39. Killer Eyes
"La jalousie ne permet jamais de voir les choses telles qu'elles sont. Les jaloux voient le réel à travers un miroir déformant qui grossit les détails insignifiants, transforme les nains en géants et les soupçons en vérité."
Miguel De Cervantes
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Swann
Les bras croisés contre mon torse, j'avançai silencieusement en essayant de faire abstraction des conversations autour de moi. Nous n'étions plus qu'à quelques pas de l'entrée de la boîte de nuit que Joyce avait choisie. Nous y passerons la soirée ensemble, entre amis – enfin c'était ce qu'elle avait dit, mais pour l'instant je me sentais plutôt mis à l'écart.
J'avais même carrément l'impression d'être de trop puisque personne ne faisait attention à moi et que les quatre personnes qui m'accompagnaient étaient dans leur propre petite bulle. En effet, Joyce et Austin, qui venaient fraîchement d'officialiser leur relation, n'avaient d'yeux que pour l'un et l'autre. Quant à Camille et Yaël, ils étaient incroyablement proches, trop proches, échangeant des messes basses, des sourires et des paroles qui semblaient être hilarantes si on en croyait le rire de Yaël qui s'élevait à mes côtés toutes les deux minutes. Un rire dont je n'étais pas à l'initiative.
Je poussai un grognement de frustration. Je détestais cette situation, et j'étais à deux doigts de rentrer chez moi. Mais je ne pouvais pas. Parce que fuir cette simple sortie servirait simplement à prouver à Yaël que je n'étais pas quelqu'un sur qui il pourrait compter. Et puis il n'y avait aucun moyen pour que je laisse Yaël seul avec Camille. Je n'avais pas confiance en la façon dont il le regardait. Alors je restais.
Ce fut bientôt à notre tour de rentrer à l'intérieur du bâtiment. Je m'avançai en premier et attendis que les autres aient déposé leurs affaires aux vestiaires avant de chercher un endroit où nous pourrions nous poser. Il y avait déjà beaucoup de monde, le bar était pris d'assaut et la piste de danse était déjà remplie de danseurs et herbes et de tentatives de flirt.
J'arrachai mes yeux de cette vision et guidai mes amis alors que nous montions quelques marches jusqu'à atteindre une table. C'était à ça que je servais finalement, que l'argent de mon père servait plus précisément, à nous trouver une bonne table et à commander autant de boissons que nous voulions.
Cette boîte, le Neon Moon, je la connaissais. Parce que j'y étais déjà venu avec Joyce mais aussi et surtout avec Hugo et l'équipe de foot. J'espérais d'ailleurs que celui que j'avais pris pour mon meilleur ami ne se soit pas décidé à passer sa soirée au Neon Moon aujourd'hui mais je me consolais avec le fait qu'ils avaient récemment trouvé une boîte qu'ils considéraient plus "branchée" pour assouvir leur besoin de débauche.
Je tentai alors de me détendre et pris place à côté de Joyce, elle-même installé aux côtés d'Austin. Malheureusement, je devais supporter le joyeux petit couple devant moi puisque Camille me faisait face tout en étant bien trop collé à Yaël pour se rendre compte de ce qui l'entourait. Inconsciemment, ma mâchoire se serrait. C'était à se demander s'il ne cherchait pas à s'asseoir sur ses genoux. Est-ce qu'il était réellement obligé de se cramponner à lui de cette façon ?
Je détournai le regard, irrité, et me concentrai davantage sur les boissons que nous avions récupérées, prenant une longue gorgée jusqu'à ce que je ressente cette brulure au fond de ma gorge. Je n'avais pas l'intention de me saouler, j'avais déjà donné ces derniers temps, et il était préférable que je ne fasse pas une mauvaise impression auprès de Yaël. Alors je ferais attention, pas plus d'un verre, mais j'avais aussi besoin d'un peu de courage pour supporter la vision qui s'étalait devant moi.
- A notre amitié ! lança soudainement Joyce en levant son verre. Ce soir, on est là pour passer une bonne soirée, sans conflits, sans engueulades, juste une bonne ambiance. N'est-ce pas ?
Le regard en coin qu'elle me lança ne passa inaperçu pour personne, cette remarque m'était bel et bien destinée, ce qui me fit lâcher un léger grognement.
- Je promets de bien me tenir, lâchai-je sarcastiquement en levant les yeux au ciel.
Je récoltai alors un grand sourire qui sonnait pourtant faux de la part de Joyce tandis que se formait sur les lèvres de Yaël un rictus amusé. Cela devait d'ailleurs bien être la première interaction qu'il m'offrait de la soirée. C'était difficile de le voir aussi distant, aussi réticent, aussi méfiant envers moi, même si je l'avais mérité. Cela me serrait le cœur. Est-ce que c'était ça qu'il avait ressenti le jour de mon anniversaire, lorsque j'avais pris soin de l'ignorer pendant une grande partie de la journée alors qu'il était pourtant tout près de moi ? Si c'était le cas, je me rendais compte qu'il s'agissait d'un traitement réellement ingrat.
- Bon, maintenant qu'on sait que Monsieur Bougon ne nous posera plus de problème, on va pouvoir commencer à s'amuser ! reprit Joyce. Et danser, j'ai envie de danser.
Je ne répliquai pas cette fois-ci et me contentai d'observer mes amis trinquer à cette bonne soirée, entendant d'une oreille distraite Austin promettre à Joyce qu'il la ferait danser toute la nuit si elle le voulait. Je levai à nouveau les yeux au ciel, Austin était devenu incroyablement niais depuis que Joyce lui avait enfin accordé un regard. Il était toujours auprès d'elle, toujours d'accord avec elle, la regardant avec des cœurs à la place des yeux, comme si elle était la personne la plus précieuse pour lui, ne perdant jamais son sourire idiot et amoureux. Ils étaient dégoulinant de bonheur tandis que, de mon côté, Yaël ne daignait plus m'accorder un regard. Comme si je n'existais pas.
Son regard était bien trop occupé par Camille alors que la conversation semblait aller bon train entre les deux, jusqu'à ce qu'un nouveau rire ne s'échappe de la bouche de Yaël. Qu'est-ce que j'aimerais être à la place de Camille à cet instant ! Etre celui à qui Yaël parle, pour qui il rit, être celui qui arrive à captiver toute son attention.
Inconsciemment, mes poings se serrèrent alors que je continuais à les observer, amer et hargneux. Je réalisai bientôt que mon comportement ne devait pas être discret puisque je sentis rapidement la main de Joyce se poser sur mon genou que je m'étais mis à secouer frénétiquement sans m'en rendre compte.
- Tu vas te brûler les yeux si tu continues à les fusiller du regard comme ça, me souffla-t-elle, amusée.
Je lui répondis par un air blasé alors que Camille releva la tête, certainement attiré par notre conversation. Un regard en coin et ses yeux croisèrent les miens avant qu'un rictus ne se forme sur ses lèvres à l'instant où il s'approcha encore un peu plus de Yaël, passant son bras autour de ses épaules. Je levai les yeux au ciel et laissai retomber ma tête en arrière en poussant un soupir mêlant frustration et exaspération.
- Il n'a d'yeux que pour Camille, soupirai-je finalement à l'intention de Joyce. Je fais comment, moi, pour qu'il s'intéresse à moi alors qu'il s'entête à m'ignorer ?
- Bah c'est sûr que c'est pas en boudant dans ton coin que tu vas faire progresser les choses, répliqua Joyce en haussant les épaules. Et si tu veux mon avis, il ne fait que de te renvoyer l'ascenseur par rapport à ton propre comportement envers lui. Et je crois que tu le mérites.
- T'es ma meilleure amie, t'es pas censée être de mon côté et m'aider ! m'exclamai-je.
- Etre ta meilleure amie ne veut pas dire cautionner tes choix et tes actes, me dit-elle. Et j'ai déjà essayé de t'aider, mais tu n'en fais qu'à ta tête à chaque fois.
- Alors je t'ai perdu, toi aussi ? m'inquiétai-je, la gorge serrée.
- Non, tu ne m'as pas perdue, soupira-t-elle en attrapant ma main. Je crois que tu t'es perdu toi-même. Ça ne m'intéresse pas d'être amie avec le Swann de façade, moi c'est le vrai Swann que j'aime, que tout le monde aime. Et je serais toujours là pour toi, même quand j'ai envie de t'arracher la tête.
Joyce m'adressa un petit sourire auquel je lui répondis timidement. Sa tête vint ensuite se poser sur mon épaule et je soupirai de soulagement. Ça faisait du bien de retrouver le réconfort de ma meilleure amie. Je n'arrivais pas à croire que je l'avais laissée tomber, elle aussi, alors qu'elle avait toujours été là pour moi.
- Je vais danser, lança subitement la voix de Yaël alors qu'il se redressait. Qui m'accompagne ?
Je sentis le coude pointu de Joyce s'enfoncer dans mes côtes mais ne réagis pas. Je me doutais qu'elle me poussait à faire quelque chose, à aller danser mais, Yaël ou non, il n'y avait à aucun moyen pour que j'aille me ridiculiser là-bas.
- Tu devrais y aller, ça te détendrait un peu, insista-t-elle pourtant.
Les yeux de Yaël se posèrent un instant sur moi. Je ne me sentais pas à l'aise à l'idée de me trémousser au milieu de plusieurs dizaines d'inconnus. Alors je baissai la tête, me concentrant davantage sur mes mains, non sans avoir remarqué auparavant le regard de Camille, lui aussi posé sur moi.
- Bon j'y vais, lâcha soudainement Yaël. Finalement j'ai pas besoin d'attendre que quelqu'un se décide à m'accompagner. Je peux très bien m'amuser tout seul.
- Attends, je viens avec toi, souffla alors Monsieur Parfait. Je vais quand même pas te laisser t'embarrasser tout seul sur la piste.
Un dernier regard de la part de Yaël et il se leva après avoir terminé son verre. Et je regrettai ma décision instantanément, alors que je les voyais s'éloigner. Et ce fut pire lorsqu'ils commencèrent à danser, un peu trop près l'un de l'autre à mon goût.
- T'aurais dû y aller, me réprimanda Joyce. C'était clairement une invitation, et c'était ton moment. Il faut que tu fasses quelque chose, Swann, ou alors il va t'échapper définitivement.
J'ignorai la remarque et l'air réprobateur de Joyce. De toute façon elle se tourna à nouveau vers Austin qui lui faisait les yeux doux. Et moi, j'étais bien trop concentré sur ce qu'il se passait devant moi, juste devant mes yeux. Mes sourcils se froncèrent et mes poings se serrèrent jusqu'à ce que mes jointures deviennent blanches.
Un quart d'heure à le regarder se trémousser auprès de Camille, un quart d'heure de souffrance, un quart d'heure d'une colère et d'une jalousie bouillonnante, impuissant face à la situation que j'avais une nouvelle fois laissé s'échapper d'entre mes mains.
Je ne pus respirer à nouveau que lorsqu'ils se décidèrent à revenir prendre un verre. A mon plus grand étonnement, Camille se réinstalla confortablement sur la banquette. Yaël, de son côté, vida un nouveau verre avant de se rediriger vers la piste sans un regard dans ma direction. Il fut rapidement suivi par Austin et Joyce, cette dernière semblant faire exprès de ne pas comprendre mon regard implorant.
C'est ainsi que je me retrouvai seul avec Camille, à mon plus grand déplaisir. Le blond resta de marbre alors que je lui adressai mon plus beau regard meurtrier. Un lourd silence ainsi qu'une tension étouffante s'installa entre nous. A part mon comportement hostile, je n'accordais rien à Camille. S'il s'attendait à ce que je lui fasse la conversation, il se mettait le doigt dans l'œil. Il était bien sympa, mais il occupait la place dont je rêvais, dans les bras de Yaël.
Je ne détournai le regard de l'ex envahissant que lorsque quelque chose attira mon attention à quelques mètres de là. Sans un mot, je me levai et m'approchai de la barrière sur laquelle je resserrai durement mes doigts. Yaël était bel et bien de retour sur la piste de danse, et le fait que Camille n'y soit pas avec lui ne semblait pas le perturber plus que ça puisqu'il venait visiblement de trouver d'autres bras dans lesquels se laisser aller, si on en jugeait par le mec qui le collait actuellement. Yaël se laissait faire, comme si de rien n'était, alors que mon sang bouillonnait dans mes veines.
Sans un bruit, Camille s'approcha jusqu'à prendre place à mes côtés.
- Tu devrais faire quelque chose, aller le rejoindre, lança-t-il alors que je ne lui avais rien demandé. Ou alors je crains qu'il soit tenté de repartir avec ce mec. Et je suis pas sûr que tu veuilles laisser ça se produire.
- A toi non plus, ça ne te plairait pas, lui fis-je remarquer d'un ton neutre et blasé.
- On est plus ensemble, répliqua-t-il en haussant les épaules. Il fait ce qu'il veut, il ne me doit plus rien.
- Il ne me doit rien non plus, observai-je sans pourtant pouvoir quitter Yaël des yeux et ressentir ce pincement à l'estomac.
- C'est vrai, concéda Camille. Mais si tu veux qu'il te donne une deuxième chance, il faut que tu t'en donnes les moyens. S'il veut que tu te battes pour lui alors tu dois agir et pas rester planté là à le regarder se faire lourdement draguer par un mec qu'il ne connait pas. Montre-lui que tu veux être avec lui.
- Il ne veut pas de moi, soufflai-je d'une petite voix, dépité.
- Ça tu ne le sais pas si tu n'essayes pas, objecta-t-il. Je suis certain que c'est pas avec ce pauvre mec qu'il a envie de passer sa soirée. Alors vas-y ou j'y vais.
Pour la première fois en cinq minutes, je me détournais de Yaël et de son prétendant pour lancer un regard assassin à Camille. Lui se contentait de me sourire, amusé et semblant complètement détendu, sûr de lui. Pourquoi ne pouvais-je pas avoir son assurance ?
- Pourquoi tu fais ça ? demandai-je soudainement en ancrant mes yeux dans les siens. Pourquoi tu me donnes des conseils ? Pourquoi tu m'aides ? Pourquoi tu me pousses vers lui alors que tu pourrais très bien en profiter pour le récupérer ?
- Parce que c'est toi qu'il aime. Et que je ne veux pas me remettre avec quelqu'un qui n'est pas entièrement avec moi. Mais si tu ne te bouges pas, ou qu'il décide qu'il en a assez d'attendre et qu'il a besoin de quelqu'un pour le consoler, alors je serais là. Et je le lâcherai plus.
Je ne sus rien faire d'autre que lui renvoyer un deuxième regard meurtrier, mes poings fermement contracter autour de la rambarde, mon cœur hurlant de jalousie.
- T'as plus aucune chance avec lui, lâchai-je, les dents serrées.
- Prouve-le moi. Prouve-le lui.
Je lui accordai une dernière œillade blasée avant de reporter à nouveau mon attention sur Yaël, une vision qui me paralysa instantanément. Le sang brûlait dans mes veines alors que je pouvais sentir mon rythme cardiaque s'accélérer. J'étais certain que, malgré la musique assourdissante qui nous entourait, Camille pouvait m'entendre grincer des dents.
Je détestai ce qui se dessinait devant moi. En plus de danser collé serré contre Yaël, ne laissant plus le moindre millimètre entre leur deux corps, le mec qui se frottait à lui cru bon de glisser sa tête dans le cou de Yaël. C'était trop, bien plus que je ne pouvais le supporter.
Alors j'arrêtai de réfléchir et ignorai complètement Camille toujours à mes côtés, me contentant simplement de me détacher enfin de cette rambarde pour descendre les quelques marches et rejoindre la piste. Je me fichais pas mal de bousculer des inconnus sur mon passage, je ne pensais qu'à Yaël et aux mains étrangères qui touchaient son corps alors que cela aurait pu être les miennes.
Il ne me fallut que quelques grandes enjambées pour arriver à leur hauteur et je ne perdis pas une seconde pour saisir le bras de l'autre pot-de-colle afin de le repousser et l'éloigner au maximum de Yaël.
- Dégage ! crachai-je d'un ton sévère.
- T'es qui toi ? aboya-t-il. Et de quoi tu te mêles ?
- Moi je suis celui avec qui il devrait danser, répondis-je avec assurance. Alors que toi tu n'es rien pour lui, juste un mec qu'on ne connaît pas et qu'il aura oublié dans une heure. Alors tu vas bien gentiment te rendre utile ailleurs.
- Je crois qu'il est assez grand pour décider avec qui il a envie de danser, répliqua monsieur réponse à tout en me surplombant de toute sa hauteur.
- Ecoute, je crois qu'il y a assez de monde ici pour que tu trouves quelqu'un d'autre contre qui te frotter, lâchai-je sans me démonter. Alors dégage avant que je m'énerve vraiment. Je suis sûr que t'es venu pour t'amuser, pas pour t'embrouiller.
L'inconnu collant et insistant releva la tête vers Yaël. Je ne pouvais pas voir son visage ni son expression étant donné que mon corps faisait désormais barrage entre lui et l'autre mec mais je cru comprendre qu'il ne donna aucun signe qui indiquerait à pot-de-colle de rester puisque ce dernier finit par pousser un soupir en m'adressant un dernier regard noir.
Une fois certain qu'il était hors de notre vue, je me retournai doucement vers Yaël. Ce dernier me regardait déjà, un sourcil haussé et les yeux bien plus sombres qu'habituellement, intenses comme je ne les avais jamais vu.
- Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il soudainement. J'étais bien, là, à danser.
- Et bah maintenant tu vas danser avec moi, ripostai-je en levant les bras pour les enrouler autour de son cou, le rapprochant de moi.
- Je croyais que tu ne voulais pas danser, rétorqua-t-il sans toutefois s'éloigner de mon étreinte. Et je croyais que tu ne voudrais pas danser avec moi.
- J'ai été con, soupirai-je. Tu sais bien que je le suis souvent. Mais j'ai réfléchi et j'ai décidé que je voulais danser, avec toi. Juste toi. Et je veux que tu danses avec moi. Juste moi.
Yaël ne répondit rien de plus, plaçant plutôt ses mains sur mes hanches. La chaleur qui émanait de son corps envahi le mien et je poussai un léger soupir de bien-être. J'étais bien là, ça m'avait manqué. Et même si le lieu n'était pas des plus adéquats pour nous retrouver, je profitai de ce que Yaël voulait bien m'offrir, dansant doucement contre lui.
Autour de nous, la musique était assourdissante, l'atmosphère et les odeurs étouffantes, la chaleur de la pièce suffocante mais plus rien de tout ça ne semblait compter. Il n'y avait plus que nous deux, Yaël et moi, dans une bulle que nous reformions petit à petit.
Sans perdre son tempo, la musique diffusée à travers le Neon Moon se fit presque plus lascive et, sans que nous nous en rendions compte, sans faire attention au rythme réel de la chanson, nos mouvements se firent plus lents, plus suaves. Je ne sentais plus que ses mains sur moi et son corps frôlant le mien, provoquant ses frissons qui remontaient le long de mon échine et couraient à travers mes membres.
Doucement, je relevai la tête jusqu'ici perdue dans son cou pour lui faire face. Yaël m'observait déjà, de la même façon que précédemment. Mes yeux s'ancrèrent et se perdirent dans les siens, se noyant dans une mer obscure. Ils étaient si sombres, si brumeux, si profonds, mais si captivants et envoûtants. Je n'avais jamais croisé un regard aussi intense que le sien, mais c'était le seul regard dans lequel j'avais envie de plonger, le seul regard qui me fascinait.
Un regard pour le moment si ombragé que je n'arrivais pas à le déchiffrer. Le visage de Yaël restait neutre, je n'arrivais pas à le lire. J'aurais tellement aimé savoir ce qu'il se passait dans sa tête à cet instant précis.
Lentement, ma main parcouru son épaule avant de revenir caresser son cou. Le bout de mes doigts étaient pris de picotements alors que ça me démangeait de le toucher, de sentir sa peau contre la mienne. Aucun mot ne fut échangé alors que mes doigts effleuraient désormais sa mâchoire et que j'approchai dangereusement mon visage du sien, mes lèvres frôlant le coin de sa bouche.
- J'ai envie de t'embrasser, soufflai-je sans réfléchir, hypnotisé par ses lèvres.
- Ici ? En plein milieu de la piste de danse ? s'étonna-t-il avec un sourcil haussé, dubitatif.
J'ignorai sa question, tout comme j'ignorai soudainement toutes les personnes autour de nous, ignorant le fait qu'elles pourraient nous voir et nous juger. Je ne pensais plus à ça, pas maintenant, pas alors que Yaël était si proche de moi et que ses lèvres étaient bien trop tentantes, pas alors que je n'arrivais pas à leur résister.
Je fis donc taire ces voix dans ma tête et écoutai plutôt mon instinct. Une main posée sur sa nuque et l'autre sur sa joue, je m'approchai encore jusqu'à poser mes lèvres sur les siennes. Une vague d'énergie, de chaleur et de soulagement couru le long de mon corps alors que je retrouvai cette sensation qui m'avait tant manquée. Le baiser ne dura que quelques secondes et resta innocent parce que je ne parvenais pas encore à me lâcher au milieu de cette foule mais c'était suffisant pour en vouloir plus.
Alors je continuai d'écouter mon instinct et mes envies en me détachant de Yaël seulement pour que mes mains s'emparent des siennes. Sans un mot, je l'entraînai à ma suite, nous éloignant de la piste de danse en slalomant entre les corps d'inconnus encore en mouvement jusqu'à atteindre un couloir sombre et presque désert.
Désormais à l'abris des regards, je me retournai vers Yaël et l'accolai contre le mur. Il ne me repoussait pas, ne s'enfuyait pas non plus, rien n'indiquait qu'il ne voulait pas de moi, alors je pris ça comme un signe et m'approchai à nouveau de lui, rompant la distance entre nous. Mes mains reprirent leur place prédestinée autour de son cou et mes lèvres se dirigèrent sans hésitation vers ce qu'elles convoitaient depuis tant de temps, le précédent baiser n'ayant pas rassasier ce besoin de découvrir davantage celles de Yaël.
Cet échange se fit cette fois-ci plus approfondi, bien moins innocent. Ma main droite ne tarda pas à s'accrocher aux boucles de Yaël tandis que les siennes reposaient désormais au creux de mes reins, me faisant échapper un soupir de bien-être.
Les lèvres de Yaël étaient parfaites, leur forme épousait merveilleusement les miennes, et leur gout était addictif. Si addictif que je ne voulais plus jamais m'en passer. Si addictif que j'en voulais plus, les goûtant plus en profondeur alors que nos langues se battaient pour la dominance. Les yeux fermés, je ne pensais qu'à lui contre moi, qu'à nous, ressentant sa présence et ses touchers dans chaque fibre de mon corps. Je ne sentais que Yaël tout autour de moi, je respirais son odeur, me délectais de son toucher, alors que cette sensation de confort et de contentement se répandait dans tout mon être, brûlant mon corps de mes orteils jusqu'à la pulpe de mes doigts.
Mon rythme cardiaque s'accélérait et mes oreilles bourdonnaient, n'entendant que le bruit assourdissant des battements fous de mon cœur, couvrant la musique qui pulsait dans chaque centimètre carré de ce club. Ses lèvres me contrôlaient, c'était comme un besoin. J'avais besoin de lui contre moi, avec moi, j'avais besoin de lui dans ma vie. Et je ne voulais pas que ça s'arrête, jamais.
Mais malheureusement, Yaël sembla en décider autrement puisque ses mains remontèrent le long de mon torse jusqu'à trouver mes épaules afin de me repousser doucement. Malgré la caresse agréable du geste, je compris néanmoins qu'il mettait un terme brutal à notre échange. A mon plus grand désespoir.
- Arrête, souffla-t-il faiblement.
- Pourquoi ?
Nous nous observâmes un instant, les yeux toujours plongés dans ceux de l'autre, essoufflés par une respiration erratique. Je ne voulais pas paraître désespéré mais je tenais vraiment à savoir pourquoi il avait soudainement mis à terme à notre moment alors que je l'aurais bien prolongé, alors que nous étions si bien.
- Tu crois vraiment que ça va être aussi facile ? lâcha-t-il finalement. Un baiser et on efface tout ?
Et je n'eus pas le temps de lui répondre quoi que ce soit qu'il détala comme une flèche, me laissant planté là, seul et confus. Je poussai un soupir en orientant mon regard vers le dos de Yaël qui disparaissait de mon champ de vision et levai les yeux au ciel lorsque je remarquai que Camille se tenait là, à l'entrée du couloir, les mains dans les poches. Je m'approchai de lui de manière assez penaude alors qu'il m'accueillait avec un sourire en coin.
- Je suis toujours pas sûr qu'il veuille de moi, soupirai-je.
- Suis-le, dit-il simplement. Montre-lui que tu n'as pas l'intention d'abandonner.
- Mais...
- Vas-y ou j'y vais, me répéta-t-il, me faisant lever les yeux au ciel et serrer les poings.
- Et je fais quoi ? m'écriai-je alors. Je lui dis quoi ?
- Pas mon problème, souffla Camille en haussant les épaules.
Je laissai échapper un dernier grognement et un dernier regard en direction du plafond avant de dépasser Camille sans plus m'intéresser à lui. Malgré ça, je devais bien le reconnaître, il avait raison. Je devais retrouver Yaël et essayer encore et encore, lui prouver que je voulais essayer, que je voulais même plus que ça.
Alors je retraversai le Neon Moon, évitant les corps dansants et alcoolisés, jusqu'à rejoindre l'entrée. Je passai la porte et regardai autour de moi pour retrouver la trace de mon fugitif, celui qui occupait toutes mes pensées. Je longeai le trottoir et m'orientai vers une contre-allée. Il était là, adossé contre le mur, la tête baissée.
Je poussai un soupir de soulagement et n'hésitai pas une seconde à m'approcher d'un pas déterminé.
- Je sais qu'il faut plus que ça, plus qu'un baiser, lançai-je vivement une fois arrivé à sa hauteur. Tu veux que je te montre que je peux être là pour toi, que je veux réellement une relation avec toi, très bien, alors laisse-moi te le prouver. Donne-moi cette chance là, juste ça, laisse-moi essayer. Je sais bien que ça te prendra du temps pour me faire confiance mais je te promets que, cette fois-ci, je ne gâcherai pas cette chance. Je te promets que je peux changer, que je peux m'améliorer, je te promets que je peux faire mieux pour toi.
- Des promesses, ça se brise, répliqua-t-il sans pourtant aucun venin dans sa voix, juste une certaine lassitude.
- Je sais, et j'ai conscience que je n'arriverai pas à te convaincre ce soir, mais je t'assure que j'ai aucune intention de briser mes promesses, affirmai-je, sûr de moi. Je te promets que je veux être avec toi, je te promets qu'à partir de maintenant j'arrête mes conneries. Et je te promets que je ne pars plus, je ne fuis plus. Laisse-moi te le prouver. Et cette fois-ci on ira à ton rythme à toi.
- J'ai juste pas envie de te perdre, encore, dit-il d'une petite voix. J'ai pas envie de replonger trop vite pour que tu me blesses à nouveau.
- J'ai pas envie de te perdre non plus, Yaël. Et je t'assure que je n'ai aucune envie de te blesser. Je sais que j'ai pris beaucoup de mauvaises décisions et que tu as plein de raisons de douter de moi, mais je n'ai jamais voulu te faire du mal, pas intentionnellement. Yaël, tu es ma seule bonne décision. Alors s'il te plaît, laisse-moi une place dans ta vie.
Yaël ne répondit rien, baissant simplement la tête, fixant ses chaussures. Les mains derrière son dos et ses pieds qui jouaient avec un caillou, il ressemblait réellement à un petit garçon blessé. Et j'avais conscience qu'il était tard, qu'il avait bu, qu'il était visiblement fatigué, et que la discussion que nous devions avoir serait trop longue pour avoir lieu ici et maintenant. Il était préférable que nous puissions régler nos problèmes à tête reposée et avec les idées claires. Nous ne pourrions rien faire ce soir, alors je préférai calmer le jeu pour l'instant.
- On parlera de tout ça plus tard si tu veux bien, proposai-je. Demain même si tu y tiens, après une bonne nuit de sommeil. Mais pour l'instant je crois qu'on devrait rentrer, alors laisse-moi te ramener chez toi.
Après quelques secondes d'hésitation, Yaël finit par hocher timidement la tête. Je lui adressai un timide sourire avant d'ouvrir la marche pour le conduire jusqu'à ma voiture.
J'avais conscience que tout ne serait pas si simple, j'avais conscience qu'il nous faudrait des discussions et des compromis, tout comme j'avais conscience que Yaël ne me faisait pas encore assez confiance pour reprendre notre relation là où on l'avait laissée. Et je l'acceptai. Mais je voulais quand même qu'il me refasse une petite place dans sa vie juste le temps que je lui montre qu'il en avait une grande dans la mienne, et que je n'avais aucunement l'intention de le laisser tomber à nouveau.
J'avais compris mes erreurs, et j'avais compris que ça faisait bien plus mal de vivre sans Yaël, ou de le voir vivre avec quelqu'un d'autre, que d'affronter le regard des autres.
Je ne m'enfuirais pas cette fois. Et je ne le laisserai plus partir non plus.
Et même si cela devait prendre du temps et des compromis, je le lui prouverai.
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Hey !
Comment allez-vous ? J'espère que tout va bien pour vous !
Moi je suis super contente de vous retrouver aujourd'hui pour ce chapitre que j'apprécie beaucoup plus que les précédents. J'ai bien aimé l'écrire, j'ai bien aimé décrire un Swann hyper jaloux et le voir un peu se bouger et prendre un peu les choses en main. Comme le pensait Camille, la jalousie est un déclencheur, un déclic, pour Swann.
Je suis impatiente d'avoir vos réactions sur ce chapitre !
Alors, qu'en avez-vous pensé ?
Swann jaloux ?
Sa conversation avec Camille ?
Swann qui se bouge et se décide à rejoindre Yaël ? Leur petit moment ensemble ?
La réaction de Yaël ensuite, vous la comprenez ? Et les paroles de Swann ensuite ?
Vraiment vraiment hâte de voir tous vos avis ! Tout comme j'ai hâte de vous poster le prochain chapitre parce que c'en est un qui m'a vraiment touché en l'écrivant.
Je fais mon maximum pour vous le publier au plus vite ! Et en attendant je vous souhaite une très bonne journée et je vous embrasse.
À bientôt, T.
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