55. Free

"Ce qui compte c'est se libérer soi-même, découvrir ses propres dimensions, refuser les entraves."

Virginia Woolf

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Swann

La sonnette de la porte d'entrée résonna dans toute la maison. Je me résolus à me lever et à sortir de la grotte qu'était devenu ma chambre pour rejoindre le rez-de-chaussée d'un pas lent. J'étais seul à la maison, Cheryl était partie explorer je ne sais quel coin perdu de la campagne anglaise, alors j'étais bien obligé de me bouger pour ouvrir à cette personne qui se trouvait devant la maison.

Je pensais savoir qui se trouvait derrière cette porte, de toute façon, et c'est ce qui me motivait à mettre le nez en dehors de mon repère. En tout cas, j'espérais que ce soit lui, parce que j'avais terriblement envie de le voir. Une semaine c'était définitivement trop long. Alors j'avais espéré qu'il vienne aujourd'hui même si je n'avais pas osé lui dire.

J'avais conscience que j'étais à l'origine de cette distance, que c'était moi qui lui avais demandé un peu de temps pour respirer. Mais finalement il me manquait bien plus que je ne saurais l'exprimer. J'avais besoin de lui.

Alors ce fut avec un empressement non dissimilé que j'ouvris la porte pour découvrir Yaël, plus beau que jamais, devant moi. Ça faisait tellement de bien de le voir ! Et je n'avais qu'une hâte, c'était de retrouver la chaleur de ses bras.

Mais pour l'instant je me contentais de l'observer, trop content de voir ses yeux sombres se balader sur moi. Lui aussi m'observait consciencieusement, avec cette pointe d'inquiétude, jusqu'à ce que son regard s'arrête sur un détail et qu'un sourire attendri se dessine sur son visage. Je baissai un instant la tête et remarquai que je portais un de ses sweats, encore. C'était véritablement devenu une habitude, un autre moyen de réconfort même lorsqu'il n'était pas là.

Je levai les yeux au ciel mais répondis tout de même à son sourire avant de me décaler pour le laisser s'avancer. Il ne perdit pas une seconde pour me prendre dans ses bras. Je me laissai faire et nouai les miens dans son dos. Je fermai les yeux et nichai ma tête dans son cou, m'enivrant à nouveau de son odeur. Sentir son cœur contre le mien, je n'aurais jamais imaginé que c'était ce dont j'aurais bien besoin à cet instant.

Nous ne parlions pas, nous ne nous étions pas échangé un seul mot mais nous n'en avions pas besoin. Seule la présence de l'autre nous importait, nous retrouver à cet instant après tout ce que nous avions vécu ces dernières semaines, et toutes les idées noires qui m'avaient traversé l'esprit ces derniers jours.

Yaël se recula après deux minutes de cette étreinte chaleureuse, laissant juste assez de place entre nous pour prendre mon visage en coupe. Ses yeux plongèrent dans les miens, me sondèrent, avant d'inspecter mon visage. J'avais une tête à faire peur, j'en avais conscience. Mes yeux étaient cernés, mes joues creusées, même si j'avais légèrement retrouvé l'appétit depuis hier, mais c'était surtout les stigmates encore présents de mon agression qui faisait que je ne ressemblais à rien. Ma lèvre fendue cicatrisait mais ma joue restait encore blessée et l'hématome en haut de ma pommette tournait à une couleur douteuse.

Pourtant, dans les yeux de Yaël, je ne vis aucun signe de répulsion. Il se fichait de mes blessures et se montrait plus inquiet que répugné. Et il y avait, au fond de son regard, cet éclat qui me faisait sentir léger, qui me faisait me sentir en sécurité, protégé, qui me faisait me sentir bien, moi-même, qui me faisait me sentir aimé. Oui, j'en avais conscience, cet éclat, c'était certainement de l'amour.

— Comment tu te sens ? demanda-t-il finalement, d'un souffle.

Je haussai simplement les épaules et, pour seule réponse, je me contentai de me hausser sur la pointe des pieds et de réduire la minime distance qui restait entre nous pour retrouver le goût de ses lèvres. Ça aussi, ça m'avait manqué. C'était comme prendre une grande inspiration après être remonté à la surface, c'était comme retrouver le confort et la chaleur d'un feu de cheminée, c'était comme être à la maison. Alors je me laissai enivrer et apaiser par la douceur de ses lèvres.

Seulement cela n'effaça pas cette lueur d'inquiétude dans les yeux de Yaël que je retrouvai dès que je reculai. Je poussai alors un léger soupir et attrapai sa main, nouant mes doigts aux siens.

— Viens, soufflai-je en l'entraînant vers les escaliers.

Je le conduis jusqu'à ma chambre pour qu'on puisse être tranquilles, pour que je puisse retrouver mon repère. Je refermai la porte derrière Yaël tandis que ce dernier regardait tout autour de lui, inspectant mon nouvel univers.

Cette chambre devait bien faire la moitié de la taille de celle que j'occupais dans la villa de mes parents. Il n'y avait pas de salle de bain attenante, pas de dressing, juste une commode et un vieux bureau en bois. Le lit deux places, plus grand que celui de Yaël mais plus petit que le king size dont j'avais pris l'habitude depuis des années, était la pièce centrale de la chambre. Il était imposant et, lui aussi, en bois. En face de nous se trouvait une fenêtre avec de jolis voilages qui s'accordaient avec ce papier peint blanc cassé. Cheryl voulait refaire cette pièce, la rendre plus moderne, mais pour l'instant cet endroit m'allait très bien.

Rapidement, je déplaçai du lit au bureau encombré le clavier que Cheryl m'avait retrouvé dans le grenier de la maison et rabattis l'écran de mon ordinateur. Je n'avais pas trop envie que Yaël me pose des questions pour l'instant, ni qu'il comprenne ce que j'étais en train de faire. En tout cas je préférai pouvoir ne pas lui avouer tout de suite, ça ruinerait mes plans.

Lorsque je me retournai à nouveau vers lui, je remarquai qu'il m'observait déjà, sans dire un mot. Je lui fis signe de s'asseoir sur le lit puis le rejoignis sans attendre. Je m'installai en tailleur devant lui et attrapai ses mains. Je savais qu'il attendait une réponse sérieuse, qu'il voulait que, pour une fois, je lui dise sincèrement comment j'allais, alors je pris une grande inspiration.

— Je suis pas idiot, je sais que Joyce te donnait des nouvelles, et je me doute de ce qu'elle te disait, commençai-je. J'ai eu un début de semaine difficile, je vais pas te le cacher, mais ça commence à aller mieux. J'ai réussi à descendre dîner avec ma tante hier soir. Je ne vais pas te dire que tout va mieux, comme ça, d'un seul coup, que je suis au top de ma forme mais je sais pas, j'ai pas envie de continuer à me sentir aussi mal. Je veux aller mieux, et je me suis rendu compte que je ne voulais plus rester dans le noir. Je ne veux pas laisser Hugo gagner.

Un léger sourire étira les lèvres de Yaël alors qu'il caressait ma main de son pouce.

— Je suis content d'entendre ça, murmura-t-il sincèrement. Tu peux pas savoir comme ça me rassure.

Cependant je ne voyais pas cet éclat briller dans ses yeux. Il était peut-être content pour moi, mais il était toujours inquiet. Comme si quelque chose le retenait, comme s'il y avait autre chose qui le tracassait et vers laquelle il ne pouvait pas s'empêcher de laisser s'échapper ses pensées. Il gardait cet air sérieux, grave, et ce pli au niveau de son front.

— Yaël, qu'est-ce qui se passe ? demandai-je alors. Je vois bien que quelque chose ne va pas.

— Je ne veux pas t'ennuyer avec mes problèmes, couina-t-il en secouant la tête.

— Yaël, dis-moi ! insistai-je plus sévèrement. Tu es toujours là pour moi, alors laisse-moi être là pour toi aussi. Je sais que j'ai pas toujours été présent pour toi, surtout ces derniers jours, je m'en rends bien compte, mais je veux me rattraper. Je veux que tu puisses compter sur moi aussi. C'est comme ça que c'est censé marcher, non ?

Il me lança une légère œillade avant de prendre une grande inspiration. Je voyais bien qu'il hésitait encore mais je voulais qu'il parle, je voulais qu'il puisse se confier à moi comme il m'avait laissé le faire. Il m'avait entendu chouiner pendant des jours, il m'avait vu pleurer sur son épaule, alors je pouvais bien écouter ses tracas. C'était la moindre des choses que je pouvais faire pour lui. Alors je continuai à l'observer en silence, attendant patiemment qu'il me parle.

— Mon père risque de perdre son poste de professeur à Oxford, lâcha-t-il finalement. Il a été convoqué dans le bureau du doyen pour des rumeurs de harcèlement envers des élèves, sans preuves et alors qu'il n'aurait jamais commis une telle chose. Il n'y a rien qui prouve les dires du doyen et... et j'ai peur que ce soit encore un coup monté de tes parents pour nous atteindre.

Ma prise sur les mains de Yaël se resserra, et il le sentit puisque son regard s'orienta sur nos doigts noués. Je le relâchai alors brusquement parce que je n'avais aucune intention de lui faire mal et avec cette colère qui remontait en moi jusqu'à bouillonner dans mes veines, j'avais peur de mes réactions. Ma respiration se fit rapidement saccadée et ma mâchoire se contractait alors que ma poitrine brûlait.

Non, mes parents ne pouvaient pas faire ça. Ils ne pouvaient pas s'en prendre à Yaël et sa famille juste parce qu'il avait eu l'audace de sortir avec moi. Ils ne pouvaient pas ruiner une autre vie que la mienne. Enfin merde, n'avaient-ils pas déjà fait assez de dégâts comme ça ?

Ils pouvaient s'en prendre à moi, mais je ne supporterais pas qu'ils aillent contre Yaël, ou n'importe quel membre de cette famille.

— J'ai besoin que tu me conduises quelque part, lançai-je en me relevant brusquement.

— Quoi ? Mais pourquoi ? Pour aller où ?

— Il faut qu'on aille au bureau de campagne de mon père, expliquai-je précipitamment, en attrapant déjà mes chaussures. Et je suis bien trop énervé pour conduire.

Yaël resta là, assis, à m'observer d'un air concerné pendant quelques secondes avant que je lui fasse signe de me suivre. Mon regard devait avoir quelque chose de convaincant et de déterminé puisqu'il se leva instantanément, me rejoignant alors que j'ouvrais la porte de ma chambre.

En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, je me retrouvai dans la voiture avec Yaël, à lui dire de foncer vers le centre-ville d'Oxford avant de devoir lui indiquer le chemin jusqu'au bureau de mon père. Le silence qui régnait dans l'habitacle lorsque je ne le guidais pas était tendu, j'étais sur les nerfs.

— Tu es sûr de ce que tu fais ? s'inquiéta Yaël, les sourcils froncés, en me jetant un coup d'œil alors que nous étions arrêtés à un feu rouge.

— Oui, affirmai-je d'un ton dur et sûr de moi. Je ne peux plus le laisser faire ça, diriger son monde sans penser à ceux qu'il laisse sur le carreau. Je ne peux pas laisser sa petite vengeance contre moi détruire ta famille. Pas toi, pas eux. Je ne peux pas le laisser nous détruire.

Ça ne pouvait plus durer. Je n'en pouvais plus. Les Stevens étaient des personnes respectables, extraordinaires, avec un cœur assez gros pour me prendre sous leurs ailes et m'aider, je ne pouvais pas laisser mon père ruiner ses gens.

— Et qu'est-ce que tu comptes faire une fois à l'intérieur ? enchaîna Yaël en se mordant la lèvre, certainement apeuré par ce que pourrait être l'issu de cette confrontation.

— Mettre à profit ce qu'il m'a appris, répondis-je simplement, en haussant les épaules.

Il n'eut pas le temps de rajouter quoi que ce soit puisque je quittai déjà la voiture, à peine fut-il garé. Je savais qu'il me suivait alors je ne ralentis pas la cadence et entrai dans ce simple bâtiment qui servait depuis peu de bureau de campagne pour mon père. Je n'étais venu ici que deux fois mais je savais très bien où il se terrait. Je remontais alors l'allée de bureau sous les yeux interrogateurs et scrutateurs de tous ces gens qui travaillaient pour lui dans cet open space.

Je ne m'arrêtai pas et arrivai bientôt au fond de la pièce, devant cette porte que j'ouvrai pour débarquer en trombe dans son bureau. Je crois que la grande brune qui lui servait de secrétaire, entre autres, avait tenté de me retenir mais ce fut, visiblement, un échec.

Alerté par le vacarme, mon paternel avait rapidement tourné la tête dans ma direction, le regard instantanément devenu froid. Un seul coup d'œil dans la pièce me suffit pour remarquer que nous n'étions pas seuls.

— Oh parfait ! Rob est là aussi ! m'exclamai-je. Ça nous fera un témoin, et un conseiller une fois que tu te demanderas quoi faire de ta campagne.

— Qu'est-ce que tu fais là ? gronda mon père. Tu vas faire peur à mes employés et mes collaborateurs avec cette tête.

Sa remarque puérile, son mouvement de tête pour désigner mon visage et son petit rictus satisfait me firent serrer un peu plus les poings, accentuant un peu plus la rage que je ressentant en le voyant. Il riait de mes blessures. Il me donnait la nausée. Toutes les merdes qui m'étaient arrivées ces derniers jours, tout était de sa faute. Et je ne pouvais pas le laisser continuer. 

— Ça te plaît de me voir comme ça, pas vrai ? crachai-je, amère, en pointant du doigt mes blessures. Tu dois être ravi de voir que Hugo s'est occupé de mon sort. Ça te démangeait, pas vrai ? Tu mourais d'envie de le faire, je suis sûr, mais au lieu de ça, il y a eu quelqu'un pour le faire à ta place. Hugo et toi, vous avez fait un travail extraordinaire pour me détruire, mais je ne vous laisserai pas briser une autre vie.

— Je suis occupé là, Swann, soupira-t-il comme si je l'ennuyais. J'ai pas le temps pour tes caprices et tes scandales. Je suis en rendez-vous, tu vois bien.

— Et alors ? répliquai-je. Ton fils a aussi besoin d'un rendez-vous pour te voir maintenant ?

La mâchoire serrée, mon paternel se leva de son siège et attacha sa veste d'un bouton avant de prendre une grande inspiration, le poussant certainement à rester calme.

— Tant que tu te comporteras comme ça et que tu n'auras pas retrouvé la raison, oui, articula-t-il simplement. Et surtout si tu ramènes cette vermine dans mon bureau. Dégagez, toi et ton petit jouet !

De toute évidence, il n'avait pas su garder son calme bien longtemps. Evidemment, sa remarque me donna envie de grincer des dents mais, étrangement, elle ne me toucha pas plus que ça. J'avais compris que mon paternel était irrécupérable. Yaël, quant à lui, s'était ratatiné dans un coin, penaud. Lorsque je tournai le visage vers lui, je remarquai aisément qu'il n'était pas à l'aise ici, face à la présence et la bêtise de mon géniteur.

— Je te conseille de ne plus jamais lui manquer de respect de cette façon, lâchai-je sévèrement, alors que je me tournai à nouveau vers mon géniteur. Et surtout, je te conseille de le laisser tranquille, lui et sa famille.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, souffla-t-il simplement, l'air neutre.

— Vraiment ? Tu ne vas pas sérieusement me faire croire que tu n'as pas payer ton ami le doyen pour faire virer le père de Yaël d'Oxford ?

Son visage neutre se transforma lorsqu'un rictus, un sourire mauvais, étira ses lèvres. Discret, mais présent, il faisait briller ses yeux comme si la seule chose qui le réjouissait dans sa vie était de détruire celle des autres. Jusqu'à oublier, ou ne même plus se donner la peine, de cacher son jeu. Il savait très bien de quoi je parlais. Le salaud.

— Tu délires, fiston, nia-t-il cependant, de son grand air satisfait. Et tu ne peux rien prouver, rien faire contre moi. Tu es juste en train de te tourner en ridicule.

— Tu es sûr de ça ? répliquai-je pourtant, sans me démonter. Moi je crois que j'ai enfin quelque chose contre toi. Et comme j'ai bien appris tes leçons, je vais me faire un plaisir d'appliquer tes propres méthodes.

— Où est-ce que tu veux en venir ? lança-t-il, la mâchoire cette fois-ci serrée.

Tout sourire avait disparu, de son visage du moins. Parce que le mien était rayonnant, adoptant ce rictus suffisant qu'il avait tant utilisé devant moi. Mon paternel perdait patience, la confrontation devenait trop longue et ne prenait pas le chemin qu'il aurait souhaité, je ne m'écrasai pas comme j'en avais tant eu l'habitude avec lui, comme il aurait espéré que je le fasse maintenant. Malheureusement pour lui, ce n'était plus dans mes plans.

Et si, lui, perdais patience, moi je prenais tout mon temps pour me rapprocher de lui, contournant son bureau. Oui, il était imposant, charismatique. Oui, il était plus grand que moi et s'était souvent amusé à me dominer de toute sa hauteur. Mais aujourd'hui je ne me laisserais pas faire et c'était moi qui le défiais du regard. C'était moi qui aurais l'avantage à la fin de cette conversation.

— Dis-moi, papa, ta campagne, elle est bien centrée sur la famille, commençai-je. La famille dite "traditionnelle", je précise. Et arrête-moi si je me trompe mais, ton parti conservateur, il essaye désespérément de revenir sur le mariage pour tous, avec le rêve de faire abroger cette loi, pas vrai ? Ce qui, désolé de briser tes espoirs, n'arrivera jamais puisque ton parti aux idées moyenâgeuses est bien minoritaire et que l'opinion publique ne vous laissera jamais aller au bout de ce plan. Enfin, je te laisse à tes désillusions. Ce que je voudrais savoir aujourd'hui c'est à quel point ça ruinerait ta campagne si je faisais, publiquement, mon coming-out ? Devant des médias, par exemple. Pourquoi pas dans une conférence de presse ? Ou mieux, pendant un de tes galas ! Devant tous tes petits toutous ! Tu imagines le scandale ! Ce serait mon chef d'œuvre, mon dernier scandale ! Le fils de Dave Nelson est gay !

Un rire satisfait, et peut-être un peu hystérique, s'échappa de ma bouche sans que je puisse le contrôler. Je n'avais pas pu le retenir, et voir la tête que tirait mon géniteur à cet instant renforça mon hilarité. Dave Nelson se tenait devant moi, figé, rouge, ses épaules, ses poings et tous ses muscles crispés. C'était un régal.

Je détournai un instant les yeux de sa personne pour regarder autour de moi. Rob Martins était toujours là, figé lui aussi, choqué. Sa bouche tellement ouverte qu'il aurait pu gober un insecte lui donnait clairement un air ridicule. Là encore, c'était réjouissant. Et je n'imaginais même pas la tête qu'il avait dû faire lorsque Kaitlyn lui avait avoué qu'elle était bisexuelle. Cela avait dû être encore plus exceptionnel.

Yaël, quant à lui, n'avait pas bougé, mais il s'était redressé et avait croisé ses bras contre son torse. Lui aussi semblait choqué, mais dans le bon sens du terme si on en jugeait par le magnifique sourire rayonnant qu'il arborait. Il m'observait intensément, avec cet air à la fois amusé et fier. Il m'observait de ses yeux envoûtants qui me rappelaient pourquoi je faisais ça, qui me faisaient pousser des ailes et me poussaient à continuer.

Alors je reportai mon attention sur mon géniteur et plantai mes yeux dans les siens.

— Les médias s'en fouteraient, continuai-je. Tout comme l'opinion publique. C'est même toi qu'ils condamneraient pour être un connard d'homophobe capable de virer son fils de chez lui. Mais le pire pour toi, ce serait tes électeurs, ceux qui suivent tes idéaux, ceux qui te soutiennent et ont confiance en toi. Ils seraient abasourdis, dépités. Ils se sentiraient trahis. Et tes collaborateurs, tes investisseurs ? Certains te lâcheraient. Et ta chance, déjà minime, de gagner les élections s'envolerait en fumée. Parce que tu défends une cause devant ces gens-là alors qu'en privé, une fois toutes les caméras coupées et les faux sourires effacés, tu retrouves ton fils qui sort avec un garçon. Parce que Swann Nelson, le fils dont on attendait tant, est en couple avec un autre homme. On va te traiter d'hypocrite.

— Qu'est-ce que tu veux ? cracha mon père en respirant à peine, l'air excédé et retenant une fureur qui débordait pourtant de ses yeux.

— Que tu répares tes conneries auprès du père de Yaël, et qu'il soit sûr de retrouver son poste, répondis-je clairement et simplement, déterminé. Ou sinon une information sur ma vie personnelle pourrait malencontreusement fuiter. Que tu t'en prennes à moi en me retirant le football, c'est déjà dégueulasse, mais c'est pas grave parce que je réussirais sans toi. Par contre que tu t'en prennes à sa famille, je ne te le permettrais pas. Tente quoi que ce soit contre eux et tu le regretteras. Je te le promets. Je sors avec un homme, je suis en couple avec Yaël, et il va vraiment falloir que tu t'y fasses. Parce que je ne reviendrais pas sur cette décision, cette évidence, sur mon couple. Parce que je ne te laisserais pas nous séparer. Et parce que j'ai l'intention de passer ma vie avec lui.

Mon géniteur resta un instant silencieux devant moi. J'aurais presque pu le trouver impassible face à mes paroles si je n'avais pas remarqué la contraction de sa mâchoire. Il la serrait tellement que je n'aurais pas été étonné s'il se cassait une dent. Cependant son air furieux ne me touchait pas, ne m'atteignait pas. Je ne me laisserais plus manipuler par cet homme. Je préférais le laisser pourrir dans sa propre haine et vivre ma vie, enfin, comme je l'entendais.

— Fais ce que tu veux avec lui, mais fais-le loin de moi et de ma campagne, lâcha-t-il finalement, le regard hautain et désabusé, presque écœuré. En échange je peux parler à ton doyen et arranger la situation avec Chris Stevens.

— Je sais me taire, père, tu m'as très bien appris à le faire, rétorquai-je. Oh et, tant qu'on y est, tu pourras en profiter pour négocier une augmentation au profit de Chris. Il en a besoin, lui a une famille dont il doit s'occuper.

Il ne me répondit que par un grognement, choisissant de ne rien rajouter, certainement sa meilleure décision. Il n'avait plus rien à dire aujourd'hui. Son règne régit par l'oppression se terminait. Et désormais c'était à moi de parler.

— Je suis ravi d'avoir pu faire affaire avec toi, conclus-je en levant mes bras de part et d'autre de mon corps dans un geste léger et vainqueur. Tu vois qu'on peut réussir à s'entendre. Tu vois comme les rôles s'inversent ? Pour une fois c'est moi qui avais quelque chose contre toi ! C'est moi qui avais quelque chose pour te manipuler, pour te faire plier comme je le voulais ! Comme c'est bon d'avoir enfin un pouvoir sur toi ! Si seulement j'avais su plus tôt à quel point c'était électrisant ! Je ne savais pas qu'enfin avouer être gay m'apporterait autant de pouvoir !

Je tournai la tête vers Yaël et croisai son regard lorsque je l'entendis pouffer. Je lui rendis son sourire. C'était tout ce qui m'importait, ce sourire, et pouvoir l'aider à alléger ses inquiétudes. L'aider comme il m'avait tant aidé depuis qu'il était revenu dans ma vie. Je voulais qu'on soit heureux.

Le grand Dave Nelson, quant à lui, resta de marbre devant moi, ne sachant plus comment réagir, ruminant certainement intérieurement. Les yeux qu'il posait sur moi me regardaient comme s'il ne me reconnaissait pas. Tant mieux, il avait raison, il ne me connaissait pas, il ne m'avait jamais connu. Il n'avait jamais pris le temps pour ça. Il n'en avait jamais eu l'envie.

— Dégage de mon bureau ! s'écria-t-il soudainement.

— Avec plaisir !

— Je ne sais pas qui tu es, Swann, mais ce qui est sûr c'est que tu n'es plus mon fils, rajouta-t-il sévèrement.

C'était dur à entendre, je n'allais pas le cacher, mais il était hors de question que laisse cet homme me détruire. Alors je me redressai, plantai mes yeux dans les siens et le défiai une dernière fois du regard.

— Tant mieux, soufflai-je. Parce que je ne veux plus jamais entendre parler de toi, ou être affilié à toi. Adieu, Dave.

Un dernier regard noir et je me reculai déjà. Je ne lui laissai pas le temps de répondre, il n'y avait plus rien à dire. Alors je me contentais d'attraper la main de Yaël au passage et de détaler au plus vite de ce bureau. Je n'avais plus rien à faire ici. Nous n'avions plus rien à faire ici. Et je ne voulais pas passer une seconde de plus en sa présence. J'en avais fini avec lui.

Alors je ne m'arrêtai plus jusqu'à être sorti du bâtiment, jusqu'à rejoindre notre voiture, jusqu'à retrouver l'air extérieur et prendre une grande inspiration, jusqu'à sentir la présence de Yaël derrière moi et me laisser aller enfin à me détendre, apaisé par sa chaleur. J'avais réussi à confronter mon père, j'avais réussi à me libérer encore un peu plus de son emprise et, s'il tenait parole, j'avais réussi à aider la famille Stevens.

Notre course m'avait essoufflé mais, pourtant, c'est en me retournant et en croisant le regard de Yaël que j'eus le souffle coupé. Il pétillait, brillait de fierté et de cette autre lueur qu'il ne semblait plus pouvoir contenir. Il souriait aussi. Il était magnifique. Et à cet instant, il semblait extatique.  

— Putain, je t'aime ! laissa-t-il échapper

Il n'avait pas dû contrôler, il n'avait pas dû prévoir ainsi ce moment où il me dirait ces mots et c'est pour ça qu'il se figea instantanément. Comme moi.

Mon cœur avait raté un battement, ou plusieurs. Mes mains s'étaient mises à trembler sans que je ne sache pourquoi. Une vague de chaleur venait inonder mon corps alors que c'était de la panique qui inondait le regard de Yaël. Il ne m'avait jamais dit ces mots. Pas si clairement, pas comme ça. Et même si je savais qu'il les pensait, depuis longtemps, il venait de tout chambouler en moi. Parce que les entendre, c'était concret, c'était sans retour en arrière, et c'était une sensation complètement différente.

Ça me bouleversait, ça me faisait ressentir toutes ces choses pour lui, décuplait tous ces sentiments que j'avais si longtemps tenter d'enfouir. Je crois que j'avais aimé entendre ça. Mais Yaël, lui, ne semblait se concentrer que sur la peur qui était en train de l'envahir, certainement effrayé d'avoir dit quelque chose qui risquait de me faire fuir. Si seulement il savait que c'était tout le contraire.

— Enfin, je...

Je le coupai en m'élançant vers lui d'un geste vif, posant mes mains sur ses joues et plaquant mes lèvres sur les siennes. Je ne voulais pas l'entendre s'excuser, je ne voulais pas l'entendre reprendre ces mots, je voulais juste les savourer comme je savourais ses lèvres. Je n'avais rien d'autre à répondre que ce baiser, je n'arrivais pas encore à lui dire en retour, je n'arrivais pas à prononcer ces mots. Des mots que je n'avais jamais dits, pas comme ça. Et ce même si je les pensais. Tellement, tout le temps. A chaque fois qu'il était auprès de moi, à chaque fois qu'il me regardait, à chaque qu'il m'effleurait, qu'il me touchait, à chaque fois qu'il m'embrassait.

Je ne pouvais pas le dire, mais je pouvais lui montrer. Alors je l'embrassais, plus passionnément encore que je ne l'avais jamais fait, passant mes mains dans sa nuque et jouant avec ses cheveux. Mes lèvres se mouvaient contre les siennes dans une danse incontrôlée, improvisée, et pourtant si rythmée, connectée, comprenant les mouvements et les intentions de l'autre, si magique. Si parfaite.

Il devait le comprendre, il devait comprendre que je lui criais ces mots à travers ce baiser, aussi honnêtement qu'il avait laissé échapper les siens.

Lorsque je me reculai, je me retrouvai avec la vision d'un Yaël essoufflé, tremblant, au regard brouillé par ce qu'il gardait encore contenu avec moi, toujours pour ne pas me faire peur, ne pas me faire fuir. Mais ses yeux ne trahissaient pas. Ces yeux encore plus sombres que d'habitude, si intenses, si envoûtants qu'ils restaient accrochés aux miens. Je n'étais plus capable de m'en détacher, et je ne le voulais pas. Du désir, c'était ce que je lisais dans ses yeux.

— Ramène-moi à la maison, murmurai-je alors.

Il n'y avait qu'avec Yaël que je me sentais bien, que je me sentais moi-même. Il n'y avait qu'avec Yaël que j'imaginais ma vie désormais. Il n'y avait qu'avec Yaël que je me sentais libre. Cela faisait des mois qu'il me montrait comment m'écouter, comment m'accepter. Cela faisait des mois qu'il m'aidait à me libérer un peu plus chaque jour, comme aujourd'hui. Cela faisait des mois que je ressentais ces sentiments si forts, trop forts, pour lui.

Je ne pouvais pas lui dire, mais je pouvais lui montrer. De tout mon corps, de toute mon âme. Il m'aimait, sincèrement, comme jamais personne ne m'avait aimé. Il m'aimait et ça faisait vibrer mon cœur comme il n'avait jamais vibré. Il m'aimait, et moi aussi je l'avais dans la peau, de toute façon. Parfois, les gestes suffisaient aux paroles. Il m'aimait, alors je pouvais le laisser m'aimer.

♠️♠️♠️

Hey !

Vous allez bien ? Moi je suis trop contente de vous retrouver pour ce chapitre que j'avais hâte de vous partager !

Notre Swann s'affirme toujours un peu plus et décide sans hésitation d'aider Yaël et sa famille en confrontant son père, allant même jusqu'à utiliser un peu de chantage pour régler la situation.

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

Notre Swann du début, encore triste mais content de retrouver Yaël ?

Sa détermination à tout de suite vouloir arranger les choses pour la famille Stevens ?

La confrontation entre Swann et son père ? Ce chantage utilisé ?

Le père de Swann ? Vous pensez que ce chantage a été efficace sur lui ? ( n'oublions pas qu'il tient à sa réputation...)

Et enfin notre premier "Je t'aime" clairement déclaré par notre Yaël ?

La réaction de Swann ?

Allez je ne vous embête pas plus longtemps, ça fait déjà pas mal de questions. Mais j'ai vraiment vraiment hâte d'avoir vos réactions sur ce chapitre !

Je ferais mon maximum pour les publications des prochains chapitres. Comme je vous l'ai dit sur mon profil, je pars en vacances dimanche. Donc là je vais commencer à être dans les valises, ensuite il y aura le départ, puis les vacances ou je profiterais de ma famille. Donc je continuerais d'écrire, bien sûr, mais peut-être qu'il me faudra un peu plus de temps pour poster... En espérant que le wifi marche bien aussi...

De toute façon, je vous tiens au courant.
Et en attendant, je vous souhaite une très bonne journée et je vous embrasse fort !

À bientôt, T.

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