43. A Day To Breathe
"S'accrocher jour après jour, semaine après semaine, pour prolonger un présent qui n'avait pas de futur, était un instinct qu'on ne pouvait vaincre, comme on ne peut empêcher les poumons d'aspirer l'air tant qu'il y a de l'air à respirer."
Georges Orwell
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Yaël
Un peu plus d'un mois s'était écoulé depuis cette sortie au bowling avec ma sœur et Swann. J'avais apprécié cette journée qui avait été un moment réellement agréable. Juste une journée comme une autre, une journée comme celles que je me laissais aller à rêver, où rien n'importerait, aucun problème ne m'importunerait, où Swann serait à mes côtés, heureux, sans se poser un millier de questions.
Oui, cette journée m'avait rendu heureux.
Comme toutes celles qui avaient suivi. Parce que Swann ne s'était pas arrêté là, au contraire. Depuis cette sortie il y a plus d'un mois, différents rendez-vous s'étaient multipliés, tout comme les efforts de Swann. Il était à chaque fois un peu plus assuré, un peu plus confiant, un peu plus proche de moi. Nous apprenions toujours plus à nous connaître, à notre rythme, nous nous apprivoisions doucement et pas une seule fois Swann ne m'avait fait faux bond. Alors pas une seule fois je n'ai regretté de lui avoir laissé une chance pour me prouver qu'il était prêt à être avec moi.
Certes, ses parents n'étaient pas encore au courant, et je savais que ce sujet pesait encore sur le cœur de Swann, mais nous en parlions parfois. Et même si je voyais au fond de ses yeux qu'il était terrifié, je le croyais quand il me disait qu'il finirait par y arriver.
Et en attendant il s'était contenté de prendre soin de moi, tenant la promesse qu'il m'avait faite de ne pas me lâcher. Entre les sorties dans des cafés, des restaurants, au cinéma, à la patinoire aussi – ce qui avait été un nouvel échec cuisant de mon côté – Swann s'était rendu disponible pour moi. Jusqu'à même s'inviter chez moi pour des soirées où nous regardions des films tous les deux dans ma chambre, ou avec ma famille dans le salon. Mes parents avaient pris l'habitude de le voir débarquer tous les week-end et Selia en était ravie, tout comme ma mère d'ailleurs.
Swann était même venu réviser ses examens chez moi, acceptant que je l'aide avec quelques notions pour lesquelles il avait des difficultés. Nous n'avions pas reparlé de ces cours qui ne lui convenaient pas ou de ce que, lui, voulait réellement faire, mais je sentais que ce sujet là aussi le pesait. Alors jusqu'à ce qu'il m'en parle, je ne pouvais que le soutenir et l'aider. Ce que j'ai fait avant notre pause de Noël.
Ce fut d'ailleurs la seule période où nous ne nous étions pas vus puisque ma famille et moi l'avons fêté chez ma grand-mère. A part ces quelques jours, on ne s'est pas quittés, passant aussi le nouvel an ensemble, avec nos amis. C'était comme si nous étions redevenus inséparables, comme avant. Mais avec un lien encore plus fort.
Et aujourd'hui n'était pas une exception puisque c'était aux côtés de Swann que je marchais à nouveau. Il m'avait fait la surprise de cette sortie, me promettant de m'emmener ailleurs, le temps d'une journée, loin d'Oxford et de la pression que nous ressentions dans cette ville. La promesse de quelques heures pour changer d'air.
C'est ainsi que je me retrouvai à Londres, devant la sortie d'une bouche de métro, avec un Swann souriant et impatient de me faire visiter le fameux quartier de Camden Town.
Nous avions pris le train tôt ce matin en direction de la capitale, c'était bien plus pratique que de nous y rendre en voiture, et même si me lever tôt n'était pas dans mes projets de week-end, mon sourire n'avait pas quitté mes lèvres depuis que Swann était venu me chercher. J'avais eu l'air d'un gamin devant ses cadeaux de Noël lorsqu'il m'avait annoncé que nous allions à Londres. Nous n'étions qu'à quelques heures d'Oxford mais je me sentais étrangement complètement dépaysé.
- Et voilà, on y est ! lança Swann en levant les bras d'un geste démonstratif après que nous ayons fait quelques pas dans le quartier.
Je levai les yeux et observai les bâtiments, les commerces, les gens qui se trouvaient devant moi. Deux bâtisses se trouvaient l'une à côté de l'autre. La première était sombre mais des détails extravagants faisant qu'on ne la loupait pas, l'autre était entièrement colorée et bariolée. Elles étaient différentes, complètement opposées, et pourtant elles étaient toutes les deux uniques. Tout comme ce qui se trouvait autour de moi.
J'avais l'impression que tous mes sens étaient en éveil alors que le bruit de la foule me parvenait aux oreilles, l'odeur des différents stands de nourriture représentants la gastronomie du monde entier me parvenait aux narines, tandis que mes yeux étaient occupés à assimiler chaque détail, chaque couleur. Il y avait tellement de choses à voir, à regarder. C'était magique.
- Je sais que tu n'es jamais venu ici alors je voulais vraiment te faire découvrir ce quartier, parce que je sais pertinemment que tu vas l'adorer, reprit Swann. Entre les couleurs, les différentes cultures, le street art qui grouille de partout, et les vieux bouquins de collections qu'on peut trouver sur les marchés, je me suis dit que cet endroit te correspondait parfaitement. Enfin je trouvais que tu avais ta place ici.
Mon sourire s'élargit encore plus, si c'était possible. Swann avait raison sur deux points. Tout d'abord, malgré notre proximité avec la capitale, en presque vingt ans d'existence, je n'avais pratiquement pas mis les pieds à Londres, et je n'étais jamais venu à Camden. Et ensuite, c'était définitivement un endroit que j'adorais déjà.
Si quelqu'un me présentait un miroir devant moi à cet instant j'étais certain de ce que je pourrais lire dans mes yeux : de l'émerveillement. Il y avait du monde mais ça ne m'empêchait pas de me concentrer sur chaque petit détail, savourant la découverte de ce quartier atypique, authentique, excentrique, coloré et rempli de diversité. C'était étonnant, mais extraordinaire à voir.
Il y avait de tout, et il y avait aussi plein de gens différents, semblant venir de tous horizons. Il y avait les monsieur et madame tout le monde, il y avait les touristes, il y avait les commerçants et les habitués, il y avait les punks, les gothiques, les rockeurs, les bohèmes, et pleins d'autres encore. C'était fascinant. Et ça me donnait envie de dessiner, là, maintenant.
Je sortis finalement de ma contemplation et reportai mon regard sur Swann, qui observait avec attention mon visage et mes réactions. Il se mordait la lèvre, l'air timide, mais ses yeux pétillaient d'excitation. Il était adorable.
- Merci, soufflai-je simplement en souriant comme un enfant. Merci de m'avoir emmené ici et de me faire découvrir cet endroit. C'est super inspirant.
Swann répondit à mon sourire alors qu'un air attendri prenait place sur son visage. Doucement, il tendit sa main dans ma direction et je la saisi sans hésiter.
- Je me suis dit qu'on pourrait commencer par se promener au travers des rues du quartier pour espérer trouver des œuvres de street art, proposa-t-il. Comme ça tu pourras découvrir cet aspect du quartier. Ensuite on pourra aller sur le marché et se trouver quelque chose à manger parmi les différents stands de nourriture.
- C'est parfait, acquiesçai-je. Je te suis, c'est toi le guide.
Swann tira alors très légèrement sur ma main et m'entraîna à sa suite alors que nous nous enfoncions un peu plus dans les ruelles de Camden Town. Cet endroit était tellement unique, j'étais impatient de voir quelles merveilles et pépites il pourrait encore nous réserver.
- Je suis déjà venu ici mais j'étais jeune, alors pour être sûr j'ai fait des recherches pour savoir quelles étaient les rues où il y aurait une plus grande probabilité de tomber sur des œuvres, me dit-il. Je sais que c'est très changeant, et que les artistes repeignent souvent sur d'autres dessins, alors j'espère qu'on arrivera quand même à trouver quelques pièces.
Je ne répondis rien et me laissai guider en toute confiance par Swann, le sourire aux lèvres. Toutes les attentions qu'il m'octroyait ces derniers temps, ça me touchait. Cette journée organisée loin d'Oxford, au cœur de Camden, ces recherches qu'il avait faites pour m'assurer une bonne visite dans le quartier, prenant en compte mes centres d'intérêts, ça me touchait. Ce dernier mois passé à ses côtés avait été parfait, et je voulais juste que ça dure encore le plus longtemps possible.
Nous passâmes une bonne heure à arpenter les rues de Camden, et je m'émerveillai chaque fois un peu plus. Miller Street, Leybourne Road, Hawley Road, Water Lane, Bayham Street, Torbay Street, nous les avions toutes faites. Toutes les artères principales où nous étions susceptibles de trouver une pièce d'art, toutes celles que Swann avait pris soin de noter dans son téléphone, nous les avions arpentées. Et moi j'avais découvert ce mouvement qu'était le Street Art avec des yeux d'enfant.
Des yeux qui étaient sollicités de partout puisque ces œuvres ne se trouvaient pas seulement sur les murs, juste devant nous. Non, il fallait aussi lever la tête vers les hauteurs des bâtiments pour, parfois, apercevoir une peinture perdue sur les toits de ce quartier si atypique, nous regardant de haut.
Il y avait de tout. Tous les styles, toutes les couleurs, de l'abstrait, du cubisme, du réalisme, des peintures mais aussi des slogans engagés souvent politiquement ou en tout cas pour de grandes causes. Nous étions témoin d'une telle diversité, c'était impressionnant, et rafraîchissant.
Il y avait, par exemple, ce bateau complètement en ruine et disproportionné, comme écrasé sous le poids des vagues et du temps passé en mer, complètement ceinturé par cette sirène qui nous fixait de son regard malin et tentateur. Une sirène qui faisait presque écho à cette femme dessinée quelques rues plus loin dont le visage était divisé en deux parties, un côté la représentant de manière absolument angélique et magnifique et l'autre la représentant foncièrement diabolique, un monstre au regard perçant. Et entre ces deux peintures poignantes, nous trouvions un abstrait coloré de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, complètement bariolé et psychédélique.
C'était fascinant, passionnant à découvrir et observer. Tellement passionnant que je ne pouvais m'empêcher de parler, confiant mes propres interprétations de chaque œuvre à Swann. Ce dernier m'écoutait avec attention sans jamais m'interrompre, probablement parce qu'il semblait plutôt occupé à m'observer qu'à réellement analyser lui aussi les peintures. C'était comme s'il m'analysait, moi, avec son petit rictus en coin et ses yeux réjouis et fier, presque béat. Son regard sur moi était pétillant.
Il était radieux et semblait sincèrement heureux d'être là, avec moi, et de me suivre dans un univers qui me passionnait tant. Moi en tout cas, j'étais heureux qu'il soit là.
Je liais mon petit doigt au sien alors que nous sortions d'une petite rue pour déboucher sur une plus grande artère, dans le but de rejoindre ensuite Camden Lock Market. Je ne pouvais plus me passer de son contact, comme si j'étais devenu accro, alors je recherchai le moindre toucher, la moindre petite possibilité de sentir sa peau contre la mienne. Et le fait qu'il se laissait désormais bien volontiers faire, m'accordant ce contact, en étant même parfois à l'origine, nourrissait mon addiction à lui. Ce n'étais plus un secret, j'étais complètement accro à Swann Nelson.
Ce fut après une bonne minute de marche qu'une boutique à la devanture noire et au néon blanc clignotant attira mon attention. Je m'arrêtai instantanément, planté devant la vitrine alors que Swann relevait la tête vers moi, les sourcils froncés.
- Regarde, un salon de tatouage ! m'exclamai-je comme un enfant. Ça te dirait pas d'essayer ?
- Essayer ? Tu veux que, moi, j'essaye ? clarifia-t-il en se pointant du doigt, un air ahuri sur le visage.
- Pourquoi pas ? Tu as dit que tes parents deviendraient fous s'ils te voyaient tatoué mais on s'en fout de leur avis, tu ne penses pas ? Et puis tu les rends déjà dingues alors un peu plus ou un peu moins, ça change pas grand-chose.
- Peut-être mais j'ai toujours peur des aiguilles, me rappela-t-il sans pour autant pouvoir cacher son rictus amusé. Alors je pense que je vais passer mon tour pour cette fois.
Sans pouvoir m'en empêcher, je laissai mes yeux courir le long du corps de Swann, essayant de l'envisager avec des tatouages sur le torse ou les bras. Je le trouvais beau, son corps vierge de tatouage, et il n'avait pas besoin d'artifice pour être attirant. Mais je devais bien admettre que l'imaginer avec quelques touches d'encres me ferait complètement craquer.
- Mais si tu veux on peut rentrer dans la boutique et se renseigner pour toi, reprit Swann, me sortant de mes pensées. Ce n'était pas dans notre programme mais si tu veux un autre tatouage, on peut s'arranger.
Mes yeux plantés dans ceux de Swann, je réfléchissais sérieusement à la question. J'étais content qu'il me propose, et c'est vrai j'avais réellement été attiré par cette devanture sombre mais bien entretenue, seulement je ne voulais pas non plus me faire tatouer sur un coup de tête. Je sais que tout le monde n'avait pas besoin d'une signification à son tatouage mais moi j'aimais bien prendre le temps d'y penser, j'aimais qu'il raconte quelque chose. Et là, je n'étais pas sûr d'être prêt.
- Non, je pense que je vais attendre un peu avant de me faire un nouveau tatouage, décidai-je finalement. J'aime les dessiner moi-même et là j'ai aucune esquisse en tête. Et puis peut-être qu'un jour on pourra faire un tatouage ensemble.
- Tu veux dire un tatouage commun ? releva Swann. C'est pas un peu cliché, ça ? Et à éviter aussi, si ça tourne mal ?
- Pourquoi ? Parce que tu es certain que ça ne va pas durer entre nous, qu'on va rompre ? demandai-je sur un ton plus taquin que vexé.
- C'est pas ce que j'ai dit, Yaël, soupira-t-il en levant les yeux au ciel. Bien sûr que je veux que ça marche entre nous, évidemment ! Mais je veux pas qu'on regrette si jamais...
- Je m'en fous, moi je suis sûr. Tu es Swann, et il n'y aura jamais un autre Swann dans ma vie, quoi qu'il arrive. Et puis j'ai déjà des tatouages par rapport à toi alors ça ne serait pas une nouveauté.
Je haussai les épaules et, sans même lui laisser le temps de comprendre ou de réagir, je repris notre marche et m'avançai jusqu'aux abords de Camden Lock Market qui se profilait déjà devant nous. Swann ne tarda pas à me rejoindre, me rattrapant en courant. Désormais à mes côtés, il m'observait, les sourcils froncés.
- Mais...
- On devrait se trouver quelque chose à manger, le coupai-je sans lui laisser le temps d'argumenter.
Swann me fixa encore quelques secondes puis, comprenant que je cherchais à changer de sujet, il finit par hocher la tête alors que nous faisions nos premiers pas dans Camden Lock Market. Encore une fois, je me sentais sollicité de partout à travers ce mélange d'échoppes et de magasins en tout genre vendant antiquités, fripes, vêtements gothique, ethniques et excentriques.
Et, bien évidemment, il y avait ces stands de street food proposant de la nourriture venant du monde entier, des cuisines traditionnelles pleines de diversité, de couleurs, d'odeur et de saveur différentes. J'adorais réellement cet endroit.
Après avoir pris quelques minutes pour se mettre d'accord, Swann et moi nous orientâmes vers des spécialités Indiennes que nous dégustâmes avec plaisir. C'était bon de découvrir quelque chose de nouveau, quelque chose qui changeait complètement de nos habitudes. Je n'avais jamais vraiment goûté à cette cuisine alors j'étais ravi de saisir cette opportunité pour tester d'autres saveurs.
Ce fut après quelques minutes que je repérai un stand français. Un grand sourire se dessina sur mes lèvres alors que j'attrapai rapidement la main de Swann pour l'entraîner à ma suite.
- Suis-moi, je vais te faire découvrir les crêpes, lançai-je. C'est français, de la région de Bretagne très exactement. C'est plus fin que des pancakes et c'est terriblement bon.
Swann n'eut pas le temps de répondre quoi que ce soit que je commandais déjà, aussi excité qu'un gamin. Je devais bien avouer que, même si j'étais heureux d'être revenu en Angleterre, la France – et notamment sa gastronomie – me manquait parfois.
- Alors ? lui demandai-je, curieux d'avoir l'avis de Swann.
- C'est pas mal, admit-il avec son petit sourire en coin.
- C'est un fameux compliment pour quelqu'un qui n'aime rien, le taquinai-je.
Je n'eus droit comme réponse qu'à un regard en coin et un coup de coude dans les côtes. Mais je m'en foutais, je riais. Parce que c'était bon enfant, parce que Swann riait avec moi, et parce que nous passions un agréable moment où seule comptait notre complicité retrouvée, et renforcée. Il n'y avait que lui et moi, insouciants et insensibles au monde qui nous entourait.
- Tu m'emmèneras à Paris, un jour ? lança soudainement Swann.
Je tournai subitement la tête dans sa direction et haussai un sourcil, ignorant mon cœur qui venait de rater un battement. Ça paraissait tout bête comme question mais, je sais pas, l'entendre dire ce genre de chose me laissait croire qu'il s'imaginait une suite à notre relation, ou en tout cas qu'il nous voyait encore ensemble dans un certain futur. Et ça me rassurait.
- Tu veux qu'on voyage ensemble ? Qu'on parte quelque part tous les deux ? Qu'on visite Paris ensemble ?
- Bah oui, j'aimerais bien, répondit-il simplement dans un haussement d'épaule. J'ai jamais rien vu d'autre qu'Oxford, ou Londres, et je rêve de partir, rien que quelques temps, juste pour respirer. Et puis je me suis dit qu'un jour tu voudrais peut-être revoir tes amis français, et ce jour là, le jour où tu voudras partir pour les retrouver, et bien j'aimerais bien que tu m'emmènes avec toi. Parce que j'ai envie de les rencontrer, et j'ai envie que tu me fasses découvrir Paris.
- Bien sûr que je t'emmenai ! m'emportai-je d'un ton enjoué. Et je te guiderai à travers Paris comme tu m'as guidé à travers Camden. On visitera tous les lieux incontournables et romantiques comme deux parfaits touristes.
Le doux rire de Swann raisonna autour de moi, m'enveloppant, tandis qu'il acquiesçait à ma remarque. Puis, sans même regarder autour de nous, il s'éleva sur la pointe de ses pieds pour déposer un léger baiser sur ma joue. Il n'attendit pas plus longtemps pour aussi entrelacer ses doigts aux miens, m'entraînant à sa suite alors que nous nous enfoncions un peu plus dans ce marché de Camden.
J'aimais le voir si souriant, mais aussi et surtout, si naturel. Swann ne me lâchait plus la main alors que nous nous baladions d'échoppes en échoppes, parce que ce geste n'était plus une barrière pour lui. Cela faisait quelques semaines déjà qu'il faisait des progrès, sans même parfois s'en rendre compte, et j'en étais fier. Mais aujourd'hui je le trouvais particulièrement épanoui. Je ne savais pas si c'était cet endroit où tout le monde venait comme il était qui le rendait comme ça, alors que nous étions entouré de gens qui ne nous regardaient pas, qui ne nous jugeaient pas, qui ne nous remarquaient même pas, mais j'aimais le voir comme ça. Il agissait sans réfléchir, sans hésiter, avec plus d'assurance.
Il osait plus et plus facilement. Il était plus libre. Il était heureux.
Nous cessâmes un instant d'arpenter les méandres du marché seulement lorsque je m'arrêtai devant un stand qui attirait mon attention. De nombreux livres nous étaient présentés, que des bouquins anciens aux couvertures vieillies et aux pages jaunies. J'en inspectai quelques uns, captivé par la beauté de ces vieux ouvrages. J'avais la furieuse envie d'en acheter un.
Pendant que je me décidai, je sentis Swann s'éloigner de quelques pas, avançant vers un autre stand à quelques mètres de là. Je n'y prêtais pas plus attention et fini par me décider en écoutant les recommandations de la vendeuse, optant pour un classique de la littérature Anglaise.
Une fois l'achat terminé, je me retournai vers Swann qui s'avançait déjà vers moi, un sourire timide aux lèvres. Je remarquai rapidement qu'il tenait un petit sachet blanc entre ses doigts tremblants. Un sachet qu'il ne tarda pas à me tendre.
- C'est pour toi, souffla-t-il tout doucement.
Un sourcil haussé par la curiosité et un sourire impatient et enfantin aux lèvres, j'attrapai ce cadeau. Délicatement, j'ouvris le sachet pour en découvrir un bracelet en cuir à plusieurs lanières dont une tressée. Le bijou était majoritairement noir mais une des lanières était marron foncé, tirant presque vers le prune. Il était très joli.
- J'ai hésité avec une bague, commença à se justifier Swann. Il y en avait des jolies et j'ai vu dans ta chambre que tu en avais, mais tu ne les mets jamais alors j'étais pas sûr. Et, je sais pas, j'ai craqué sur ce bracelet, je trouvais qu'il t'irait bien.
- J'espère quand même que tu m'offriras une bague un jour, l'interrompis-je soudainement.
Swann releva la tête pour planter ses yeux dans les miens, les sourcils froncés. Il resta immobile quelques secondes, impassible, avant de comprendre, écarquillant les yeux. Mon regard malicieux et mon sourire en coin l'ayant probablement mis sur la voie de ma taquinerie. Moi, je ne trouvais rien d'autre à faire qu'éclater de rire en voyant la tête affolée qu'il me faisait désormais.
- Panique pas, je plaisante, le rassurai-je une fois calmé. Il me plaît beaucoup, ce bracelet. Merci. Mais tu n'étais pas obligé de m'offrir quelque chose, tu sais. Moi j'ai rien pour toi.
Swann secoua la tête et s'approcha de moi, un sourire tendre aux lèvres. Il me prit le bracelet des mains pour le placer autour de mon poignet.
- Je voulais te faire ce cadeau, j'y tenais vraiment, chuchota-t-il simplement. Parce que tu es tellement extraordinaire, Yaël, que tu mérites qu'on te couvre de cadeau. Et je n'attends rien en retour. Que tu m'aies donné une deuxième chance, voire même une troisième ou quatrième, me suffit largement.
Je répondis à son sourire et il se redressa pour déposer un très rapide baiser sur mes lèvres, léger comme une plume. Puis il reprit ma main et m'attira à nouveau à lui pour continuer notre ballade.
Je crois que ni Swann, ni moi, ne voulions mettre fin à cette journée hors du temps, cette journée loin de tout, loin des problèmes, loin des doutes, loin de cette épée de Damoclès qui semblait peser toujours un peu plus au-dessus de nous, comme si nous savions que notre petite bulle finirait par éclater. En espérant que rester ensemble et main dans la main suffirait à nous protéger de ces nouveaux projectiles.
Pour l'instant nous préférions ne pas y penser, et profiter. Profiter de cette légèreté, cette insouciance, cette chaleur qu'apportait la présence de l'autre.
Alors nous continuâmes à nous promener, quittant Camden, parce que Swann voulait m'emmener jusqu'à Little Venice et parce que, selon ses dires, c'était un très bel endroit. Nous marchâmes donc pendant une bonne heure, main dans la main, prenant le temps d'observer ce qui nous entourait et de découvrir les paysages d'une ville qui n'était pas la nôtre. Nous traversâmes Regent's Park en prenant le temps de profiter de la verdure, de la nature qui nous enveloppait.
Lorsque nous arrivâmes, je laissai mes yeux survoler l'endroit avec plaisir et délicatesse. Swann avait raison, c'était très joli. Un berceau tout mignon et bucolique, au cœur de Londres, presque comme un petit coin de paradis perdu.
Nous nous installâmes un instant sur la terrasse du Waterside Café pour prendre une boisson, nous asseyant et nous désaltérant après les longues heures de marches auxquelles nous nous étions adonnés depuis ce matin. Puis, une fois nos forces retrouvées, nous nous avançâmes sur ce petit pont qui nous permettait de traverser le Regent's Canal. Nous restâmes un instant au milieu de ce pont et j'observai les environs, tout ce qui nous entourait.
C'était vraiment joli. Sous nos pieds, l'eau courait le long du canal, et de nombreuses péniches colorées étaient accostées les unes à la suite des autres. Malgré les fraîches températures, je me sentais bien dans ce lieu encerclé de nature grâce à ces allées arborées et fleuries qui s'étendaient devant nous.
- Tu vois, on n'a pas besoin d'aller jusqu'à Paris pour trouver des endroits romantiques, murmura soudainement Swann.
- Je savais pas que, toi, tu étais du genre romantique, le taquinai-je en tournant la tête pour rencontrer ses yeux bleus.
- Moi non plus.
Swann détourna le regard après un haussement d'épaule, se concentrant sur ce cours d'eau qui disparaissait de notre vue à l'horizon. Chacune de nos mains étaient appuyées sur la rambarde en ferraille de ce pont. Doucement, je me rapprochai pour que les doigts de ma main droite effleurent et caressent la main de Swann, encore perdu dans ses pensées.
- J'ai pas envie de rentrer, finit-il par lâcher, d'un souffle presque inaudible.
- Je sais.
- On n'était si bien ici, rajouta-t-il. Je me sentais bien, et libre, comme si tout ce dont j'avais peur était resté à Oxford.
- On sera bien à Oxford aussi, assurai-je en pressant un peu plus sa main dans un geste de soutien. Je reste avec toi, tu n'as pas à avoir peur.
- J'ai cette sensation, cette impression que quelque chose va finir par arriver, confia-t-il. C'est peut-être bête, mais de toute façon je sais que je ne pourrais pas rester caché bien longtemps.
- Je serai là, quoi qu'il arrive, lui promis-je en tirant légèrement sur sa main pour qu'il se redresse et se retourne vers moi.
Swann plongea son regard dans le mien alors que je le rapprochai encore un peu plus, ma deuxième main venant se poser sur sa joue. Il appuya son visage contre ma paume pour plus de contact et ferma une seconde les yeux. Je le vis se détendre lorsqu'il poussa un léger soupir et que je remarquai même un léger sourire prendre place sur ses lèvres lorsque ses yeux rencontrèrent à nouveau les miens.
Sa main toujours dans la mienne, ce fut Swann qui termina mon geste et rompit la distance entre nous en m'embrassant tendrement alors que son autre main se posai sur mon flanc. Cette tendresse, je crois que Swann n'y était pas habitué, et pourtant il me l'offrait de plus en plus, et ce n'était pas pour me déplaire. Au contraire, j'adorais ça.
- Tu seras là pour mon prochain match ? me demanda-t-il soudainement contre mes lèvres, changeant de sujet. Celui qui aura lieu la semaine prochaine ?
- Bien sûr, confirmai-je. Rappelle-moi quand est-ce que j'ai raté un de tes match depuis mon retour ?
- Jamais. Même quand j'étais ignoble avec toi, je te voyais caché à côté des tribunes.
- Alors tu as ta réponse, soufflai-je, un léger sourire étirant mes lèvres.
- Tant mieux, parce que j'aime te voir m'encourager depuis les gradins, admit Swann.
- Et j'aime te voir jouer, répliquai-je. Mais c'est l'équipe que j'encourage.
- Bien sûr, sourit malicieusement Swann, un sourcil haussé, l'air de ne pas me croire.
- Bon d'accord, peut-être que le capitaine de l'équipe attire un tout petit peu plus mon attention, reconnus-je en posant mes mains sur ses hanches.
Swann pouffa légèrement et déposa à nouveau un doux baiser sur mes lèvres avant de se reculer. Il me tendit sa main et m'invita à le suivre. Il était l'heure de rentrer.
Dans le train qui nous ramenait à Oxford, je laissai mes pensées vagabonder, retraçant le fil de cette journée. Je l'avais encore adoré, c'était magique. Découvrir ce quartier, ces couleurs, ces cultures, et le faire auprès de Swann, ça avait été magique. Passer un moment loin d'Oxford et de la pression de plus en plus pesante que nous subissions, de par l'inquiétude grandissante de Swann, ça avait été rafraîchissant.
C'était comme si, le temps d'une journée, nous avions mis notre vie en pause, nous évadant un instant pour trouver l'énergie de continuer. C'était comme aller respirer un grand bol d'air pur, reprendre une respiration bloquée, avant de revenir plus fort. Je ne savais pas ce qui nous attendrait à Oxford, je ne savais pas si la crainte de Swann se matérialiserait, et si elle le faisait alors je ne savais pas si ça se produirait dans quelques jours ou dans quelques semaines, mais j'avais l'impression que, lui et moi, étions enfin plus soudés. Peut-être étions nous prêt pour la dernière partie de notre histoire.
Je crois que Swann était prêt. Parce qu'il avait progressé. Et parce qu'il ne me lâchait pas la main.
Parce que, tout au long de ce mois écoulé, il avait fait des efforts. Parce qu'il m'avait prouvé qu'il tenait à moi, sinon il ne se serait pas autant démené alors qu'il ne l'avait jamais fait pour personne. J'avais conscience que c'était nouveau pour lui, et j'avais l'impression d'avoir cette place privilégiée dans sa vie, et peut-être dans son cœur. Et ça me touchait.
Swann ne se disait pas romantique, et pourtant il n'avait cessé de me surprendre un peu plus chaque jour, trouvant toujours de nouvelles façons de m'impressionner et de me faire plaisir. Il s'était donné tant de mal pour se battre pour moi, que je ne pouvais que croire qu'il oserait détruire la seconde chance que je lui avais donnée. J'osais espérer qu'il n'avait pas fait tout ça pour rien et qu'il était désormais plus fort pour continuer de se battre à mes côtés.
Parce qu'il ne se battait plus contre moi, alors j'osais espérer qu'il accepterait enfin de se battre à mes côtés, lorsque le moment viendra.
Du coin de l'œil, je le vis me sourire lorsque je passais mes doigts sur le bracelet qu'il m'avait offert, comme s'il était fier que je le porte, comme s'il s'agissait d'un lien tacite entre nous deux. Sans un mot, il resserra sa prise sur nos doigts entrelacés jusqu'à notre arrivée en gare.
Il ne lâcha ma main que lorsque nous arrivâmes dans le hall principal de la gare, après être descendus du train. Malgré cette sensation de froid qui parcourait mon corps créée par le manque de son contact, je ne m'en formalisais pas. Je savais que c'était Oxford qui faisait ça, c'était notre retour dans cette ville qui impliquait et provoquait cette soudaine distance retrouvée.
Cependant, lorsque je sentis le corps de Swann se figer, je compris qu'il y avait plus que ça. Le voir vouter ses épaules et cacher ses doigts tremblants m'indiqua que ce n'était pas notre ville qui provoquait cette réaction, trop intense pour n'être que cette inquiétude à laquelle nous nous étions habitués. Ce n'était pas notre ville, c'était une personne.
Une personne qui s'approchait de nous, les sourcils froncés et l'air à la fois interrogateur et suspicieux. Je compris lorsque je le vis.
Même si je tentai de garder mon calme, de garder la tête froide, mon corps ne put s'empêcher d'adopter la même réaction que Swann lorsque, après avoir relevé la tête, je pris conscience de la présence de Hugo, juste devant nous.
- Qu'est-ce que tu fais là ? lâcha-t-il à l'intention de Swann, sans même me jeter un regard. Qu'est-ce que tu fous avec Stevens surtout ? Et putain, qu'est-ce que vous foutiez à Londres ? Un week-end en amoureux, peut-être ?
♠️♠️♠️
Hey !
Comment allez-vous ? J'espère que tout va bien pour vous et que vous avez passé une bonne semaine !
Moi je suis, comme toujours, très contente de vous retrouver pour ce ( looong ) chapitre que j'aime beaucoup.
Je voulais créer un nouveau chapitre tout mignon pour Swann et Yaël, leur faire une petite pause loin de tout avant de leur faire affronter les problèmes qui, vous vous en doutez maintenant, ne vont pas tarder à débarquer. D'ailleurs ils sont déjà là si on se fie à la soudaine arrivée de Hugo...
Et vous qu'en avez-vous pensé ?
Cette petite journée à Londres, dans le quartier de Camden ?
Swaël ? Leurs avancées, leur complicité, leurs discussions ?
Le comportement de Swann ? Et le petit cadeau qu'il fait à Yaël ? ( vous avez surement deviné que c'était pour ça, mon petit sondage sur Insta...)
Euuuh Hugo ? Comment imaginez-vous la suite après ça ? La réaction de Swann ?
Tellement tellement hâte de découvrir tous vos commentaires, vos avis et hypothèses ! Je me ferais un plaisir de lire ça et d'y répondre !
En attendant, je vous souhaite une bonne fin de journée ! Merci encore d'être toujours là, à lire cette histoire, malgré tous les obstacles par lesquels je fais passer mes personnages et le nombre de chapitres qui devient conséquent... Je pense qu'en tout il y aura plus ou moins 70 chapitres mais je ne veux pas trop m'avancer. En tout cas je vous adore d'être là à me soutenir et me lire ! Je vous embrasse.
A bientôt, T.
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