31. Pretending
"Je fais semblant. De sourire, d'écouter, de répondre aux questions. Tous les jours j'attends un signe, un geste"
Guillaume Musso
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Swann
Je passai une main sur mon visage et laissai échapper un lourd soupir. Il faudrait bien que je me décide à me lever, même si je n'en avais aucunement envie. Allongé sur mon lit, mes yeux fixant le plafond comme s'il allait miraculeusement m'apporter toutes les réponses à mes questions, je ne trouvais rien d'autre à faire que de ruminer. Ressasser sans jamais m'arrêter les évènements de ces derniers jours, et tout ce qu'il s'était produit depuis deux semaines.
J'en avais assez. J'étais fatigué. Fatigué de jouer un jeu pour lequel je n'acceptai pas les règles, fatigué de prétendre être quelqu'un d'autre, fatigué de sourire et de faire croire à tout le monde que j'étais heureux alors qu'il y avait ce creux sombre qui grandissait dans mon ventre, ce vide que je ne pouvais plus combler et qui me faisait souffrir à chacune de mes respirations.
Tout ce dont je rêvais de faire à cet instant, plutôt que d'affronter ce monde de faux semblants dans lequel je devais évoluer, était de rester caché dans mon lit, roulé en boule sous ma couette. Je voulais ignorer tout ce qui m'entourait.
Je n'avais pas envie d'aller en cours. Je n'avais pas envie de faire semblant. Je n'avais pas envie de voir ceux qui prétendaient être mes amis mais qui ne se rendaient pas compte que cela faisait deux semaines que j'étais une épave. Je n'avais pas envie de faire comme si ces études m'intéressaient ou comme si elles m'apporteraient quoi que ce soit. Je n'avais pas envie de sourire. Et surtout, je n'avais pas envie de le voir au détour d'un couloir, de sentir ses yeux tristes se poser sur moi, de sentir sa présence près de moi sans plus pouvoir le toucher. Ça faisait trop mal.
Je n'avais pas envie d'aller en cours. Mais je n'avais pas le choix. Je ne pouvais pas sécher sinon ce serait mes parents qui me tomberaient dessus. Et je n'avais définitivement pas envie non plus qu'ils me prennent la tête en ce moment. Je ne voulais pas qu'ils en rajoutent, même si je savais que ça me pendait au nez.
J'avais déjà beaucoup trop de choses en tête pour penser à leur petite obsession à propos de mes fréquentations et le contrôle qu'ils espéraient exercer sur ma vie.
Je poussai un grognement et quittai à contrecoeur mon lit. D'un geste automatique, je récupérai des vêtements et me dirigeai vers ma salle de bain. Je me brossai les dents et me glissai sous la douche, laissant l'eau réveiller mon corps et détendre mes muscles. J'essayai de profiter de cet instant pour me vider la tête mais c'était trop difficile. J'avais ce poids sur mes épaules dont je ne parvenais pas à me défaire.
Dans un soupir, j'appuyai mes poings contre le carrelage devant moi et posai mon front contre ces derniers en fermant les yeux. Cela faisait des jours que je dormais mal et j'étais épuisé. J'étais triste et j'avais même cette pathétique impression d'être désespéré. Tout tournait en boucle dans ma tête, tellement de questions dont je ne parvenais pas à obtenir de réponses. Tout ce que je récoltais de ces questionnements incessants étaient des migraines et des vertiges. Je ne savais plus quoi faire, je ne savais plus ce quoi était bien ou mal, ce qui était mieux pour moi, ni quels sacrifices en valait plus la peine.
Je ne pouvais m'empêcher de me demander si j'avais pris la bonne décision. Il me suffisait d'apercevoir Yaël de loin pour ressentir sa tristesse et le voir dans cet état me retournait le ventre. C'était aussi pour ça que je ne supportais pas de rester trop longtemps près de lui, je ne supportais pas sa tristesse. Tout d'abord parce qu'elle me brisait le coeur et ensuite parce qu'elle faisait tellement écho à la mienne que ça me mettait mal à l'aise, torturant un peu plus mon esprit et mon coeur, me donnant presque la nausée.
Quand je voyais l'état dans lequel j'étais depuis deux semaines, et que je le comparais sans trop de difficultés à celui de Yaël, quand je voyais nos cernes et nos regards vides, quand je vois nos corps évoluer de manière si mécanique au travers de la foule d'étudiants, je me demandais réellement si la décision que j'avais prise était la meilleure. Je croyais le protéger, je croyais me protéger, mais tout ce que je voyais c'était deux âmes pathétiques et perdues qui se faisaient du mal à cause de mes propres angoisses. Tout ce que je ressentais était cette douleur qu'il éprouvait aussi de son côté, je le savais. Alors, est-ce que ça valait le coup ?
Si rien ne comptait, si j'étais certain que c'était pour le mieux, si je me pensais capable d'ignorer mes sentiments et de l'ignorer, lui, comme quand nous étions plus jeunes, alors pourquoi ça faisait si mal à l'intérieur ? Pourquoi j'avais ce poids sur mes épaules ? Pourquoi je ressentais ce creux dans mon ventre qui se tordait lorsque je pensais à lui ? Pourquoi j'avais l'impression que mon coeur m'avait été arraché ? Pourquoi tout mon corps me brûlait lorsque je pensais à tout ce que nous aurions pu avoir si je n'avais pas eu peur de tous ces jugements ? Pourquoi me manquait-il à tel point que je n'arrivais plus à respirer ?
Pourquoi était-ce si dur de faire semblant ? Pourquoi était-ce si dur de l'ignorer alors que c'était une chose que je parvenais très bien à faire il y a six ans de cela ? Pourquoi, lorsque je le voyais au détour d'un couloir, je devais résister à cette urgente et irrationnelle envie d'aller me jeter dans ses bras ? C'était ridicule.
Je ne devrais pas réagir comme ça. Je ne devais pas risquer de revenir sur ma position. Je devais continuer à prétendre que rien ne m'atteignait. Il le fallait. C'était plus facile comme ça.
Mais si ça ne me touchait pas, si Yaël n'était pas aussi important pour moi, alors pourquoi ce qui me faisait encore plus mal étaient toutes ces réflexions dont il était victime de la part d'Hugo ? Ces remarques débiles et blessantes, ces bousculades, ces provocations, pourquoi est-ce que ça m'atteignait tant ? Pourquoi ressentais-je cette colère brûler mon corps dès que celui qui devait être mon meilleur ami ouvrait la bouche pour sortir une de ses conneries ? Pourquoi ressentais-je l'envie et le besoin de lui foutre mon poings dans la figure ? Pourquoi ressentais-je le besoin de défendre Yaël ?
Pourquoi ne pouvais-je pas être indifférent ?
Je n'étais pas indifférent. Cette situation me tuait à petit feu à l'intérieur. Et personne ne remarquait rien. Mes amis étaient trop préoccupés par la dernière fille avec qui ils avaient couché ou par le prochain match de football tandis que mes parents ne faisaient attention à moi que lorsqu'ils avaient une leçon à me donner. Les seuls personnes qui avaient remarqué mon mal-être étaient Joyce et mon coach qui se demandait pourquoi je trainais comme, je cite, "une pathétique limace sous somnifère" sur le terrain.
Pour ce qui était de Joyce, j'essayais au maximum de l'éviter, même si cette dernière n'était pas stupide et qu'elle parvenait toujours à trouver un moyen pour me parler. Je l'aimais beaucoup mais j'évitais de croiser son chemin parce qu'à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche, il fallait qu'elle me fasse la morale, qu'elle me dise que j'étais en train de faire une connerie, que j'allais tout perdre et que je ne m'accrochais pas à la bonne chose, que j'allais le regretter. Je n'avais pas besoin de ça. Je n'avais pas envie d'entendre ça. Je ne pouvais pas l'entendre pour l'instant.
Ça faisait trop mal de l'écouter. Ça faisait trop mal de comprendre qu'elle avait raison. Ça faisait trop mal de ne pas avoir le courage de revenir sur ma décision, de faire les choses différemment et de réparer mes erreurs.
Tout faisait beaucoup trop mal. Alors je préférais rester paralysé à attendre que la vie, ma vie, me passe à côté. J'étais trop lâche.
Je rouvris les yeux et me décidai à sortir de la douche. Je me rendais compte que je venais d'y passer une éternité et si je ne me dépêchai pas un peu, alors j'allais arriver en retard. J'avais perdu toute notion du temps, tout comme j'avais perdu toute envie de faire quoi que ce soit depuis deux semaines. Je me trouvais pathétique.
Je m'habillai rapidement avec le premier jean et le premier sweat à capuche qui m'était tombé sous la main avant d'enfoncer une casquette sur ma tête pour cacher mes cheveux désordonnés que je n'avais pas envie de coiffer. Cela faisait des jours que mon apparence ne m'importait plus. Je me foutais de ce à quoi je ressemblais, je me foutais de savoir que j'avais l'air d'un pauvre gars déprimé, je ne voulais pas vraiment prendre soin de moi en ce moment. Je n'en avais pas l'envie, je n'en avais pas le courage, et je n'en voyais pas l'utilité.
Je n'avais personne à qui plaire. Et je n'avais pas l'intention de plaire à qui que ce soit en ce moment.
Seul Hugo se demandait pourquoi je me laissais aller en ce moment, et pourquoi je ne me mettais pas "en chasse" pour me trouver une autre jolie fille. Je ne lui répondais pas. Ça non plus je n'en avais définitivement pas envie. Je me contentais alors de lever les yeux au ciel en le laissant croire ce qu'il voulait.
J'enfilai mes basket, attrapai mon sac de cours et n'attendis pas une seconde de plus pour quitter ma chambre et m'engager dans les escaliers. Mon but était de passer le salon au plus vite pour ensuite atteindre l'extérieur de notre villa afin que je puisse me réfugier dans ma voiture. Je ne passerai pas par la case cuisine puisque je n'avais aucune envie de déjeuner. Je n'avais pas faim, et de toute façon je n'avais pas le courage d'avaler quoi que ce soit.
Et puis mon plan d'origine était d'éviter mes parents.
Malheureusement, cela ne fonctionna pas. En effet, lorsque mon pied se posa sur la dernière marche de notre escalier, je remarquai rapidement que mes parents étaient plantés là, devant moi. Comme s'ils m'attendaient. En réalité il me semblait que, oui, ils étaient bel et bien en train de m'attendre de pied ferme à en juger par leurs bras croisés et leur visage sérieux.
- Qu'est-ce que j'ai encore fait ? lançai-je d'un air blasé.
- On doit te parler du dîner avec les Martins, répondit mon père. J'en ai parlé à Rob et il m'ont dit qu'ils étaient disponibles vendredi. Seulement ils en ont pas encore parlé à Kaitlyn et nous aimerions que tu le fasses, que ce soit toi qui l'invite.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il est préférable que cette invitation vienne de toi, cela fera certainement plaisir à Kaitlyn, argumenta ma mère. Tu es un jeune homme qui va inviter cette jolie jeune fille de manière galante à ce dîner. Il faut soigner l'image que tu lui donnes, il faut soigner ce début de relation. Et ensuite nous attendons de toi que tu te comportes de manière exemplaire pendant ce fameux dîner. Nous comptons beaucoup là dessus, Swann.
- Bien sûr, parce qu'elle sera la parfaite belle fille pour vous, répliquai-je sarcastiquement. Et la parfaite petite-amie pour moi. C'est ça que vous attendez, pas vrai ? Vous attendez de moi que je lui demande de sortir avec moi. Parce que vous imaginez que c'est aussi simple que ça. Vous voulez pas que je lui fasses passer une note qui lui demanderait si elle veut être mon amoureuse avec des cases "oui" et "non" à cocher tant qu'on y est ?
- Swann arrête tout de suite tes sarcasmes et prends ça au sérieux pour une fois ! gronda mon père. Je ne crois pas que tu aies envie de nous pousser à bout ! Surtout pas en ce moment.
- C'est bon, me sors pas ton discours moralisateur, je vais le faire, soufflai-je en levant les yeux au ciel. Maintenant dégagez le passage où je vais être en retard.
Je n'attendis pas qu'ils se poussent et fonçai dans le tas pour les dépasser, prétendant ne pas faire exprès de bousculer l'épaule de mon père au passage. Cependant je n'eus pas le temps d'atteindre la porte que j'entendis la voix de ma mère m'interpeller derrière mon dos.
- Swann ! Dis-moi, tu ne revois plus Yaël, pas vrai ? voulut-elle savoir.
Je fermai les yeux une seconde et poussai un discret soupir avant de me retourner et de planter un regard de défi dans celui de ma mère.
- Non, maman, je n'ai pas revu Yaël, affirmai-je avec assurance. J'obéis bien gentiment à vos ordres, comme toujours.
J'avais marmonné ces deux derniers mots pour moi-même, pour me rappeler à quel point tout ça était pathétique, à quel point j'étais pathétique. Suivre les ordres totalitaires de mes parents alors que j'avais dix-neuf ans. Mais je sentais encore leur emprise comme un lien qui me ferait suffoquer si je tirais trop fort et je ne me sentais pas encore capable de le briser.
- Que je ne vienne pas apprendre que tu nous mens d'une quelconque manière, compléta mon père de sa voix grave et menaçante. Tu sais ce que vous risquez.
Vous. Je savais pertinemment que l'emploi de cette deuxième personne du pluriel n'était pas anodin. Chaque parole de mon père était calculée pour avoir la portée attendue, et dans ce cas-ci pour laisser entendre cette menace tacite. Moi, je savais ce que je risquais, je savais qu'il pouvait me retirer l'accès à la pratique du football à n'importe quel moment. Mais mon père était désormais conscient que ce n'était plus assez, et il savait que mentionner Yaël me ferait faire ce qu'il voudrait, et ce même si je ne savais pas réellement ce qu'il risquait.
Je devrais peut-être confronter mon paternel à ce sujet pour savoir s'il avait réellement des plans contre mon ancien meilleur ami, mais je n'en avais pas le courage. Alors pour l'instant je lui obéissais, comme un pion sur un échiquier dont mon père était le propriétaire. C'était lui qui maîtrisait le jeu. Je n'avais pas le courage d'avancer mes propres pions car je pensais ne pas en avoir.
Alors, en attendant, je continuai de protéger Yaël contre je ne sais quoi. Peut-être que c'était inutile, peut-être que mon père ne lui ferait rien, mais je ne pouvais pas risquer ça. Je ne pouvais pas risquer les études et l'avenir de Yaël, je ne pouvais pas risquer qu'il m'en veuille ensuite à cause de ça. Parce que j'aurais été la cause de ses malheurs.
Je lançai un dernier regard noir à mes parents et n'attendis plus un instant pour quitter cette maison et m'éloigner de cette étouffante tension qui régnait autour de nous. Je rejoignis ma Porsche et m'y engouffrai sans plus hésiter.
Je pris le temps de prendre une grande inspiration, fermant les yeux quelques secondes et reposant mon crâne contre l'appui-tête de mon dossier avant d'allumer le contact. La journée commençait très mal, et il me faudrait un courage exemplaire pour en venir à bout, je le sentais. Déjà que je n'avais aucune motivation, mes parents venait de drainer la dernière dose d'énergie qu'il me restait dans le corps.
Ça devenait de plus en plus difficile d'affronter la réalité qu'ils étaient en train de forger pour moi. Je n'aimais pas cette réalité, je n'y étais pas moi-même, elle n'était pas celle que je voulais. Et même si je n'arrivais pas encore à agir, j'en prenais doucement conscience.
Pour une fois, je ne dépassai pas les limitations de vitesse sur mon trajet jusqu'à l'université. Au contraire, je roulais plutôt comme un escargot, souhaitant retarder au maximum mon arrivée, et donc le début de mon enfer quotidien. Je voulais retarder ce moment où j'allais devoir faire semblant devant Hugo, rire à ses blagues et acquiescer à chacun de ses propos, notamment ceux à tendance clairement homophobes. Et je voulais aussi à tout pris retarder ce moment où j'allais apercevoir Yaël au bout du couloir alors qu'il serait déjà en train de m'observer comme tous les matins. Son regard faisait bien trop mal.
Sans parler du ridicule que j'allais me taper lorsque je devrais inviter Kaitlyn "comme un bon gentleman" à ce putain de diner pathétique.
Je grognai déjà d'exaspération alors que je me garais sur le parking de l'université d'Oxford. J'attrapai mon sac et claquai la portière de ma voiture avant de m'avancer d'un pas traînant vers le hall d'entrée principal.
Pas de Hugo à l'horizon, ni de Yaël. C'était déjà ça de gagné. De plus, je crus apercevoir Kaitlyn au loin qui semblait discuter avec une de ses amies. Peut-être que la chance me souriait finalement.
Consciencieux de saisir cette chance avant qu'elle ne s'envole, et pressé d'en finir avec la corvée que m'avait donnée mes parents, je me dirigeai rapidement vers la jeune fille afin de remplir ma mission du jour. Seulement je n'eus pas le temps d'aller bien loin puisque je sentis soudainement une force me retenir alors qu'une main venait de s'accrocher à mon poignet. Je perdis un instant l'équilibre avant de me retourner pour tomber sur deux prunelles noisettes qui me regardaient avec sévérité. Je fronçai les sourcils et me retenait de lever les yeux au ciel. J'avais cette intime conviction que j'allais passer un sale quart d'heure.
- Tu as réellement dit à Yaël que tes sentiments n'étaient pas réciproques ? s'exclama soudainement Joyce, sans prévenir ni tenter de rester discrète, ce qui lui valut un regard noir de ma part.
- Pas maintenant, Joyce, soufflai-je en ne me retenant plus de lever les yeux au ciel. J'ai pas le temps pour ces conneries.
- Swann Nelson ! s'époumona-t-elle en m'empêchant à nouveau de lui échapper. A quoi tu joues au juste ? Qu'est-ce que ça t'apporte de te mentir et d'enterrer tes sentiments ? A part de la douleur, bien sûr !
De la sécurité.
Seulement je n'osai pas prononcer, avouer, cette réponse à voix haute et préférai baisser la tête pour fixer piteusement le sol comme un petit garçon pris en faute.
- Regarde le, Swann. Regarde le bien, continua Joyce en posant sa main sur mon bras, m'incitant à me retourner vers une certaine personne dont je devinais l'identité. Lève la tête et regarde le vraiment. Et ensuite tu te trouveras un miroir pour te regarder à ton tour. Je ne sais pas ce que tu crois faire, je ne sais pas quelle logique tu t'es trouvé pour justifier ton éloignement, mais regarde la vérité en face. Ce n'est pas la bonne solution. Vous êtes tous les deux dans un état lamentable. Vous vous isolez chacun de votre côté et moi je sais plus quoi faire pour vous.
Sous la pression du discours de Joyce, et aussi parce que je n'arrivais pas à m'en empêcher, je relevai la tête et la tournai vers ma droite pour que mon regard se pose directement sur lui, l'objet constant de mes pensées, comme s'il était attiré.
Yaël se tenait là, à quelques mètres de moi, et pourtant j'avais l'impression qu'un océan nous séparait. La première chose qui me venait à l'esprit à chaque fois que je le voyais était à quel point il était beau, comme si mon coeur parlait toujours avant mon cerveau. Mais son visage sombre, ses yeux perdus dans le vide et son dos voûté ne trompait personne. Sa tristesse irradiait de tout son être jusqu'à venir me toucher en plein coeur, causant à ce dernier de rater un battement et à ma gorge de se serrer. Cette vision m'était insupportable.
- Si tu souffres, reprit Joyce. S'il souffre aussi. Si ça te fait souffrir de le voir comme ça, tout comme ça le fait souffrir de te voir dans cet état, alors pourquoi est-ce que vous continuez de vous faire du mal ? Je te comprends, Swann, vraiment, ne te braque pas, mais je ne peux plus vous voir dans cet état. Ça me fait beaucoup trop mal au coeur. Vous êtes en train de dépérir l'un sans l'autre alors que vous seriez bien plus forts ensemble. Réfléchis-y. Et fais quelques chose !
Joyce ne rajouta rien, et elle ne me laissa pas le temps non plus de prendre la parole, préférant s'en aller, me lassant planté là, comme un idiot. Elle venait d'exposer son point de vue et ça lui suffisait. Elle voulait certainement me laisser y réfléchir tout seul.
De toute façon je ne lui aurais rien répondu, tout comme je n'allais pas réfléchir tout de suite à son petit discours. Mon esprit était comme gelé et je n'avais pas la force de me faire mal à y penser maintenant. Et puis j'avais d'autres choses à faire.
Comme aller voir Kaitlyn qui se trouvait toujours à quelques mètres de moi, seule, cette fois-ci. Avant que tout courage ne me quitte, je m'avançai doucement vers elle. Comme si elle avait senti ma présence, la jolie brune se retourna dans ma direction et me gratifia d'un franc sourire en me remarquant.
- Swann ! Qu'est-ce qui t'amène ? me demanda-t-elle.
J'hésitai un instant, me mordant la lèvre, ne sachant pas trop comment aborder le sujet. Puis je décidai finalement de rentrer directement dans le vif du sujet, ça ne servait à rien de tourner autour du pot.
- Mes parents ont invité les tiens pour dîner ce vendredi, dis-je sans préambule. Et bien sûr il faut qu'on soit présents.
- Ah oui, j'ai entendu mon père en parler hier soir ! s'exclama-t-elle. Je ne crois pas qu'on ait trop le choix.
- Malheureusement non, soupirai-je. Et comme tout doit être parfait, que nous devons faire les choses bien et utiliser les bonnes manières, mes parents attendent que ce soit moi, personnellement et élégamment, qui t'invite. Donc, Kaitlyn, me ferais-tu le plaisir d'assister à ce diner de l'enfer auprès de moi ? Au moins ne serait-ce que pour un soutien psychologique.
Kaitlyn pouffa avant d'attraper ma main que je tendais vers elle depuis que j'avais formulé mon invitation.
- C'est avec plaisir que je vivrais ce calvaire en ta compagnie, répondit-elle en moquant le même ton exagérément aristocratique que j'avais employé.
- Cool, c'est au moins une bonne chose de faite, soufflai-je reprenant ma main.
- Tu voyais ça comme une tâche ingrate ? se moqua-t-elle gentiment.
- Honnêtement ? Oui.
Kaitlyn esquissa un sourire de compassion. Elle comprenait aussi bien que moi la situation. Nous avions des parents similaires et nous savions tous les deux très bien ce qu'ils attendaient de nous. Elle reprit la parole après que nous nous soyons regardé pendant quelques secondes sans trop savoir quoi se dire.
- Il sont persistants, pas vrai ? lança-t-elle. Ils essayent vraiment très fort de forcer cette relation. Je trouve ça pathétique.
- Ça l'est, confirmai-je. Mais je pensais que, peut-être, on pourrait leur donner ce qu'ils veulent. On pourrait leur montrer qu'on s'entend bien et comme ça ils nous laisseront sûrement un peu tranquilles.
- Tu veux dire que tu veux rentrer dans leur jeu ? s'enquit-elle en fronçant les sourcils.
Je n'arrivais pas vraiment à analyser l'expression de son visage à cet instant, mais je n'avais pas vraiment l'impression que cette idée lui plaise.
- Juste quelques heures, rajoutai-je. On pourrait leur faire croire que leur plan fonctionne, ils seront heureux comme ça et ensuite ils nous laisseront certainement faire évoluer notre relation comme on l'entend. Ils ne seront plus aussi investis. On n'aura qu'à créer une complicité, même peut-être leur faire croire qu'il y a bien quelque chose entre nous, je sais pas, leur faire voir une étincelle pour qu'ils y croient.
Kaitlyn resta silencieuse pendant quelques secondes. De trop longues secondes durant lesquelles je me demandais sérieusement si elle allait me rire ou nez ou bien me gifler.
- Donc, en résumé, tu veux que je fasse semblant d'être ta copine, reprit-elle, un sourcil haussé. Parce que, selon toi, ça serait suffisant pour qu'ils lâchent du leste ? Dis-moi la vérité, Swann, cette idée tordue, à qui elle profite réellement ? A tes parents ? Ou à toi ?
Je poussai un léger soupir et baissai un instant la tête. Les mains dans les poches, je me balançai d'un pied sur l'autre, n'ayant pas trop envie de chercher la réponse à cette question.
- Evidemment tu n'es pas obligée d'accepter, m'empressai-je finalement de rajouter dans un soupir. Mais ce serait juste histoire de calmer certaines tensions présentes en ce moment entre mes parents et moi, des tensions qui m'étouffent. Je voudrais juste qu'ils arrêtent deux minutes d'être sur mon dos. S'il te plaît, Kaitlyn. Je te revaudrais ça.
Je n'eus aucune réaction pendant quelques instants. Kaitlyn se contenta de m'observer, les sourcils froncés. Ses yeux sombres étaient plantés dans les miens, semblants sonder mon esprit et mon âme. Je ne sais pas ce qu'elle y vit mais elle finit par pousser un léger soupir en m'offrant un sourire sincère.
- C'est d'accord, pour cette fois, accepta-t-elle finalement. Je ferais semblant pour quelques heures. Mais il faudra aussi que tu arrives à t'affirmer auprès de tes parents, Swann, ou alors il vont te bouffer.
- Tu t'es affirmée, toi ? lui demandai-je, curieux.
- Oui.
- Mais tu acceptes quand même de faire semblant, de prétendre à une relation avec moi ? m'étonnai-je, les sourcils froncés.
- J'ai juste envie de t'aider, Swann, murmura-t-elle en haussant les épaules. Jusqu'à ce que tu aies le courage de t'affirmer tout seul, de te défendre.
Après avoir posé sa main sur mon bras et m'avoir offert un dernier sourire, Kaitlyn se retourna pour s'éloigner, se mêlant à la foule d'étudiant jusqu'à disparaître au détour d'un couloir.
Quant à moi, je restai à nouveau planté là, toujours aussi perdu, comme à chaque fois qu'on me sortait ce genre de conseils. Toutes ces petites choses, toutes ces petites remarques que j'avais reçu ces derniers temps commençaient à faire leur chemin dans mon esprit. Et cela me donnait à réfléchir autant que ça m'effrayait.
Et depuis que Kaitlyn était partie, une seule question, ne cessait de me hanter.
Comment m'affirmer quand j'étais encore pétrifié par la craintes de toutes les conséquences que cela engendrerait ?
♠️♠️♠️
Hey !
J'espère que vous allez bien ! Moi ça va, contente de vous retrouver aujourd'hui même si c'est vrai que les chapitres qui sortent en ce moment ne sont pas super joyeux... Il s'agit ici d'un chapitre de transition, je dois passer par là pour donné les deux points de vues, les deux visions, les deux façon dont Yaël et Swann gèrent cette rupture.
On se retrouve donc pour un point de vue Swann. Et oui, je sais que le comportement un peu ambivalent et lâche de Swann est agaçant ( croyez-moi, moi aussi j'ai envie de le secouer parfois...) mais il fallait que j'en passe par là. J'espère sincèrement qu'il saura se rattraper auprès de Yaël ET auprès de vous évidemment.
Sinon, qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Le comportement de Swann ? Sa vision de la situation ?
Cette charmante conversation avec ses parents ?
Kaitlyn ? Et cette proposition de Swann qui voudrait, en gros, qu'ils fassent semblant de sortir ensemble ?
Bon, je vous l'accorde, Swann est légèrement en train de faire n'importe quoi en ce moment, Joyce sera bien d'accord avec vous là-dessus, mais on croise les doigts très très fort pour qu'il se reprenne...
J'espère que la suite continuera de vous plaire tout autant ! En attendant, je vous souhaite une très bonne fin de semaine et je vous retrouve mercredi prochain pour un nouveau chapitre !
À bientôt, T.
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