est nécessaire ? soupirai-je. Vous n'avez qu'à doubler la garde, mais je doute fort que des bandits s'attaquent à nous dans le sous-bois.

C'était hardi de songer cela, car au contraire, nous étions une cible facile là-bas. N'importe quelle bande criminelle pouvait nous y attendre, grassement payée par Guillaume d'Orange pour se débarrasser de la menace que nous faisions peser lourdement sur la Hollande qu'il ne tarderait plus à diriger d'une insolente main de fer. Mais je doutais qu'ils en eussent l'audace.

— Je vais demander à d'Artagnan et à ses hommes de venir avec nous, Sire. Mais sachez que je réprouve ce projet, vous ne devriez perdre votre temps avec cette sordide affaire.

— Je vous remercie pour votre inquiétude Bontemps, mais je suis le seul juge sur les affaires où ma présence est requise, lui rappelai-je avec un ton n'impliquant de réponse.

J'étais chagriné d'avoir usé avec lui d'un ton aussi dur, Bontemps ne voulait que mon bien et celui du Royaume. Le temps que je dépensais sur cette affaire était du temps en moins pour les finances, la guerre et nos projets de modernisation du pays. Je déléguais beaucoup au sujet de cette dernière, particulièrement en ce qui touchait à la capitale, mais cette dernière n'hantait plus mes songes contrairement au Sanctuaire. Sans doute était-ce le signe que j'avais enfin fait la paix avec les frondeurs.

Après le souper, je cherchai Colbert. Mon ministre des finances était moins regardant quant à mes demandes. Il m'avait déjà aidé pour des affaires délicates comme les premiers enfants que me donna Louise de La Vallière, ma mère n'aurait supporté que je les reconnaisse, il avait donc fallu les cacher et madame Colbert s'en chargea admirablement.

Je le trouvais en train de travailler éclairé de deux bougies uniquement, il griffonnait sur un morceau de papier entouré d'immenses piles de dossiers tous plus importants que les autres. Je savais pourquoi il s'abîmait les yeux à la faible lueur de malheureuses chandelles quand tant de candélabres auraient pu lui être amenés. Mon économe ministre des Finances. Je souris en le contemplant, il n'avait changé depuis que mon parrain me l'avait confié sur son lit de mort.

— Sire, que me vaut le plaisir de votre visite tardive ?

Quelques mèches grises s'insinuaient dans sa chevelure brune tombant en boucles domptées sur ses épaules. Il était l'un des rares hommes à la Cour n'ayant recours aux perruques. Tous m'avaient suivi, mais Colbert n'avait jamais été un courtisan. Il avait tout de l'homme de l'ombre, utile et affûté comme la plus fine des lames. À l'exception qu'il œuvrait à des travaux infiniment plus précieux que la mort, il œuvrait pour la postérité.

— J'aurais une mission à vous confier et elle est des plus délicates.

— Je suis à votre entier service, sire.

— J'ai appris qu'une sorcière avait été brûlée en Écosse, pourriez-vous m'apporter tous les éléments que vous trouverez sur le sujet ?

Je doutais que cette fois-ci il puisse faire appel à l'un de ses cousins éloignés, tantes ou oncles. Nous n'avions d'espion en Écosse, mais quelques alliés. Lionne aurait pu répondre à ma requête plus aisément, mais la question que je posais n'avait rien à voir avec la guerre. Et elle exigeait de la discrétion. Depuis cette histoire avec le Chevalier, j'étais méfiant.

— Lionne doit pouvoir vous donner quelques contacts de Lords écossais. Surtout ne sous-entendez point qu'on souhaiterait lancer pareille chasse en France ! Je veux seulement récupérer les témoignages et la mise en accusation.

— Vous ne voulez les aveux ? s'étonna Colbert.

— Si, mais nous savons fort bien que la question fait dire ce qu'elle veut aux pauvres hères y étant soumis.

Ce n'était cependant pas la seule requête que j'avais à lui faire. Ma discussion avec la Reine me poussait à m'inquiéter de la présence de quelque sorcellerie en France, inquiétude renforcée par les paroles de la voyante. Si La Reynie s'affairait déjà sur le sujet, il ne le faisait qu'à Paris. Or, ce sacrifice avait été fait à Versailles.

— J'aimerais également savoir si nous avons encore des sorciers dans nos régions, sondez les curés qui doivent en savoir plus à ce sujet. Soyez discret, je ne veux agiter les spectres d'une nouvelle inquisition !

Ce qui était agréable avec Colbert c'est qu'il ne posait jamais de questions indiscrètes, qu'il ne semblait jamais vous juger sur les demandes même les plus absurdes que vous puissiez lui faire. Tant qu'elles n'exigeaient des coûts exorbitants, bien sûr !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top