23. Just Try
Nda : la chanson mentionnée dans ce chapitre est en media, si ça vous dit de l'écouter en même temps. Bonne lecture !
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"Il faudrait essayer d'être heureux, ne serait-ce que pour donner l'exemple."
Jacques Prévert
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Swann
Je poussai un grognement et fermai étroitement mes yeux qui se sentaient soudainement agressés par la vive lumière du jour qui illuminaient la pièce un peu trop intensément pour ma gueule de bois. Foutus baies vitrées !
Un énorme mal de crâne se profilait déjà à l'horizon, je n'avais pas besoin d'être en plus aveuglé par le soleil qui avait, pour une fois à Oxford, décidé de briller, comme pour mieux me faire chier. Un deuxième grognement m'échappa alors que je passai une main sur mon front tout en me réinstallant pour m'enfoncer un peu plus dans mon oreiller. Ça cognait dans ma tête, et c'était insupportable. J'avais l'impression d'avoir toute une fanfare à l'intérieur et je n'avais qu'une envie : me taper la tête contre un mur pour tous les faire sortir de là.
Pourquoi j'avais autant bu hier soir, déjà ? Ah oui, parce que j'avais passé la soirée à ruminer sur mon sort ainsi que sur ma conversation avec mon sois-disant meilleur ami.
Je sentis soudainement une présence auprès de moi, entrer dans ma chambre. Quelques pas et je sentis mon matelas s'enfoncer. Il n'y avait aucun bruit, aucun mot échangé, juste ce contact avec cette main qui, après quelques secondes, vint se poser sur ma tête, s'emmêlant dans mes cheveux. Tout doucement et dans un geste tendre, ses doigts parcoururent mon crâne entamant un délicat massage. Je laissai échapper un soupir de bien-être, c'était tellement agréable, et j'avais l'impression que cela apaisait déjà un peu ma migraine.
Etonnamment, je ne paniquais pas à ce toucher. Je savais très bien qui était auprès de moi, je savais qu'il était resté, et j'avais senti son odeur et sa présence m'envelopper dès qu'il était entré dans la pièce. Si je m'écoutais, alors je dirais que j'étais content qu'il soit encore là, qu'il ne soit pas parti à la première heure du jour. Même si j'aurais compris cette décision.
Tout doucement, j'ouvris les yeux, papillonnant à cause de ce foutu trop plein de lumière. Néanmoins, je tombais rapidement dans le regard regard sombre et inquiet de Yaël. A cet instant, je ne savais s'il s'inquiétait de mon état, ou du fait que je pourrais le virer de chez moi à tout moment. Peut-être que c'était un peu des deux.
- Comment tu te sens ? demanda-t-il dans un doux murmure, sans retirer sa main de mes cheveux.
Je supposais qu'il tentait de ne pas parler fort pour ne pas brusquer un peu plus mon horrible gueule de bois. Je gardai le silence un moment, trop paresseux pour répondre, et fini par prendre la parole après un haussement d'épaule.
- J'ai mal à la tête, maugréai-je comme une évidence.
- C'est pas étonnant, tu as passé toute la soirée à boire. Tu étais dans un sale état, et tu t'es endormi pratiquement tout de suite une fois couché. Enfin, si ça peut te soulager, je t'ai préparé ça.
Il allongea son bras pour attraper ce qu'il avait dû poser sur la table de nuit avant de s'asseoir à mes côtés puis me tendit un cachet et un verre d'eau. Je tentai un sourire dans sa direction et me redressai, non sans me plaindre une nouvelle fois, avant de prendre le médicament qu'il m'avait ramené et qui, je l'espérais, soignerait au plus vite mon atroce migraine. Je lui rendis ensuite le verre vide qu'il reposa à sa place.
- Merci, soufflai-je doucement. Et merci de t'être occupé de moi hier soir.
Yaël haussa un sourcil avant de pousser un soupir qu'il aurait certainement voulu discret mais que j'eus le temps de remarquer. Le pauvre devait penser que je ne me rappelais pas de la soirée de la veille. Et j'aurais très bien pu prétendre ne rien me rappeler, j'aurais pu jouer l'amnésique et le virer lâchement de ma chambre et de ma maison. Mais je n'en avais pas envie.
- On peut se rallonger deux minutes ? proposai-je en refermant déjà les yeux. Juste le temps que le cachet fasse effet.
Je n'attendis pas sa réponse pour me réinstaller confortablement dans mon lit. Quelques secondes passèrent avant que Yaël ne s'allonge à mes côtés. Nous étions tous les deux tournés l'un vers l'autre, couchés sur nos flancs. Face à face, nous nous observions. Mes yeux plongés dans ses mystérieuses et envoûtantes prunelles sombres.
- Je me suis permis de rester, dit-il finalement. Je savais pas trop comment tu réagirais mais j'ai préféré rester pour m'assurer que tu ailles bien et prendre soin de toi en cas de besoin.
Prendre soin de toi en cas de besoin. Pourquoi mon coeur avait-il raté un battement rien qu'à l'entendre prononcer cette phrase ? Pourquoi avais-je envie de le laisser prendre soin de moi ?
- Je me souviens de la soirée, tu sais, précisai-je. Je sais que j'ai beaucoup bu mais pas au point d'avoir un blackout. Je me souviens de tout, de mon attitude pathétique qui me forçait à me raccrocher à l'alcool, de notre conversation, et de... du baiser que je t'ai donné. Je me souviens de t'avoir demandé de rester. Et je sais que tu pensais certainement que j'allais paniquer et me débarrasser de toi ce matin mais j'en ai pas la force. Je suis content que tu sois resté.
Un léger sourire se forma sur les lèvres de Yaël avant qu'il ne reprenne un air sérieux.
- Et comment ça va là-dedans ? demanda-t-il en tapotant délicatement mon front de son index.
Je savais à cet instant que nous n'étions plus en train de parler de ma migraine mais bel et bien de l'état d'esprit dans lequel je me trouvais et de mon attitude. J'étais étonnamment calme et, pour une fois, je ne cherchais pas à fuir, alors que c'était la première chose que j'aurais fait en temps normal. Cela devait certainement être mon mal de crâne qui m'en empêchait, j'étais trop faible. Ou alors je n'avais tout simplement pas envie de me battre avec Yaël aujourd'hui, peut-être que j'étais fatigué et que je voulais juste une pause, un moment serein dans cette situation.
Alors non, tout n'était pas réglé. Oui, j'avais embrassé Yaël la veille. Oui j'étais encore terrifié par mes sentiments et les jugements. Mais je voulais juste essayer de respirer, rien que quelques instants, juste pour voir ce que cela faisait.
Je me concentrai à nouveau sur les yeux de Yaël qui semblaient attendre une réponse et haussai simplement les épaules. Seulement son regard me fit rapidement comprendre qu'il attendait de moi une réponse plus développée. Je levai alors discrètement les yeux au ciel et pris une grande inspiration.
- C'est toujours le bordel, admis-je. Mais j'ai pas vraiment envie d'y penser aujourd'hui, ni d'en parler. S'il te plaît.
Yaël hocha la tête et posa délicatement sa main sur ma joue. Automatiquement, et sans que je ne puisse le contrôler, mes yeux se fermèrent à ce contact. Lorsque je les rouvris, je pus voir Yaël me sourire si tendrement que mon coeur aurait presque pu rater un autre battement.
- Tu devrais aller prendre une douche, suggéra-t-il. Je t'attends en bas, j'ai préparé un petit déjeuner.
- Vraiment ?
Son hochement de tête et son sourire fier me suffire pour me confirmer que je n'avais pas rêvé. Je devais bien reconnaître qu'il était adorable et ça, ce n'était pas bon pour moi, parce que je risquais bien d'avoir envie que cette scène se reproduise tous les matins.
Je le regardai s'éloigner et quitter ma chambre dans un soupir. Je me tournai et m'installai sur le dos, mon regard fixant le plafond. Pourquoi devait-il être aussi gentil avec moi alors que je n'étais qu'un idiot qui le traitait un jour sur deux comme de la merde ? Il méritait tellement mieux que moi. Il ne méritait pas de s'enfoncer dans une situation qui allait lui faire toujours plus de mal. Et moi je ne pouvais rien contrôler. Je n'arrivais plus à le tenir éloigné, je n'arrivais plus à le laisser partir et je n'arrivais pas à le retenir.
Un énième soupir et je me redressai en position assise sur mon lit, fixant d'un air absent la télé qui me faisait face. Yaël avait raison, il fallait que je prenne une bonne douche. C'était facile, j'avais tout à disposition dans ma chambre. La commode sur laquelle ma télévision reposait était encadrée de deux portes. Celle de droite donnait sur mon dressing, celle de gauche sur ma salle de bain privée. J'avais tout le nécessaire dans une seule et même pièce, mon refuge. Pas étonnant que je ne sortais jamais de cette chambre. Surtout lorsqu'on voyait l'ambiance qui régnait dans cette foutue famille.
Je me levai dans une complainte et allai chercher des affaires de rechange avant de m'enfermer dans la salle de bain. Je pris une douche rapide mais profitai tout de même de l'eau qui coulait sur mon corps, emportant ma migraine et mes doutes, en tout cas pour un temps. J'aurais plein d'occasions de douter à nouveau, et de paniquer. Mais pour l'instant j'avais l'occasion de passer quelques heures seul avec Yaël, sans personne pour nous regarder, nous juger, quelques heures avant que mes parents ne reviennent. Alors autant être moi-même pendant quelques heures et voir ce que ça pouvait donner. Juste essayer.
Je descendis, quelques minutes plus tard, les escaliers pour rejoindre ensuite la cuisine où je retrouvais Yaël concentré à dresser les assiettes qu'il avait posées sur le comptoir. Je restai à l'entrée de la pièce et l'observai un instant alors qu'il ne m'avait pas encore repéré. La tête baissée, ses boucles brunes retombaient légèrement dans ses yeux. Il ne semblait pas fatigué, contrairement à moi qui devait certainement ressembler à un cadavre. En réalité il rayonnait, et j'avais l'impression qu'il n'y avait pas un moment où Yaël n'était pas éblouissant.
Mon ami releva bientôt la tête, trouvant directement mon regard. Un large sourire étira ses lèvres lorsqu'il me vit alors que mes yeux plongèrent dans les siens avec un peu trop d'intensité. Je baissai la tête, ignorant la chaleur de mes joues, et me rapprochai.
- Tu tombes bien, tout est prêt, lança-t-il en faisant un signe de la main vers le comptoir.
Je jetai un oeil à ce que j'avais devant moi. Il y avait des toasts, des oeufs brouillés et une tasse de thé fumante que je m'empressai d'attraper, réchauffant mes mains.
- T'es parfait en fait, commentai-je sans réfléchir.
Yaël pouffa et haussa simplement les épaules sans pour autant confronter mon regard. Il vint s'installer à côté de moi alors que nous commençâmes à déjeuner dans un silence confortable. L'atmosphère était légère, je n'avais pas ce poids sur la poitrine qui m'empêchait trop souvent de respirer.
Les minutes passèrent sans qu'aucun de nous n'ose parler. Je sentais ses yeux se poser souvent sur moi mais jamais je ne les laissai plonger dans les miens. Je préférais détourner le regard, observant tout ce qui se trouvait autour de moi, tout sauf Yaël. C'est comme ça que je remarquai que la cuisine, et la maison en générale, était relativement propre pour un lieu qui avait accueillie une soirée organisée par Hugo la veille.
- Soit je suis en train de rêver, soit une bonne fée à nettoyé ma maison pendant que je dormais, lâchai-je soudainement.
Le rire profond de Yaël s'éleva à côté de moi alors que je tournai enfin la tête pour rencontrer son profil.
- Alors la bonne fée s'appelle Joyce, rétorqua-t-il. Elle et Austin ont viré tout le monde et ont commencé à ranger après que je lui ai envoyé un message quand tu t'es endormi. J'ai terminé ce matin alors que tu dormais encore, et j'ai nettoyé la cuisine qui s'était transformée en cimetière d'alcool.
- C'est bien ce que je disais, tu es parfait. Merci, Yaël.
Son regard sombre était devenu malicieux, et ses lèvres s'étirèrent dans un rictus captivant que je ne parvenais pas à lâcher du regard. Son sourire s'agrandit et sa main pressa rapidement la mienne avant qu'il ne s'éloigne, emportant sa tasse de thé avec lui. Je fis tourner ma chaise de bar pour le regarder s'avancer en direction du salon, un air perdu et interrogateur collé au visage.
Je l'imitai alors, me servant une deuxième tasse de thé, et le rejoignais. Il s'approchait du grand piano à queue noir qui trainait, abandonné, dans un coin de mon salon. Yaël me lança un sourire mutin et s'assit sur la banquette. Je levai les yeux au ciel mais ne tardai tout de même pas à m'asseoir auprès de lui, posant ma tasse à côté de la sienne sur le piano.
- Tu te souviens quand tu jouais au piano et que j'essayais de chanter à tes côtés ? demanda-t-il d'une voix douce et nostalgique.
- Je me souviens. Mais je ne joue plus depuis un moment, Yaël, soufflai-je en voyant très bien où il voulait en venir.
- Pourquoi ?
- Je crois que je ne prenais plus de plaisir à jouer, répondis-je en haussant les épaules. Je n'ai plus joué depuis six ans.
Je sentis Yaël poser ses yeux sur moi tandis que je continuai de fixer les touches d'un air buté. Je sentais qu'il se posait des questions mais il n'insista pas, et je l'en remerciais secrètement parce que je n'avais vraiment pas envie d'analyser plus longuement cette situation.
- Tu te rappelles de cette chanson qu'on jouait tout le temps ? reprit-il, changeant légèrement de sujet.
- Bien sûr que je m'en rappelle, confirmai-je d'une voix douce en croisant cette fois-ci son regard sombre.
Comment aurais-je pu l'oublier ? On avait passé deux ans à la jouer.
J'avais commencé le piano à mes cinq ans, c'était très jeune mais mes parents étaient convaincus que ça ne pourrait qu'être un atout. Avoir un fils qui joue au piano, ça faisait toujours bien sur le papier, surtout s'il finissait par devenir un véritable petit prodige après des années de pratique, ce que je n'étais jamais devenu. Une déception, encore une fois.
J'étais plutôt doué, je l'admettais, mais je n'avais jamais été un prodige. Après deux ans de solfège, j'ai commencé à m'améliorer, jouant quelques mélodies. A huit ans, je me commençai à me débrouiller, à neuf ans je m'étais mis à apprendre cette chanson que nous jouions et chantions tout le temps avec Yaël, Chasing Cars de Snow Patron. Je ne savais pas trop pourquoi c'était celle-là que nous avions choisi, je crois que nous l'aimions tous les deux, tout simplement.
C'était notre chanson. Sa mélodie s'élevait toujours dans l'air lorsque Yaël était invité à passer un après-midi chez moi. Si bien que cela tapait sur les nerfs de mes parents, ils détestaient nous voir être aussi attachés à cette chanson. Eux qui semblaient si fiers et émerveillés de me voir jouer un instrument aussi prestigieux que le piano ont fini par m'interdire, quelques temps plus tard, de faire résonner cette mélodie dans notre maison. Une interdiction que j'avais une nouvelle fois très mal pris.
J'avais complètement arrêté le piano à l'âge de treize ans, fatigué par la pression que me mettait mes parents à ce propos. J'avais préféré me concentrer sur le football, au grand damn de mes géniteurs. Je n'aimais plus cet instrument, je ne sais même pas si je l'avais réellement aimé un jour, et puis je ne voyais plus l'intérêt d'y jouer. Il n'y avait plus personne pour chanter sur mes mélodies.
- Tu peux la rejouer ? murmura Yaël d'une voix douce à mes côtés.
- Tu rigoles ? Ça fait six ans que je n'ai plus touché à un piano, me lamentai-je en croisant son regard. Ça serait un massacre !
- Ce serait pas grave, on est que tous les deux. Personne ne va te juger. Et je suis sûr que tu vas très bien t'en sortir. Allez, s'il te plaît.
Yaël me regardait avec ces yeux enfantins et son petit air de chien battu. Une petite moue déformait ses lèvres. Il savait très bien ce qu'il faisait. Il savait très bien que, s'il me regardait comme ça, j'allais finir par craquer. Je n'étais pas assez fort pour lui résister, et je commençais à le comprendre.
Alors je laissai échapper un soupir de défaite et plaçai doucement mes doigts au dessus des touches. Je regardai mes mains quelques secondes, perdu dans mes pensées et mes souvenirs. Anxieux et hésitant, je n'osai pas encore me lancer. Techniquement, je me souvenais encore des accords, et les muscles de mes doigts se souvenaient encore de la façon dont je devais jouer la mélodie, malheureusement j'avais cruellement peur de faire une erreur et de me ridiculiser.
Cependant Yaël avait raison. Il était une personne de confiance et personne d'autre n'était là pour me voir me tromper. J'étais en sécurité. Alors je posai délicatement mes doigts sur les touches, et créai le premier accord. Encore timide, les notes n'était pas très assurées au début, comme tremblantes.
Pendant quelques secondes, seule la mélodie de la chanson s'éleva autour de nous jusqu'à ce qu'une voix se pose sur la musique. Je tournai la tête vers Yaël qui regardait droit devant lui, les yeux presque fermés, l'air concentré. Sa voix rauque, qui avait définitivement évoluée depuis notre enfance, chantait les paroles de cette chanson d'un ton juste. Pas une fausse note ne sortait de sa bouche.
Le moment était paisible. Nous retrouvions naturellement notre complicité musicale. Je jouais sans plus réfléchir, prenant davantage d'assurance. La mélodie nous englobait, nous enveloppait dans un cocon fragile mais apaisant. Quatre minutes poétiques, quatre minutes hors du temps. Quatre minutes d'une chanson qui prenait un tout autre sens à mes yeux.
Le yeux de Yaël plongèrent dans les miens alors qu'il chantait le dernier couplet, les dernières phrases. Si mes mains n'étaient pas occupées, elles se seraient mises à trembler. Mon coeur, quant à lui, martelait dans ma poitrine. C'était étourdissant, si bien que je dû baisser les yeux pour reprendre mes esprits, les joues rougies, fixant mes mains alors que je jouais la dernière note.
Une note qui s'évanouit, perdue dans ce silence, au bout de quelques secondes. C'était comme magique.
Je pris une grande inspiration avant de remonter à nouveau le regard vers Yaël qui m'observait déjà. Un face à face silencieux, calme et serein. Un apaisement comme quand on revient sur terre après un moment hors du commun. Oui exactement comme ça. Jusqu'à ce que nous nous échangions un petit sourire en parfaite synchronisation.
- Tu sais toujours aussi bien chanter, remarquai-je d'une voix douce.
Yaël haussa simplement la tête et détourna le regard, comme si c'était à son tour d'être intimidé, troublé.
- Tu dessines, tu lis, tu es cultivé, tu sais chanter, énumérai-je. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu ne sais pas faire ? A part jouer au foot, bien évidemment.
- Te garder, dit-il automatiquement. Je sais pas te garder auprès de moi.
Un long silence s'abattit soudainement sur nous alors que ses yeux couleur de nuit me fixaient dans un mélange de peine et de mélancolie. Ça semblait réellement le toucher, je voyais la tristesse dans son regard, et je ne savais pas comment faire pour qu'elle s'apaise. Je ne savais pas quoi faire d'autre que trouver sa main pour la serrer dans la mienne.
- Je suis là pour l'instant, susurrai-je.
- Pour l'instant, répéta-t-il. Et après ? Qu'est-ce qu'on fait après, Swann ? Et hier soir, quand tu m'as embrassé, est-ce que ça voulait au moins dire quelque chose pour toi ? Est-ce que tu vas encore me repousser à la minute où je mettrais un pied à l'extérieur de cette maison ? Combien de temps ça va durer encore, cette éternelle fuite entre nous ? Où est-ce qu'on va maintenant, Swann ?
Tout un tas d'émotions étaient en train d'exploser entre nous, et je ne savais pas si j'étais prêt à y faire face. Je sentais, dans son discours, toute la frustration, la colère et la souffrance de Yaël. Une souffrance que je causais. Une souffrance qu'il faudrait que j'adoucisse, d'une manière ou d'une autre. Peut-être en nous acceptant, peut-être en le délivrant de mon emprise. Je ne savais plus du tout quoi faire. Parce que la logique et le désir n'obtenaient pas la même réponse à cette situation.
- J'arrive pas à te laisser partir, soufflai-je, plaintif.
- Alors ne le fait pas.
Une lueur d'espoir était née dans les yeux de Yaël en même temps que cette supplication.
- Je sais pas comment faire ça, Yaël, dis-je. Je sais pas comment me comporter, je sais pas ne pas avoir peur du regard des autres, de mes parents. Je sais pas être comme toi, je sais pas ne pas me soucier des autres et prétendre que tout va bien, que les remarques négatives ne m'atteignent pas.
- Tu n'as pas besoin d'être comme moi, tu dois juste être toi-même et écouter ton coeur. Ecoute ton coeur, Swann.
Je fermai un instant étroitement les paupières, passai une main sur mon visage et pris une grande inspiration avant de retrouver le regard rassurant de Yaël.
- J'aime être avec toi et... et t'embrasser aussi, admis-je. Mais j'ai terriblement peur de ce que ça veut dire.
- On pourrait juste prendre notre temps, laisser faire les choses doucement et voir ce qu'il se passe, proposa-t-il d'une voix conciliante. Et on pourrait comprendre et réfléchir à ce que ça veut dire plus tard.
- Et quoi ? Ça veut dire quoi ? Qu'on essaye quelque chose tous les deux alors que je sais même pas ce qu'on est l'un pour l'autre ? Alors que je serais jamais capable d'agir naturellement avec toi ? Alors que je suis même pas prêt à affronter mes parents ou qui que ce soit ? Alors que je vais encore faire des tonnes d'erreurs et te blesser encore et encore ? C'est ça que tu veux ?
- C'est à propos de ce que, toi, tu veux, chuchota-t-il, restant relativement calme comparé à moi. Ton rythme, ton choix, ta décision.
Je fermai les yeux à nouveau. Qu'est-ce que je voulais ? Qu'est-ce que je voulais vraiment au fond de moi ? Mine de rien, c'était une des questions les plus difficiles que je ne m'étais jamais posée. Est-ce que j'étais prêt à laisser Yaël partir juste à cause de cette crainte paralysante ? Est-ce que j'étais prêt à la mettre de côté pour tenter d'entretenir cette relation ? Est-ce que je me sentais bien dans les bras de Yaël ? Est-ce que je me voyais à ses côtés en étant plus qu'un ami ? Est-ce que c'était ce que je voulais ? Est-ce que mes sentiments pour Yaël étaient plus fort que la peur elle-même ? Est-ce que ça en valait la peine ?
Je poussai un soupir. Si j'écoutais mon coeur, alors j'avais déjà la réponse à toutes mes questions. Même si ça me terrorisait.
- Alors on essaye, chuchotai-je, n'osant pas le dire trop fort. Juste essayer. Mais, je peux rien te promettre.
- On essaye, confirma-t-il en cherchant ma main pour entrelacer mon petit doigt avec le sien. Pas de pression, pas de promesse, et c'est toi qui mène la danse.
Lorsque je relevai la tête, osant enfin confronter son regard, je le vis me sourire tendrement. Il y avait dans ses yeux une lueur que je n'arrivais pas encore à définir mais qui le rendait authentique.
Timidement, Yaël se pencha jusqu'à déposer ses lèvres sur ma joue dans un baiser léger et rapide. Un baiser qui eut tout de même le temps de colorer mes joues. Je baissai alors la tête en priant, sans beaucoup de conviction, pour que Yaël ne l'ai pas remarqué. Cependant ce dernier pouffa avant de se décaler et de passer un bras derrière mon dos. Son deuxième bras glissa le long de mon flanc alors qu'il me rapprochait de son torse. Je me laissai faire sans trop savoir comment régir à part me fondre un peu plus dans son étreinte.
Il me tenait dans ses bras. Et c'était étrange. Une sensation que je n'avais jamais connu avant. Mais ce n'était pas désagréable. Au contraire même, c'était plaisant, presque captivant. On ne m'avait jamais montré une telle tendresse, et je ne savais pas trop comment la recevoir. Néanmoins je ne bougeais pas, ne me décalais pas, ne fuyais pas. Pour une fois dans ma vie, je me sentais bien. Les bras de Yaël me faisait me sentir en sécurité.
Délicatement, je posai mes mains sur ses avant bras, croisés contre moi. Peut-être avais-je rêvé mais j'eus l'impression qu'un frisson le parcouru. Si c'était le cas alors il répondait au mien. Ma respiration calme et sereine, j'étais bien. J'observai d'un air curieux ses bras forts qui m'entouraient. C'était bizarre. Mais je pourrais m'y habituer.
Je remarquai soudainement une marque à l'intérieur de son bras gauche, un peu au dessus de son poignet. Je passai un doigt dessus et regardai plus attentivement pour avoir un meilleur aperçu de l'encre noire incrustée dans sa peau. Un tatouage. Il représentait un livre ouvert surmonté d'un avion en papier qui semblait s'envoler.
- Tu as un tatouage ? demandai-je bêtement sous la surprise.
- J'en quatre en réalité, m'apprit-il alors que je sentais sa cage thoracique raisonner contre mon dos au son de sa voix.
Je me redressai légèrement et tournai la tête pour lui faire face.
- Quatre ? Je n'aurais jamais imaginé que tu avais des tatouages. Je ne les ai jamais vus.
- C'est parce qu'à chaque fois qu'on se voit j'ai un manteau ou au moins un pull, dit-il en haussant les épaules. Et puis tu ne m'as encore jamais vu torse nu.
Je baissai les yeux et tentais, avec une force surhumaine, de ne pas rougir face à sa remarque et ses yeux malicieux. S'il commençait comme ça, j'allais lui donner une claque.
- Celui-là, c'est le deuxième que j'ai fait, reprit-il d'un ton plus sérieux. Il représente ma passion pour la lecture et l'impression d'évasion que ça me procure. En plus de mon envie de voyager dans les prochaines années. Mon premier tatouage a été celui-ci.
Il se recula, me libérant de ses bras, et tira légèrement le col de son tee-shirt pour que je vois la petite marque d'encre présente sur sa poitrine gauche, au dessus de son coeur. Il s'agissait de l'esquisse simple et discrète d'une couronne, comme si elle n'avait été dessinée que d'un seul trait.
- Parce que je préfère les princes, me souffla-t-il, répétant ce qu'il m'avait déjà dit il y a quelques semaines de ça, et il y quelques années aussi. Celui-ci était mon troisième, il représente la liberté mais aussi le continuel retour à la maison.
Yaël déplaça le col de son tee-shirt pour me montrer, cette fois-ci un oiseau qui habillait le devant de son épaule droite jusqu'à sa clavicule. D'un geste automatique, je levai ma main avant de m'arrêter net dans mon élan.
- Je peux ? demandai-je d'une petite voix.
Yaël hocha la tête et je posai délicatement mes doigts sur sa peau chaude, retraçant le dessin. C'était le tatouage le plus conséquent qu'il m'avait montré jusqu'ici, mais il était magnifique. Les détails étaient précis et travaillés.
J'éloignai ma main après quelques secondes et Yaël relâcha son col pour attraper cette fois-ci le bas de son tee-shirt. Il le remonta jusqu'à ce que j'aperçoive le tatouage qui ornait son flanc gauche, au niveau des côtes. Il était petit, discret, raffiné, presque féminin. Là encore, je passai mon index sur l'esquisse, causant un frisson chez mon ami. De ce que je voyais, il s'agissait de trois mots, mais je n'arrivais pas à les déchiffrer puisque ce n'était pas de l'anglais.
- Ça veut dire "coup de foudre" en français, m'éclaira-t-il. C'est le dernier que j'ai fait, quelques semaines avant de partir de Paris. Les quatre tatouages, je les ai tous dessinés.
- Ils sont magnifiques, dis-je simplement, fasciné.
Je levai les yeux vers Yaël qui me regardait déjà intensément. Je n'aurais jamais imaginé le voir avec des tatouages, mais ça lui allait bien. Et puis, cela ne faisait que confirmer son talent pour le dessin, surtout avec cet oiseau parfaitement bien représenté.
- Ça fait mal ? demandai-je sans pouvoir me retenir, alors même que j'avais conscience qu'il s'agissait d'une question complètement clichée.
- Je peux pas vraiment te répondre. Ça dépend de ta tolérance à la douleur, de l'endroit où tu te fais tatouer, et du tatoueur aussi je pense, m'expliqua-t-il. Moi je n'ai pas trop souffert, même si celui sur les côtes a probablement été le moins supportable. Mais à la fin, ça en vaut la peine. Tu y as déjà pensé, toi, à te faire tatouer ?
- Tu rigoles ! m'exclamai-je. Ça a jamais été une option pour moi. Mes parents deviendraient fous ! Ils m'ont interdit toute altération physique quelle qu'elle soit.
- Ça ne serait pas la première interdiction que tu enfreins, murmura-t-il, noyant à nouveau son regard sombre dans le mien.
Je levai les yeux au ciel et lui donnais un léger coup de coude dans les côtes. J'avais très bien compris ce qu'il sous-entendait. J'avais très bien compris qu'il parlait de lui, et moi, de nous et de notre relation, quelle qu'elle soit. Je savais qu'elle m'était interdite. Je savais que Yaël m'était interdit. Et je me sentais déjà assez étouffé à cause de ça. J'avais pas besoin qu'il me le rappelle.
- De toute façon j'ai peur des aiguilles, baragouinai-je changeant de sujet et clôturant la conversation.
Yaël ria légèrement à côté de moi avant de faire à nouveau passer son bras autour de moi, m'entraînant dans une deuxième étreinte. Je me laissai faire et posai même ma tête sur son épaule. C'était tellement agréable, serein, que je laissai échapper un soupir de contentement. Qu'est-ce qui me prenait ? Ce n'était pas moi d'agir comme ça habituellement.
Et ça devrait m'angoisser ou me mettre mal à l'aise d'être dans ses bras, mais en réalité il n'en était rien. J'aimais ça.
Malheureusement, toutes bonnes choses avaient une fin. Nous ne pourrions pas rester dans notre petit cocon pour l'éternité. Yaël allait devoir partir.
- Mes parents rentrent bientôt, tu sais, dis-je timidement. Ça serait mieux que... qu'ils ne te voient pas ici.
- Je sais, souffla Yaël d'un air résigné. Mais j'aurais aimé pouvoir te tenir dans mes bras encore quelques heures.
Putain, pourquoi mon coeur devait toujours tressauter à l'entente de ce genre de phrases !
Je me redressai, me perdis une dernière fois dans son regard, et me relevai rapidement. Nous devions vraiment mettre fin à ce moment, et Yaël devait vraiment partir. Si on se laissait aller à prolonger cet instant, bien qu'agréable, ça finirait d'une manière désastreuse. Et je n'étais pas encore prêt pour ça. Alors il fallait que je prenne la décision la plus rationnelle, même si le coeur n'y était pas.
Yaël poussa un soupir mais compris le message. Il se leva à son tour et alla chercher sa veste qu'il enfila en s'avançant vers moi, un petit sourire au lèvre. Est-ce que c'était mal de penser qu'il était plutôt beau ?
Je secouai la tête, chassant ces pensées, et me dirigeai vers l'entrée. J'ouvris la porte et me décalai pour le laisser passer. Cependant il ne bougea pas, il se tenait devant moi et se contentait de me fixer avec ce même petit sourire.
- Est-ce que je peux avoir un baiser, au moins, avant de partir ? demanda-t-il soudainement et malicieusement.
Je rougis instantanément, et cette fois-ci, j'étais certain que Yaël l'avait remarqué puisque son sourire s'agrandit. Je baissai la tête alors qu'il se rapprochait un peu plus de moi. Il posa sa main sur ma joue, avant de la laisser glisser dans une caresse sous mon menton, jusqu'à me pousser à relever la tête après une légère pression.
- S'il te plaît, insista-t-il.
Le problème, c'était que j'en avais terriblement envie aussi. Mais mon coeur et ma tête étaient toujours en guerre. Et j'étais toujours absolument terrifié. Cependant je me souvins que je n'avais pas envie de penser à ça aujourd'hui et je n'avais définitivement pas envie de gâcher ce moment, de gâcher cette si agréable matinée passée auprès de Yaël.
Alors j'arrêtai d'écouter ma tête et cessai de réfléchir. Je me redressai, déterminé, et passai mes bras autour de son cou avant de rompre la distance entre nos lèvres. Le baiser était tendre, moins passionné que celui de la veille mais tout aussi fort en émotions et promesses tacites. Et, bien qu'il ne dura pas longtemps, mon corps eut tout de même le temps de se réchauffer et mon coeur de s'emballer, comme à chaque fois. Si c'était ce que je ressentais à chaque fois que j'embrassais Yaël, à chaque fois que j'étais auprès de lui, alors peut-être que ça en valait la peine.
Je me reculai après quelques secondes, mes yeux intimidés tournés vers Yaël. Lui me regardait avec ce même adorable sourire. Il caressa ma joue du bout des doigts avant de passer la porte. Il fit quelques pas et se retourna une dernière fois vers moi.
- Tu ne vas plus me fuir, pas vrai ? demanda-t-il d'une voix tremblante.
Je retins un soupir et un regard compatissant. Il avait peur de mes prochaines réactions. Je le savais. Parce que j'en avais peur moi aussi.
- Pas de promesses, Yaël, lui rappelai-je avec tendresse. Mais je vais faire de mon mieux. Je vais essayer.
Yaël hocha la tête mais ne put cacher son inquiétude, elle se lisait dans ses yeux. Néanmoins, il me lança un dernier sourire avant de se retourner pour emprunter l'allée qui donnait sur la rue.
Je le regardais s'éloigner en me demandant ce que j'avais fait. Dans quoi m'étais-je embarqué ? Pourquoi j'avais fait ça ? Est-ce que ça en valait la peine ? Est-ce que Yaël valait la peine de tout perdre ? Est-ce que vivre sans Yaël en étant malheureux en valait la peine ?
Je n'en avais aucune putain d'idée.
J'avais le sentiment que tout ça allait finir par très mal se terminer. Tout ça allait finir par exploser.
Mais en attendant, nous allions essayer. Juste essayer.
♠️♠️♠️
Hey !
Tout d'abord je vous une très très bonne année ! Comme je vous l'ai dit sur mon profil, je vous souhaite simplement le meilleur ! J'espère que vous avez passé un bon réveillon et que vous avez bien profité !
Moi je suis trop contente de vous retrouver pour ce très long chapitre ! J'avais tellement hâte de vous le faire partager celui-là ! C'est un de mes préféré jusqu'ici.
Swann et Yaël arrivent enfin à communiquer, se parler sincèrement, et je les trouve trop mignons. Ça fait du bien de voir Swann aussi calme et serein, et de le voir prêt à essayer.
Et vous, qu'en avez-vous pensé ?
Ce réveil ? Yaël au petit soin avec Swann ?
Ces moments tous les deux ? Ce moment au piano ?
Swann prêt à essayer avec Yaël ? Qu'en pensez-vous ? Vont-ils y arriver ?
Qu'est-ce que vous envisagez pour la suite ? Pensez-vous que cet essai pourra durer ? Comment réagira Swann en public ?
Tellement tellement hâte de lire toutes vos petites réactions à ce chapitre !
En attendant, je vous souhaite une excellente journée et, encore une fois, une excellente année ! Je vous embrasse.
À bientôt, T.
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