Rejet
NDA: ci-dessus une image de Brooklyn datant de 1958 (du moins je l'espère, google image n'est pas toujours fiable...)
Emily avait grandit. Au printemps 1957 elle avait soufflé ses onze ans avec sa mère et sa bande.
L'équipe s'était un peu disloquée, ses membres grandissant et prenant des voies différentes. Il n'y avait pas beaucoup de jeunes pour les remplacer, et peu souhaitaient avoir une fille comme chef.
Aussi, deux mois après son anniversaire elle passa le poste à un garçon qu'elle jugeait digne d'être chef, dit au revoir aux petits nouveaux et abandonna l'équipe.
Elle revoyait ses anciens camarades en dehors des heures de cours, et Mickael qui était dans la même école qu'elle.
Ses cheveux avaient bien poussés et lui arrivaient désormais aux fesses. Ils étaient toujours aussi blonds, lisses, souples et emmêlés. Sa mère passait de longues heures le soir à lui passer la brosse quand elle arrivait à l'attraper avant qu'elle n'aille dormir.
Ses grands yeux bleus n'avaient pas cessé de regarder ses trésors dans les boîtes sous le lit. Captain America et Stark la passionnaient toujours autant.
Intelligente malgré son manque d'attention, elle avait sauté une classe. Elle s'en fichait, tout cela ne l'intéressait pas.
Elle aimait les cours de technologie et ceux d'histoire, lui rappelant ses idoles.
Le 25 mai 1957 elle rentra chez elle, son sac noir se balançant à son bras. L'école était finie pour ce jour et elle comptait bien en profiter.
Ses longs cheveux dorés étaient encore couverts de poussière et attachés en queue de cheval lâche qui battait son dos au rythme de ses pas.
Elle ne remarqua pas immédiatement les regards lourds des passants autour d'elle, toute à sa joie de retrouver ses amis au terrain vague après le dîner.
Quand elle ouvrit la porte de chez elle, elle sentit l'atmosphère tendue et se figea, tendant l'oreille. Sa nature d'espionne la fit se faufiler derrière la grosse commode de l'entrée, sa silhouette mince n'ayant aucune peine à se dissimuler dans l'ombre.
Elle vit sa mère et son père dans le salon, ses sœurs et son frère cachés dans l'escalier. Tous écoutaient la dispute.
Sa mère secouait la tête, une grimace douloureuse sur le visage. Son père était très énervé, il faisait les cent pas, les mains derrière le dos:
"Dis moi! Est-ce vrai que Emily est la fille d'un autre homme?"
La jeune fille eut un frisson. Elle était la cause du désaccord?
Son père poursuivit:
"Je savais qu'elle ne me ressemblait pas, je pensais que cela finirait par disparaître! Mais non, elle reste blonde dans une famille châtain depuis des siècles! Certains de ses traits de viennent ni de moi ni de toi! De qui est-elle?
-Écoute... C'était une erreur..."
Emily eut soudain du mal à respirer. Une erreur? Elle était une erreur?
Elle sentit le regard assassin de sa fratrie sur elle et se mordit la lèvre. C'était vrai qu'elle ne ressemblait pas au mari de sa mère. Mais alors, de qui était-elle?
Elle vit sa mère passer une main tremblante dans ses boucles brunes. Elle soupira, esquiva le regard inquisiteur de son homme, mordit sa lèvre inférieure. Ça au moins, Emily était sûr qu'elle le tenait d'elle.
La femme soupira: "Oui, elle est d'un autre homme. Mais je t'en prie, ne m'en veut pas, ne lui en veut pas. Ce n'est pas sa faute et je ne savais pas que j'étais enceinte. Je l'ai su trop tard, mais je ne regrette rien. C'est une fille adorable. Pourquoi ne peux tu pas l'aimer comme la tienne?
-Parce qu'elle est l'enfant d'un autre! Je l'ai toujours su! Tu m'as trompé!
-Je l'ai eue avant de te rencontrer!"
Emily ne voulait pas en entendre plus. Elle avait le cœur au bord des lèvres, les poumons comprimés et les larmes aux bords des yeux.
Ses sœurs lui lancèrent des regards assassins et elle préféra fuir. Son départ fut bruyant puisqu'elle renversa la grosse commode en chêne dans le couloir.
Sa mère se retourna au moment ou la petite blonde sortait en claquant la porte: "Emily!"
Emily n'écoutait plus. Elle avait comprit les regards insistants dans la rue, le manque d'affection de son "père", sa si faible ressemblance avec sa fratrie.
Elle se réfugia au seul endroit qu'elle considérait comme "chez elle": le terrain vague.
Elle fit basculer la planche cachée de la palissade, se glissa dessous et se précipita dans la carrière abandonnée.
Des tonnes de déchets s'amoncelaient là, sans que personne ne les utilise. Seuls les enfants téméraires des bandes venaient ici, et seulement s'ils étaient de Brooklyn. C'était comme une cachette secrète, le lieu où l'on se blottit lorsque ça ne va pas.
Emily avait souvent vu des enfants battus venir ici chercher un peu de solitude, ou la compagnie des gamins rebelles.
Ce jour là le terrain était vide de monde. Elle escalada un monticule, faisant glisser des bouts de ferrailles sous ses pieds, et au sommet se blottit dans un vieux pneu usé.
Elle aimait ce pneu. Elle y avait dormi une fois, avec la bande. C'était son lit. Elle tira un bout de tissu raccommodé et s'en servit comme couverture. Elle avait vraiment envie de pleurer.
Quelques heures plus tard elle ouvrit les yeux. Elle se redressa, se rendant compte qu'elle s'était endormie sans le vouloir.
En regardant en contrebas de son perchoir, elle vit ses camarades de la bande, réunis autour d'un feu de camp.
Elle se fendit d'un large sourire. Ses amis étaient enfin là!
Elle dévala la pente sur les fesses, se souciant peu de trouer son pantalon de jean, et couru les rejoindre.
En arrivant près du groupe, elle sut que quelque chose n'allait pas. Tous s'étaient tut à son arrivée, se tournant vers elle et la fixant avec méfiance et dégoût. Elle eut un sourire tordu, tentent de faire fi de ce comportement étrange: "Salut les gars! Comment ça va?"
Le silence lui répondit. Mickael évitait son regard, et cela lui fit peur: "Hey! Qu'est ce qu'il y a? C'est quoi ces têtes d'enterrement?"
Claude, l'adolescent qui lui avait légué sa place de chef, se leva et la pointa du doigt: "Tout New York sait pour toi. C'est vrai ce qu'on raconte? Tu es une bâtarde?"
Emily écarquilla les yeux et hoqueta. Cela s'était diffusé si vite que ça? En même temps le mari de sa mère avait bien gueulé...
Elle se reprit, la colère sourde naissant en elle durcissant ses traits:
"Ça vous pose un problème?
-Bah ouai. T'es bizarre avec tes cheveux blonds. Si ça se trouve t'es une allemande!
-Quoi?!"
Emily sentit la rage couler dans ses veines. Elle n'avait rien de comparable à Red Skull où aux nazis.
Elle était américaine, aussi bien qu'eux, et ils n'avaient pas à se moquer d'elle ainsi!
Elle leur pointa la sortie du terrain vague, le doigt tremblant de colère:
"Sortez. Ici c'est chez moi.
-C'est chez tout le monde!
-C'est chez MOI!"
Elle se jeta sur eux, les ruant de coups et s'en recevant autant. Les coups pleuvaient, une fille seule contre tous ces gars n'avait pas vraiment l'avantage.
Mais elle n'était pas n'importe quelle fille. Elle était Emily Carter!
Elle se débattit comme un diable, ruant et assénant des coups de partout avec une force surprenante acquise au cours de son enfance.
Elle finit par réussir à mettre les garçons dehors, et barricada la planche d'entrée. Personne ne viendrait l'embêter.
Elle fouilla dans les déchets, sans peur de la crasse ou des petites bêtes velues qui y vivaient.
Elle en tira des bouts de bois, des cordes, des bâches. Elle se construit un abri digne de ce nom dans un coin du terrain vague où personne ne venait jamais.
Si jamais elle en avait besoin, elle avait une seconde maison ici.
Elle mit aussi la main sur un long tuyau rouillé recourbé au bout, mesurant un peu moins que sa taille. Il était plutôt en bon état, aussi elle entreprit de le désinfecter et lui créa une attache à ses hanches. Une arme serait toujours d'une grande utilité si elle devenait un paria même au sein de son groupe d'amis.
Vers dix-huit heures elle vit le soleil décliner à l'horizon, plongeant derrière les tours de Manhattan.
Elle savait qu'elle devait rentrer chez elle même si cela ne lui plaisait pas. Sa mère lui manquait, ses précieuses collections aussi.
Rentrer signifiait rompre ce puérile simulacre de fugue, mais elle avait faim, et cela suffisait à balayer sa colère. Elle n'était qu'une enfant après tout.
Elle parcourut au galop les rues qui se vidaient, tentant d'ignorer les regards inquisiteurs et les murmures sur son passage. Elle savait parfaitement de quoi il retournait, et elle n'avait pas envie d'entendre leurs jugements tout faits.
Elle se glissa furtivement dans sa maison, fermant la porte sans bruit. Elle se déchaussa, cacha sa nouvelle arme sous la commode qui avait retrouvé sa place et entra à pas feutrés dans la salle à manger.
Elle y trouva sa mère, ainsi que sa fratrie. Aucune trace de son "père". Sur ses gardes, elle s'assit avec précaution, comme si un seul bruit pouvait tout déclencher.
Sa mère leva la tête vers elle, ses boucles brunes virevoltant légèrement. Elle eut un sourire triste: "Vas tu mieux, ma chérie?
-Oui maman...
-Ne l'appelle pas comme ça, bâtarde!
-Ça suffit! Emily est ma fille autant que vous!"
Ses sœurs s'étaient jetées sur elle pour la frapper, mais elles n'avaient pas la force acquise par la blondinette, aussi elles furent envoyées au tapis en quelques secondes.
Leur mère les sépara, secouant la tête: "Cela suffit. Au lit. Tous.
-Quoi?! C'est injuste!
-Vous n'aviez qu'à rester tranquille!"
Emily monta dans sa chambre après un dernier regard noir à sa fratrie. Elle aurait finalement dû rester dehors, si c'était pour ne pas manger... Elle aurait pu fouiller dans les poubelles.
Elle glissa sa main sous son lit et en extirpa les deux boîtes. Elle les ouvrit et regarda leurs contenus avec tendresse. Captain America et Howard Stark. De ce qu'elle savait, ils avaient œuvré ensemble déjà. Ses deux idoles réunies... Elle n'osait espérer que ce rêve fou se réalise. De plus, Steven Grant Rogers était porté disparu depuis sa chute dans les glaces de l'Arctique. Inutile d'espérer, donc.
Elle entendit les marches de l'escalier craquer et se dépêcha de tout remettre en place, puis fit semblant de lire, assise sur son lit.
La porte s'ouvrit, le mari de sa mère entra. Elle avait reconnu son pas lourd dans l'escalier, elle ne fut pas surprise de sa venue. Ce qui la prit au cœur, ce fut son apparence.
Débraillé, les cheveux en bataille, les yeux injectés de sang, le teint cireux, la mine blafarde.
Emily avait déjà vu cela: de toute évidence son "père" était dans un état d'ébriété avancé.
Il tituba, entrant dans la pièce d'un pas hésitant. Emily sentit un frisson lui courir sur l'échine. Son cœur battait follement dans sa poitrine, lui faisant mal, un léger voile se posa sur sa vision, focalisant son attention sur l'homme.
Son esprit d'enfant ne comprenait pas, mais son instinct savait déjà ce qui allait se passer.
Elle se leva pourtant, incertaine, posa sa main délicatement sur son bras.
Aussitôt elle se prit une gifle violente qui l'envoya au sol. L'homme beugla: "Me touche pas, sale traînée! T'es une bâtarde, tu me touche pas!"
Il leva la jambe et Emily eut le réflexe de se rouler en boule et de protéger sa tête. Elle ne savait pas d'où elle détenait ce réflexe alors que d'habitude sa défense était l'attaque, mais elle lui fut reconnaissante.
Le premier coup fut le plus dur. Elle ne s'attendait pas à ce qu'un homme saoul puisse frapper aussi fort. Cela n'avait rien à voir avec les coups des autres enfants. C'était plus dur, plus violent. Plus hargneux aussi. C'étaient des coups d'adulte.
Les autres coups vinrent aussitôt après, comme si cela avait déclenché une pulsion meurtrière chez l'homme. Il se défoulait, avec les pieds, avec les poings.
Emily sentit sa cheville gauche craquer douloureusement et elle gémit. Elle ne s'autorisa pas à pleurer. Elle n'était pas une pleureuse. Elle était Emily, ancienne chef d'un groupe d'enfants rebelles, et remplaçante de Captain America. Elle ne voulait pas pleurer, même si les larmes lui piquaient les yeux.
Elle attendit simplement que la pluie de coups cesse. L'oreille collée au parquet, elle entendait sa mère pleurer en bas. Pour qui, pour quoi? Pourquoi pleurer si elle était fière de lui avoir donné naissance? Pourquoi ne pas jeter à la porte cet homme violent qui faisait du mal à sa fille?
Elle se résigna à attendre. Les coups ne lui faisaient même plus mal. Elle avait la peau rouge et déchiquetée par endroits, là où les chaussures talonnées avaient frappé.
Elle sentait le sang à l'odeur métallique couler sur sa peau, dans ses cheveux. Son regard se vida et elle attendit.
Elle ne savait pas combien de temps elle était restée là, mais le mari de sa mère finit par partir, la laissant seule et ensanglantée.
Elle se releva sans un mot, sans bruit ou gémissement de douleur et se glissa dans la salle de bain.
Elle y fit un compte rendu de ses blessures.
Elles étaient pour la plupart superficielles, à part les chevilles tordues et son crâne en partie fendu, mais cela ne faisait rien.
Cela la piqua à peine quand elle désinfecta ses plaies et recousu à grand peine sa tête. La douleur n'existait à ce moment là que dans son cœur.
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