Chapitre II - Où l'on rencontre un Phénix


De petits rossignols au plumage joliment mordoré fredonnaient une ode au grand chêne qui surplombait un petit groupe de chats qui s'enfonçaient dans les sous-bois, au grand dépit d'un petit bengal sombre et d'une chatte au pelage teinte d'écureuil. Celle-ci trainait son petit corps maigrelet en ruminant sur son sort, avec autant de véhémence qu'un chaton qui ne voulait pas aller voir le guérisseur.

Sur sa droite, une chatte dorée au pelage fortement épais gambadait joyeusement avec la novice dont elle était acquittée, l'interrogeant allégrement sur ce qu'elle voudrait commencer à apprendre. Le frère de l'apprenti et seul jeune matou pour lequel le mentor avait du rester au camp, qui voulait consacrer sa vie au soin discutait avec une féroce apprentie stratège qui voulait plutôt donner une averse de patients aux guérisseurs des autres clans, tandis que son mentor au sombre pelage gris tigré cherchait un moyen de les y envoyer tout les deux.

En queue de file, l'on voyait un jeune matou bengal si discret qu'on l'aurait presque fini par l'oublier, suivi par un mâle crème tigré au pelage fourni, qui bien que compagnon de la meneuse, ne paraissait en fait pas si important que ça.

Le novice avançait tranquillement, appréciait le fait de sentir une douce brise glisser sur son visage et les feuilles mortes qui craquaient sous ses pattes, comme les os d'autant de minuscules campagnols. Il n'avait jamais eu la prétention de se sentir important, en fait. Certes, le fait de ne pas connaître votre père et d'avoir, vous et votre fratrie, un pelage bien différent des autres membres du clan aurait pu le rendre moins banal, mais il se fondait tellement dans le décor que les membres du clan ne le gratifiait de rien de plus qu'un simple bonjour ennuyé.

Il avait de bons amis. Mais, que ce soit la soif de découverte de Nuage de Pavot, la malice de Nuage de Vipère, les magnifiques yeux verts sombres de Nuage de Linotte dont il ne rêvait qu'environ neuf fois par lune-la plupart des chats ne savent compter plus- et...ce qui caractérisait Nuage de Têtard, il plutôt l'impression d'être la cinquième queue perdue du lézard.

Nuage de Guépard vit soudain sa vision s'assombrir et sous un arc de pierre angoissant se tenait une vieille chatte grise, au pelage parsemé de touffes où paraissait s'abriter une colonie de puces, qui souriait aux voyageurs d'un sourire dévoilant une plume d'un reste de moineau et deux crocs affutés qui pointaient sous son museau.

-J'vous souhaite la bin'vnue dans mon humb'demeure, p'tits loups ! grogna la solitaire d'une voix aussi rauque que chaleureuse. Croc de Louve, à vot'service !

-Enchanté, s'avança le mentor de Nuage de Guépard en se prosternant, qui se fit porte-parole du groupe. Mon nom est Tempête de Plumes, fils de Coeur de Cerf, guerrier des Bourgeons, et, afin que le clan de mes ancêtres m'entende et m'approuve, par la-

- Des bourgeons, des bourgeons, des bourges tout courts, oui ! Je m'rappelle de toi, t'est c'lui qu'avait du assouvir ses b'soins en plein milieu d'la visite quant tu n't'étais pas réfugié sous les poils d'ton mentor, alors arréte ton monologue. C'pas parc'que j'suis la Gardienne actuelle qu'on doit faire tout un blabla d'coeurs de souris. Allez hop hop, z'allez vit'fait m'débarasser la mousse - z'étes bin essuyés les pattes ?-, bien, v'pouvez partir.

Sur ce, elle reporta son intention vers le petit groupe d'apprentis et leur intima de la suivre. Bien que l''obscurité envahit peu à peu la pièce, tout à coup, une lumière bleue quasiment surnaturelle les éblouit. Celle-ci provenait d'une rangées de pierres transparentes, et on voyait comme un liquide pur et translucide s'agiter en elles, à moins qu'il ne s'agisse simplement de la lueur de chacune qui reflétait sur les autres.

- Oh, regardez, je vois mon reflet dans la pierre, comme sur une flaque d'eau ! s'exclama Nuage de Linotte, rompant ainsi toute la poésie du moment

- N'importe quoi, c'est le reflet d'un moucheron malforme écrasé, tête de linotte ! la railla son frère

- En effet, je me disais bien que ça ressemblait à ta tête, cervelle de pavot. Comme quoi on peut être et moche, et stupide, contra Nuage de Vipère, défendant son amie

- A-au secours, un loup, derrière moi ! Ou c'est une sorcière ! Un loup sorcier ! Elle va m'empoisonner avec des baies de la mort et me manger ! cria un apprenti qu'on ne reconnaîtrait que trop bien.

- J'te r'mercie, hein. Fin bon, les apprentis ne sont plus ce qu'ils étaient...à moins qu'ils n'l'aient jamais étés, en tout'fin d'compte.  Et toi là, t'est bien silencieux, non ?

La vieille féline pencha son haleine au doux parfum de moineau conservé depuis une ou deux lunes afin d'observer le petit novice qui n'était pas particulièrement à l'aise. Nuage de Guépard connaissait bien la Gardienne à travers les contes pour savoir qu'elle ne ferait pas de mal à une mouche - malgré le fait qu'elle apprécie d'en gober une de temps en temps.

- Enfé bon, v'nez donc j'ter un coup d'œil par là.

Les cinq félins se dirigèrent vers une embouchure encore plus étroite, l'écho de leurs pas résonnant sur les parois de la caverne. Croc de Louve passa entre l'arche non sans grommeler dans son museau grisonnant qu'elle aurait bien pu éviter de manger ce moineau en plus, tout compte fait.

La salle où ils arrivèrent étaient baignée d'une lueur puissante et multicolore, un rouge qui faisait penser aux pierres couleur rubis où s'échouaient d'intempestives vagues, un jaune qui rappelait l'éclat d'or de la lune sur la neige aussi blanche que les bois alentour étaient sombres, le vert des feuilles émeraudes teintées par l'astre du jour, et enfin un bleu, ou un blanc, qui....la lueur était sombre, comme éteinte. Le félin bengal voyait deux, non, trois tunnels de plus que le sien, le dernier paraissait obstrué.

Nuage de Guépard voyait bien que les autres étaient aussi perplexes que lui, et même si Croc de Louve avait un air troublé. Il reporta son attention sur la provenance des lueurs, et il vit une sorte d'orbe, constitué des fumées les plus brumeuses, comme un brouillard de poix, si épais qu'on n'y voyait goutte. Décontenancés, les cinq apprentis s'avancèrent, et ils se sentirent marcher comme sur des nuages, dans un rêve où une grande silhouette de brume posa son bec- son bec ?- sur son front, et....

Ils se mirent à marcher pour sortir de la piéce, en ayant la cervelle aussi embrouillé que Nuage de Têtard quand on lui a dit que les souris étaient des êtres aussi vivants que lui, ce à quoi tout le monde à répliqué qu'elles étaient même plus intelligentes.

- V's inquiétez pas, c'truc arrive à tout le monde après une visite chez l'grand esprit. Vous comprendrez...

- Plus tard ? Quand on sera guerriers ? tenta Nuage de Pavot.

- T'est perspicace, p'tit louveteau. Insolent, mais perspicace. Fin faut'qu'vous vous avéreriez contents, z'étes acceptés par le Clan des Esprits, sur l'ordre du Phénix.

- Du pet mixte ?

- Nan, p'tit galopiot ! Le grand... Bien. L'était une fois, un frère et une sœur. Ils possédaient le lien d'empathie le plus puissant que l'on n'aurait pu imaginer.

- C'est qu-

- Un lien d'empathie est une sorte de fil entre deux êtres vivants. Cela tresse comme une gigantesque toile d'araignée, et si un des fils est secoué, toute la toile poursuit ses répercussions jusqu'au fil le plus lointain. Ces liens ne peuvent se faire que entre deux chats fortement liés, et ce phénomène rare n'arrive presque qu'à des chats d'abord liés par le sang, fit-elle lassement, comme si elle expliquait cela depuis un nombre incalculable de fois. Cependant, un lien d'amitié ou d'amour peut parfois suffire. C'est eux qui sont à l'origine de cet arbre gigantesque, dont les guérisseurs se posent sous les racines pour communier avec le Clan des Étoiles. Ici, vous avez vu l'origine de l'arbre.

- Alors, je ne veux pas vous vexer, avec mes respectueux pardons, mais je n'ai franchement pas tout compris et-

- Tu pigeras tout quand l'histoire complète te s'ra racontée. Mais z'étes po encore des guerriers, encore moins des vétérans, et j'ose espérer que vous ne rejoignerez pas Leurs rangs d'sitôt.

Nuage de Guépard, ayant une question qui lui brulait les lèvres depuis qu'il était sorti de ce brouillard et qu'il avait vu le grand oiseau - dont il lui semblait qu'il lui avait dit quelque chose, mais ne saurait se remémorer quoi - :

- C-croc de Louve, je voulais vous poser une question...il y a quatre tunnels et quatre lueurs, mais il n'y que trois clans, n'est-ce pas ? A moins que ce soit le reflet du Clan des Esprits ?

A ce moment, la vieille solitaire perdit toute chaleur et regarda au lointain, un point imaginaire qui l'aurait empêché d'apercevoir la lueur de culpabilité qui brillait dans ses yeux, et morne et abattue, elle continua le chemin avec les novices. Quand ils crurent qu'elle n'ouvrirait plus jamais la bouche, au seuil de l'arc de pierre, elle délia sa langue et commença à parler :

- Je n'me rappelle plus de rien. Une tempête, peut-être. Mais c'était bien trop puissant, trop fougueux, c'qui est sûr, c'est qu'j'y étais.  Là, Étoile de Sable, la vieille meneuse du Clan de la Plage, elle était apprentie à l'époque, elle m'a aidée. On m'a mise entre de bonnes pattes, dans le Clan de la Plage. Mais je ne m'y sentais pas comme chez moi. J'suis devenu Gardienne grâce à l'ancien Gardien, un chat bengal plus jeune que moi, qu'il était ! M'rappelle plus d'son nom, mais Il te l'a dit, j'en suis sûre. Il dit les noms du père et de la mère. Tout le temps.

Son "te" s'adressait en réalité à la fratrie de Nuage de Guépard, mais ce dernier le reçut comme une griffe enrobée de miel en plein cœur.

- Mais...

- Z'avez pas une assemblée, vous, d'main ? J'suis sûr que si, alors bougez-vous !

Dans une réalité toujours aussi onirique qu'à l'entrée, alors que les mentors se prélassaient sous la chaude caresse du soleil du matin. Il ne savait pas si les autres apprentis  étaient aussi troublés que lui, mais il avait l'impression de sortir avec plus de questions que de réponses.

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