25. Liberating

"La liberté d'aimer n'est pas moins sacrée que la liberté de penser."

Victor Hugo

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Swann

Mes poings fermement agrippés au volant de ma voiture, je m'y accrochais dans l'espoir de cesser les tremblements de mes mains. J'étais complètement stressé. Mais ce n'était pas la même angoisse que d'habitude, ce n'était pas cette peur paralysante d'être vu avec Yaël, cette peur qu'on se fasse des idées ou qu'on comprenne que le lien qui nous unissait était plus fort qu'une simple amitié.

Non, le stress qui me ravageait à cet instant était un simple stress d'adolescent. Celui qui vous tordait le ventre et faisait palpiter votre coeur à l'idée de passer ce moment avec une des personnes qui comptaient le plus pour vous. Cette appréhension qui vous faisait espérer que tout se passe bien, que ce fameux rendez-vous se déroule au mieux. Je ne savais pas trop comment je me sentais par rapport à ça, par rapport à ce rendez-vous, mais je sentais que ce stress était un bon stress. C'était même presque libérateur.

Je n'avais pas la gorge nouée, la peur au ventre, cette tension que je devais porter sur mes épaules. Non, je ressentais plutôt une excitation et une certaine impatience à l'idée de me laisser aller à cette sortie avec Yaël. Je me sentais plus léger. Ma seule angoisse était celle d'être à la hauteur pour lui.

L'idée de ce rendez-vous était tout nouveau pour moi. Je n'étais pas quelqu'un de romantique, et je n'étais pas le genre de gars qui emmenait sa copine dans de superbes endroits pour l'émerveiller et la séduire. J'étais un goujat avec les filles, c'était quelque chose d'établit, et elles savaient en général dans quoi elles s'embarquaient avec moi, même si elles finissaient toujours pas espérer plus. Alors, de mon côté, je ne savais pas quoi attendre et espérer de cette journée.

Et puis c'était nouveau parce que c'était Yaël. Je devais me laisser aller à lui faire confiance. Je devais le laisser mener la danse. Fermer les yeux et le suivre aveuglément. Je n'avais pas pour habitude de faire ça. J'avais l'habitude de tout contrôler. On m'avait appris à tout contrôler, toujours. Mais peut-être qu'un temps de répit ne pouvait être que profitable. Peut-être que me reposer sur Yaël, rien que quelques heures, me permettrait de respirer. Peut-être que si j'oubliais cette pression sur mes épaules et que je laissais Yaël tenter de me rendre heureux alors j'aurais moins peur d'affronter la suite de notre aventure.

Je roulais encore quelques minutes jusqu'à me garer devant un des nombreux parcs de la ville. Ce parc qui avait vu s'exprimer l'imagination de Yaël et la mienne lorsque nous venions y jouer étant petits, ce parc dans lequel Joyce emmenait souvent les jumeaux, ce parc dans lequel Yaël emmenait sa soeur lorsqu'elle voulait se dépenser.

Je pris une grande inspiration et sortis de ma Porsche. Je verrouillai les portières et entrai dans le parc, arpentant l'allée principale faite de gravillon et de sable jusqu'à retrouver Yaël qui m'attendait, assis sur un banc. Nous avions décidé de nous retrouver ici, pour n'attirer l'attention de personne. Evidemment, Yaël aurait aimé venir me chercher pour m'emmener avec lui, comme un véritable et respectable rendez-vous, mais nous voulions éviter d'attirer les soupçons de mes parents. Alors nous nous rejoignions ici comme deux adolescents qui se voyaient en cachette, ce que, finalement, nous étions.

Le visage de Yaël s'illumina d'un grand sourire lorsqu'il me vit arriver vers lui. Il n'attendit pas une seconde pour se lever et me prendre dans ses bras. Je me figeai un instant, ne sachant pas vraiment comment réagir à se contact. C'était agréable mais je n'y étais pas encore habitué et la sensation que cela me procurait ne m'était pas familière.

- Tu es prêt ? me demanda-t-il, tout sourire.

Je hochai simplement la tête en guise de réponse, légèrement intimidé par ce moment que j'allais passer avec lui et par le regard qu'il posait sur moi.

- Alors suis-moi, je t'emmène, lança-t-il en plaçant une main dans mon dos.

- Mais ma Porsche...

- Laisse ta Porsche là où elle est, souffla-t-il en levant les yeux au ciel.

- Attends, tu me demandes de laisser ma Porsche ici, toute seule, sans surveillance.

- Il va rien lui arriver, Swann. Et puis tu aurais très bien pu t'abstenir de prendre ta voiture pour venir jusqu'ici et utiliser tes pieds. Pense un peu à la planète !

Ce fut à mon tour de lever les yeux au ciel. Je pensais à la planète, seulement je n'aimais pas me déplacer à pieds, j'étais bien trop feignant pour ça. Et puis quand on avait une voiture comme la mienne, on avait tendance à la montrer à tout le monde plutôt qu'à la laisser dans un garage.

Cependant je faisais confiance à Yaël et me contentai de le suivre sans discuter. Je savais qu'il voulait simplement faire les choses bien, et ça me touchait. Il nous conduisit alors jusqu'à la voiture de la mère, qui était bien plus souvent la sienne, il fallait bien se l'avouer, et m'ouvrit la portière. Je levai les yeux au ciel et secouai la tête d'un air moqueur à cette attention, mais c'était simplement pour cacher le fait que ça me touchait, et que ça me perturbait parce que j'aimais ça. Il était tellement attentionné, tellement adorable.

Yaël ne tarda pas à me rejoindre à la place conducteur. Nous nous mîmes en route vers une destination qui m'était encore inconnue. Un silence léger et paisible régnait entre nous. Je ne savais pas vraiment comment engager la conversation, intimidé par ce rendez-vous, mais je restai tout de même serein et en confiance. Je savais que Yaël n'avait rien d'autre que de bonnes intentions envers moi.

Alors je me contentai de regarder le paysage défiler. Nous traversions la ville, nous éloignant du quartier où j'habitais, passant devant l'université d'Oxford sans s'arrêter. Nous arrivions bientôt aux abords de la ville, jusqu'à la quitter. La conduite de Yaël était douce comparée à la mienne qui pouvait parfois être nerveuse. Je n'avais vraiment pas l'habitude d'être conduit, sauf lorsque je devais accompagner mon père dans des représentations ou des galas et que nous étions emmenés par son chauffeur. Je détestais ça. Mais ici, avec Yaël, je devais bien admettre que c'était agréable, même si je commençais à m'impatienter.

- On va où ? demandai-je d'une petite voix enfantine. On a encore beaucoup de route à faire ?

- Tu es toujours aussi impatient à ce que je vois, constata-t-il, un petit sourire aux lèvres. Mais ça sert à rien d'insister, je ne te dirais rien. Tu vas encore devoir patienter un petit quart d'heure.

Je poussai un soupir et croisai mes bras contre mon torse mais ne rajoutai rien. Je gardai le silence et lançai un regard en coin à Yaël. Un regard qui s'éternisa, comme si mes yeux étaient attirés d'une manière irrépressible par son visage. Comme captivé, j'observai son profil avec attention. L'air concentré, les sourcils légèrement froncés, ses yeux sombres étaient rivés sur la route, ses longs cils créant une ombre sur ses paupières. Mes yeux glissèrent ensuite sur sa pommette puis longèrent sa mâchoire où une légère barbe de trois jours commençait à pousser jusqu'à se poser sur ses lèvres pleines. Il était beau.

Comment ce garçon pouvait-il me faire me sentir aussi bien ? Comment pouvait-il me faire ressentir toutes ses choses ? Comment ses lèvres pouvaient-elles, déjà, m'être aussi addictives ?

Un petit rictus se forma sur ces mêmes lèvres. Yaël tourna légèrement la tête et mon regard rencontra ses yeux malicieux. Si je n'avais pas été gêné qu'il m'ait pris en flagrant délit, j'aurais eu envie de lui faire ravaler son petit air satisfait.

- Ce que tu vois te plaît ? lança-t-il d'un air taquin.

Je ne lui répondis que par un grognement alors que je m'enfonçai un peu plus dans mon siège, tournant la tête pour cacher mes joues très certainement rougies. Comment faisait-il pour contrôler d'une telle façon les réactions de mon corps ? A ses côtés, je n'étais qu'un pauvre pré-adolescent qui vivait ses premiers émois. J'étais ridicule.

Mais, même si je ne savais toujours pas si tout ça était une bonne idée, à ses côtés je me sentais aussi apaisé. Et c'était bien trop agréable pour que j'arrête tout maintenant.

Quelques minutes passèrent jusqu'à ce que Yaël coupe le moteur de la voiture. Je sortis de mes pensées et regardai autour de moi. Je ne savais pas dans quelle ville nous étions, mais nous semblions être garés aux abords d'un vieux centre ville dans une jolie rue qui paraissait authentique.

Je ne tardai pas à sortir de la voiture, bientôt rejoint par Yaël qui me lança un grand sourire sincère. Il me fit un signe de tête pour m'inciter à le suivre, ce que je m'empressai de faire sans rechigner.

- Où est-ce qu'on est ? demandai-je. Qu'est-ce que t'as prévu ?

- On va dans un café, le Art's Café, me répondit-il. Il est tenu par un vieil ami de ma mère, je crois que je l'ai toujours connu. Tu vas voir, le concept est génial.

Je hochai simplement la tête, un petit sourire en coin. Yaël m'amusait. Depuis que nous étions sorti de la voiture, ses yeux brillaient et il agissait comme un enfant excité de me montrer quelque chose dont il était fier. C'était comme si, pour un temps et pendant cette sortie loin de tout, nous ne pensions plus au pire, nous redevenions les enfants que nous étions il y a dix ans, insouciants et inséparables.

Et moi qui avait toujours eu cette impatience de devenir adulte pour enfin me débarrasser de mes parents, je n'aurais jamais cru que cette sensation m'aurait autant manqué.

Alors je continuai de l'observer, lui et son enthousiasme, lui et son sourire qui semblait illuminer mes journées, lui et cette façon qu'il avait de m'envoûter et de me faire sentir en sécurité. C'était complètement dingue, je n'avais jamais ressentis ça et il avait simplement fallut que Yaël revienne après six ans pour qu'une éclaircie se forme dans la grisaille qu'était ma vie. Et il avait fallut que ce soit lui, mon ami, un garçon, qui me fasse ressentir toutes ces choses inédites.

Mon regard se posa bientôt sur sa main droite qui se balançait au rythme de ses pas. Elle m'attirait, son contact m'attirait, la perspective de la chaleur que ce toucher m'apporterait m'attirait. Mais je n'osais pas. Est-ce que j'avais le droit de faire ça ? Est-ce que j'étais censé en avoir envie ? Avoir l'envie de prendre la main d'un garçon ? Est-ce que Yaël accepterait que je le fasse ? Est-ce que, lui, en avais envie ? Et ces passants qui nous verraient dans cette rue, est-ce qu'ils nous jugeraient pour ce geste ? Est-ce qu'ils devineraient que Yaël et moi étions... qu'est que nous étions au juste ?

Perdu dans mes pensées, je ne remarquai que Yaël s'était arrêté seulement lorsque je m'aperçus que sa main ne se se balançait plus. Je redressai alors la tête jusqu'à ce que mes yeux croisent les siens. Son regard était bienveillant et l'expression de son visage douce. Je crois qu'il comprenait mes doutes sans même que je n'ai besoin de les formuler, comme s'il lisait en moi.

Sans un mot, il approcha sa main que je regardai avec hésitation avant que mes yeux ne croisent à nouveau les siens. D'un haussement de sourcil, il m'incita à attraper cette main qu'il me tendait. Il voulait que je le fasse, que je finisse le geste. Il m'incitait à lui faire confiance, me faisait comprendre que tout allait bien, que ce geste n'était ni impossible, ni répréhensible.

Alors, doucement, ma main alla rejoindre la sienne jusqu'à ce que nos peaux se touchent. Sans attendre, Yaël entrelaça ses doigts au miens. Sa chaleur m'enveloppa instantanément alors qu'un frisson remontait le long de mon bras. J'observai un instant ces deux mains nouées ensemble, captivé. Ce n'était pas la première fois que je tenais la main de quelqu'un, mais c'était la première fois que je tenais celle de Yaël. Et ça changeait tout.

Je me sentais complet et protégé. Je me sentais léger. Et, trop occupé par cette incroyable sensation qui m'envahissait, je ne faisais plus attention au lieu où nous nous trouvions, ni même aux personnes qui pourraient nous voir.

J'étais lié à quelqu'un d'autre, mais ce lien était comme libérateur.

Un simple toucher, un simple contact, et pourtant c'était tout mon monde et mes convictions qui étaient ébranlées. C'était une énième barrière que je laissais tomber entre Yaël et moi, c'était un pas de plus que je faisais pour le rejoindre, c'était un simple contact qui bravait un interdit qui m'avait été imposé. On m'avait jamais dit que deux garçons avaient le droit de se prendre la main, et pourtant il ne semblait rien y avoir de mal à ça. C'était innocent. Nous étions innocents de ce dont certains membres de cette société voudraient nous accuser. Et Yaël avait l'âme la plus pure que je connaisse, il ne faisait rien de mal à vivre sa vie.

Et peut-être que je ne faisais rien de mal à la vivre avec lui.

Alors je resserrai un peu plus mes doigts autour de sa main avec assurance. Braver l'interdit avait quelque chose de grisant. Comme si je commençais à comprendre pourquoi je faisais ça, comme si ce geste me donnait un peu plus confiance, et plus de pouvoir. Il y avait une raison pour laquelle je bravais cet interdit pour Yaël. Et si cette raison existait alors ça en valait la peine.

Je sortis enfin de ma passionnante contemplation et remontai le regard vers Yaël qui m'observait avec un sourire en coin. Je ne sais pas depuis combien de temps j'étais perdu dans mes pensées mais Yaël laissa échapper un petit rire lorsqu'il me vit revenir à moi.

Il m'attira légèrement à lui et m'incita à le suivre. Nous nous mîmes alors en route vers ce fameux Art's Café, main dans la main et souriants. Je remarquai rapidement que personne ne faisait attention à nous, personne ici ne nous dévisageait, et c'était réconfortant. C'était un poids qui s'envolait de ma poitrine alors que je me sentais beaucoup plus léger. Décidément, être auprès de Yaël semblait être bénéfique pour ma bonne humeur et mon bien-être. C'était fascinant.

Nous arrivâmes bientôt devant ce fameux café, Art's Café était écrit en lettres noires à côté d'un logo en fer forgé. La devanture était simple et rustique, un univers qui se retrouvait à l'intérieur comme je pus le constater une fois que Yaël m'eut ouvert la porte. Une chaude odeur de café et de chocolat nous enveloppa dès que nous passâmes le seuil de la boutique.

Ja parcourais la salle du regard, Yaël avait raison, le concept était génial, et innovant. Ce n'était définitivement pas le genre de café que nous voyions à chaque coin de rue. Ici, l'atmosphère était chaleureuse, la lumière était tamisée, si bien que le lieu était apaisant. Les chaises et les tables classiques étaient remplacés par des fauteuils vraisemblablement confortables et des tables basses, deux canapés étaient même installés sur notre gauche. Seules les chaises de bars à notre droite restaient un mobilier classique pour ce genre d'endroit. Tous les meubles et toutes les décorations avaient été choisis dans des tons chauds, principalement du noir et du marron, des éléments authentiques donnaient un côté vintage au lieu.

Et ce qui me surprenait le plus étaient ces étagères remplies de livres installées en face des canapés, ainsi que cette petite scène que j'apercevais au fond de la salle. Un petite scène sur laquelle reposait un piano.

Quelques personnes étaient déjà présentes dans ce café, installées en petits groupes, profitant de leur moment. Certains autres étaient seuls et se contentaient simplement de prendre un café dans le calme avec un livre à la main.

C'était incroyable, différent de tout ce que j'avais pu voir jusqu'ici. Il y avait tous les éléments d'un café lambda mais il avait trouvé ce petit truc pour se démarquer, poussant la détente qu'engageait cet instant à son extrême, créant un lien entre ce lieu qui florissant dans nos villes et les arts, passions de beaucoup d'entre nous.

- Alors ? me souffla Yaël à l'oreille.

- Tu as raison, c'est génial ! m'exclamais-je. J'adore cet endroit !

Yaël me répondit par un immense sourire rempli de fierté.

- Arty, le patron, est un ancien professeur de littérature, m'expliqua-t-il. C'est même par son intermédiaire que mes parents se sont rencontrés, lui et mon père ont fait les même études. Arty a ensuite rapidement quitté son poste au lycée d'Oxford pour se lancer dans ce projet fou qui l'obsédait depuis sa jeunesse. Finalement il s'en est pas trop mal sorti. Il voulait juste créer un endroit chaleureux, un cocon où les clients pourraient venir se détendre quelques minutes avant de repartir travailler. Il a aussi mis l'accent sur les arts en laissant des livres en libre accès ainsi qu'une scène. Des soirées scènes ouvertes sont souvent organisées à la fois pour les musiciens, les chanteurs, ou des personnes qui viendraient simplement lire des textes ou des poèmes. J'ai toujours aimé cet endroit, et aujourd'hui je voulais te le faire découvrir.

- Tu ne m'en avais jamais parlé, dis-je doucement. Je ne savais rien de tout ça.

- Tu as encore plein de choses à découvrir à mon sujet.

Après un clin d'oeil, Yaël s'éloigna pour aller saluer un homme qui devait être le patron, Arty. Il nous présenta et ils échangèrent quelques mots avant que Yaël ne reprenne ma main pour m'entraîner vers le fond de la salle. Nous nous installâmes confortablement sur deux fauteuils l'un a côté de l'autre.

- J'ai toujours aimé l'ambiance de ce café. Et tu sais, on peut utiliser le piano à n'importe quel moment, pas besoin de demander l'autorisation, rajouta-t-il en faisant un signe de tête vers la scène. Comme les livres, il est libre d'accès.

- Je n'irai pas m'installer au piano pour te jouer un morceau, répliquai-je avec un petit sourire malicieux, comprenant très bien ce qu'il insinuait.

- J'aurais tenté, lança-t-il en levant les deux mains en l'air en signe de reddition. Peut-être une prochaine fois.

Je lui lançai un regard réprobateur mais restai tout de même amusé par son comportement. C'était agréable, c'était simple et naturel entre nous. C'était ce que nous étions il y a des années de cela. Nous n'étions plus en train de nous combattre. Nous étions Swann et Yaël passant un bon moment en présence de l'autre.

Yaël me fit passer une carte pour que je puisse choisir ma commande. Cette carte était tout aussi originale que le lieu de part les intitulés de ce qu'ils proposaient et de la variété des choix possibles. Différentes sortes de cafés, avec différents arômes, étaient disponibles, et il en allait de même pour les chocolats et les thés. Nous avions l'embarras du choix. Je finis néanmoins par me décider et nous passâmes commande auprès d'Arty.

Un étrange silence retomba soudainement entre nous. Qu'est-ce que j'étais censé faire maintenant ? Je n'étais pas un habitué des rendez-vous et je ne savais pas trop comment me comporter désormais auprès de Yaël, si bien qu'un certain malaise vint empiéter sur ma furtive sérénité.

- Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Qu'est-ce qu'on fait pendant un rendez-vous ? demandai-je bêtement mais sincèrement.

Yaël pouffa avant d'esquisser un petit sourire. Loin d'être moqueur, il était plutôt attendri.

- Généralement les rendez-vous sont fait pour apprendre à se connaître, me répondit-il.

- Mais toi et moi, on se connaît déjà, lui fis-je remarquer.

- Vraiment ? Je croyais qu'on ne se connaissait plus ?

Je baissai les yeux à cette réplique. C'est vrai, c'était une des premières choses que je lui avais dites lorsque nous nous étions revu, et je méritais certainement cette petite pique. Penaud, je remontai le regard vers celui de Yaël qui contenait davantage de malice que de colère, ce qui eut déjà le don de me rassurer.

- On a encore plein de choses à découvrir l'un sur l'autre, reprit-il. Et puis, tu n'avais pas tout à fait tort, après tout. On ne s'est pas vus pendant six ans, on a eu le temps de grandir, d'évoluer, de changer. On a vécu notre vie chacun de notre côté, il nous manque six ans de la vie de l'autre. Et je ne connais pas aussi bien le Swann de dix-huit ans que le Swann de onze ans. Alors dites-moi, qu'avez-vous fait pendant six ans, Swann Nelson ?

- Principalement essayer de survivre avec mes parents, avouai-je honnêtement. J'ai fait la fête, souvent. J'ai bu, un peu trop. J'ai fumé, beaucoup. Et j'essayais d'oublier qu'on m'obligeait à prendre un chemin que je n'avais pas choisi.

Une lueur de compassion traversa les prunelles de Yaël, une lueur si douloureuse que je dû baisser les yeux pour ne pas l'affronter. Je me mordis la joue, regrettant mes paroles. J'avais conscience que je venais de plomber l'ambiance. J'avais parlé sans réfléchir, libérant simplement ce que j'avais sur le coeur.

- Tu te sentais seul ? s'inquiéta Yaël dans un murmure.

- Oui un peu, mais j'avais Joyce. Elle a toujours su me remonter le moral.

Yaël esquissa un doux sourire à la mention de Joyce avant de retrouver son sérieux, se pinçant les lèvres.

- Je suis désolé de ne pas avoir été là, souffla-t-il. Et je suis désolé que notre amitié ait pris fin de cette façon.

- Yaël, c'est pas ta faute, assurai-je en effleurant sa main de la mienne. Et tu n'aurais rien pu faire, tu n'avais pas le choix. Tu devais partir.

- Mais je suis revenu.

- Tu es revenu, confirmai-je d'un souffle, comme un soupir de soulagement.

Nous échangeâmes un sourire timide avant d'être interrompus par Arty qui arrivait avec nos commandes. Sans un mot, nous dégustâmes nos boissons. Je n'étais pas quelqu'un qui aimait particulièrement le café mais j'avais décidé de tenter une des recettes proposées, pour changer du thé, et je n'étais pas déçu. Leurs produits étaient excellents.

- Et ta vie à toi ? lançai-je soudainement, mettant fin au silence qui s'était installé entre nous. Raconte-moi. C'est comment la vie parisienne ?

- Différent, répondit-il immédiatement. Il m'a fallut un moment avant de m'adapter à cette nouvelle vie, avant de prendre de nouvelles habitudes. Au début, j'étais complètement dépaysé. C'était un nouveau pays, une nouvelle langue, une nouvelle culture. J'avais perdu tous mes repères. C'était aussi un nouveau collège avec des nouveaux amis à se faire, c'était pas facile alors que j'ai toujours été un solitaire. Il m'a fallut un temps d'adaptation, et beaucoup de moments enfermé dans ma chambre à ruminer, mais finalement j'ai rencontré un groupe de trois personnes incroyables qui m'ont accepté et qui sont rapidement devenus mes amis. Je leur dois beaucoup.

- Et tu as rencontré Camille, lâchai-je sans réfléchir.

Putain, pourquoi j'avais dit ça, moi ? Il fallait dire que depuis que son prénom, et sa qualité d'ex, avait été mentionné, je n'arrivais pas à le sortir de mon esprit. Et je ne savais pas pourquoi. Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander si tout était complètement fini entre eux. Comment ça pouvait être terminé alors que ce fameux Camille continuait d'appeler constamment Yaël il y a encore un mois de ça ?

Je baissai les yeux et me concentrai sur mes mains lorsque Yaël posa son regard interrogateur sur moi, un sourcil haussé et l'air de se demander pourquoi je venais d'évoquer Camille dans cette conversation.

- Oui j'ai rencontré Camille, confirma-t-il finalement. Mais plus tard. Il est plus âgé que moi et je ne l'ai pas rencontré grâce au collège ou au lycée.

- Il était gentil avec toi ? m'enquis-je en affrontant à nouveau son regard. Il te traitait bien ?

- Oui, c'est la personne la plus gentille et la plus douce que j'ai jamais rencontré, et je lui ai fait du mal. Est-ce qu'on est vraiment obligés de parler de ça ?

- Quoi ? J'apprends à te connaître. On est pas censés parler de nos exs ?

- Pas vraiment, non. Et je suis pas sûr que, toi, tu veuilles avoir cette conversation, me fit-il remarquer. En tout cas, moi, j'ai pas vraiment envie que tu me dresses la liste de tes exs.

Pas faux. Ça faisait déjà quelques temps que j'enchaînais les aventures. J'étais un connard, tout le monde le savait, et il est vrai que je n'étais peut-être pas le meilleur exemple à suivre.

- Il est plus gentil que moi ? insistai-je tout de même, de manière incontrôlable.

- Je t'ai déjà dit que tu étais chiant, Swann, répondit-il avec un petit sourire. Tu peux être gentil et doux quand tu veux, mais tu peux aussi être un vrai cauchemar.

- Au moins je ne suis pas ennuyant, répliquai-je, légèrement vexé.

Une étincelle traversa les yeux de Yaël. Le malaise qui semblait l'habiter depuis que j'avais mentionné Camille venait d'être remplacé par de l'amusement. Content de savoir qu'il prenait plaisir à se moquer de moi !

- Tu sais que c'est pas une compétition, pas vrai ? lança-t-il d'une voix pleine de malice.

- Peut-être quand c'en est une, rétorquai-je en ayant visiblement perdu toute capacité de réfléchir et de filtrer mes mots avant de prendre la parole. Peut-être que je devrais me battre avec lui pour récupérer ton coeur.

Le sourire de Yaël s'agrandit sans que je ne comprenne trop pourquoi. Je n'avais pas encore pris conscience de ce que je disais. Et peut-être que je le regretterais plus tard, mais pour l'instant j'avais juste envie de parler librement. Peut-être était-ce ce lieu neutre et loin de la pression habituelle qui me faisait agir comme ça. Ou peut-être qu'Arty avait rajouté de l'alcool dans mon café.

- C'est moi qui choisit à qui je donne mon coeur, déclara Yaël, entre sérieux et amusement.

- Alors c'est une compétition ! Peut-être que tu vas décider de redonner ton coeur à Camille.

Yaël me regarda soudainement intensément, retrouvant tout son sérieux.

- Pas quand tu es dans la course. Et tu veux savoir ce que j'en pense ? continua-t-il sans me laisser le temps d'intégrer sa première phrase. Je pense que tu es jaloux.

- Absolument pas ! me défendis-je un peu trop rapidement.

Je baissai le regard et attrapai ma tasse de café pour en boire une gorgée, histoire de m'occuper et de fuir le regard insistant de mon vis à vis. Peut-être que je l'étais, jaloux. Mais je ne l'avouerais jamais. Pas encore.

- Tu es jaloux, répéta-t-il. Tu es jaloux et je crois que ça veut dire que tu tiens à moi, finalement. C'est mignon. T'es mignon.

Je fis tout pour ne pas recracher la gorgée de café que je venais de prendre, je fis tout pour ne pas réagir du tout. Malheureusement mes joues, qui venaient subitement de prendre une teinte écarlates me trahissaient. Putain de réactions incontrôlables ! Yaël avait le pouvoir d'à la fois lire en moi et dans les réactions de mon corps. Et c'était très frustrant, parce que j'avais l'impression que je ne pouvais rien lui cacher. Même lorsqu'il s'agissait de choses que je n'étais pas encore prêt à m'avouer à moi-même.

Evidemment que je tenais à lui. Et ça avait toujours été le cas. Yaël était important pour moi. De la même façon que tout ce qu'il me dit pendant tout le reste de ce rendez-vous était important pour moi. Chaque parole, chaque mot, lorsque ça concernait Yaël, c'était important. Alors je l'écoutais avec attention pendant plus d'une heure encore.

Yaël changea rapidement de sujet, dissipant le malaise, et après ça la conversation se fit avec une fluidité étonnante. Nous ne pouvions plus arrêter de parler, de rire, de se redécouvrir. Nous réapprenions à nous connaître. C'était un bon moment, c'était libérateur, un vent de fraîcheur dans ma vie monotone. C'était le seul endroit où j'avais envie d'être à cet instant, auprès de Yaël.

C'est pourquoi je ressentis un pincement au coeur lorsqu'il me laissa ensuite devant ma voiture, afin que je rentre chez moi, après avoir déposé un furtif baiser sur ma joue. J'aurais tellement aimé rester avec lui plus longtemps, j'aurais tellement aimé pouvoir agir comme je l'avais fait avec mes ex-copines. Et mieux encore, parce qu'il était plus important et que je voulais lui réserver le traitement qu'il méritait.

Malheureusement nos moments ensemble se limitaient à quelques sorties et contacts à l'abris des regards. Je ne pouvais pas lui offrir plus pour le moment.

Néanmoins, j'avais passé une bonne journée. Et même si mes paroles et actes restaient timides, ce rendez-vous avait définitivement confirmé cet envie que j'avais d'essayer. Parce que je réalisais petit à petit que je ne pouvais plus me passer de Yaël. J'avais besoin de lui dans ma vie.

Parce que je tenais à lui.

Et peut-être plus encore.

♠️♠️♠️

Hey !

Vous allez bien ? Moi je suis contente de vous retrouver pour ce chapitre 25, celui du rendez-vous Swaël.

Je ne suis pas très satisfaite de ce chapitre, parce que je savais pas trop quoi leur faire faire, et que j'ai pas décrit tout le rendez-vous... mais j'espère qu'il vous aura plu quand même.

Qu'est-ce que vous en avez pensé ?

Swann ? Comment vous le trouvez ? Ses pensées ? Ses sentiments ? Ses ressentis ?

Le rendez-vous ?

Le lieu, le Art's Café ?

Les moments Swaël ? Leur petite conversation sur la fin ( que j'ai totalement improvisée et qui m'a surprise de la part de Swann ) ?

Dites-moi tout, j'ai hâte de lire toutes vos petites réactions.

En attendant, je vous souhaite une très bonne fin de semaine ! Nous on se retrouve mercredi prochain pour un nouveau chapitre. Je vous embrasse.

À bientôt, T.

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