28. Distance
"La distance est uniquement un test afin de savoir jusqu'où l'amour peut voyager. L'amour n'a pas de distance. Il n'a pas de continent. Ses yeux sont les étoiles."
Gilbert Parker
♠️♠️♠️
Yaël
Le regard rivé vers l'extérieur, j'observai le paysage défiler sous mes yeux. Cela faisait presque une demi-heure que nous traversions la campagne Anglaise en direction de Combe dans les Cotswolds, une chaîne de colline. Joyce nous conduisait, Swann, Austin et moi, jusqu'à chez ses grands-parents où nous passerions le week-end pour l'anniversaire de Swann qui avait lieu demain.
Visiblement, il s'agissait d'une tradition pour les deux amis. Chaque année, Joyce tenait à passer un week-end-end avec Swann à l'occasion de son anniversaire histoire de l'éloigner un petit peu de ses soucis ainsi que de ses parents qui ne faisaient jamais trop attention à leur fils, même lors de cette journée rien qu'à lui. En bonne amie qu'elle était, Joyce souhaitait juste remonter le moral de Swann, et lui offrir une journée de bonheur. Cette fille était incroyable.
Cette année serait un peu différente cependant, puisqu'ils ne seront pas seuls tous les deux. En effet, il avait été décidé à la dernière minute qu'Austin et moi devions les accompagner. Je crois que les deux amis s'étaient un peu chamaillés à ce propos. Finalement, si Joyce avait insisté pour m'inviter alors Swann avait eu la bonne idée d'insister à son tour pour inviter Austin. Ils se comportaient peut-être comme des gamins mais je ne pouvais pas nier être heureux de me retrouver là, auprès d'eux.
J'étais ravi de pouvoir passer l'anniversaire de Swann à ses côtés, vraiment. Cela faisait des années que je n'avais pas pu le fêter avec lui. Seulement je sentais bien que quelque chose n'allait pas. Je sentais que Swann était distant depuis quelques jours. Il m'avait à peine adressé un regard depuis que nous nous étions tous retrouvés ce matin et nos échanges durant la semaine passée avait été réduits à leur minimum. Evidemment, nos interactions publiques étaient limitées mais, même lorsque nous nous retrouvions seuls, Swann agissait à nouveau différemment. Comme s'il avait pris soin de remettre ces barrières entre nous. Il avait même refusé un deuxième rendez-vous, ou toute autre sortie ensemble, en me sortant une excuse bidon.
Quelque chose clochait, je le sentais. Il avait fait un pas en arrière et il y avait obligatoirement une raison, j'en étais persuadé, et j'étais bien décidé à la découvrir. Parce que je ne pouvais pas le perdre, pas encore. Je sentais qu'il me filait entre les doigts et je ne pouvais pas le laisser faire. Je ne pouvais pas le laisser s'éloigner sans me battre.
Alors je prétendais ne pas ressentir cette affreuse tension qui planait dans l'habitacle de la voiture.
J'étais assis à l'arrière, à côté d'Austin, tandis que Swann était à l'avant. Et je ne pouvais pas m'empêcher de jeter des petits coups d'oeil réguliers vers celui qui faisait battre mon coeur un peu trop fort. Parce que j'avais peur que ça ne soit la dernière fois qu'il m'autorise à le regarder de cette façon.
J'avais un horrible pressentiment. Mais, pour le moment, je tentai de me concentrer uniquement sur cette journée entre amis. En espérant que lui laisser du temps et de l'espace, sans l'oppresser, serait la bonne solution pour l'amener ensuite à me parler sereinement de ce qu'il avait sur le coeur. Il fallait qu'il vienne me parler. Si j'engageais la conversation alors je savais qu'il se braquerait.
Donc je passerai cette journée à interagir avec lui sans penser à cette épée de Damoclès au dessus de nos têtes en attendant qu'il s'ouvre à moi.
Le but de ce week-end était de profiter et de s'amuser. Et pour ça, Joyce nous avait prévu un planning à respecter à la seconde près si nous ne voulions pas nous attirer ses foudres. La première chose de prévu était une balade à cheval. Les grands-parents de notre amie tenaient une centre équestre et, visiblement, c'était un lieu qu'elle appréciait et fréquentait souvent avec Swann. Ils y avaient leurs habitudes et ses grands-parent lui laissaient bien volontiers l'occasion de profiter de cet endroit. Ensuite, une fois revenus à la maison, nous passerions la soirée entre amis jusqu'à ce que minuit sonne. Comme nous devions repartir assez tôt le lendemain, Joyce avait décidé que nous donnerions à Swann ses cadeaux à minuit, histoire d'attendre tout de même que nous soyons le 10 novembre.
J'espérai que Swann pourrait sortir de sa bulle pour s'amuser et passer un bon moment en notre compagnie.
Il ne nous fallut pas plus de cinq minutes de trajet supplémentaire pour arriver et nous garer devant le centre équestre. Il n'était pas bien grand et ne devait pas accueillir un nombre conséquent de chevaux mais ce n'était pas le plus important. Ce qui me sautait plutôt aux yeux était cette grande plaine bordée d'une forêt qui nous faisait face, un endroit idéal pour des balades à cheval. je remarquai aussi l'accueil chaleureux que nous faisaient les employés ainsi que la jolie décoration et le bon état du lieu qui semblait bien entretenu.
Nous patientâmes près d'un manège alors que Joyce nous quittait un instant pour aller chercher nos chevaux à l'aide d'une employée. Je devais bien admettre que l'atmosphère se fit pesante lorsque je me retrouvais seul avec les deux autres garçons. Austin était quelqu'un de très sympathique mais je ne le connaissais pas plus que ça. Tandis que Swann, malgré toutes mes tentatives pour capter mon regard, s'entêtait à me fuir.
Je tentai tout de même de me rapprocher de lui, ne supportant pas cette distance qu'il mettait entre nous. Nous n'étions qu'à quelques mètres l'un de l'autre mais c'était presque comme si nous nous tenions sur un continent différent. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser que c'était de ma faute, que j'avais fait quelque chose qui avait provoqué son comportement. Et je savais très bien que cela remontait à la fête d'Halloween alors, au fond, je savais que c'était à cause de ce baiser et de la panique qu'avait causé la suite des évènements.
Cependant, je ne pus résister à établir un contact, aussi subtil soit-il, en effleurant le dos de sa main du bout de mon auriculaire. Swann releva vivement la tête vers moi et je tentai un sourire tendre qu'il ne me rendit pas. Au lieu de ça, il se mordit le lèvre en baissant à nouveau le regard, les yeux fixés sur ses chaussures. Il y avait définitivement quelque chose qui le tracassait, et j'aurai aimé qu'il soit assez en confiance pour m'en parler, pour comprendre que je serais toujours là pour l'écouter.
Mais aucune parole ne fut échangée et, bien qu'il ne s'était pas éloigné, je ressentis tout de même un gros pincement au coeur.
Joyce et la jeune employée ne tardèrent pas à revenir en tenant les rennes d'un cheval dans chaque main. Swann s'approcha directement pour prendre les rennes de celui que Joyce tenait de sa main droite avant de caresser sa tête, comme s'il était habitué à l'animal.
- Alors, comme d'habitude, moi je monterai Raven, ma jument, commença Joyce. Et Swann sera avec Storm, ils se connaissent et font une bonne équipe tous les deux. Pour toi, Austin, j'ai choisi Kiwi. Il est doux et très calme, tu devrais pas avoir de problèmes avec lui.
Austin hocha la tête avec de s'approcher d'un cheval à la robe brune et à la crinière claire. Moi je restai encore un peu à l'écart, les mains dans les poches. J'observai la majestueuse jument à la robe noire de Joyce et le magnifique cheval au pelage gris tacheté de Swann avec inquiétude. En fait, j'étais même très angoissé. L'idée même de monter sur un cheval me rendait incroyablement anxieux. Je ne l'avais jamais fait et ça m'inquiétait terriblement. Je n'avais pas peur des chevaux mais je n'étais pas familier avec ces animaux non plus.
- Pour toi, Yaël, j'ai choisi Roméo parce que ça tombait évidemment sous le sens, lança Joyce de ce petit ton malicieux.
Je pouffai en levant les yeux au ciel. Elle était réellement irrécupérable. Un coup d'oeil à Swann me suffit pour voir que ce dernier avait toujours la tête baissée.
- Plus sérieusement, reprit-elle, Roméo sera très gentil avec toi. Je t'avoue qu'il est jeune, impulsif, et qu'il a un petit caractère de cochon, mais il reste très doux et à l'écoute avec ses cavaliers.
Je déglutis et m'approchai de Roméo. Il était blanc et seule sa patte avant gauche était habillée d'un joli marron clair. Je devais bien avouer qu'il était très beau, mais il était aussi et surtout très intimidant. Joyce a mes côtés pris tout de même le temps de me rassurer et de me familiariser avec lui. Elle attrapa même ma main avant de la porter doucement vers la tête de Roméo pour que je puisse le caresser.
Après quelques minutes de mise en confiance, je finis par prendre les rennes de Roméo alors que nous partions tous chouchouter les chevaux avant de les équiper. Du coin de l'oeil, je voyais bien Swann me lancer des petits regards attendris mais je fis exprès de les ignorer pour ne pas le braquer.
Je me rendis bientôt compte que Joyce était déjà installé comme une cavalière professionnelle sur sa jument. Austin l'avait rapidement imité, semblant plutôt à l'aise avec son cheval. Swann, quant à lui, avait toujours les pieds bien ancrés au sol, comme s'il m'attendait, inquiet, avant de monter son cheval. Et comme je ne bougeai toujours pas, et que mes mains tremblaient de plus en plus, Swann finit par s'approcher après que Joyce l'ai incité d'un signe de tête.
- Respire, m'indiqua-t-il doucement, s'adressant alors à moi pour la première fois de la journée. Si tu es stressé, il va le sentir et lui aussi sera crispé, et vous aurez obligatoirement du mal à vous entendre. Alors que si tu te détends, il sera détendu aussi, et il t'écoutera. Je t'assure que ça ira. Allez monte.
Swann attrapa les rennes et tint Roméo en place, m'assurant qu'il ne bougerait pas. Finalement, et après avoir pris une grande inspiration, je glissai un pied dans l'étrier pour me hisser fébrilement sur le dos du cheval. Roméo resta calme et Swann me rendit les rennes.
- Tu vois, tout vas bien, assura-t-il. Faites-vous confiance.
- C'est toi qui parle de confiance ? répliquai-je sans réfléchir, avec davantage de malice que de méchanceté.
Swann leva la tête jusqu'à ce que son regard rencontre le mien. Un très léger sourire se forma sur ses lèvres, un sourire auquel je répondis. Seulement, notre moment fut brutalement coupé par Roméo qui avança de quelques part sans prévenir, ce qui provoqua un cri de surprise de ma part et un rire de la part de Swann.
- Concentre toi sur ton cheval au lieu de me faire part de ton sarcasme, lança-t-il avant de s'éloigner.
Swann monta sur son cheval avec légèreté et assurance, il était habitué ça se voyait. Joyce me donna encore quelques conseils pour guider mon cheval avant de décider qu'il était temps de se mettre en route. Nous nous avançâmes dans cette plaine qui nous faisait face, certainement dans le but d'arpenter ensuite la forêt.
Les dix premières minutes de balade se passèrent pour moi dans un état de nervosité assez élevé. Il me fallut ce temps d'adaptation pour me détendre et apprendre à faire confiance à l'animal qui me portait. Mais en faisant attention à ma respiration et en me concentrant davantage sur mes amis qui riaient et profitaient de l'instant, je me surpris à relâcher la pression et à apprécier cette promenade.
Swann s'était remis à m'ignorer mais au moins j'avais l'occasion de le voir sourire et rire auprès de Joyce. Et même si tout était compliqué entre nous, même s'il était momentanément distant, même s'il avait des doutes, le voir heureux était tout ce qui m'importait.
- C'était bien sympa mais ça vous dit d'aller plus vite ? s'enthousiasma soudainement Swann après plus d'une demi-heure d'une tranquille balade.
- C'est une promenade, pas une course, Swann, lui fit remarquer Joyce d'un ton sérieux.
- Allez, on est là pour s'éclater, non ? insista-t-il. Il suffirait juste d'aller jusqu'à la clairière et de voir qui arrive en premier, c'est pas bien méchant.
- Swann, je te rappelle qu'on a deux débutants avec nous, et qu'ils ne connaissent pas cette forêt, argumenta notre amie. On va soit les perdre, soit les retrouver blessés.
- T'es pas marrante, baragouina-t-il. Je suis sûr qu'ils s'amuseraient et que c'est une bonne idée.
Joyce lui jeta un regard noir qui fut royalement ignoré. Et après avoir passé quelques secondes supplémentaires à négocier, Swann finit par tourner la tête vers moi, arborant un rictus et un regard malicieux.
- Rattrape moi, lança-t-il avant de s'élancer au galop devant nous.
Mon cerveau s'éteignis automatiquement, ne réfléchissant plus avant de m'engager sur ce même sentier, à sa suite. La seule chose que j'entendis fut Joyce crier nos noms. Je ne voyais plus rien à part l'ombre de Swann devant moi, et je ne pensais plus à rien, oubliant le fait que je n'avais aucune expérience en équitation, oubliant toutes les conséquences, tout ce qui pouvait mal tourner. En me lançant ce regard avant de partir, Swann savait que je le suivrais, parce que j'étais incapable de faire autre chose que de le suivre. Je m'étais fait avoir, comme d'habitude, et je continuerai de me faire avoir tant qu'il me regardera avec ses yeux là.
Le problème à l'instant, c'était que Roméo, le jeune cheval qu'on m'avait donné, appréciait un peu trop ce moment de liberté. Il allait vite, et moi je paniquais parce que je n'étais définitivement pas rassuré sur le dos d'un cheval au galop. Roméo n'obéissait plus, il était incontrôlable et si nous parvînmes à dépasser Swann et Storm, moi je ne parvenais ensuite plus à l'arrêter. La situation oscillait entre comique et dramatique.
Ce fut lorsque j'entendis Swann me parler, la voix rongée par l'inquiétude, que je compris que j'étais dans la merde.
- Yaël, tire les rennes ! me lança-t-il.
Je m'exécutai, d'un geste fébrile et automatique, et Roméo rua subitement. Je n'eus pas le temps de me retenir et glissai de son dos jusqu'à me retrouver au sol dans un plainte de douleur.
Alors que je me redressai, je vis Swann descendre rapidement de son cheval avant de se précipiter vers moi. Les sourcils froncés, l'air anxieux, il s'accroupit à ma hauteur et plaça ses mains sur mes joues.
- Ça va ? T'es pas blessé ? T'as rien de cassé ? énuméra-t-il d'un seul souffle. Putain, je suis désolé. Je pensais pas que tu tomberais ! J'aurais jamais dû proposer ça. Joyce avait raison, c'était dangereux. Je suis vraiment désolé. J'ai jamais voulu te blesser.
- Swann, l'interrompis-je. Ça va, je t'assure. J'ai rien de cassé, tout va bien.
Swann poussa un soupir avant de me prendre dans ses bras. Je ne sus pas trop d'où vint ce soudain élan d'affection mais je ne m'en plaignais pas, me fondant au contraire un peu plus dans son étreinte. Si c'était le seul contact que je pouvais obtenir de lui aujourd'hui alors il était hors de question que je le laisse filer aussi facilement.
- Tout ce que je retiens, ce que tu es aussi nul en équitation qu'en football, lança Swann contre moi, comme pour détendre l'atmosphère. C'est vraiment pas ton truc le sport, pas vrai ?
Je grognai légèrement face à cette remarque mais ne pus empêcher un sourire de prendre place sur mes lèvres.
- Vous êtes vraiment débiles ! s'écria une voix féminine arrivant à notre hauteur. Je savais que ça tournerait mal mais vous avez préféré ne pas m'écouter. Vous êtes de vrais gamins, intenables.
- Je crois qu'on a fâché maman Joyce, soufflai-je à l'oreille de Swann.
Ce dernier pouffa dans mon cou avant de se reculer non sans qu'une complainte ne s'échappe de mes lèvres à cause de ce contact qu'on me retirait et qui me manquait déjà.
Après s'être fait disputés par Joyce pendant au moins cinq bonnes minutes, Swann m'aida à me relever avant de s'assurer pour la énième fois que j'allais bien et que je n'étais blessé nul part. J'avais eu de la chance, à part la douleur du choc sur le coup, je n'avais désormais plus mal nul part. J'aurais peut-être quelques bleus mais rien de dramatique contrairement à ce que d'autres accidents d'équitation pouvaient causés.
Néanmoins, pendant ces quelques minutes d'inspections de la part de Swann, je profitai tout de même de ses mains sur mes épaules et de ses yeux azurs qui scannaient mon corps avec attention avant de plonger dans les miens pendant quelques secondes.
Et j'eus bien raison de profiter de ces contacts et de son regard sur moi, puisque ces derniers ne se reproduisirent pas de la journée après cet incident. En effet, après qu'il m'ait aidé à remonter sur mon cheval et que nous soyons revenu au centre équestre, Swann avait à nouveau adopté ce même comportement distant avec moi. L'ignorance qu'il me réservait depuis ce matin était revenue me frapper en plein visage.
Et même maintenant, alors que la soirée était désormais bien avancée et que l'ambiance de notre soirée entre amis semblait détendue, je ne parvenais pas à capter le regard de Swann. Et je voyais bien que même Joyce trouvait ça étrange, je voyais les petits regards qu'elle nous lançait, je voyais à quel point elle communiquait sans paroles avec Swann, d'un simple regard, comme une conversation silencieuse entre eux.
Mais rien n'y faisait, Swann n'était pas décidé à venir vers moi. Même si c'était à cause d'une mauvaise nouvelle, j'aurais voulu qu'il ait le courage de venir m'en parler en face.
- Bon, on s'est bien amusés jusqu'ici mais moi j'ai envie de danser, lança Joyce en se relevant soudainement.
Sans attendre, elle sortit son téléphone de sa poche avant de mettre une musique en route. Elle attrapa ensuite la main d'Austin pour l'entraîner au milieu du salon. Ce dernier la suivit évidemment sans hésiter. Un sourire se forma sur mon visage alors que je les regardais commencer à danser ensemble, l'alchimie passait réellement bien entre eux, et ils se comportaient déjà comme un couple.
En revanche, lorsque je tournai la tête vers Swann, je m'aperçus que celui-ci semblait ailleurs. Son regard était perdu dans le vide, comme s'il était prisonnier de ses pensées et qu'il refusait de s'amuser tant que ce qui le préoccupait n'était pas réglé.
- Swann ! Danse avec Yaël ! lança subitement Joyce, nous faisant tous les deux sursauter.
Swann releva la tête vers son amie avant de me jeter un regard en coin puis finit par secouer négativement la tête. Au moins le message était clair.
- Non j'ai pas très envie, souffla-t-il.
- Danse avec moi alors, insista-t-elle en s'approchant, une main tendue vers lui. Reste pas dans ton coin et profite de la soirée. Dans quelques minutes c'est ton anniversaire, en plus.
- J'ai pas très envie de danser, répéta-t-il. Je suis pas trop d'humeur pour faire la fête.
Joyce poussa un soupir tout en posant ses poings sur ses hanches. Son regard alterna entre Swann et moi, comme si elle était spectatrice d'un match de tennis.
- Je sais pas ce que vous avez tous les deux mais vous allez bien être obligés de communiquer puisque vous allez dormir dans la même chambre, lâcha-t-elle finalement.
- Quoi ?
La tête que faisait Swann à cet instant aurait pu être hilarante si je ne m'inquiétais pas aussi de cette situation.
- Swann, tu sais très bien qu'il n'y a pas cinquante chambres ici, soupira Joyce. J'ai la mienne et toi tu as la chambre d'ami qui, depuis le temps, est devenu la tienne. Je pense que c'est logique que je dorme avec Austin tandis que toi, tu dors avec Yaël.
- Mais t'es pas obligée de dormir avec Austin, tu sais, répliqua-t-il. Je peux dormir avec toi, on l'a déjà fait, ça me dérange pas. Et les deux autres auront qu'à prendre la même chambre.
- Ils se connaissent à peine, tu parles d'un moment gênant ! s'exclama-t-elle. Toi, tu as déjà dormi avec Yaël. Tu l'as fait il y a deux semaines, et je suis sûr que vous avez déjà dormi dans le même lit quand vous étiez petits. C'est mieux comme ça.
- Sinon je dors avec Austin, continua Swann, faisant semblant de ne pas entendre les arguments de Joyce. Toi et Yaël vous vous connaissez, et puis tu risques rien avec lui.
J'aurais pu sourire de cette remarque si Swann n'était pas actuellement en train d'agir comme un gamin et que je ne me sentais pas pitoyablement mis à l'écart d'une conversation qui me concernait pour moitié.
- Swann, arrête un peu de te sortir des excuses, souffla Joyce en levant les yeux au ciel. Tu dormiras avec Yaël et puis c'est tout. Je suis sûre que tu en aurais été ravi si tu n'avais pas passé la journée à faire la gueule et à l'ignorer. Je ne pouvais pas prévoir, moi, que vous seriez à nouveau en froid ce week-end. Vous êtes compliqués à suivre, bon sang ! Maintenant dors par terre si tu veux, c'est pas mon problème. Mais laissez-moi dormir avec Austin, merde !
Le silence retomba après la tirade coup de gueule de Joyce. Swann ne trouva rien à redire, préférant faire la moue comme un enfant de cinq ans, tandis que je me tassai dans le canapé, ne sachant plus où me mettre. Austin, lui, était resté dans un coin du salon et se balançait d'un pied sur l'autre l'air de se demander ce qu'il foutait là.
Le malaise fut dissipé par une sonnerie qui s'éleva soudainement du téléphone de notre amie, attirant tous nos regards dans cette direction. Cela suffit pour que Joyce, qui ne restait jamais fâchée très longtemps, retrouve son sourire et son attitude malicieuse et enfantine.
- Ça y est, il est minuit ! s'enthousiasma-t-elle. C'est l'heure de te donner tes cadeaux.
- Attends, tu as vraiment mis une alarme pour que ton téléphone sonne à minuit pétante ? lançai-je à son intention.
- Bah oui, dit-elle en haussant les épaules, je voulais être la première à lui souhaiter son anniversaire.
Je souris à cela tout en la regardant déjà courir vers sa chambre où nous avions entreposé les deux présents que nous avions pour Swann. Joyce était réellement la meilleure des amies qu'on pouvait rêver d'avoir.
- T'en fais pas, avec les années on finit par s'habituer aux idées bizarres de Joyce, souffla Swann qui s'était timidement installé un peu plus près de moi.
Je n'eus pas le temps de répondre quoi que ce soit que Joyce déboula à nouveau dans la pièce comme une furie. Elle me fit discrètement passer une pochette avant de se tourner vers Swann.
- Joyeux anniversaire, Swann ! s'exclama-t-elle en lui tendant une enveloppe.
Ce dernier l'attrapa avant de l'ouvrir d'un geste lent. Pour la première fois en quelques heures, je vis les yeux de Swann pétiller tandis qu'un vrai sourire sincère se formait sur ses lèvres, entraînant automatiquement le mien, alors qu'il découvrait ce que contenait l'enveloppe.
- C'est de la part de nous tous, on a tous participé pour t'offrir ça, précisa Joyce. Mes parents aussi nous ont aidés, ils te souhaitent un joyeux anniversaire.
Délicatement, Swann sortit les billets de l'enveloppe pour mieux se rendre compte de ce cadeau, et son visage s'illumina. Il s'agissait de deux places pour le prochain match de Manchester United, l'équipe que Swann supportait depuis toujours, contre Chelsea. Il semblait si heureux en observant ces billets alors qu'il murmurait un "merci" à l'intention de notre groupe. Le voir comme ça me réchauffait le coeur parce que, au fond, c'était tout ce qui m'importait.
Pris par l'enthousiasme de ce moment, je ne craignais plus de lui donner le cadeau que je lui avais réservé. Je tendis alors à Swann la pochette que Joyce avait ramené il y a quelques minutes.
- Joyeux anniversaire, Swann, soufflai-je.
- Merci, chuchota-t-il alors qu'il attrapait le cadeau en effleurant ma main.
Un léger sourire lui échappa lorsqu'il le découvrit. Ce n'était pas grand chose, juste un livre que j'avais vu en rayon la dernière fois que j'étais allé dans cette petite librairie du centre d'Oxford. Il s'agissait du nouveau livre de notre auteur de science fiction favori. Je crois que, à l'époque, nous avions lu toute sa bibliographie. C'était peut-être un livre pour adolescent mais je lui offrais simplement ce présent en guise de petite attention, un cadeaux symbolique en souvenir de notre enfance passée ensemble à s'échanger des avis de lectures.
Et je crus un instant, naïvement, que ce cadeaux allait effacer toutes ces minutes d'ignorance que j'ai dû subir aujourd'hui, toute cette distance et tension entre nous, que ses yeux brillants suffiraient à renouer le dialogue entre nous. Seulement, lorsque son sourire se fana et qu'il reposa le livre sur la table basse, je compris que mes espoirs n'étaient qu'illusion.
- Merci pour les cadeaux, lança-t-il. Mais je pense que je vais aller me coucher maintenant.
Et sans que nous n'ayons eu le temps de comprendre quoi que ce soit, sans même que Joyce n'ait eu le temps de l'interpeller pour l'inciter à rester, Swann se leva et disparu dans le couloir qui menait aux chambres. Déçu, mais aussi curieux de ce comportement qu'il arborait depuis ce matin, je décidai de le suivre.
Je le rattrapai rapidement et refermai la porte de la chambre derrière nous.
- Qu'est-ce qui se passe, Swann ? demandai-je directement. Tu as été distant toute la journée, et je sais qu'il y a une raison pour ça. Parle-moi.
- Pourquoi t'es là ? Pourquoi t'es venu ici avec nous ? éclata-t-il en se retournant vers moi.
Je fronçai les sourcils, perdu, ne comprenant pas bien ces questions et sa réaction.
- Parce que Joyce m'a invité, parce que ça me faisait plaisir de venir, et parce que je pensais que ça te ferait plaisir aussi qu'on passe ton anniversaire ensemble, répondis-je prudemment.
- Parce que tu t'intéresses à mon anniversaire, maintenant ? lâcha-t-il, les dents serrées.
Je fis un pas en arrière et plissai les yeux, encore plus confus qu'avant. Mais qu'est-ce qui lui prenait ?
- Honnêtement, Swann, je ne comprends pas. Je ne vois pas où est le problème.
- Le dernier anniversaire auquel tu étais invité, tu n'y es jamais venu ! explosa-t-il. Tu ne t'es jamais pointé ! Tu m'avais promis ! Tu m'as promis mais tu n'es jamais venu ! Tu m'as abandonné et après ça tu n'as plus jamais remis un seul pied chez moi !
- Attends, on parle de l'anniversaire de tes onze ans, là ? compris-je soudainement. Swann, c'était il y a des années. Pourquoi tu penses à ça maintenant ?
- C'était peut-être il y a des années mais ça fait toujours aussi mal ! rétorqua-t-il. Et je n'ai toujours pas compris pourquoi tu m'as abandonné du jour au lendemain.
J'observai Swann un instant. Ces yeux brillants et ses mains tremblantes ne trompaient personne, il était visiblement encore réellement touché par ce souvenir.
- Tu crois vraiment que c'est ce qui s'est passé ? répliquai-je soudainement, plus calmement. Tu crois vraiment que je t'aurais laissé tombé ? J'étais là, Swann. Je suis venu.
- Qu'est-ce que tu racontes ? T'es pas venu, continua-t-il d'affirmer, les bras croisés contre son torse. Je t'ai attendu toute la journée et t'étais pas là.
- J'étais là, à l'heure et impatient, insistai-je. J'ai sonné à votre porte et c'est ta mère qui m'a renvoyé chez moi en essayant de me convaincre que tu étais malade et que la fête était annulée, ce que je n'ai pas cru une seconde. J'ai insisté, mais elle n'a jamais voulu me laisser entrer.
- Je ne te crois pas.
- Bien sûr que si, tu sais très bien que tes parents en sont capables ! m'écriai-je. J'ai essayé de te parler dès le lendemain à l'école mais tu m'ignorais parce que tu étais en colère contre moi. Tu ne t'en ai jamais rendu compte mais c'est ce qu'ils voulaient, nous séparer. Et ils ont réussi. Tu es tombé dans leur piège.
- Non, ils n'auraient pas fait ça ! contra-t-il, sur la défensive. Tu étais mon meilleur ami. Et puis, c'est débile, on aurait pu s'expliquer.
- Il savaient que tu ne le ferais pas, parce que tu es susceptible, Swann, et que tu m'en voulais parce que tu étais blessé. Et dès qu'ils se sont débarrassés de moi, ils t'ont mis Hugo dans les pattes tout en commençant à te retourner le cerveau. Ils ne voulaient pas te voir avec moi, Swann, ils avaient peur que j'ai un peu trop d'influence sur toi. Ils t'ont façonné comme, eux, ils voulaient que tu sois. Ils t'ont toujours manipulés, Swann.
Un lourd silence retomba entre nous. Swann fit quelques pas en arrière tout en se recroquevillant sur lui-même. Je voyais bien les larmes au coin de ses yeux qui menaçaient de couler même s'ils faisait tout pour les retenir, je voyais bien les rouages de son cerveau tourner alors qu'il réfléchissait et qu'il semblait retracer le fil de ses souvenirs. Les bras qu'il avait croisés contre son torse prirent une position davantage protectrice que défensive.
- Et je suppose que tu n'as jamais eu mes cadeaux non plus, rajoutai-je. Elle ne te les a jamais transmis.
- Des cadeaux ? répéta-t-il d'une petite voix tout en relevant son regard larmoyant vers moi.
- Ceux que j'ai laissé à ta mère ce jour là, et ceux que je t'ai adressé chaque année avant que je ne déménage.
J'observai, impuissant, Swann secouer la tête de droite à gauche, comprenant qu'il avait encore du mal à accepter tout ce que je venais de lui dire. Comme épuisé, il se laissa tomber sur le lit, la tête entre ses mains.
- Parle à ta mère, confronte là, lui conseillai-je d'un ton plus calme. Peut-être qu'elle aura enfin le courage de t'avouer la vérité, pour une fois.
Swann ne répondit rien, il prit simplement une grande inspiration avant de laisser son dos retomber contre le matelas, sa tête reposant désormais sur son oreiller.
- Je peux pas croire qu'ils aient fait ça, souffla-t-il plus comme une réalisation qu'un entêtement dans le déni.
Je ne répondis rien, je n'en avais pas besoin. Swann ne m'écouterait plus aujourd'hui et je n'avais plus rien à dire. Mes paroles devaient désormais faire leur chemin dans son esprit et ce serait à lui de décider de ce qu'il voudrait faire de cette information. Ses décisions, toujours. Je voulais lui laisser ça, le laisser décider, parce qu'on l'avait privé de ce droit pendant trop longtemps.
Dans le plus grand des silences, je vins m'installer à côté de lui. Allongé sur le dos, j'étais dans la même position que Swann. Quelques centimètres nous séparaient et pourtant aucun de nous deux n'osa les franchir. Aucun toucher, aucun réconfort, juste ce lourd silence qui flottait entre nous. Un silence qui cachait encore des choses, je le savais, un silence qui n'était autre que le synonyme d'un tournant dans cette relation que nous avions entamée. Et je n'étais pas sûr que ce tournant serait positif.
- Il y a autre chose, pas vrai ? murmurai-je finalement, comme si j'avais peur de le dire trop fort. Je sais qu'il y a autre chose, et je sais que tu es en train de me lâcher.
La respiration de Swann fut tout ce que j'entendis. Je n'aurais pas de réponse, il était en train de me lâcher et je ne savais pas comment le rattraper.
- Tu sais, à l'époque, on aurait dû se parler, parce que je suis sûr qu'on aurait été plus fort tous les deux. On serait plus fort si on leur faisait front ensemble. J'aurais aimé que tu te sentes assez à l'aise pour me parler, et j'aurais aimé que tu me fasses assez confiance pour t'accrocher à moi.
Toujours aucun mot ne s'échappa de la bouche de Swann, seulement un douloureux soupir avant qu'il ne se retourne pour s'installer sur son flanc, me tournant le dos.
Et ce fut aussi ainsi que nous passâmes la nuit, sans nous prendre dans les bras, sans plus d'explications. Si près et pourtant si loin l'un de l'autre. Comme si les dés étaient déjà jetés de son côté, et qu'il n'y aurait plus rien que je ne puisse dire ou faire pour le rattraper et l'empêcher de m'échapper.
♠️♠️♠️
Hey !
Comment allez-vous ?
Moi, comme toujours, je suis contente de vous retrouver aujourd'hui. Je sais que je me répète mais c'est sincère.
Alors, on voit dans ce chapitre qu'une certaine tension s'est immiscée entre Yaël et Swann, ce dernier mettant de la distance entre eux. Évidemment ils ne se disputent pas seulement pour des cadeaux d'anniversaires, il y a quelque chose de plus profond et Yaël le comprends. Tout ça à bien sûr un but...
Qu'en avez-vous pensé ?
Cette journée d'anniversaire ? La balade à cheval et le centre équestre ? La soirée ?
Le comportement de Swann ? La distance qu'il instaure ?
Les révélations que Yaël fait a Swann à propos du fameux onzième anniversaire et de ceux qui ont suivi ?
Comment envisagez vous la suite maintenant ?
Je vous préviens dès maintenant, le prochain chapitre sera un flashback...
Voilà, j'espère que ce chapitre vous aura plu, et j'ai hâte de voir toutes vos petites réactions !
En attendant je vous souhaite une très bonne fin de semaine et un très bon week-end ensuite. Je vous dis à la semaine prochaine pour un nouveau chapitre !
À bientôt, T.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top