44. Start The Explosion
"Le plus grand danger de la bombe est dans l'explosion de bêtise qu'elle provoque."
Octave Mirbeau
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Swann
- Laisse tes ongles tranquilles, ils ne t'ont rien fait.
Le léger murmure de Yaël, qui se tenait tout à côté de moi, me parvint dans un frisson. Je tournai alors la tête vers lui pour voir que, malgré qu'il soit subtilement penché vers moi, son regard était toujours fixé droit devant lui, en direction de Joyce qui continuait de parler, imperturbable. Sans un mot, je laissai alors retomber ma main dont je rongeais les ongles.
Je crois que je ne m'habituerai jamais à cette faculté qu'il avait de deviner mes tracas, de savoir quand je n'allais pas bien, quand je m'inquiétais, sans même avoir besoin de me parler ou de me regarder. Même quand j'essayais de le cacher, de cacher mon mal-être et de faire croire, en tentant de paraître le plus convaincant possible, que tout allait bien. Lui n'y croyait pas. Il ne se laissait pas berner et devinait avec une aisance, que je trouvais encore épatante, que ça n'allait pas. Quand je m'inquiétais ou que je réfléchissais trop. Comme en ce moment.
C'est pourquoi, alors que Joyce nous parlait sur le parvis de notre université, Yaël avait pris le temps de voir que l'angoisse commençait à envahir mon corps. Il sentait mon cœur palpitant et mon corps tendu comme si mes réactions étaient liées aux siennes.
J'avais beau rester de marbre, j'avais beau tenter de rester naturel et de montrer que tout allait parfaitement bien, je ne pourrais jamais rien cacher à Yaël.
Alors, lorsqu'il tourna la tête vers moi et que ses yeux sombres plongèrent dans les miens, cherchant à lire en moi, je savais que c'était inutile de remettre mon masque. J'étais terrifié. Parce que, si nous avions réussi à échapper à Hugo il y a de cela deux jours, je savais qu'il reviendrait aujourd'hui à la charge. Je ne pourrais pas l'éviter. Et il n'était pas du genre à laisser tomber.
Alors j'avais peur. J'avais peur de ce qu'il pourrait me dire. J'avais peur de ce que je pourrais lui dire.
Et, en voyant les yeux de Yaël me scruter, me sonder, en voyant son inquiétude et son regard si doux, je me disais qu'il était hors de questions que je fasse les mêmes erreurs que la dernière fois. Il était hors de question que je le déçoive à nouveau. Il était hors de question que je l'abandonne à nouveau.
Délicatement, je sentis les doigts de Yaël effleurer ma main. Comme pour me faire comprendre qu'il était là, comme pour me rassurer, et tenter de détendre mes muscles crispés. Alors, autant que je le pouvais, je tentai de lui adresser un sourire pour l'apaiser à mon tour. Parce que je savais que cette situation l'effrayait aussi. Il avait peur pour moi, mais il avait aussi et surtout peur que je ne prenne la fuite à nouveau.
Je le comprenais. Je le méritais.
C'était à moi de lui prouver que je pouvais agir différemment, que je ne le lâcherai pas cette fois-ci. Et je devais aussi me prouver que j'en étais capable.
- Je suis vraiment contente de vous voir comme ça, nous interrompit Joyce alors que Yaël et moi ne nous lâchions plus du regard. Vous êtes tellement mignons ensemble, je suis contente que ça marche entre vous. Et je suis sûre que ça va continuer d'aller pour vous, vous êtes faits pour être ensemble !
Je ne pus que sourire face à l'enthousiasme de Joyce. J'aimerais avoir sa confiance et son assurance mais il m'était encore difficile de voir au-delà des obstacles qui se dresseront bientôt. J'avais confiance en nous, en notre relation. Mais je n'avais pas confiance en mes réactions, ni en ma capacité d'ignorer le jugement des autres.
- Si je n'avais pas Austin, je serais jalouse de la façon dont vous vous regardez, rajouta notre amie.
Sans rien contrôler et comme à chaque fois, mes joues prirent une teinte rosée alors que je baissai un instant les yeux, embarrassé.
- Tu n'as vraiment pas de quoi être jalouse, Austin ne jure que par toi, assura Yaël. Il a toujours eu des étoiles dans les yeux en te regardant.
- Et surtout tu n'as vraiment pas à envier notre situation, intervins-je soudainement, sans réfléchir. C'est facile pour toi. T'es une fille qui sort avec un mec, un gars populaire et super apprécié en plus de ça, tout le monde t'aime et personne ne te regarde de travers. Personne ne te juge. Et de toute façon, toi, tu es du genre à t'en foutre du regard des autres. Et puis ta mère, ton beau-père et toute ta famille, ils sont tous extraordinaires, jamais ils ne te laisseront tomber. T'as rien à craindre de personne, juste à vivre ta vie, sans obstacles ni problèmes. Alors tu n'as vraiment pas à être jalouse.
Aucun venin n'était présent dans mes paroles, juste un besoin de tout lâcher. Je n'avais rien contrôlé, et simplement livré ce que j'avais sur le cœur, ce qui me pesait depuis deux jours, ce qui me pesait depuis des années en réalité.
Discrètement, je sentis Yaël presser ma main dans la sienne, certainement pour me calmer et me montrer son soutien. Il n'avait pas l'air de m'en vouloir pour mes paroles, comme toujours il devait avoir compris que j'en avais besoin. Quant à moi, je me sentais essoufflé, vidé.
Joyce, elle, m'adressa un sourire tendre avant de s'approcher de moi, attrapant ma deuxième main.
- Toi aussi tu es apprécié et aimé, Swann, souffla-t-elle. Et puis tous les autres, ces inconnus qui n'ont aucune incidence sur ta vie, tu dois apprendre à ne pas leur donner d'importance, qu'ils te regardent de travers ou non. On s'en fout d'eux. Quant aux personnes qui t'aiment vraiment, il y en a plein autour de toi, Swann, elles t'accepteront comme tu es sans jamais te juger sur la personne avec qui tu sors. Enfin, pour ce qui est des problèmes que tu mentionnes, j'en aurais moi aussi. C'est le lot de tout le monde, parce que c'est comme ça que la vie fonctionne. Que tu sois gay, hétéro, bisexuel, asexuel, ça ne changera absolument rien. Tout le monde devra faire face à des obstacles un jour ou l'autre.
Je ne répondis rien, je n'avais rien à répondre, gardant plutôt mon regard ancré dans les orbes noisettes de mon amie. Peut-être avais-je besoin d'entendre ça, encore une fois, juste avant de devoir affronter la réalité. En tout cas Joyce m'avait calmé, pour un temps.
- Tout va bien, Swann, chuchota Yaël. On est là, et on te lâche pas.
- Et puis là, maintenant, notre principal souci serait d'aller en cours, lança soudainement Joyce dans une grimace, après avoir consulté sa montre.
Je ne fis que hocher la tête d'un air absent alors que l'angoisse commençait à remonter le long de mon corps, faisant trembler mes mains. Evidemment, Yaël le remarqua et se rapprocha encore un peu plus de moi après avoir vérifié que personne ne faisait attention à nous. Ses doigts vinrent caresser ma joue juste une seconde, comme le toucher d'une plume, avant qu'il ne presse une dernière fois ma main, souhaitant certainement me transmettre un peu de courage, un peu de sa force afin de me mesurer à cette journée.
- Tu m'appelles s'il y a quoi que ce soit, souffla-t-il.
J'acquiesçai simplement, mes yeux perdus dans les siens.
- Vraiment, Swann, insista-t-il. Tu m'appelles ou tu m'envoies un message si tu as besoin de quoi que ce soit, si tu veux rentrer, ou si Hugo te dit quoi que ce soit. Je suis sûr que tout ira bien, mais au cas où, tu n'hésites pas. D'accord ?
- Oui, promis, assurai-je en tentant une esquisse de sourire.
Un sourire qui ne réussit certainement pas à convaincre Yaël mais qu'il me rendit quand même avant de s'éloigner. Je fixai sa silhouette jusqu'à ce qu'il disparaisse au détour d'un couloir, jusqu'à ce que je me retrouve seul avec mes angoisses et mes démons.
Je restai un instant là, immobile, comme un con. Une minute s'écoula avant que je ne me décide à prendre une grande inspiration, me donnant le courage nécessaire pour enfin faire bouger mes membres et guider mes jambes jusqu'à ma salle de classe.
Mon premier cours de la journée était un cours de politique, pour mon plus grand bonheur. Déjà que je devais subir cette journée, je devais en plus rester assis pendant deux heures et demi dans un amphithéâtre à écouter un professeur glacial évoquer des notions soporifiques qui ne m'intéressaient pas et dont je me foutais même royalement. Jamais la politique ne me stimulera, jamais ce cursus ne me donnera envie de me lever le matin pour aller l'étudier. Je détestais ça. Et je détestais ne pas avoir eu le choix.
Ce fut seulement après que le professeur ait commencé son cours que je sentis une présence s'installer à mes côtés. Et même si je ne voulais rien laisser paraître, même si je m'obstinai à fixer ce vieil enseignant bedonnant, je ne pus empêcher mon corps de se crisper. Mon rythme cardiaque s'était instantanément accéléré et une incroyable tension venait d'envahir la pièce, m'englobant dans une bulle étouffante.
Inutile d'être devin pour comprendre qui venait de s'asseoir sur le siège voisin au mien.
Hugo était là, et je sentais son regard brûler mon visage. Il m'observait. Immobile, ses affaires de cours à peine sortis, comme s'il attendait que je lui fasse un signe ou que j'engage la conversation. Je ne le ferais pas. Je n'avais rien à lui dire. Juste à attendre de savoir quel sort il me réservait.
Je craignais cette confrontation mais je faisais tout pour garder une respiration normale et régulière. Je ne voulais pas paniquer plus que nécessaire, je ne voulais pas tomber dans la paranoïa, je ne voulais pas réagir comme la dernière fois. Je ne réagirai pas comme la dernière fois. Mais ça ne voulait pas dire que je souhaitais être démasqué. C'était beaucoup trop tôt et c'était loin de se dérouler sous mon contrôle. Surtout lorsque la personne en face de moi était quelqu'un comme Hugo Maxwell.
Je devais juste rester impassible le temps que ça se passe, le temps que Hugo se lasse. Je devais répéter les mots que je m'étais entraîné à dire, des mots qui ne trahiraient pas Yaël puisque nous nous étions mis d'accord sur cette version, conscients de la menace que pourrait représenter Hugo.
- Tu as passé un bon week-end ? me demanda-t-il soudainement, me faisant presque sursauter alors que je m'attendais à ce qu'il prenne éventuellement la parole.
Plus douce entrée en matière que je ne l'aurais imaginé. Mais ça ne changeait rien, je savais très bien où cette conversation finirait par nous mener.
- La routine, tu sais, répondis-je en haussant les épaules, tentant de garder un ton détaché. Je suis majoritairement resté dans ma chambre.
- C'est bizarre parce qu'on s'est vus à la gare samedi, enchaîna-t-il. Tu as perdu la mémoire en deux jours ? Et à moins que tu aies un clone, c'était bien toi que j'ai croisé avec Stevens, essayant de me baratiner. Tu n'étais pas vraiment enfermé dans ta chambre à ce moment là, si je ne m'abuse. Et tu ne m'as toujours pas dit ce que tu foutais avec l'autre boulet.
- Si je te l'ai dit, soupirai-je en tentant de ne pas serrer les poings face à la manière dont Hugo parlait de Yaël. Je t'ai dit qu'on s'était croisés par hasard. Lui revenait de Londres et moi je...
- C'est pour ça que vous êtes reparti ensemble ? insista-t-il. C'est pour ça qu'il est monté dans ta voiture, tout sourire, avant que...
- Tu m'espionnes maintenant ? le coupai-je à mon tour, tournant la tête pour cette fois-ci ancrer mon regard tempétueux dans le sien. Et d'ailleurs, qu'est-ce que, toi, tu foutais à la gare ?
- Si tu me disais la vérité, je n'aurais pas à t'espionner, répliqua-t-il simplement. Mais ça fait des semaines que tu me caches des choses. En fait, ça fait des semaines que tu ne me parles même plus.
La vérité.Si je te disais la vérité, Hugo, alors c'est ton poing au milieu de mon visage que je récolterais.
- Et pour être totalement transparent avec toi, j'étais à la gare pour déposer mon frère, reprit Hugo. Il devait aller à Londres pour ensuite rejoindre l'aéroport. Tu sais ce frère qui nous a rendu visite pendant une semaine avant de repartir au Canada. Cette visite dont tu aurais été au courant si tu n'avais pas passé un mois à m'ignorer. Tu vois, c'est facile d'être honnête avec son ami. Donc, je recommence, qu'est-ce que tu foutais avec Stevens ? C'est une question facile pourtant.
Je poussai un soupir en continuant de fixer obstinément notre professeur tout en bas de l'amphithéâtre, complètement indifférent et ignorant face à la conversation qu'entretenaient deux de ses élèves au fond de la salle.
Quelques secondes passèrent, juste le temps de trouver un autre mensonge. Hugo, impatient et déterminé, continuait de me fixer en attendant que je reprenne la parole.
- Très bien, je suis venu le chercher, improvisai-je. On s'est pas croisés par hasard, c'était prévu. Yaël devait aller à Londres et il avait besoin de quelqu'un pour le ramener chez lui à son retour. Il m'a demandé de l'aider. C'était plus facile et plus rapide que d'attendre un autre bus qui le conduirait jusqu'à chez lui.
Silence. Hugo ne rajouta rien, et ça dura bien une bonne minute. C'était terrifiant. Parce que je le sentais m'analyser, m'inspecter dans les moindres détails, à la recherche, je le savais, d'une infime trace de mensonge.
- J'ai deux questions, lâcha-t-il finalement alors que je me retenais de toute mes forces de ne pas lever les yeux au ciel. Pourquoi tu ne m'as pas dit ça directement, pourquoi tu as cru bon de mentir là-dessus ? Et putain, pourquoi tu te sens obligé de passer tout ton temps avec cette sangsue de Stevens ?
- C'est mon ami, alors je l'aide s'il en a besoin ! craquai-je en me tournant à nouveau vers Hugo, claquant la paume de ma main contre la table. Je passe du temps avec lui parce que c'est mon ami. Tu le sais très bien, ça ne date pas d'hier ! Et si je ne te l'ai pas dit c'est parce que je sais pertinemment que tu le détestes !
- Je suis censé être ton ami aussi et pourtant tu n'as jamais été du genre à rappliquer dès que je te le demandais, rétorqua-t-il. Au contraire, il fallait te harceler pendant des heures pour arriver à te faire sortir de chez toi. Et maintenant te voilà, à te plier aux moindres exigences de ce minable. Qu'est-ce qu'il t'a fait ? Je ne comprends pas pourquoi tu perds ton temps à traîner avec quelqu'un comme Stevens.
- Yaël ! Il s'appelle Yaël ! éclatai-je subitement en haussant la voix. Moi, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi tu t'acharnes sur lui. Est-ce que je peux être ami avec quelqu'un d'autre que toi, ou est-ce que tu as l'intention de continuer ta petite crise de jalousie mal placée encore longtemps ?
Sans prévenir, Hugo éclata d'un rire grinçant, lourd et bruyant, attirant cette fois-ci l'attention de notre professeur qui nous incita sévèrement au calme. Mon camarade se tut et regagna une contenance, mais il ne se départit pas de son sourire narquois, m'observant tandis que je m'accrochai à mes affaires, prêt à déguerpir dès que la situation deviendrait trop intenable. J'avais déjà du mal à respirer, et je ne supportais plus son sourire satisfait, alors j'avais cette irrépressible envie de quitter la salle sans me retourner.
- Ecoute-moi bien, jamais je ne serais jaloux d'un type comme Stevens, reprit-il d'un ton redevenu sérieux, le visage fermé et les dents serrées. Mais je peux t'assurer que, toi, tu fais une énorme erreur à le fréquenter. Je ne suis pas sûr que tu sois prêt à en assumer toutes les conséquences.
Je détestais qu'il me dise ce genre de chose. Parce que je détestais comprendre ce qu'il insinuait. Je détestais me rappeler de tout ce que je pouvais perdre, ainsi que de la vive opinion de Hugo à propos de ce que je cachais encore. Et je détestais avoir peur de mes réactions face à ce petit discours qui avait toujours été fait pour me terroriser.
- Je suis pas sûr de comprendre ce que tu essayes de me dire, soufflai-je pourtant, essayant de paraître à nouveau détaché. Ça n'a aucun sens. On n'est plus au collège là, Hugo, il serait tant que tu arrêtes tes discours débiles et que tu te comportes en adulte.
Stressé et à bout, je fermai mon ordinateur et commençai à ranger mes affaires. Une minute passa sans que Hugo ne reprenne la parole. Surpris, je risquai un regard dans sa direction, ce que je regrettai aussitôt, parce que son regard et sa détermination me faisaient peur. Son air railleur et son sourire suffisant fixaient mes mains tremblantes. Conscient qu'elles me trahissaient, je les cachai rapidement sans me rendre compte que ce geste me trahissait encore plus. Je ne le compris que lorsque son regard satisfait trouva le mien.
- Je crois au contraire que tu as parfaitement compris, dit-il calmement. Tu me caches des choses, Swann. Mais tu n'es pas si doué que ça pour mentir. Alors je mettrais ma main à couper que ton petit secret, quel qu'il soit, va éclater bien plus rapidement que tu ne le crois. Parce que tu as peur, Swann. Et quand on a peur, on fait des erreurs.
Le cœur au bord des lèvres, je ne parvenais plus à lui répondre, ni même à lui adresser un regard. J'étouffais, de colère et de frayeur. Alors, moi et mes mains tremblantes, quittèrent la pièce dans un élan tempétueux et sans un regard en arrière, ignorant les appels du professeur et les coups d'œil des étudiants. C'était peut-être lâche de fuir à nouveau de cette façon, mais je ne supportais plus la présence de Hugo. Il me faisait suffoquer, comme si l'aura de sa menace avait sa main posée autour de ma gorge, se resserrant toujours un peu plus à chaque seconde.
C'est pour cette raison que j'évitais celui qui avait été mon meilleur ami pendant tout le reste de la journée, me rendant seulement aux cours auxquels il ne participait pas. Le reste du temps, j'avais préféré sécher et me réfugier à la bibliothèque.
Je n'avais pas contacté Yaël malgré cette proposition qu'il m'avait faite le matin même. Tout simplement parce que je ne voulais pas le déranger, je ne voulais pas l'inquiéter et l'empêcher de suivre des cours qui l'intéressaient à cause de mon incapacité à me détendre et à accepter la situation.
Néanmoins, j'étais impatient de le retrouver maintenant que la journée se terminait. Je n'avais aucune intention de le fuir. Au contraire, j'avais besoin de ses bras autour de moi et de ses mots rassurants. Parce que lui seul savait m'apaiser et calmer mes inquiétudes.
La nervosité qui envahissait mon corps était pour le moment perceptible à des kilomètres. Je le savais, alors que je passais une main dans ma nuque frissonnante, que ce corps crispé me trahissait. Au point même de percuter une personne sur mon passage alors que je traversai cette petite allée qui menait au parking sur lequel je retrouverai Yaël.
- Swann ! Pardon, je t'avais pas vu. Ça va ?
Je daignais enfin me retourner et relever la tâte à l'entente de cette voix familière. Kaitlyn se tenait là, devant moi, et m'observait de ses yeux noisettes avec un sourire avenant aux lèvres.
- Non c'est moi qui suis désolé, retournai-je. J'étais dans mes pensées et je regardais pas où j'allais. Mais je suis content de te croiser, et je... oui ça va plutôt bien.
- Swann, soupira-t-elle, qu'est-ce qui se passe ? Tu es tout tendu, je vois bien que ça ne va pas. Tu sais que tu peux me parler. Ça va avec Yaël ?
Après toutes ces semaines écoulées, Kaitlyn avait bien compris que je m'étais enfin décidé à me rapprocher de Yaël. Et je savais qu'elle faisait partie des personnes en qui je pouvais avoir confiance, et qui serait toujours prêtes à m'écouter.
- Je... j'ai passé un mois incroyable avec Yaël, me confiai-je finalement. On était dans notre petite bulle et c'était juste tellement agréable de passer tous ces moments auprès de lui, de le voir sourire, d'être aussi insouciants. J'aurais voulu que ça dure encore longtemps, qu'on reste encore un peu enfermé ensemble loin de tout, des doutes et des problèmes. Je voudrais juste que ce soit rien que lui et moi, et personne d'autre pour éclater notre bulle.
- Mais ?
- Mais la réalité m'a rattrapé, marmonnai-je. On n'est plus tout seul dans cette bulle et les personnes qui essayent de s'y immiscer n'ont pas les meilleures intentions. Et j'ai peur, putain ! Parce que Hugo a de gros soupçons et que c'est un connard intolérant. Je ne sais pas ce qu'il serait capable de faire en l'apprenant.
Désespéré, je passais rageusement une main dans mes cheveux. Je n'en pouvais plus de cette pression, de ne pas pouvoir respirer, et aussi de ne pas savoir ce qui m'attendait. Soucieuse, Kaitlyn me regardait tourner en rond comme un lion en cage.
- Tu ne peux pas rester dans ta bulle éternellement, Swann, dit-elle finalement. Il y aura toujours des gens qui essayeront de la faire éclater. Parce que c'est la vie. Mais ce que tu peux faire, c'est prendre les devants et montrer que ça ne t'atteint pas. Tu es qui tu es, et c'est très bien comme ça. Tu n'as qu'à l'éclater toi-même, cette bulle, et monter aux autres qui est le vrai Swann. Tu n'as qu'à leur montrer ce qu'ils veulent voir tout en leur faisant comprendre que ça ne change rien, que tu t'en fous de ce qu'ils pensent, que tu assumes très bien qui tu es.
- C'est plus facile à dire qu'à faire, Kaitlyn, soufflai-je. Je peux pas, c'est beaucoup trop tôt ! Je ne m'étais pas préparé à affronter ça maintenant !
- Il faut bien que ça arrive un jour ou l'autre, me fit-elle remarquer. Voit ça comme un pansement, tu l'arraches d'un seul coup et on n'en parle plus. Je vois bien que ça te pèse, Swann, que ça t'étouffe. Tu ne peux pas continuer comme ça. Parfois je me demande si le problème ne vient pas de ce que pensent les autres mais de ce que, toi, tu penses de toi. Je crois que tu as encore du mal à t'accepter, Swann, et ça te ronge. Tu devrais tout libérer. Un jour il faudra que tu te rendes à l'évidence, il faudra que tu l'assumes. Tu es gay, Swann, ou en tout cas tu fréquentes un garçon, et ça il va falloir que tu l'acceptes pleinement un jour ou l'autre.
- Alors déjà, je ne suis pas...
- Tu es gay.
Ce n'était pas Kaitlyn qui venait de parler. Et en reconnaissant cette voix, tout mon corps se figea, mon sang se glaça dans mes veines et l'air dans mes poumons se déroba. L'expression de mon amie, avec ses yeux écarquillés et son regard désolé, ne fit que confirmer mes craintes.
Alors, tentant de garder la face malgré mes mains tremblantes et mes jambes chancelantes, je me résolus à me retourner, tombant nez à nez avec le regard sombre de Hugo. Un regard froid, aussi froid que cette phrase jetée comme une affirmation et non une interrogation. J'étais dans la merde.
Son visage était neutre. Etonnamment, je n'y voyais aucune colère ou aucun dégoût, pour l'instant. En fait, je ne pouvais absolument rien lire dans ses yeux, tout était verrouillé, cachant ce qu'il pensait vraiment à cet instant. Et c'était terrifiant, parce que je comprenais seulement que je ne saurais pas à quoi m'attendre. Pas avant que le coup soit porté à la dernière minute.
Tentant de reprendre une contenance, je mimais un rire moqueur avant de m'approcher de lui. Mon instinct me dictait d'essayer de m'en sortir par tous les moyens, même les plus pathétiques.
- Quoi ? lançai-je alors. Mais qu'est-ce que tu racontes ? Franchement tu crois vraiment que...
- Arrête, je vous ai entendu parler, me coupa-t-il. Et puis je ne suis pas si con que ça, Swann.
- Faut pas l'écouter, paniquai-je en faisant un geste de la main vers Kaitlyn. Elle ne sait pas ce qu'elle dit, et puis elle était en train de me charrier.
L'air toujours aussi neutre de Hugo ne semblait pas convaincu. En même temps, je n'arrivais pas à me convaincre moi-même.
- Je t'avais bien dit que tu ferais une erreur, Swann.
Et juste, comme ça, Hugo tourna les talons, les mains dans les poches et l'air beaucoup trop calme pour que ce ne soit pas suspect.
- Non, Hugo ! Attends ! Putain !
Mais c'était trop tard, mon hurlement résonnait pour rien. Hugo était déjà loin et il n'avait probablement aucune intention de se retourner. Mes deux mains vinrent s'agripper à mes cheveux alors que, de rage, je donnais un coup de pied dans une pierre se trouvant là, devant moi, et qui alla s'écraser un peu plus loin.
- Swann, je suis désolée, souffla timidement Kaitlyn. Il est arrivé de nulle part, je savais pas qu'il était là.
Je l'ignorai, me mettant à faire les cent pas devant ses yeux peinés.
- Je suis mort, paniquai-je. D'ici demain, toute la fac sera au courant. Tu peux compter sur Hugo pour répandre la nouvelle comme une traînée de poudre. Je serais même pas surpris si ce connard allait parler à mon père pour lui raconter avec un plaisir sadique ce qu'il a entendu. C'était pas comme ça que c'était censé se passer ! S'il y avait une personne qui ne devait pas l'apprendre comme ça, une personne à qui on ne devait pas donner cette information, c'était bien Hugo. On ne peut pas lui faire confiance avec ça. Il va l'utiliser, il va m'écraser.
- Swann, calme-toi, tenta Kaitlyn en se rapprochant. Ça va aller, on va...
- Me touche pas ! l'interrompis-je d'un cri en me reculant alors qu'elle essayait de me prendre dans ses bras.
Je savais que c'était injuste, mais j'étais terriblement en colère contre elle. Elle n'avait pas le droit de parler de ça ici, pas de cette façon, elle n'avait pas le droit de prendre le risque de révéler mon secret. Elle n'avait pas le droit de me faire ça.
Je poussai un soupir désespéré et entendis des pas se rapprocher dans cette allée, me ramenant sur terre. Craignant une deuxième vague de révélation, je relevai vivement la tête prêt à affronter la personne qui viendrait à nouveau m'emmerder. Cependant mes épaules se relâchèrent et je me détendis directement en voyant la personne qui se présentait devant moi. Yaël.
Il m'observa un instant, m'analysant. A ses sourcils froncés, je sus qu'il avait directement compris que quelque chose n'allait pas.
- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il, soucieux. Je t'attendais devant ta voiture et...
- Hugo est au courant, craquai-je. Pour de bon cette fois. Il nous a entendu parler et...et je sais pas quoi faire. Parce que je sais qu'il a toujours quelque chose derrière la tête et que je sais pas ce qu'il compte faire de cette information et je... J'arrive pas à respirer.
Sans attendre, Yaël rompit la distance entre nous pour m'envelopper de ses bras. Je ne résistais pas, au contraire, je me fondis un peu plus dans cette étreinte et laissai son odeur, sa respiration et son cœur qui battait contre mon oreille, m'apaiser. Jusqu'à ce que je le sente se tendre, me poussant à reculer de quelques centimètres.
- Et est-ce que... est-ce que tu veux que je m'en aille ou que je...
- Reste ! J'ai besoin de toi.
Je ne perdis pas une seconde pour me réfugier à nouveau dans ses bras. Des bras qui se firent plus léger et rassurants, des bras qui me berçait légèrement sous le regard de Kaitlyn qui, je le savais, était toujours figée là. Mais c'était bien le cadet de mes soucis désormais.
Je l'avais senti, l'hésitation dans la voix de Yaël. Je l'avais compris, cette crainte. Il avait peur que je le fuie à nouveau, que je l'abandonne une nouvelle fois sous la terreur qui m'envahissait, suivant encore et toujours le même schéma. Je le comprenais. Elle était légitime sa réaction, mais elle me brisait le cœur parce que c'était bien la dernière chose que je voulais faire. Alors je m'agrippai à sa veste, m'accrochant à lui comme je le pouvais, le rapprochant de moi au maximum, par peur qu'il me lâche, parce que j'avais trop besoin de lui et de sa chaleur.
- Ça va aller, d'accord ? murmura-t-il doucement à mon oreille. Tu n'as pas à avoir peur de Hugo, ce n'est qu'un idiot ignorant et intolérant. Ne lui accorde aucune importance, ne te fais pas du mal pour quelqu'un comme lui. Pense plutôt à tous ceux qui sont là pour te soutenir. Je suis là, et je ne pars pas. Joyce sera là pour toi, Austin aussi, j'en suis certain. Et Kaitlyn te soutiendra aussi, parce que c'est ton amie. Même mes parents seront là pour toi si tu as besoin, j'en suis persuadé. Alors ne pense pas que tu es tout seul, Swann, parce que c'est faux. Tu es bien entouré. On sera tous là pour toi si besoin. C'est ensemble qu'on affrontera ça. Ensemble, d'accord ?
Subtilement, je hochai simplement la tête, n'ayant plus la force de parler.
- Allez viens, laisse-moi te ramener, souffla-t-il.
Comme une poupée de chiffon, je laissai Yaël m'entraîner jusqu'à ma voiture. Je ne réagissais plus et gardais le silence, trop perdu dans ces interrogations et doutes qui me paralysaient une nouvelle fois. Je ne ressentais plus que cette angoisse qui enserrait ma gorge, comme une menace.
Et une seule question empoisonnait mon esprit à cet instant. Est-ce que je m'entêtais encore à nier, ou est-ce que j'assumais enfin ?
♠️♠️♠️
Hey !
J'ai super bien avancé ces deux derniers jours dans l'écriture de la suite donc c'est pour ça que je peux me permettre de vous faire cette nouvelle publication aussi rapidement. Et j'en suis trop contente !
Bon, alors la bombe est lancée... La nouvelle est arrivée jusqu'aux oreilles de Hugo et maintenant il va bien falloir gérer ça. Bon, ok, on a encore du mensonge ( mais c'était un discours préparé avec l'accord de Yaël ) et un espèce de déni à la fin MAIS on n'a pas de fuite. C'est déjà ça, Swann reste bien auprès de Yaël. Vous voyez qu'il fait des progrès !
La révélation / confrontation avec Hugo va se faire en deux temps, le deuxième étant le prochain chapitre qui sera encore un point de vue Swann. C'est pour ça que j'ai demandé à certains d'entre-vous de lui donner deux chapitres pour bien voir sa réaction dans sa globalité.
En attendant, j'ai quand même hâte d'avoir vos réactions sur ce chapitre là. Qu'en avez-vous pensé ?
Le comportement de Swann dans son ensemble ? Du début à la fin de ce chapitre ?
Quelque chose à dire sur Hugo ?
Quelque chose à dire sur Kaitlyn et sa gaffe ?
Yaël ? Et le fait que Swann ne l'ai pas fui ?
Alors, selon vous, nier ou assumer ?
Telle est la question... Impatiente de voir ce que vous en pensez jusqu'à la réponse au prochain chapitre ;)
Comme toujours, je vais faire au plus vite pour vous poster la nouvelle publication. Le prochain chapitre en est un que j'ai vraiment hâte de vous faire partager... En attendant, je vous souhaite une très bonne fin de journée et je vous embrasse !
A bientôt, T.
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