16. Hold On To Me

"Il n'y a pas de fatalité extérieure. Mais il y a une fatalité intérieure : vient une minute où l'on se découvre vulnérable ; alors les fautes vous attirent comme un vertige."

Antoine de Saint-Exupéry

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Yaël

Assis sur un des tabourets placés devant le comptoir de la cuisine, ma tête reposant sur mon poing, les yeux fixés sur cette feuille noircie de traits de crayon, j'étais dans ma bulle.

Cela devait bien faire deux heures que j'étais installé là, complètement immergé dans mon monde, concentré sur mon dessin. En fait, si on réfléchissait bien, cela devait bien faire deux jours que j'étais enfermé dans mon monde, depuis le match de foot.

Nous étions dimanche et je n'avais pas revu Swann, ni eu de ces nouvelles. Je n'avais pas cherché à le contacter non plus. Je savais qu'il devait être terriblement déçu d'avoir perdu son match, et j'aurais peut-être dû m'inquiéter de la façon dont il prenait cette défaite, lui qui donnait une si grande importance au football, mais au lieu de ça j'avais préféré passer mon week-end à cogiter et ruminer.

Concrètement, Swann n'avait rien fait de mal. Nous ne nous étions pas disputé, il ne m'avait pas blessé intentionnellement, il ne m'avait même pas sorti son attaque qui visait généralement à se protéger lui-même. Il n'avait absolument rien fait. Et même lorsque Selia et moi étions à moins de dix mètre de lui, il n'avait absolument rien fait. Préférant sourire à cette inconnue et se jeter dans les bras de Brayden.

J'étais simplement déçu.

Même si je savais à quoi m'attendre avec lui, j'avais été déçu. Parce que son visage avait changé dès qu'il m'avait aperçu alors qu'il parlait avec cet homme que je ne connaissais pas, parce qu'il ne voulait toujours pas montrer aux autres que nous étions amis, juste amis, parce que je détestais le voir dans les bras de Brayden.

D'accord, j'avais été jaloux, je l'admettais. J'étais jaloux alors que je n'en avais même pas le droit. Ce n'était pas ma place et Swann ne me devait rien. Je le savais pourtant.

Mais au-delà de leur relation passée, ou présente, j'étais jaloux de les voir s'afficher aussi publiquement. Swann ne réfléchissait pas et n'hésitait pas avant de prendre la jolie brune dans ses bras. C'était naturel et facile. C'était tout ce que je ne pourrais jamais être avec lui, si tant est que Swann veuille bien d'une relation quelconque avec moi.

C'était tout ce qu'il ne nous autoriserait jamais.

Et ça faisait mal, putain ! Tous ces sentiments qui se battaient en moi, que je me tuais à contrôler pour ne pas les laisser exploser, ça faisait mal. J'étais épuisé.

Alors, cette fois, c'était moi qui avait pris un peu mes distances.

Même si je savais très bien que j'accourrai vers lui à la minute où il en aura besoin.

C'est un rire qui me fit revenir à la réalité, celui de ma petite sœur. Je tournai tout mon corps vers la gauche pour faire face au salon. Mon père et ma sœur étaient un peu plus loin, installés à la table de la salle à manger, ils jouaient à un jeu de société. Cette vision me fit automatiquement sourire.

Mon père était bien souvent très occupé. Il était professeur à l'université et consacrait une grande partie de son temps à la préparation de ses cours ainsi qu'à ses étudiant. Mais nous savions tous que ce n'était pas pour nous fuir ou parce qu'il ne nous aimait pas qu'il passait autant de temps enfermé dans son bureau, c'était tout simplement parce qu'il était passionné par son métier. Il l'avait toujours été. Mais il faisait aussi son maximum pour passer du temps en famille avec nous, et surtout avec Selia qui, à neuf ans, demandait évidemment l'attention de son papa.

Alors, le dimanche, s'il avait fini de corriger toutes ses copies, il faisait en sorte de se consacrer à Selia. Comme aujourd'hui. Nous vivions véritablement un dimanche ordinaire chez les Stevens. Je dessinais, mon père et Selia jouaient à un jeu que je ne parvenais pas à distinguer d'ici, et ma mère lisait un livre, bien confortablement installée dans un des fauteuils du salon. Enfin elle passait plus de temps a regarder son mari et sa fille se chamailler, un sourire au coin des lèvres, qu'à se concentrer sur l'intrigue de son bouquin.

J'observai un instant ma famille, les couvant d'un regard bienveillant. Je les aimais tellement. Et je me sentais tellement chanceux d'être tombé dans une famille aussi unie, soudée, et tolérante que la mienne.

La sonnerie de mon téléphone me sortit de ma rêverie. Je fronçai les sourcils en voyant le nom du contact qui venait de m'envoyer ce message. C'était Swann. Alors que nous passions plus de temps ensemble ces derniers jours, nous nous étions échangés nos numéros. Une idée et une demande de Swann. A croire qu'il ne se rendait pas compte de tous les pas qu'ils faisaient vers moi, toutes ces avancées avant de mieux reculer.

Swann :
On peut se voir ?

Je poussai un soupir et passai une main dans mes cheveux. Je ne savais pas quoi répondre. Je ne pouvais pas céder et rappliquer sur le champ à chaque fois qu'il jugeait que c'était le moment pour lui de passer du temps avec moi.

Moi :
Ça peut attendre demain ? On pourrait se voir après les cours.

Swann :
Yaël, s'il te plaît, j'aimerai te parler

Je poussai un deuxième soupir. Je me connaissais, j'allais craquer. Sa réponse ne s'était pas fait attendre, comme s'il attendait impatiemment, son téléphone à la main, de communiquer avec moi, comme s'il en avait vraiment besoin. Et lorsque ma propre réponse ne lui parvenait pas assez rapidement, un nouveau message apparut son mon écran.

Swann :
Tu m'en veux ? C'est à cause de vendredi, c'est ça ? Après le match ?
Je savais que quelque chose n'allait pas quand vous êtes parti

Moi :
Pas du tout. Selia était fatiguée, rien de plus.

Swann :
Je te crois pas. Yaël, ta petite sœur a rejoint votre voiture en sautillant. Et elle avait l'air plutôt en forme.
Tu ne vas pas me faire croire qu'elle était fatiguée.

Je grimaçai. C'était pas faux. Selia était une boule d'énergie rarement fatiguée, et elle l'était encore moins après l'excitation d'avoir vu un match de foot en vrai. Si ma petite sœur avait voulu m'aider à partir au plus vite, elle n'avait pas excellé dans le rôle de celle qui tombait de fatigue.

Swann :
On pourrait se voir pour en parler ? S'il te plaît ? Je suis à Oxford, sur le terrain de foot

Moi :
Je ne t'en veux pas. Mais je suis occupé. J'ai un devoir à rendre et je vais y passer toute la journée.

Faux, faux et faux. C'était juste une dernière excuse, une dernière tentative de résistance.

Swann :
Yaël, j'ai besoin de toi

Dernier soupir. Il m'avait eu. Il avait gagné. Si en plus il avouait avoir besoin de moi, alors je serais incapable de ne pas le rejoindre.

Je laissai retomber ma tête contre le comptoir de la cuisine, lâchant mon téléphone par la même occasion et attirant donc l'attention de toute la famille.

- Quelque chose ne va pas, mon chat ? demanda ma mère d'une voix douce.

Je grognai un instant, la tête dans mes bras, à l'entente de ce surnom mais finis par me redresser et me tourner dans leur direction.

- Tout va bien, maman, la rassurai-je. Mais, est-ce que je pourrais emprunter ta voiture ? Je dois... je dois voir quelqu'un.

- Bien sûr ! Sois juste prudent, comme toujours.

Je hochai la tête et me levai pour récupérer les clés de voiture et ma veste que j'enfilai rapidement après avoir mis mes chaussures. Je me retournai une dernière fois vers ma famille pour les saluer mais je n'eus pas le temps de dire quoi que ce soit puisque Selia parla la première.

- Tu diras bonjour à Swann de ma part, lança-t-elle l'air de rien.

- Je... je ne vais pas...

- On te croit, mon chéri, balaya ma mère sur un ton qui me laissait entendre qu'elle ne me croyait pas du tout. Ne rentre pas trop tard et fais attention à toi, c'est tout ce qui m'importe.

Je ne répondis rien et me dirigeai vers l'entrée pour sortir de la maison. Je m'avançai d'un pas pressé vers la voiture de ma mère et me dépêchai de m'y installer avant de mettre le contact. Je m'engageai rapidement dans ma rue et pris la direction d'Oxford.

C'était dingue cette faculté que j'avais de retourner auprès de lui à la seconde où il me le demandait, dès qu'il me donnait rien qu'une miette d'attention. C'était à la fois fascinant et inquiétant. Peut-être même que ce n'était pas très sain ni pour lui ni pour moi mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Ce n'était pas des paroles en l'air lorsque je répétais que je serais toujours là pour lui. Je crois qu'il pourrait me demander n'importe quoi que je lui accorderais son voeux le plus cher. Y compris même s'il me suppliait de sortir définitivement de sa vie. Malheureusement.

Je ne mis pas plus d'un quart d'heure pour arriver sur le parking d'Oxford. Je me garai à côté de la Porsche flamboyante de Swann, signe qu'il était encore là. Je faisais tâche à côté, avec la voiture de ma mère qui devait être aussi vieille que moi et dont la peinture fatiguait par endroit.

Je ne m'en préoccupai pas plus longtemps et sortis du véhicule. D'un pas décidé, je me dirigeai vers le terrain de foot. L'ambiance n'était définitivement plus la même que vendredi soir. Les extérieurs de l'université étaient déserts et silencieux. J'empruntai la même petite allée que j'avais prise avec Selia la dernière fois et débouchai directement sur le terrain, derrière les gradins.

Je m'avançai jusqu'à voir cette silhouette se dessiner devant moi. Swann se trouvait là, assis en plein milieu des gradins, la tête cachée dans ses mains. Je m'approchai doucement jusqu'à m'asseoir à côté de lui. Je savais qu'il avait senti ma présence mais il ne bougea pas, gardant sa position et le silence.

Je ne pouvais pas voir son visage, alors je ne parvenais pas à voir l'étendu de son état mais j'arrivai tout de même à deviner que quelque chose n'allait pas. Il était tendu et sa position laissait entendre sa tristesse. Qu'est-ce qu'il avait bien pu se passer pour que je retrouve Swann dans cet état ? Dans quelles genres de pensées s'était-il enfermé ? Et comment pouvais-je engager la conversation sans qu'il ne se braque ?

- Donc comme ça tu as besoin de moi, lançai-je avant de soupirer.

Non, ce n'était définitivement pas la bonne technique.

Swann releva lentement la tête vers moi et trouva quand même la force de me lancer un regard noir de ses yeux qui semblaient pourtant à l'instant si inexpressifs.

- Je suis pas d'humeur pour ça, souffla-t-il avant de fixer un point invisible devant lui.

Il valait mieux que j'évite de lui répliquer qu'il n'était jamais d'humeur pour rien. Je me mordis alors la langue pour éviter de dire quelque chose sans réfléchir, quelque chose qui l'éloignerait encore plus de moi. Je baissai la tête sur mes mains que je croisais. Je devais aussi éviter de le toucher si je ne voulais pas qu'il m'échappe. Même si, au fond, je rêvai de le prendre dans mes bras.

- Swann, dis-moi ce qui va pas, dis-je d'une voix douce. Parle-moi.

Swann poussa un soupir et passa une de ses mains dans ses cheveux. Lorsqu'il prit une grande inspiration, je sus qu'il allait me parler, mais il ne daigna cependant pas tourner la tête vers moi pour me montrer ses yeux azurs.

- Même si tu dis le contraire, je sais que tu m'en veux pour vendredi, commença-t-il. Et je suis pas complètement con, je sais pourquoi. Mais, Yaël, j'avais pas le choix. Quand je t'ai vu avec Selia, c'était pas le bon moment. L'homme avec qui j'étais, il devait pas te voir, il... Tu vas pas aimer ce que j'ai à dire.

Il hésitait. Mais il fallait vraiment qu'il comprenne qu'avec moi, il pouvait parler librement. Je ne pourrais pas l'aider s'il n'osait pas me donner toutes les informations.

- Explique moi, Swann, le suppliai-je presque. Je ne pourrais pas te comprendre si tu ne m'expliques pas.

- Le type avec qui j'étais après le match, c'est Rob Martins, le trésorier de campagne de mon père. Il y avait sa fille aussi, Kaitlyn, mais elle est cool, on a le même genre de parents pour tout te dire. Le problème c'est que, quand j'ai demandé à mon père s'il viendrait voir mon match, ce qu'il n'a pas fait puisqu'il n'a pas de temps à perdre avec la déception qui lui sert de fils, il m'a dit que Rob y serait et qu'il pourrait lui faire un rapport. Comme si ça allait me rassurer ! Enfin, je savais que Rob prendrait à la lettre l'ordre de mon père. Et il le lui a fait son rapport. Tu imagines un peu la réaction de mon père s'il avait appris que tu étais là et qu'on s'était parlé ou même regardé ! Déjà qu'il m'a pris la tête l'autre jour à propos de ton retour et que j'ai dû lui certifier que je n'avais pas l'intention de t'approcher !

Je retenais un soupir. Donc il s'agissait encore de son père. Encore et toujours. Ça faisait mal. Ça faisait mal à la fois d'entendre ces mots et de voir Swann comme ça. Il semblait réellement perdu et peiné mais il n'avait pas encore le courage de tenir tête à son père. Et j'avais l'impression que cette situation était presque aussi difficile pour moi que pour lui. Le perdre lorsque nous avions onze ans à cause des manies de ce même père avait été trop douloureux. Et je ne voulais pas revivre ça.

- Ton père a parlé de moi ? demandai-je, curieux d'en savoir un peu plus.

- Oui, il a apprit que tu étais de retour en ville et il voulait savoir si tu avais cherché à reprendre contact avec moi. Je lui ai mentis. Je crois qu'il te déteste toujours autant.

- C'est réciproque, soufflai-je.

C'était léger mais j'étais certain d'avoir entendu un petit ricanement de la part de Swann. S'il fallait que je critique son père pour obtenir rien qu'un sourire de sa part, alors je m'en donnerais à coeur joie. Ce n'était plus un secret, la guerre était ouverte entre son père et moi. Sauf que lorsque j'avais onze, je n'avais pas encore les armes pour me battre contre lui, mais tout était différent désormais. Je ne laisserais pas Dave Nelson éteindre toute la lumière qui brillait au fond des yeux de Swann.

- Ça fait mal d'être ignoré, repris-je finalement, admettant ce qui me pesait sur le coeur depuis vendredi soir.

Swann tourna enfin la tête vers moi, plongeant son joli regard bleu dans le mien. C'était bien ce que je craignais, ses yeux étaient toujours aussi beaux mais ils étaient hantés par une profonde tristesse qui implosait en lui, ne laissant qu'un terrible et douloureux vide derrière elle.

- Je sais, et je suis désolé, Yaël, murmura-t-il en baissant à nouveau la tête. Je sais que je fais que de te blesser. C'est pas ce que je veux, crois-moi. Mais je sais pas quoi faire d'autre, je sais pas comment me comporter quand il y a tout ces gens qui me regardent. Je sais que je ne prends jamais les bonnes décisions mais j'arrive pas à... à être moi-même. Je sais pas comment faire. 

Si seulement tu pouvais penser à toi avant de penser aux autres, Swann.

- Et te jeter dans les bras de Brayden, c'était obligé ? demandai-je soudainement. Je croyais que vous aviez rompu.

- Quoi ? T'es jaloux peut-être ? ricana-t-il.

Le regard de Swann, jusque là fixé sur ses mains tremblantes, se planta à nouveau dans le mien alors qu'il arborait un petit sourire un coin. Un sourire adorable mais qui s'évanouit rapidement lorsqu'il remarqua que mon visage restait tout à fait sérieux. J'étais sérieux. Parce que j'étais jaloux, je l'admettais. Je n'allais pas le cacher, et je crois qu'il l'avait compris.

Finalement, je haussai les épaules et détournai le regard. Swann, lui, m'observait toujours. Je le sentais, je sentais sa chaleur m'entourer autant que je sentais cette légère brise effleurer mes joues. C'était naturel quand il se trouvait auprès de moi. Mon corps ressentait sa présence et ses actions, ainsi que son mal-être. C'était comme s'il était branché sur la même fréquence.

- Il y a autre chose, affirmai-je doucement, changeant de sujet alors que je lui faisais à nouveau face. Tu as l'air triste, Swann, je le vois. Je sais qu'il y a autre chose. C'est encore à cause de ton père ?

Mon ami baissa les yeux en poussant un léger soupir. J'avais touché un point sensible. Ça me tuait de le voir souffrir autant à cause du salaud qui lui servait de père. Et je devais utiliser toutes mes forces pour résister et ne pas poser une de mes mains sur sa joue dans un geste de consolation. J'en avais terriblement envie. J'avais terriblement envie de le toucher, de le réconforter, de lui donner ma force. Il était épuisé, je le voyais bien. J'aimerais tellement qu'il me laisse être fort pour lui.

- Rob Martins, il a fait son rapport à mon père, je te l'ai dit, commença-t-il d'une petite voix. Il lui a parlé de notre but, il lui a dit qu'il n'a été possible que par cette passe décisive que j'ai faite à Hugo. Evidemment, il lui a parlé de cette erreur qui a engendré l'égalisation, mais il lui a aussi précisé que nous étions bon, que notre défense était tout de même restée implacable tout au long du match et que nous avions tout donné pour rattraper cette erreur et nous battre pour cette victoire. Mais ce n'était pas suffisant. Ça ne sera jamais suffisant pour mon père. Il voulait que je gagne, et je le lui avais promis. Et encore une fois, je l'ai déçu. Il m'a passé un savon. Parce qu'on a perdu, parce que je ne suis qu'un incapable qui ne sait pas mener son équipe vers la victoire, parce que je ne suis pas le leader qu'il aurait souhaité. Parce que je ne suis pas le fils qu'il aurait souhaité.

Voir Swann comme ça, complètement à bout, me déchirait le coeur. Un jour j'aurais une conversation avec son père, et je lui ferais comprendre à quel point c'était lui, le perdant. Parce qu'en se comportant comme ça, il perdait son fils, et il passait à côté de cette occasion et cette chance de côtoyer un jeune homme aussi doux, unique et talentueux que lui.

- Swann, murmurai-je pour attirer son attention. Tu devrais pas donner autant d'importance à ce que te dis ton père. J'ai bien conscience que tu ne veux pas le décevoir parce que, au fond, il reste ton père. Mais, tu l'as dit toi-même, tout ce que tu feras ne sera jamais suffisant pour lui. Et je t'assure que ce n'est pas toi le problème, c'est lui. Tu ne devrais pas te tuer à satisfaire les exigences d'un homme qui n'est pas capable de t'aimer tel que tu es. Tu ne devrais pas vivre pour lui. Swann, tu devrais vivre pour toi. Tu devrais faire ce que tu aimes, ce qui te rends heureux, sans te mettre autant de pression, et sans te soucier de ce que les autres vont penser.

Les yeux de Swann étaient brillants. Ce dernier haussa les épaules avant de se concentrer à nouveau davantage sur ses mains. Je voyais bien qu'il n'avait pas l'air convaincu par mes propos, malheureusement. Ça allait être difficile de faire sortir certaines idées de la tête de Swann, celles qui avaient été implantées dans son esprit depuis son plus jeune âge, celles qui bouffaient ses pensées et sa vie maintenant qu'il avait grandit et qu'il réalisait petit à petit qu'elles étaient en train de gâcher sa vie. Il était en train de se battre avec lui-même. Et je ne pourrais l'aider que lorsqu'il cessera de se battre contre moi et qu'il m'autorisera plutôt à me battre à ses côtés.

- J'en peux plus, souffla Swann en plongeant à nouveaux ses yeux larmoyants dans les miens. Toute cette pression, je la supporte plus. C'est comme si j'arrivais plus à respirer. J'y arrive plus, Yaël. Mais je sais pas comment m'en débarrasser. Je peux pas, je suis pas prêt à...

Je le coupai en passant mon bras autour de ses épaules. Je n'arrivais plus à résister. Mes mots ne suffiraient pas à le réconforter. Il allait beaucoup trop mal, je le voyais brisé devant mes yeux. Peut-être qu'il me rejetterait, mais pour l'instant il en avait besoin, qu'il le veuille ou non. Alors, lorsqu'il grogna en tentant de se redresser, je ne le laissai pas s'échapper et le rapprochai de moi.

-  Swann, tout va bien, chuchotai-je. Laisse toi aller.

Soudainement, j'entendis Swann pousser un profond soupir avant de se détendre contre moi. Il laissa retomber tout son poids contre mon corps, déposant sa tête contre mon épaule, calée au creux de mon cou. Il tremblait, et je ne savais si c'était parce qu'il avait froid ou parce qu'il laissait enfin couler les larmes silencieuses qu'il retenait depuis bien longtemps.

Je ne bougeai pas. Je ne passai pas ma main dans ses cheveux, je ne l'enlaçai pas de mon autre bras, je ne déposai pas mes lèvres sur son front. J'en crevais d'envie, mais je ne bougeai pas. Là, maintenant, c'était à propos de lui et du soutien silencieux que je pouvais lui apporter. Alors je le serrai fort contre moi et le laissai s'accrocher à moi, je le laissai se reposer enfin sur moi.

Je ne le niais pas, c'était bon de le sentir aussi proche de moi, de pouvoir enfin l'avoir dans mes bras. Je ne le niais pas, une boule de chaleur avait traversé mon corps tandis qu'une bouffée d'oxygène venait de redonner vie à mes poumons. Mais je tentai de ne penser qu'à lui et sa fragilité.

Je devais résister face à cette envie de plus, le risque était trop grand.

Je ne sais pas combien de temps cela avait duré. J'avais l'étrange impression que le temps s'était figé tout en s'accélérant, me laissant un goût amère de pas assez.

Bientôt, sa respiration se fit plus régulière et Swann finit par se redresser. Il releva la tête et plongea son magnifique regard azur dans le mien. Nos visages étaient si près l'un de l'autre que je pouvais voir tous les détails de ses iris. D'un geste totalement incontrôlé, je passai mon pouce sur sa joue gauche pour effacer une unique larme qui brillait encore sur sa pommette. Sans réfléchir, je laissai ma main retomber contre son cou, inconsciemment avide de garder ce contact.

A ma grande surprise, Swann ne me repoussa pas, et il ne se recula pas non plus. Il se contentait de m'observer, les sourcils légèrement froncés. Je n'arrivais pas à deviner ce qu'il se passait dans sa tête à cet instant, peut-être parce que régnait dans la mienne un bordel complet. Je ne parvenais plus à me détacher des yeux de Swann qui, eux, semblaient inspecter chaque parcelle de mon visage. Jusqu'à ce qu'ils tombent sur mes lèvres, me coupant alors le souffle.

Non, Swann, ne fais pas ça.

Il ne pouvait pas faire ça, pas alors qu'il venait complètement de m'envoûter, pas alors que nos visages n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, pas alors que je n'aurais plus la force de résister. Il devait tout arrêter, il devait se reculer, parce que moi j'en serais bientôt incapable. Et je savais que, s'il ne faisait rien, tout allait déraper. Et j'allais le payer.

Mais Swann n'engageait aucun mouvement. J'avais même l'impression qu'il s'était légèrement rapproché, à moins que ça ne soit moi, je ne savais plus. Ma respiration s'accéléra lorsque je remarquai que la sienne se faisait irrégulière. Mon sang bouillonnait dans mes veines alors que j'utilisais toutes mes forces pour ne pas craquer. Mais lorsqu'il s'agissait de Swann, ses forces étaient bien trop vites épuisées, tout comme ma volonté. Surtout lorsque, dans un geste inconscient, mes yeux lâchèrent enfin les siens pour tomber sur ses lèvres légèrement entre-ouvertes.

C'était trop. Trop fort. Trop intense. Trop incontrôlable. Trop tentant.

Alors mon cerceau s'éteignit. Mes pensées gelèrent. Et mon visage réduisit la distance entre nous pour que mes lèvres retrouvent enfin les siennes tandis que mon cœur explosait.

En réalité, c'était tout mon corps qui explosait, chacune des cellules qui le composait. Les yeux étroitement fermés, je ne me concentrais plus que sur la sensation que ce contact me procurait. J'avais presque oublié la douceur de ses lèvres. Sentir Swann tout contre moi de cette façon était inexplicable. C'était comme reprendre une drogue après des années de sobriété. C'était à la fois libérateur et dévastateur.

Et ses effets tournaient bien trop vite à la désillusion.

Alors que nous en voudrions toujours plus, cela ne durait que très peu de temps. Quelques secondes à peine. Trois avant qu'il ne me rende mon baiser avec grande hésitation, cinq avant qu'il y mette fin avec fermeté.

Ce fut lorsque je remontais ma main, jusque là posée à la base de son cou, vers sa joue que Swann me repoussa brusquement, balayant mon bras avec fermeté.

- Putain, non ! s'écria-t-il en passant une main dans ses cheveux. Pourquoi t'as fait ça ?

J'ouvris la bouche mais rien ne sortit. Je regardai, impuissant, Swann se relever et s'éloigner de moi. Il regardait tout autour de lui, paniqué. Je savais très bien ce qu'il cherchait, je savais très bien qu'il s'assurait que personne ne nous ait vu.

Mais là, maintenant, je ne me souciai pas de sa lubie, je me préoccupais plutôt de Swann. J'avais soudainement froid et je voulais retrouver son contact, m'assurer que je n'avais pas tout perdu, je devais rattraper mon erreur. Alors qu'il était debout devant moi je tentai, dans un geste désespéré, d'attraper son bras pour ne plus le lâcher.

- Swann, regarde-moi, le suppliai-je d'une voix tremblante. Tout va bien, c'est pas grave. Je suis désolé, d'accord ? On peut... on peut oublier ça, si tu veux. Je recommencerai plus.

Mon cœur battait vite, trop vite. J'avais peur. Mais ce qui fit le plus mal à cet organe qui cognait dans ma poitrine n'était pas sa vitesse mais la douleur causée par le regard que Swann posait sur moi qui le transperçait.

- Pourquoi il a fallut que tu fasses ça ? lâcha-t-il, furieux, tout en retirant violemment son bras de mon emprise. Pourquoi il a fallu que tu gâches tout ?

- Swann, s'il te plaît...

- Ne m'approche plus. Je peux pas. Je peux pas faire ça.

Et sans un mot de plus, sans que je n'eus l'occasion de le retenir, Swann me tourna le dos et quitta avec précipitation le terrain. Encore sonné, mes yeux suivirent sa silhouette pendant quelques secondes avant que ma tête retombe dans mes mains. J'arborais alors là même position que celle dans laquelle se trouvait Swann lorsque je l'avais rejoint ici.

- Putain ! hurlai-je de toutes mes forces, faisant alors résonner ma colère et ma frustration à travers ce terrain désert.

Mes mains s'agrippaient à mes cheveux. J'avais presque envie de me les arracher tellement je me sentais con. Je n'aurais jamais dû faire ça. J'aurais dû me contrôler, merde ! Je savais très bien que ça finirait mal. Nous n'étions pas dans un conte de fée et Swann ne me tomberait pas dans les bras après un baiser.

Il avait raison, j'avais tout gâché.

C'était fini, maintenant. J'avais merdé et j'allais en payer les conséquences.

Je rêvais que Swann revienne sur ses pas, qu'il me prenne dans ses bras, qu'il admette avoir aimé ce baiser, qu'il me murmure que tout irait bien maintenant, qu'il m'assure qu'il se battrait avec moi désormais. Oui, j'en rêvais. C'était ce que je souhaitais au plus profond de mon être. Mais ça n'arriverait pas. Parce que j'avais commis une erreur impardonnable.

C'était fini.

Je l'avais perdu. Je venais de perdre Swann.


♠️♠️♠️

Hey !

Comment allez-vous ?

Moi je suis ravie de vous retrouver aujourd'hui pour ce nouveau chapitre.
Alors oui ça y est on assiste au premier baiser entre Yaël et Swann ( enfin deuxième si on compte évidemment celui qu'ils ont échangé à 13 ans )

Évidemment, vous imaginez bien qu'il y aura des conséquences et des cogitations après ce baiser. Ça marque un petit tournant et j'ai hâte de développer la suite.

Et vous, qu'en avez-vous pensé ?

La discussion Swann / Yaël ? Les différents sujets abordés ?

Le mal-être de Swann ? Il est fatigué de la pression qu'il reçoit.

Le baiser ?

La réaction de Swann après ça baiser ?

Dites-moi tout, j'ai hâte de vous lire !

En attendant je vous souhaite une très bonne fin de semaine ! J'ai déjà bien avancé sur l'écriture du chapitre 17 donc je ne pense pas me tromper en vous disant qu'il serait près pour mercredi prochain.

À bientôt, T.

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