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Salem - Mai 1978

Je suis gelé sur place. Pour une des rares fois depuis longtemps, je puise dans le peu de courage que la vie m'a offerte et je réussis à affronter cette journée sans mettre en mode hibernation la moindre parcelle d'émotion. J'ai froid, je ressens la douleur, physique, mental, mais je reste de marbre.

Pourtant, tous ceux qui se trouvent autour, inondent leurs visages, d'un mélange de larme et de pluie. Et moi, je ne peux verser ne serait-ce qu'une seule putain de larme.

Le cercueil aux couleurs sombres, peu représentatif de ce qu'était Sami, m'agace. Malgré la maladie, elle était joyeuse et pleine de vie, son denier repos est loin d'être à son image.

Sous les pleurs des gens, le discours débute. C'est le moment de lui dire au revoir. Au revoir à ce qu'elle était et ne sera plus.

Ma mère essuie ses larmes à l'aide d'un mouchoir avant de m'en tendre un. Mais je n'en ai pas besoin, mon visage est complètement sec. Rien. La seule chose pour laquelle il pourrait m'être utile, ce serait pour enlever l'affreuse boue qui colle à mes chaussures.

– C'est terrible Harry, me chuchote-t-elle, s'il fallait qu'il t'arrive quelque chose, je ne m'en remettrais jamais, termine-t-elle en déposant sa tête contre mon épaule.

Lentement, le cercueil disparaît à l'intérieur des profondeurs de la terre, pour y être ensevelis.

Un discret, rayon de soleil fait son apparition du haut des cieux, bousculant les nuages qui jusque-là nous avaient été fidèle.

– Viens maman, lui murmuré-je à l'oreille.

Elle ne bouge pas. Ma mère est plus que bouleversé, oui parce que la fille de sa meilleure amie vient de s'enlever la vie, mais je crois qu'elle vient de réaliser à ce moment ô combien la vie peut être fragile.

– Aller vient, répété-je.

– Harry, promets-moi de ne jamais me faire une chose semblable.

– Aller vient m'man

C'est comme cela que ça se passe la mort, on continue notre vie et on laisse ceux que l'on aime moisirent dans un putain de trou. Je vais repartir chez moi juste continuer ma vie et un jour tout sera comme avant.


Bien posé dans l'herbe, je sirote une bière. Le ciel s'est complètement dégagé et le chaud soleil de mai réchauffe un brin la froideur de l'endroit. Salem... c'est si morbide. Si les parents à Angie n'avaient pas décidé de déménager elle serait sûrement devenue l'une de ses sorcières, pensé-je, en souriant.

Je n'arrive pas à croire qu'il l'oblige à rester ici avec eux. C'est normal qu'ils veuillent être en famille, mais elle ne voulait pas rester, elle me l'a dit. Angie vouloir repartir avec moi dès ce soir et il me semble qu'elle aussi a droit de faire son deuil à sa façon.

Le bruit des branches qui craque attire mon attention. Le père d'Angie se tient droit devant moi. Cet homme est si intimidant, il doit faire une tête de plus que moi.

– Pourquoi vous ne laissez pas Angie partir ce soir avec moi ? demandé-je sans perdre de temps.

– Sa mère est dévastée, elle a besoin d'être près de sa fille, répond-il en s'assoyant à côté de moi.

– Pourquoi toujours le besoin des autres avant les siens, dis-je en lançant ma bouteille près d'un buisson.

– Harry... elle veut toujours être avec toi, ça date pas d'hier. Elle ne réalise pas que c'est en compagnie de sa famille qu'elle a besoin d'être.

– Tu dis n'importe quoi et tu le sais très bien.

– Écoutes moi bien attentivement, tu vas laisser Angie tranquille, t'as toujours été néfaste pour elle et putain regarde celle qu'elle devient, s'indigne son père.

Je ne dis rien et me contentant de rire. Pauvre con...

– Tu trouves ça drôle, hein ? Tu vas peut-être moins rire quand je vais rencontrer à ta mère de quelle façon son petit garçon chéri s'est fait toutes ces répugnants petits trous, ajoute-t-il en soulèvent la manche de ma chemise.

Pris d'un excès de rage, je saisis fermement son bras. Je le tiens si fort que mes doigts s'engourdissent.

– N'ose plus jamais me toucher.

– Et toi, n'ose plus jamais approcher ma fille, me menace-t-il.

– C'est une menace...

– Non, un échange de services...



•New Jersey - Janvier 1982


– ...je n'ai plus personne. Cet homme m'a tout enlevé.

– Ta mère appelle ici à chaque jour, depuis ton arrivée.

Ma mère et moi avons toujours été connectés d'une façon qui reste encore à ce jour inexplicable. C'est la seule qui ne m'a pas encore lâché. Tout le monde  ma tournée le dos, sauf elle. Il ne faut leurs en vouloir, ils n'ont cherché qu'à se protéger.

C'est évident que lorsque tu t'enfonces au point où je l'étais, il n'y a plus personne autour de toi. Quand un mec est prêt à vendre sa mère pour un sachet de dope, c'est juste normal que tu te pousses.

– Elle-elle va bien ma mère ?

– Tu aimerais lui parler ?

– Pourquoi tu fais toujours ça, putain.

– Faire quoi ?

– Ne jamais répondre à mes questions. Merde à chaque fois que je te demande un truc, tu me réponds avec une question.

– Je veux que tu t'écoutes toi, juste toi.

– Je veux savoir si ma mère va bien, c'est tout.

– Et moi je te dis que si tu veux savoir comment elle va, tu n'as qu'à lui demander.

– Mon père m'a formellement interdit de contacter ma mère.

Le foutu sentiment de contrôle. Va-t-il me suivre jusqu'à ma mort.

– Vais-je réussir à m'en départir un jour ?

– Te départir de...

– De... de cette impression de tout devoir a tout le monde, d'être celui qui doit gérer, veiller et exécuter.

– Les toxicomanes sont rarement aux prises avec un problème unique. Beaucoup d'autres choses sont généralement associées à la dépendance, traiter que l'addiction est quasi impossible, il va te falloir travailler beaucoup plus fort. Il te faut t'outiller pour affronter les situations qui te rendent inconfortable.

– Et comment je suis supposé faire ça.

– Ça, c'est à toi que revient la tache. Mais une chose est sûre, il faut parfois goûter à ce qui fait mal. Et même si ça laisse un goût amer.

– Plus la thérapie avance, plus je pense et plus que je réalise à quel point je loin du but.

- Tu seras toujours loin de ton but, mais tu ne cesseras jamais d'avancer et c'est ce qui va te maintenir en vie. J'ai quelque chose à te proposer aujourd'hui, m'informe Ben.

– Quoi ? demandé-je réticent.

– Je crois que tu devrais participer aux rencontre de groupes, je suis...

– Non, le coupé-je, hors de question que j'étale ma vie devant des étrangers.

– Tout le monde le sais déjà que tu n'es pas ici pour le plaisir alors pourquoi ne pas en sortir la tête haute. Sérieusement, t'as quoi à perdre.

– Je n'ai rien à dire.

– Personne ne t'as demandé de parler.

– Si vous m'obligez à dire un seul mot je...

– Tu ?

– Je...

– Tu es libre de faire et de dire ce que tu veux. Écoute la petite voix à l'intérieur de toi, elle te guidera.

La petite voix... je rigole un peu avent de reprendre mon sérieux. Quelle petite voix.

– Juste pour écouter, accepté-je.

– Tu es sur la bonne voix mon garçon.

– Ben, dis-je avant de refermer la porte.

– Hum

– Mon père, il n'a jamais appelé ?

– Non.

Le plus grand défi, c'est de réaliser que t'en a mare de cette vie, parce qu'il vient un moment où toute cette merde te rend confortable. C'est très anxiogène le changement. Il faut juste prendre le temps d'écouter la petite voix qui te crie «sauve-toi ». Oui, c'est elle la petite voix.


La mort de son chien, la peur des foules, la dépression : toutes les raisons sont bonnes pour que la souffrance ce manifeste. Un jour ou l'autre le déclic se fera et te poussera à la et recherche de l'apaisement. Peu importe la méthode choisie, la tache va continuer de s'encrer si profondément, qu'un jour, tu ne réussiras même plus à pleurer.

– Je n'ai jamais pleuré, lancé-je lorsque je sens une drôle d'émotion parcourir mon cœur.

J'ai déjà pleurer, mon corps a pleurer. Mon cœur lui est à sec. Envelopper dans une dure carapace que je meurtrie à chaque seconde de ma vie.

Je glisse à même le sol. Adossé contre le mur de béton froid, les jambes étendues de tout leur long, je fais quelque chose que je n'avais pas fait depuis des années-lumière. Je pleure. Plusieurs minutes passent avant que je réalise que je viens de m'effondrer en larme devant des inconnus.

«J'ai tant à te dire. Je ne sais pas si tu peux m'entendre, ni même comprendre, mais je tente ma chance.

Lorsque je regarde derrière moi, je réalise que tu était facultative à ma vie. Du moins, c'est ce que je croyais. Jusqu'au jour où je ne vivais que de toi. Pour toi. Le jour où j'ai plongé dans l'obscurité, le jour où tout est devenu irréel et destructrice. Mais sache que chaque histoire, aussi noir soit-elle est entouré d'une beauté. La tienne, celle de ceux qui m'aime et de ceux qui vivent à travers moi. Et pour eux, mais surtout pour moi, je te tourne le dos. Je vais apprendre à vivre avec de la douleur et plutôt que d'y mettre fin prématurément, je vais laisser la vie suivre son cour normalement. Et qui sait, peut-être bien que le bien-être que procure la délivrance naturelle te surpassera.

Tu sais, ce qui me fait peur ? La solitude. Mais aujourd'hui, lorsque je vu plusieurs mains s'élever devant moi pour m'aider à me relever, j'ai réalisé que je n'étais plus seul.»

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Salem: Salem est une ville située sur la côte nord du Massachusetts, au-dessus de Boston. Elle est célèbre pour le procès des sorcières, en 1692, qui entraîna l'exécution de plusieurs habitants accusés de pratiquer la sorcellerie.

Je suis sincèrement désolé de mon retard. Le chapitre était prêt depuis un moment, il me suffisait de faire quelques modifications pour l'embellir, mais je n'y arrivais tout simplement pas. Et aujourd'hui, tout s'est fait si facilement. Ne me demandez pas pourquoi je n'en sais rien 🙈

J'espère qu'il vous a plu et je promets de ne pas prendre deux mois à publier le prochain chapitre.

Je vous souhaite un beau week-end à bientôt
❤️❤️

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