11. Complicity
"Mais au fond, il n'y a pas d'amis, il n'y a que des complices. Et quand la complicité cesse, l'amitié s'évanouit."
Pierre Reverdy
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Yaël
Les mains dans les poches, je regardais ces enfants évoluer sur le terrain, même si je devais bien admettre que mes yeux se concentraient davantage sur une joueuse en particulier, ma petite sœur. J'avais quitté les tribunes et me tenais désormais debout devant les barrières pour mieux la voir. Je n'y connaissais rien en football, mais je savais qu'elle jouait bien, vraiment bien.
Cela faisait une heure que je me tenais là, à ne rien faire d'autre que regarder cet entraînement. Mais ce n'était pas grave, j'avais l'habitude. Nous étions mercredi, et le mercredi avait lieu l'un des deux entraînements que Selia avait par semaine. C'était souvent ma mère qui l'accompagnait, mais j'essayais au maximum de me rendre disponible pour ma petite soeur. Parce que ça nous faisait plaisir à tous les deux, Selia adorait me montrer ses entraînements et ses progrès, tandis que moi j'adorais voir ma soeur jouer. J'étais fier d'elle.
Sur ce terrain, elle était dans son élément. Il n'y avait aucun doute sur le fait que le football était fait pour elle, comme il n'y avait aucun doute sur le fait que c'était sa passion. Elle était tellement heureuse et épanouie lorsqu'elle avait un ballon au pied. C'était beau à voir, et ça me rendait heureux. Ma soeur était la prunelle de mes yeux, je donnerais tout pour qu'elle se sente tous les jours aussi joyeuse que lorsqu'elle jouait un match de foot.
Je retins ma respiration lorsque ma soeur, qui évoluait au poste d'attaquante, s'approcha dangereusement des buts puis poussai un cri qui attira l'attention du coach lorsque le ballon se retrouva au fond du filet. Je levai deux pouces en l'air en direction de Selia qui s'était retournée pour voir ma réaction. Néanmoins je me calmai lorsque je croisai le regard du coach. Il commençait à me connaître et savait que, parfois, j'avais tendance à laisser un peu trop ma joie s'exprimer. Il n'avait rien contre ma présence, ni sur le fait que je les encourage, mais il m'avait déjà demandé de me calmer pendant les entraînements, et ce à plusieurs reprises.
Je levai mes deux mains devant moi en signe d'excuses, alors que je voyais Selia rire un peu plus loin, avant que le match ne reprenne son cours. Nous avions entamés la deuxième partie de l'entraînement, après les échauffements et les exercices, venait le temps des matchs. Les enfants étaient alors séparés en deux groupes, deux équipes qui s'affrontaient sur le terrains.
Tentant de me faire plus discret, je continuais de regarder le match avec concentration lorsque je sentis une présence s'avancer derrière moi. Pensant qu'il s'agissait simplement d'un parent, je n'y prêtais pas tout de suite attention. Ce fut lorsque je sentis cette personne tout près de moi que je me décidais à tourner la tête. J'écarquillai les yeux instantanément, plus que surpris de le trouver là.
Swann se tenait à mes côtés, les mains dans les poches et le regard rivé sur ses chaussures. Je l'observai quelques secondes, il semblait hésitant, presque vulnérable. Il se balançait d'un pied sur l'autre et ses lèvres étaient pincées, c'était comme s'il ne savait pas bien comment se comporter. Ça tombait bien, quand il s'agissait de lui, je ne le savais pas non plus.
- Qu'est-ce que tu fais là ? demandai-je finalement.
Mon ton n'était pas sec ou hautain, j'étais simplement curieux de connaître les raisons de sa présence ici, surtout quand on savait qu'il faisait tout pour m'éviter depuis maintenant une semaine et demie. En effet, depuis la soirée d'Hugo, il était partout où je n'étais pas et prenait bien soin de ne pas croiser mon chemin.
Swann finit par relever timidement la tête dans ma direction. Ses yeux azurs croisèrent un instant les miens mais cet échange ne dura que quelques secondes puisqu'il s'empressa de détourner le regard. C'était peut-être pas plus mal, cela m'empêchait de m'y noyer.
- C'est une longue histoire, répondit-il.
- J'ai tout mon temps.
Swann me regarda à nouveau avant d'orienter son regard vers Selia en poussant un soupir qui me laissait entendre qu'il cédait.
- En fait, c'est pas si compliqué que ça. Tu te souviens que j'avais dit à Joyce que je ferais tout ce qu'elle me demanderait si elle acceptait de m'accompagner au gala de mon père ? me demanda-t-il alors que je hochais la tête. Et bien elle m'a demandé de l'aider à baby-sitter les jumeaux, même si elle sait que je déteste faire ça. Malheureusement, je lui avais promis alors je ne pouvais pas refuser. J'ai donc dû l'accompagner hier alors qu'elle allait chercher les jumeaux à l'école et il s'est avéré que, même s'ils ne sont pas dans la même classe, ils fréquentent la même école que ta soeur. A la sortie, Selia m'a vu, elle m'a reconnu, et elle est venue me parler. Elle m'a pratiquement supplié de venir voir son entraînement aujourd'hui. Je n'étais vraiment pas sûr de venir mais, tu sais, elle me regardait avec ses petits yeux de chiens battus alors...
- Oui, elle fait ça souvent quand elle veut quelque chose, ris-je.
- Tu le faisais aussi, nous regarder avec tes petits yeux de chiens battus, quand on était enfants, remarqua-t-il en se tournant vers moi avant de secouer la tête, comme pour se reprendre. Enfin bref, j'ai passé la journée à me demander si j'allais venir ou non mais, je sais pas, j'avais pas envie de la décevoir. Rien que l'idée me rendait comme triste. Donc, me voilà.
- Elle va être contente de te voir, j'en suis sûr.
- J'ai vu ta mère aussi, rajouta-t-il. Elle est toujours aussi belle.
- Tu trouves que ma mère est belle ?
Bien sûr que ma mère était belle, pour moi c'était la plus jolie femme que je n'avais jamais vu, mais je savais bien que je n'étais pas objectif parce qu'il s'agissait de ma maman, la femme la plus importante de ma vie. En revanche, j'étais amusé d'entendre Swann faire cette remarque.
- Vous êtes tous plutôt beaux dans votre famille, lança-t-il sans réfléchir. Ça doit être dans les gênes.
Un lourd silence s'abattit soudainement sur nous. Un rictus malicieux s'était formé sur mes lèvres tandis que Swann avait à nouveau baisser la tête pour concentrer son regard sur l'herbe sous ses pieds. Et je jurerais avoir vu ses joues rougir.
- Merci, je suppose, soufflai-je, amusé.
- Enfin, comme je te disais, j'ai vu ta mère, et elle m'a vu aussi mais on a pas échangé un seul mot, reprit-il rapidement, comme pour changer de sujet. Elle m'a juste souri avant de repartir avec Selia.
- Je suis prêt à parier qu'elle va me parler de toi, encore. Et me demander de t'inviter à dîner. Ça tournerait presque à l'obsession, elle est tout le temps en train de me demander de tes nouvelles.
- Je sais même pas comment elle m'a reconnu, après tout ce temps.
- Tu es toujours le même, Swann. On a pris quelques années mais tu n'as pas changé. Tu as toujours le même visage enfantin, les mêmes yeux bleus perçants, le même sourire quand tu décides d'arrêter deux minutes de faire la gueule. Et, toi aussi, tu as tendance à faire tes petits yeux de chien battus.
Cette fois-ci, Swann osa affronter mon regard. Je profitai alors de ces profonds yeux bleus qui m'avaient tellement manqués avant de remarquer que ses joues avaient à nouveau pris une légère teinte rosée. Mon sourire s'agrandit et son regard se posa un instant sur mes lèvres. Il devrait vraiment éviter de faire ça.
Cela ne dura que quelques secondes mais je fis tout pour apprécier ce moment, alors que nous venions, le temps d'un instant, de recréer notre bulle. Et je ne savais pas quand ça se reproduirait.
Ce fut des cris d'enfants qui nous ramenèrent à la réalité. Un but venait d'être marqué. Swann se racla la gorge et fit un pas sur le côté pour s'éloigner un peu plus de moi avant de relever la tête en direction du terrain. Moi je continuais de l'observer. Ses sourcils se froncèrent alors qu'il se concentrait sur le match qui avait lieu sous nos yeux.
- Selia joue vraiment bien, remarqua-t-il, brisant le silence. Elle a vraiment du talent, et de l'avenir.
Mon sourire revint instantanément à la mention de ma petite soeur. Je la regardais alors remonter le terrain en courant, concentrée. Je ne savais pas si elle voudrait garder ce sport en tant que loisir ou si elle voudrait aller plus loin mais, quoi qu'il arrive, je savais que je la soutiendrais dans chacun de ses choix.
- J'étais pas sûr de te voir aujourd'hui, avoua finalement Swann alors qu'il posait ses coudes sur la barrière, s'y appuyant. Je pensais peut-être voir ta mère, qu'elle aurait accompagné Selia à son entraînement.
- Avoue que tu aurais préféré que ce soit ma mère qui soit là à ma place, lâchai-je plus sèchement que je ne l'aurais voulu.
Swann me lança un regard fugace puis haussa les épaules. Il croisa ses mains et attendit quelques secondes, le regard perdu dans le vide, comme s'il réfléchissait réellement à la question, comme s'il pesait le pour et le contre.
- J'en suis pas sûr, souffla-t-il finalement.
Je fronçai les sourcils en l'observant, un peu perdu, moi aussi. Il n'était pas sûr que ça le dérangeait de me voir ? Lui qui avait pourtant passé plus d'une semaine à m'ignorer minutieusement ? Parfois je ne le comprenais pas. J'avais beau souvent arriver à lire en lui, prédire ses réactions, dans ces moments là, c'était le flou total. Si seulement j'avais accès, rien qu'un instant, à ce qu'il se passait dans sa tête.
Le problème avec Swann, c'était qu'il revenait toujours. Avant de repartir en courant. Et moi, je ne savais plus quoi penser, je ne savais plus comment agir avec lui. Et je ne savais pas si j'avais la force de lui courir après si c'était pour me prendre un mur à chaque fois. J'allais finir par y laisser ma peau, ou mon coeur.
Le silence était retombé autour de nous. Tous les deux appuyés contre la barrière, nous regardions au loin, concentrés sur Selia et son équipe jusqu'à ce que le coach siffle la fin de l'entraînement. Ma petite soeur dirigea alors son regard dans ma direction avant que ses yeux ne se mettent à pétiller et qu'un grand sourire n'illumine son visage alors qu'elle apercevait Swann à mes côtés.
Selia se mit à courir dans notre direction jusqu'à dépasser la barrière et se jeta dans les bras de Swann. Ce dernier s'était accroupi pour la réceptionner. Je regardai d'un air attendri ma petite soeur enrouler ses bras autour de son cou. Je devais bien admettre qu'ils étaient beaucoup trop adorables ces deux-là.
Je savais que Selia avait cette capacité de socialiser très rapidement, et bien sûr elle avait déjà entendu parler de mon ancien meilleur ami, mais voir qu'ils étaient déjà si proches alors qu'ils ne s'étaient vu que deux fois, je ne sais pas, ça me faisait plaisir, et je trouvais ça absolument mignon.
- Tu as pu venir ! s'exclama-t-elle. Je suis trop contente !
- Ça m'a fait plaisir de venir te voir jouer aussi, assura Swann.
- La prochaine fois il faudra que tu viennes voir un vrai match ! Ça serait trop bien ! Pas vrai, Yaya ?
- On verra ça, répondis-je vaguement. Allez file au vestiaire, le coach t'attend.
Je voyais l'homme s'impatienter derrière elle, soucieux de récupérer tous les enfants et de n'en perdre aucun en cours de route. Selia hocha la tête mais se retourna une dernière fois vers nous.
- Tu seras encore là quand je reviendrais, Swann ? demanda-t-elle d'une petite voix. Yaya m'a dit qu'on irait prendre un goûter tous les deux, tu pourrais venir avec nous.
- Je sais pas, je voudrais pas vous déranger, bredouilla le concerné.
- Tu nous déranges pas.
A ces mots, Selia se retourna pour marcher vers les vestiaires avec une assurance épatante, ne s'inquiétant pas d'avoir une réponse définitive. Elle était sûre d'avoir gagné de toute façon. Swann gardait son regard fixé sur ma petite soeur, les sourcils froncés. Et oui, tu viens juste de te faire avoir par la mignonerie machiavélique de ma soeur.
Mon ancien meilleur ami tourna finalement sa tête vers moi et planta son regard dans le mien. Ses yeux bleus semblaient me poser une question silencieuse.
- Je voudrais pas m'imposer dans un moment avec ta soeur, lança-t-il finalement. T'es sûr que c'est bon pour toi ?
- C'est plutôt à toi qu'il faut poser cette question, rétorquai-je. T'es sûr que c'est bon pour toi de passer du temps avec ma soeur, et moi ?
Swann se mordit la lèvre et enfonça à nouveau ses mains dans ses poches tout en rentrant sa tête dans ses épaules.
- Je suppose que ça me va. C'est juste pour une heure ou deux, et puis ça ferait plaisir à Selia.
Je hochai la tête mais ne rajoutai rien. Dans le plus grand des silences, nous nous approchâmes des vestiaires devant lesquels des parents attendaient déjà pour récupérer leurs enfants. Selia fut une des dernières à sortir, trop occupée à bavarder avec ses nouvelles copines. C'était impressionnant. Je n'étais pas aussi sociable qu'elle à son âge, en réalité je n'avais qu'un véritable ami. Et il se trouvait à l'instant tout à côté de moi mais, pourtant, il ne m'avait jamais semblé aussi éloigné.
Ma petite soeur s'avança finalement et se dirigea directement vers Swann pour lui prendre la main. Visiblement je n'existais plus. Sympa. Swann me jeta un regard hésitant mais je me contentai de hausser les épaules et de les laisser partir devant. Je n'allais pas me mettre entre eux, et je savais que ça faisait plaisir à ma sœur de passer du temps avec lui. Selia s'était attachée à Swann, preuve que les Stevens avait tendance à tomber facilement dans ses filets.
Selia parla tout au long du trajet. Mais cela ne sembla pas déranger Swann qui prenait part à la conversation, entrant dans le jeu de ma soeur et riant de bon coeur avec elle. C'était comme s'il avait, pour un temps, retrouvé son âme d'enfant. Moi je les observais, un peu en retrait, et les mains enfoncées dans les poches de ma veste. Ils étaient mignons à balancer leur bras au rythme de leur pas, tellement que, malgré moi, un sourire vint se former sur mes lèvres.
- Yaya, est-ce qu'on peut aller au magasin de cupcakes ? demanda soudainement Selia en tournant sa tête vers moi.
- Je ne comptais pas aller ailleurs, lui répondis avec un clin d'oeil et un sourire malicieux.
- Vous allez au Tay's Baking Factory, celui sur High Street ? intervint Swann
- Toujours.
- Comme quand on était petits, remarqua-t-il doucement.
Swann baissa rapidement la tête tout en continuant à marcher devant moi mais j'eus néanmoins le temps de remarquer ce petit sourire se former au coin de ses lèvres, un sourire qui répondait au mien.
Nous marchâmes encore quelques minutes avant d'arriver devant la petite boutique perdue au milieu de la grande rue. Nous entrâmes tous les trois, faisant résonner le tintement d'une cloche alors que nous ouvrions la porte. Le Tay's, c'était notre petit lieu sacré, j'avais l'impression que nous l'avions toujours connu. Autrefois, j'y venais avec Swann, et maintenant j'y venais avec Selia. Rien n'avait changé, l'intérieur était toujours le même. Tout était très coloré, du bleu, du rose, du violet nous entourait, mais toujours dans des teintes pastel, ce qui rendait le lieu plus doux et familial.
Dans cette boutique, nous pouvions acheter toutes sortes de gourmandises, des cupcakes, des cookies, des cheesecakes et pleins d'autres choses encore. Nous pouvions aussi commander un chocolat chaud ou un milkshake. Nous avions la possibilité d'emporter notre commande ou de nous installer en salle où des tables blanches attendaient les clients.
Ce qui était drôle, c'était que le Tay's était géré par deux personnes qui portaient le même nom, Taylor, et qu'en plus de ça ils étaient mariés depuis de nombreuses années. Lorsque nous nous approchâmes du comptoir l'homme d'une quarantaine d'année nous salua avec bienveillance et convivialité, nous reconnaissant. Je supposais que Taylor, sa femme, devait être dans l'arrière boutique ou déjà en train de s'occuper d'autres clients. C'était une petite femme toute mignonne et toujours souriante, un vrai rayon de soleil.
J'eus à peine besoin de demander à Taylor, le mari, un milkshake à la vanille pour Selia et un autre au chocolat pour moi qu'il était déjà en train de tout préparer, connaissant par habitude notre commande. Je rajoutais un cupcake vanille framboise pour ma soeur et un pistache chocolat pour moi avant de me retourner vers Swann pour connaître sa commande.
- Juste un milkshake chocolat pour moi, s'il vous plaît, lança-t-il à l'intention de Taylor.
Comme d'habitude. Un nouveau sourire discret atteignit mes lèvres. Swann n'aimait rien, c'était bien connu, et cela s'appliquait aussi aux pâtisseries. Il n'aimait rien à part le chocolat. Parfois il se laissait tenter par quelques cookies mais ce n'était visiblement pas le cas aujourd'hui.
Nous récupérâmes notre commande et je proposai qu'on aille s'installer dans le petit parc qui se trouvait à une rue d'ici, derrière la boutique. Le mois d'octobre aillait faire son arrivée et il ferait bientôt froid. Pour l'instant le soleil brillait encore, et je tenais à en profiter. Je savais que la pluie s'abattrait bientôt sur Oxford. Il faisait déjà un peu frais mais nous étions bien protégés avec nos vestes molletonnées. Seul Swann ne portait qu'une simple veste en jean par dessus un tee-shirt. Forcément, quand on était confortablement installé au chaud dans sa Porsche, on avait pas à se soucier de la température. J'espérais juste que là, avec nous, il n'aurait pas trop froid.
Dès notre arrivée dans le parc, Selia se mit à courir vers une des tables mises à disposition des visiteurs, son cupcake déjà presque terminé à la main. Je la rejoignis sans attendre et pris place sur le banc à ses côtés, déposant son milkshake devant elle. Swann s'assit en face de nous.
Le silence retomba autour de nous alors que Swann et moi nous contentions de nous jeter de léger coup d'oeil que nous pensions discrets. Je ne savais pas comment engager la conversation. je crois que nous ne savions plus comment nous parler. Cependant, c'était sans compter sur Selia qui n'avait pas dit son dernier mot et qui comptait bien mettre un peu plus d'ambiance dans notre petit groupe.
- Tu joues à quel poste dans ton équipe, Swann ? demanda-t-elle toujours très intéressée par le football.
Elle savait que Swann jouait au foot, parce qu'elle avait joué avec lui et les jumeaux, mais aussi parce que je lui en avais parlé. Et elle savait qu'il pratiquait ce sport depuis son enfance. En réalité, je devais bien admettre que Selia connaissais assez bien Swann, parce que, si lui avait préféré nous oublier, ça n'avait jamais été mon cas. Et mes parents étaient aussi très attachés à lui, il avait passé tellement de journées chez nous quand nous étions petits.
- Milieu offensif, répondit-il simplement.
- Et il est aussi capitaine de son équipe, rajoutai-je avec une pointe de fierté.
- J'aimerais bien être capitaine, moi aussi, bouda Selia en croissant ses bras contre son buste. Mais comme je suis nouvelle et que je viens d'arriver dans l'équipe, les autres me connaissent pas alors le coach me nommera jamais capitaine.
- Ça arrivera peut-être un jour, t'inquiète pas, la rassura Swann. Et puis sinon, ce n'est pas bien grave de ne pas être capitaine de son équipe, c'est beaucoup de responsabilités, tu sais.
Selia haussa les épaules avant de retrouver, deux secondes plus tard, son sourire et de reprendre son interrogatoire.
- Tu as déjà marqué des buts ?
- Oui, quelques uns, lui apprit mon ancien ami. Mais la plupart du temps je suis plutôt à l'origine de passes décisives.
- Cool ! Moi je suis attaquante, marquer des buts c'est ce que je préfère. Quel est le plus beau but que tu es marqué ?
- C'était pendant la saison dernière, commença Swann. J'avais le ballon mais aucun moyen de faire une passe, j'étais seul et entouré de tous les défenseurs de l'équipe adverse. J'étais loin des buts, à quelques mètres de la surface de réparation, j'étais coincé. je n'avais aucune issue, alors j'ai tenté le tout pour le tout, la seule chose que je pouvais faire sur l'instant. J'ai tiré. Et le tir était cadré. Le ballon est passé au dessus du mur de défenseurs avant de filer dans les buts, en pleine lucarne. Le gardien n'a rien pu faire.
Un sourire aux lèvres, je regardais les yeux de ma soeur pétiller face aux propos de Swann pendant que celui-ci racontait son anecdote avec une immense fierté. Il s'étaient bien trouvés ces deux-là. Je voyais les étoiles briller dans leurs yeux alors qu'ils échangeaient sur leur passion commune. Et moi, même si je n'étais pas fan de ce sport, je pourrais les écouter parler de ça pendant des heures.
- J'aurais bien aimé voir ça, confiai-je finalement à Swann.
Mon ancien meilleur ami releva le regard vers moi et m'accorda un petit sourire timide.
- Ce but là était peut-être le plus beau, mais ce n'était pas le plus drôle, lança-t-il tout en continuant de me fixer.
Je mis à peine deux secondes avant de comprendre de quoi il voulait parler. Je grognais alors légèrement tout en baissant les yeux. Je me réinstallai sur mon siège pour tenter de garder une contenance.
- Le but le plus drôle que j'ai marqué a eu lieu en présence de ton frère, continua pourtant Swann, ses yeux cette fois-ci plantés dans ceux de Selia. Et il y a même participé, en quelque sorte.
- C'est vrai ? s'écria ma soeur en se tournant vers moi. Raconte-moi Yaya, s'il te plaît !
Je poussai un soupir hésitant entre la honte que j'allais ressentir dans quelques minutes et les petits yeux de chat de Selia qui me poussaient à lui révéler toute l'histoire.
- Oui allez, raconte-nous Yaya, insista Swann.
Je tournai la tête dans sa direction et lui envoyai un regard noir.
- Ne m'appelle pas comme ça, râlai-je.
Ce surnom était réservé uniquement à Selia, il n'y avait qu'elle pour m'appeler comme ça. J'aurais aimé lui en vouloir mais j'en étais toutefois incapable. Tout simplement parce que, quand j'avais tourné la tête, j'étais tombé sur son regard malicieux, un regard que je n'avais pas vu depuis des années. Et rien qu'à cet instant, je sus qu'ils avaient gagné. Parce que je voulais leur faire plaisir à tous les deux, et les voir sourire.
- On était jeunes, commençai-je alors finalement, en me tournant vers ma soeur. On devait avoir huit ou neuf ans, et on passait l'après-midi chez moi. Swann avait reçu un nouveau ballon de foot tout neuf, et il s'était mis en tête de m'apprendre à jouer. Le problème c'était que cette tête de mule pensait que mon petit jardin n'était pas assez adapté à une leçon de football. Sa merveilleuse idée était donc de sortir en douce de chez moi pour rejoindre le terrain de foot sur lequel il s'entraînait, le même que le tien. Je n'ai pas voulu au début, je savais que maman nous tuerait si elle s'apercevait qu'on avait quitté la maison, en plus de faire un arrêt cardiaque en voyant qu'on avait disparu. Mais Swann insistait, et il m'a fait ses yeux de chien battu.
Je dirigeai mon regard vers Swann qui avait toujours cet air malicieux et ce grand sourire collé au visage. Un sourcil haussé, il me poussait à continuer mon récit. Qu'est-ce que je ne ferait pas pour lui ?
- J'ai finis pas accepter. On a marché jusqu'au terrain et on a commencé à jouer au foot. Sauf que, comme vous le savez, je suis vraiment nul et Swann a commencé à perdre patience. Alors il a s'est mis à jouer tout seul en tournant autour de moi jusqu'à ce que je me retrouve près des buts. Swann a tiré, le ballon s'est envolé, puis il a atterri dans ma tête. Je me le suis pris en pleine poire avant qu'il ne rebondisse pour aller droit dans les buts. Et Swann a instantanément éclaté de rire.
Une fois mon récit terminé, un silence se fit dans notre petit groupe. Jusqu'à ce que Selia et Swann le brise en éclatant de rire, faisant écho à mes paroles. A cet instant, le temps s'arrêta pendant quelques secondes, j'aimais le rire de ma sœur, mais celui de Swann qui le surplombait était ce qui me surprit le plus. Cela faisait parti des choses dont je n'avais pas été témoin depuis des années, un rire franc et sincère de Swann. J'aimais son rire enfantin, bruyant et presque aiguë. Je secouai la tête pour revenir sur terre.
- C'est pas drôle ! me plaignis-je. Le pire c'est que le lendemain j'avais une bosse, et quand je suis arrivé à l'école Swann m'a vu et s'est à nouveau moqué de moi au lieu de compatir à ma douleur.
En guise de réponse, Swann haussa nonchalamment les épaules, comme si c'était rien.
- Et maman, elle a su que vous étiez partis sans son autorisation ? demanda Selia.
Swann perdit instantanément son sourire, ses lèvres se tordirent plutôt dans une grimace qui faisait écho à la mienne.
- Raconte nous cette partie de l'histoire, Swann, lui intimai-je d'un ton malicieux.
- Pas longtemps après que j'ai failli assommer ton frère en visant sa tête, votre mère a débarqué sur le terrain en furie. Elle nous criait de la rejoindre, elle était super énervée, surtout parce qu'elle était très inquiète. Elle nous a pris dans ses bras avant de nous inspecter pour être sur qu'on allait bien, qu'on était pas blessés. Elle nous a ramené à la maison en nous faisant la morale et en nous disant que si on voulait vraiment aller au terrain de foot alors on aurait dû lui demander et elle nous y aurait conduit. En rentrant elle s'est aussi occupée du front de Yaël. Moi je me faisais tout petit, parce que je savais que c'était ma faute, et j'étais triste de l'avoir déçu, en plus d'être inquiet parce que, mine de rien, j'avais blessé Yaël. Ton frère a même essayé de convaincre votre mère que c'était son idée, même si on savait tous très bien que c'était pas vrai. J'avais tellement peur qu'elle le dise à mes parents. La réaction de votre mère a été douce à côté de celle qu'aurait eu mes parents.
- Mais elle ne l'a jamais fait, elle ne leur a jamais dit, intervins-je.
- Non, elle ne l'a jamais fait.
Ma mère était adorable. Elle tenait énormément à Swann, et s'était beaucoup inquiétée pour nous ce jour-là, mais elle savait aussi quand il était préférable de garder un petit secret.
- Vous êtes trop marrants ! s'enthousiasma Selia. J'aimerais bien que vous me racontiez pleins d'autres histoires comme celle là. Je suis sûre que vous avez fait pleins de choses ensemble !
J'échangeai un regard avec Swann avant de baisser les yeux pour me concentrer sur mes mains.
- Je vais réfléchir à ce que je pourrais te raconter, dis-je finalement à Selia. On en a fait des bêtises !
- C'est dommage que vous ne vous voyiez plus autant qu'avant, vous vous aimiez bien, rajouta ma soeur. Et puis ça aurait été cool qu'on voit Swann plus souvent, j'aime trop passer du temps avec vous deux.
Selia haussa les épaules mais ne nous laissa pas le temps de répondre quoi que ce soit qu'elle s'était déjà levée pour aller se dépenser dans le petit parc. Cette enfant ne tenait pas en place.
Je l'observai s'éloigner de quelques pas avant de me reconcentrer sur Swann qui me regardait déjà. Mes yeux plongèrent dans les siens pendant quelques secondes. Il ne se détournait pas, alors j'en profitais.
- Elle est mignonne, lança-t-il finalement avant de baisser le regard pour chercher quelque chose de sa poche.
Il en sortis son paquet de cigarette qu'il ouvrait déjà. Je me raclai la gorge pour attirer son attention alors qu'il plaçait une de ces merdes entre ses lèvres.
- Sérieusement ? Tu vas vraiment fumer alors qu'il y a plein de gamins autour de nous ? Tu vas vraiment fumer en présence de ma petite sœur ?
Swann me défia du regard un instant, un sourcil haussé, avant de pousser un long soupir. En grognant légèrement, il rangea sa cigarette dans son paquet qui retrouva bien gentiment sa place dans sa poche.
- Je fais ça pour Selia, pas pour toi, clama-t-il.
Je haussai les épaules. Je m'en foutais, au fond, tant que je pouvais l'empêcher de fumer au moins une cigarette. Je n'aimais pas le voir fumer, je ne voulais pas qu'il se tue la santé.
- Tu te souviens quand on avait dix ans ? lançai-je soudainement. On avait volé les cigarettes de mon père et on était allés se cacher dans le jardin. On voulait juste essayer. C'était encore ton idée d'ailleurs. On a allumé une de ces merdes et on a pris chacun une bouffée. On s'est étouffés. J'ai trouvé ça immonde. Ça m'en a dégoûté pour toute une vie ! Je pensais que ça t'aurait dégoûté aussi.
Swann ria légèrement, les yeux brillants, avant de baisser le regard sur ses mains nouées devant lui.
- Encore une belle connerie ! J'ai détesté ça, et je pensais aussi que ça me dégoûterait. Mais un jour j'ai eu besoin d'une échappatoire. J'ai emprunté une cigarette à Hugo et, après ça, j'ai pas pu m'arrêter.
L'ambiance avait changée. Je sentais que Swann s'était légèrement renfermé, il semblait même triste. Qu'est-ce qu'il s'était passé pendant toutes ces années où je n'étais pas là ? Je ne pouvais pas m'empêcher de remarquer qu'il n'était plus l'enfant intrépide et joyeux que j'avais connu. Et je trouvais ça dommage, il méritait d'être heureux. Quant à cette distance entre nous, je me sentais coupable, j'avais l'impression que c'était de ma faute.
- Swann, tu sais, par rapport à la soirée, je suis vraiment désolé. J'aurais pas dû agir comme ça, j'avais trop bu et je...
- On pourrait juste oublier tout ça, me coupa-t-il en relevant la tête vers moi. J'avais bu aussi et, ouais, c'était pas grand chose finalement. On pourrait repartir à zéro.
- Combien de fois faudra-t-il qu'on reparte à zéro avant que tu m'acceptes vraiment dans ta vie ? Ça va durer combien de temps, cette fois, cette esquisse d'amitié ? Une semaine ? Deux semaines ? Jusqu'à ce que tu aies peur et que tu me fuies à nouveau.
Swann poussa un soupir et passa une main dans ses cheveux.
- Je vais faire des efforts, d'accord ? Je vais essayer. Je sais que je suis chiant et indécis, je le sais, mais le truc c'est que je... j'arrive pas à rester loin de toi. Je ne te promets pas de ne plus fuir mais, Yaël, tu étais mon meilleur ami avant tout et... je crois que j'ai besoin d'un ami comme toi.
Il ne me regardait pas, et semblait tout timide, ce qui, dans un autre contexte, aurait pu me faire esquisser un sourire. Mais pour l'instant je préférais l'écouter et rester sérieux, je sentais que ça lui coûtait de me parler aussi sincèrement. Parce qu'il était sincère, je le savais, je le voyais. C'était le vrai Swann que j'avais sous les yeux.
- Moi non plus, je n'arrive pas à rester loin de toi, soufflai-je doucement.
Swann remonta ses yeux bleus pour les plonger dans les miens. Ses joues avaient à nouveau pris une teinte rosée. Il semblait vulnérable, comme s'il laissait tomber, le temps d'un instant, une des barrières qu'il érigeait entre lui et moi.
Je l'observai sans dire un mot pendant quelques secondes, il ne détournait pas le regard. Finalement, je penchai un peu plus mon buste contre la table qui nous séparait pour me rapprocher de lui et laissai glisser mes mains pour les approcher des siennes sans jamais toutefois les toucher.
- On fait comme ça, dis-je. On oublie tout, on repart à zéro et on recommence. Mais il faut que tu saches, Swann, qu'un jour je serais plus là lorsque tu décideras de revenir pour une énième fois vers moi.
- Je sais.
Il avait soufflé sa réponse d'une toute petite voix. C'était sincère. Il avait compris, et moi aussi, qu'il ne pouvait pas m'utiliser quand il en avait envie. Je devais aussi penser à moi.
Après quelques secondes de silence, je finis par me lever avant de faire le tour de la table.
- Allez viens, on va chercher Selia, lançai-je en plaçant une main sur l'épaule de Swann. C'est l'heure de rentrer.
Swann hocha la tête avant de me suivre sans un mot. Ma sœur, qui nous repéra rapidement, afficha un grand sourire avant de courir dans les bras de mon ami.
Si toutes les journées passées avec Swann pouvaient ressembler à cet après-midi, alors ça m'allait, c'était suffisant tant que ça me permettait de passer quelques minutes avec le Swann de mon enfance.
Ma seule crainte était que ce calme ne soit qu'une illusion, et que ce Swann que j'avais toujours connu ne s'enfuit à nouveau, bouffé par le Swann formaté qu'il était devenu depuis ces dernières années.
♠️♠️♠️
Hey !
J'espère que vous allez bien et que ce chapitre vous aura plu ! Il est encore très long, mais j'aime ce chapitre parce qu'il est calme et que Yaël et Swann arrivent à parler tranquillement et à échanger quelques petits moments de complicité.
Qu'en avez vous pensé ?
La relation entre Selia et Swann ? ( ils sont mignons je trouve )
Les échanges et les souvenirs entre Yaël et Swann ?
Comment voyez-vous l'évolution de la relation entre nos deux protagonistes ? D'après vous, Swann va-t-il continuer à fuir ?
Hâte de lire tous vos avis !
Pour la suite, honnêtement, je viens juste de commencer l'écriture du chapitre 12, donc je ne peux rien vous promettre pour mercredi prochain. Mais, comme d'habitude, je fais au mieux et je vous tiens au courant.
Je vais aussi essayer de faire en sorte que les prochains chapitres soient moins long. FALLING était censée être l'histoire que j'écrivais tranquillement, sans pression, et avec des chapitres beaucoup moins longs que ceux de One Year. Et là, je commence à ne plus trop tenir ma résolution...
Je vais essayer de me contrôler. Et en attendant, je vous souhaite une très bonne fin de semaine et je vous embrasse.
À bientôt, T.
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