10. Put On A Show
"L'apparence n'est rien, c'est au fond du cœur qu'est la plaie."
Euripide
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Swann
Pour la deuxième fois en deux semaines, je me retrouvais devant mon miroir, à observer ma tenue. La seule différence était que, cette fois-ci, la soirée de ce soir serait bien un gala. Et me rendre à cette réunion d'hypocrites m'emmerdais encore plus que d'aller à une soirée chez Hugo.
Je poussai un soupir en réajustant ma cravate puis attachai un bouton de ma veste. Je ne me sentais pas à l'aise dans ce costume, ce n'était pas moi, ça ne me ressemblait pas. J'avais l'impression d'être un pingouin étriqué dans ses vêtements. Je détestais ça ! Mais je devais m'y plié, j'y étais obligé.
Je savais ce que mon père attendait de moi, je savais que tout devait être parfait. Nous allions devoir montrer l'image d'une vraie famille parfaite. J'allais devoir jouer le rôle du fils parfait. Le fils poli, intelligent, intéressé et intéressant, déterminé, ambitieux, le fils qui dédiera sa vie à la même carrière que son père faisant alors la fierté de ce dernier.
Des conneries ! En me voyant dans ce miroir, coincé dans ces vêtements, je n'y croyais pas moi-même. Je n'étais rien de tout ça. Ce n'était qu'un vulgaire déguisement. Et je n'étais même pas crédible. Quant à mon père, il ne serait jamais fier de moi. J'étais déjà sa plus grande déception, et il ne se gênait jamais pour me le rappeler.
Cependant nous avions ce pacte tacite entre nous qui m'obligeait à assister à ce genre d'événements. Je devais jouer le jeu, bien me tenir pendant quelques heures, ce que j'arrivais de plus en plus difficilement à faire, et le lendemain, comme par magie, je recevais un joli virement sur mon compte en banque.
Tout ça, ce n'était que pour le spectacle, le show. En réalité il m'achetait, et j'en étais bien conscient. Comme le jour où j'avais reçu ma Porsche pour mon anniversaire, quelques jours après lui avoir fait un discours élogieux pour l'ouverture de sa campagne. C'était dégueulasse d'acheter ses enfants, je le savais, mais en attendant ça m'arrangeait bien. Je lui prenais son argent et le claquais pour me faire plaisir, mince compensation pour devoir vivre dans cette famille tous les jours.
Je passai une dernière fois une main dans mes cheveux couverts de gels, m'assurant qu'aucune mèche ne dépasse. Rien ne devait dépasser. Jamais.
Un dernier soupir s'échappa de mes lèvres avant que je ne quitte ma chambre pour rejoindre mes parents dans le salon d'un pas nonchalant. Alors que nous étions encore entre nous, à la maison, je ne faisais même pas semblant d'être enchanté par cette sortie. Les mains dans les poches, je me plantai à côté du canapé et regardai mes parents s'affairer. Mon père portait un costume semblable au mien et ma mère brillait dans une robe verte émeraude, ses épaules recouvertes d'un châle argenté. Elle était élégante ma mère, parce qu'elle donnait tout pour l'être, l'apparence étant la chose la plus importante à ses yeux, bien plus que l'attention et la douceur maternelle.
Ils n'avaient toujours pas remarqué ma présence, trop absorbés dans leur monde, alors je continuai de les observer. Ma mère réajustait la cravate de mon père tandis que ce dernier lui parlait, lui rappelant tout ce qu'elle devrait faire et ne pas faire pendant ce gala et lui faisant la liste des personnes avec qui nous allions devoir parler. Je levai les yeux au ciel. Ce briefing, j'allais y avoir droit aussi, je le savais bien. Mon père avait besoin de garder ce contrôle sur nous, quitte à nous rabâcher des discours que nous connaissions par cœur et que nous appliquions depuis des années.
- Swann ! Te voilà enfin ! s'écria mon père en s'approchant. Tu es prêt fiston ? C'est une soirée importante, tu sais.
Importante pour trouver des grands donateurs à rallier à ta cause.
- Oui, papa, je le sais, soufflai-je en me retenant de lever les yeux au ciel.
- Ta cavalière va arriver ? Tu as pu parler à ton amie, la petite Brayden, tu as pu la convaincre ?
- Papa, j'ai rompu avec Brayden, et elle ne veut plus me voir, tu le sais.
- C'est bien dommage, soupira mon paternel.
Je levai les yeux au ciel, ce qui me valut un regard noir de sa part, et m'éloignai de sa présence étouffante. Son obsession pour ma vie sentimentale commençait à me gonfler.
Brayden, je ne l'avais pas revue de la semaine. Enfin sauf mardi où j'ai tenté de l'approcher pour m'excuser alors que son équipe d'athlétisme s'entraînait à côté de mon équipe de foot. Seulement elle ne m'avait pas laissé le temps d'en placer une, trop occupée à me lancer une phrase bien sentie et un regard dédaigneux avant de se détourner, suivie ensuite par une de ses copines après qu'elle m'ait jeté une insulte à la gueule. Je crois que le dialogue était définitivement rompu entre elle et moi.
Je n'étais pas effondré par notre rupture, je ne pouvais pas le nier. Mais je ne voulais pas la voir aussi en colère contre moi, et aussi pleine de rancœur. Je n'avais jamais cherché à lui faire du mal intentionnellement. Je savais que Brayden n'était pas quelqu'un de mauvais mais je ne voulais pas que cette rancoeur se retourne contre moi d'une façon ou d'une autre. Je devais trouver un moyen de lui faire accepter mes excuses.
- Et qui sera ta cavalière alors ? insista mon père un peu plus loin.
Comme sauvé par le gong, je n'eus pas à répondre à cette question puisqu'une sonnerie retentit dans tout le salon. Sachant très bien qui se trouvait derrière la porte, je me précipitai vers celle-ci pour l'ouvrir.
Joyce se tenait là, toute souriante, dans une très jolie robe prune cintrée à la taille. Son maquillage était léger et sa queue de cheval était un peu plus haute et plus sophistiquée qu'à l'accoutumé. Elle était très jolie.
Mon amie n'attendit pas une seconde pour venir me prendre dans ses bras en me murmurant que j'étais très élégant. Je lui rendis son sourire et son compliment avant de la laisser entrer dans le salon.
- Evidemment ! souffla mon père, trop fort pour que ce soit discret. Je ne sais même pas pourquoi je pensais que tu inviterais quelqu'un d'autre que Joyce.
- Ravie de vous revoir aussi, monsieur Nelson, glissa mon amie sans se départir de son sourire.
Mon père et Joyce avaient toujours eu cette relation tendue. L'un pensait que mon amie n'était pas assez bien éduquée pour traîner avec moi et qu'elle ne restait que pour l'argent et le prestige de notre famille, l'autre pensait que mon paternel n'était qu'un égoïste sans coeur et imbus de sa personne. Evidemment j'étais d'accord avec une des deux versions, inutile de préciser laquelle.
- On devrait y aller si on ne veut pas arriver en retard, lança ma mère, désamorçant alors la tension.
Mon père hocha la tête, comme un signal auprès de ma mère qui se remit à arpenter le salon pour récupérer ses affaires et sa pochette. Pendant ce temps là, Joyce se retourna vers moi et m'offrit un lumineux sourire. Ces grands yeux brillants m'indiquèrent qu'elle était sur le point de me demander quelque chose.
- On a bien le temps pour une petite photo, tu crois pas ? dit-elle, malicieusement.
Je n'eus pas le temps de répondre qu'elle m'avait déjà rejoint à mes côtés, son téléphone tendu devant elle. Je n'étais pas un fan des photos, en tout cas pas quand j'apparaissais dessus, mais lorsqu'il s'agissait de Joyce, je savais que je ne pouvais pas résister. Je me laissai donc faire alors qu'elle prenait deux selfies - dont un que je trouvais mal cadré, mais je me gardais bien de me faire un commentaire - avant qu'elle ne s'éloigne pour prendre une dernière photo sur laquelle j'apparaissais seul.
Je râlai un instant mais Joyce balaya mes protestations d'un geste de la main en déclarant que je n'avais pas le choix et que c'était simplement pour montrer à quel point j'étais beau et élégant dans ce costume. Ses mots, pas les miens. Joyce revint vers moi pour remettre une de mes mèches en place. Elle déposa un léger baiser sur ma joue avant de me dépasser pour suivre mes parents qui se dirigeaient désormais vers l'extérieur de la maison.
Nous rejoignîmes la luxueuse voiture et nous installâmes tous à l'arrière. Pour ce genre d'occasion, comme ces précieux galas, mon père faisait appel à son chauffeur pour nous y conduire. Un luxe que j'avais beaucoup de mal à apprécier. Assis en face de mon père, ce dernier ne m'accorda pas beaucoup d'attention et, quand il le faisait, j'avais l'impression que c'était pour me jeter un regard plein de jugements. L'atmosphère était pesante et le trajet, qui me parut interminable, se passa dans un silence et une gêne inconfortable.
Heureusement, nous arrivâmes bientôt devant ce lieu prestigieux qui allait se voir jouer le gala de ce soir. Un jeune homme en costume blanc vint nous ouvrir la portière de la voiture. Mon père sortit en premier, suivit de ma mère et ce fut à mon tour. Une fois à l'extérieur, je tendis ma main vers Joyce pour l'aider à sortir du véhicule. Elle me remercia et passa son bras sous le mien, et c'est ainsi que nous remontâmes l'allée avant d'enfin passer les portes de la grande salle.
C'était impressionnant, comme toujours. Tout était fait pour montrer l'opulence. La lumière des immenses chandeliers au dessus de nos têtes nous éblouissait dès notre arrivée. Tout brillait, tout était étincelant, ce serait un scandale de voir ne serait-ce qu'un grain de poussière. Les dorures, le marbre, pas de doute nous entrions dans un monde de luxe et nous nous le prenions en pleine figure.
Des dizaines de personnes s'entassaient dans cette grande salle, tous mieux habillés les uns que les autres. Des costumes de créateurs, des robes toutes plus imposantes, des gourmettes et des montres en argent, des colliers de perles, des bracelets et des boucles d'oreilles en or. Tu m'étonnes que mon père ne voulait pas que je vienne en jean basket ! Quelle tâche je ferais ! Quel scandale je créerais ! Peut-être que j'aurais dû venir habillé ainsi, finalement, ça aurait été plus amusant.
Des dizaines de serveurs couraient partout, tous habillés de la même façon : un pantalon noir, une chemise ainsi qu'une veste blanche sur le dos, et un noeud papillon autour du cou. Leur dernier accessoire étant cet indispensable plateau qui portait petits fours et coupes de champagne. L'un d'entre eux s'approcha d'ailleurs de moi et, sans réfléchir, je me saisi d'une de ces précieuses coupes. Mon père m'imita rapidement.
Je le vis, son regard en coin réprobateur, lorsque le liquide doré toucha mes lèvres. Mais au lieu de l'ignorer, ou de reposer ma boisson, je plantai mon regard dans celui de mon père et vidai ma coupe d'un trait. Mon paternel secoua la tête de gauche à droite, dépité, mais ne me fit aucune remarque. Il ne pouvait quand même pas prendre le risque de m'engueuler en public. Ce fut donc par un sourire narquois que je répondis à ses yeux noir alors que Joyce me donnait un coup de coude pour attirer mon attention et ainsi calmer cette bataille silencieuse.
- Je vais aller saluer mes collègues, nous prévint-il finalement. Vous êtes libres pour l'instant mais, Swann, reste dans les parages, j'aurais des gens à te présenter. En attendant, je vous en pris les enfants, comportez-vous bien. Soyez polis, discrets, et évitez de créer un quelconque scandale. Et, je vous en supplie, évitez de mettre le feu cette fois-ci.
A ces mots il s'éloigna, ma mère sur les talons. Lorsque je me retournai vers Joyce, un simple échange de regard nous suffit pour créer un éclat de rire. Je crois que cette anecdote restera gravée dans nos mémoires, ainsi que dans celle de mon père qui en restait visiblement encore traumatisé. Je n'avais pas fait exprès, pourtant, de créer ce léger incendie qui avait généré un vent de panique auprès de tous les convives.
Cela avait pourtant eu lieu il y a plus d'un an mais le souvenir était vif. Comme d'habitude, Joyce et moi étions en proie à un ennui mortel pendant une de ces soirées. Et il se peut qu'après quelques verres, je me sois retrouvé à jouer avec mon briquet sous les encouragements fascinés de Joyce. Attablés au bar, j'avais ensuite enflammé cette petite serviette donnée avec nos boissons. Ce que je n'avais pas prévu, c'était que cette serviette m'échappe et retombe droit sur le long châle d'une pauvre dame qui attendait son martini. La pauvre avait hurlé comme dans ses fameux films d'horreur, criant qu'elle prenait feu. Joyce et moi, dans un élan de courage, nous nous étions enfuis en courant et en riant. Mais mon père n'était pas dupe, même si je n'avais rien confirmé, il se doutait que j'étais à l'origine du scandale, encore.
- Voir cette femme paniquer, tous ces gens s'attrouper et crier à la mort alors qu'il ne s'agissait que d'une petite flamme, et ce serveur lui jeter ce grand verre d'eau à la figure, ça valait le coup, lança soudainement Joyce, comme si elle lisait dans mes pensées.
- Si c'était à refaire, je le referais cent fois, confirmai-je en attrapant son bras pour le glisser sous le mien. Même si je dois aussi revivre la colère de mon père après ça.
Joyce pouffa et me regarda de ses yeux de chat.
- Tu m'emmènes danser ?
- Avec plaisir, ma chère amie, répondis-je moquant un ton aristocratique.
J'entraînai Joyce au milieu de la piste et saisi sa main gauche alors que la mienne se posait délicatement sur sa taille. Mon amie enroula son bras droit autour de mon cou et m'offrit un grand sourire avant que nous ne commencions à bouger au rythme de la musique.
Danser avec Joyce, ce n'était pas comme danser avec Brayden. C'était plus facile, plus naturel, et ça ne me dérangeait pas si c'était dans les bras de mon amie. C'était comme un contrat tacite entre nous, et ça l'avait toujours été. Je l'emmenais avec moi à ces événements mortellement ennuyeux et, en échange, comme pour me faire pardonner, je la faisais danser. Je savais qu'elle adorait ça et que ça lui faisait plaisir. Et puis il ne s'agissait pas là de se trémousser sur une musique électro, non, nous dansions très simplement en respectant les règles et suivant la mesure de ces musiques souvent classiques.
Ce fut alors ainsi que nous occupâmes une bonne partie de ce début de soirée, pendant que mon père était occupé à gagner des collaborateurs et des investisseurs sous couvert de récoltes de fonds. Jusqu'à ce qu'il se souvienne de mon existence et qu'il revienne vers moi, suivit de près par un homme que j'avais déjà vaguement rencontré et une fille qui semblait avoir approximativement le même âge que moi. Je n'étais pas con, je sentais déjà l'embrouille arriver.
- Swann, tu te souviens certainement de Rob Martins, mon trésorier de campagne, commença mon paternel. J'ai eu le plaisir de voir qu'il était venu avec sa fille aujourd'hui. Je te présente Kaitlyn Martins et, comme vous avez le même âge, je me suis dit que vous pourriez passer un peu de temps ensemble.
- Je ne voudrais pas déranger Swann, il avait l'air de passer un bon moment avec sa petite-amie, intervint la dénommé Kaitlyn d'un ton que je ne sus pas vraiment analyser.
- Voyons, cette jeune fille n'est pas sa petite-amie, juste une bonne connaissance, corrigea mon père en forçant un rire. Passez la soirée tous les trois, ça vous occupera. Je suis certain que vous vous trouverez pleins de points en commun. Allez viens, Rob, on va laisser les jeunes entre eux. le devoir nous appelle.
Et ils s'en allèrent comme ça, comme si de rien n'était, comme s'il ne venait pas de planter une jeune femme que nous ne connaissions ni d'Eve ni d'Adam devant nous. Nous nous regardâmes dans le blanc des yeux quelques instants. Elle était plutôt jolie, brune, grande, élancée, avec des yeux en amandes. Ses longs cheveux bouclés étaient un peu emmêlés et retombaient dans ses yeux comme si elle avait passé la soirée à les malmener en passant sa main dedans. Elle portait une robe noire très simple, sans artifices. Un sourcil haussé, je voyais bien qu'elle m'inspectait, elle aussi.
- J'ai besoin d'un verre, lâcha-t-elle finalement.
- Moi aussi, admis-je.
Je me retournai vers Joyce qui acquiesça à son tour. Je lui tendis mon bras pour qu'elle s'y accroche et nous nous avançâmes vers le bar. Kaitlyn nous précédait déjà, semblant déterminée à trouver quelque chose à boire. Arrivés à destination, nous prîmes tous les trois une coupe de champagne. Il faut dire qu'il n'y avait pas vraiment beaucoup de choix, et puis ça ne ferait pas vraiment très distingué de se laisser aller à une bière ou une vodka, encore moins un shot de téquila.
- Alors, Kaitlyn, tu fais quoi dans la vie ? tentai-je d'engager la conversation avec la jeune femme qui semblait plus que distante. Tu étudies à l'université ?
- J'ai entendu parler de toi, Swann Nelson, dit-elle d'un air blasé. En fait, mon père me parle très souvent de toi. Tu sais pourquoi ils nous ont présentés, pas vrai ? Tu en as conscience, j'espère.
Je restai silencieux quelques secondes, le regard perdu dans ses yeux sombres. Bien sûr que j'en avais conscience. Et ça ne m'étonnait même plus. Encore une idée de mon père venant de son obsession à contrôler mes relations. Je poussai un soupir avant de répondre.
- Oui, je sais.
- Bien, c'est déjà ça. Ecoute, Swann, t'as l'air sympa, et je dois bien avouer que t'es plutôt sympa à regarder, c'est vrai, mais toutes ses histoires d'amitiés arrangées, voir plus, c'est pas trop mon truc. Je préfère apprendre à connaître une personne par moi-même plutôt que d'être forcée à la fréquenter. Donc, je te le dis tout de suite, sortir avec toi ne m'intéresse pas. Sans vouloir te vexer.
- Je ne suis pas vexé, précisai-je. En fait, si ça peut te rassurer, je ne suis pas intéressé non plus. Même si tu es très jolie.
Nous nous sourîmes doucement, contents d'avoir mis les choses au clair.
- En tout cas, je constate que vous avez le même type de parents, intervint Joyce.
- Visiblement. On devrait faire un concours pour voir qui a les parents les plus minables, suggéra Kaitlyn.
Sa remarque causa un rire général dans notre petit groupe. Je ne connaissais pas sa famille, mais j'avais quand même l'impression d'avoir un peu d'avance sur elle dans ce concours.
- Au fait, je m'appelle Joyce, se présenta mon amie. Son père ne me présente jamais car il me déteste. Il paraît que j'aurais une mauvaise influence sur son fils.
Je pouffai aux propos de Joyce. Elle était toujours celle qui me donnait les meilleurs conseils, celle qui tentait parfois de me remettre sur le droit chemin, celle qui m'accompagnait aux soirées d'Hugo pour être sûre que j'en ressorte en bonne état. Joyce était un ange. Et si quelqu'un avait une mauvaise influence sur l'autre, alors c'était moi le problème.
- Enchantée, souffla sincèrement Kaitlyn. Et pour répondre à ta question, Swann, oui j'étudie à l'université. Oxford, comme vous.
- Vraiment ? Mais je ne t'y ai jamais vue, remarquai-je. Je ne me souviens même pas de t'avoir croisé dans un couloir.
- Je viens de faire ma rentrée cette année. Et je sais me faire discrète, je préfère même. La popularité, l'opulence, les apparences, c'est pas trop mon truc. Au grand détriment de mon père, et de ma mère surtout.
- Tout le contraire de Swann, lança Joyce. On ne peut pas faire mieux dans le cliché du populaire ! Les apparences, c'est son truc, pas vrai, Swann ?
Je lui lançai un regard noir tout en me demandant ce qui lui prenait soudainement.
- Oui je connais Swann, confirma Kaitlyn. Tout le monde connaît Swann !
- Tu vois, c'est bien ce que je disais !
Nous restâmes silencieux un instant, à regarder les autres parader autour de nous. Ces gens là, semblaient se fondre dans la masse, jouer avec les apparences, c'était leur milieu, et ils semblaient aimer ça. Moi je détestais ce monde là. Je ne me sentais pas à ma place, je m'y sentais enfermé, prisonnier. Non, je n'aimais pas les apparences, mais j'étais obligé de m'y soumettre.
- Je ferais mieux de retrouver mon père, souffla finalement Kaitlyn. Si tu veux je peux lui dire qu'on ne s'est pas du tout bien entendus et qu'entre nous, c'est incompatible. Ça les calmera peut-être deux minutes.
- Ou alors ça les poussera à reproduire la rencontre jusqu'à ce qu'on ait un semblant d'affinités, répliquai-je. Fais comme tu veux, Kaitlyn, je suivrais le mouvement. Et si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à venir me voir à la fac.
- J'y penserais. Merci, Swann.
Je regardais la brune s'éloigner jusqu'à ce qu'elle sorte de mon champ de vision. Je poussai un léger soupir puis me retournai enfin vers Joyce qui finissait sa coupe de champagne. Bon sang, ce que je ne donnerais pas pour avoir accès à un alcool plus fort !
- C'était quoi cette réflexion sur les apparences ? demandai-je soudainement.
Je n'aimais pas quand elle me faisait ça. Je n'aimais pas ses sous-entendus et ses reproches cachés sous ces phrases. Et je n'étais vraiment pas d'humeur pour ça.
- C'était rien Swann, souffla-t-elle. Rien de personnel, mais tu ne vas pas me faire croire que ta famille n'est pas obsédée par l'image qu'elle renvoie. Allez oublie ça. Tu veux pas qu'on fasse un jeu plutôt, je m'ennuie à mourir.
Malgré moi, Joyce réussit à me faire esquisser un semblant de sourire. Je savais qu'elle parlait de nos petites distractions que nous nous étions inventées pour que ces horribles soirées passent plus vite. Nous en avions plusieurs, certaines consistaient à se donner le gage de ramener un objet, quel qu'il soit, y compris s'il s'agissait d'un foulard que nous devions voler à quelqu'un. D'autres consistaient simplement à inventer la vie d'une des personnes devant nous selon son comportement, ses manières, ou ses vêtements. Tous ces jeux étaient inventés par Joyce. De simples passes-temps qui permettaient de nous amuser et de tenir jusqu'à ce que mon père décide de quitter les lieux.
Le problème était que, ce soir, je n'avais pas envie de jouer. Mais c'était sans compter sur la détermination de mon amie.
- Regarde cette dame, par exemple, commença-t-elle en faisant un signe de tête vers une femme assez âgée, vêtue entièrement de blanc et notamment d'une énorme cape en fourrure de la même couleur. Je suis sûre qu'elle doit avoir au moins vingt-huit chats chez elle, des Persans. Elle n'a pas d'enfants, juste des chats qu'elle traite comme ses bébés, ils sont tout pour elle. Alors, à l'occasion de cette soirée, elle a demandé à une grande maison de couture de lui créer cette affreuse cape en faisant en sorte d'imiter la fameuse fourrure de ses beaux persans blancs. Comme ça, elle a toujours l'impression de les avoir auprès d'elle. Parce que, crois-moi, une demi-heure passée sans ses chats adorés est déjà une torture pour cette pauvre dame. Sans parler de son seul caniche, qui est à l'inspiration de sa coiffure.
Je ne me retins plus et éclatai de rire, m'attirant les regards désapprobateurs des quelques personnes qui nous entouraient. Quoi qu'il arrive, Joyce savait toujours comment me faire sourire.
- C'était bien trouvé, admis-je. Mais j'ai pas trop la tête à jouer ce soir.
- Alors qu'est-ce que tu veux faire ? demanda-t-elle en se tournant vers moi l'air réellement soucieux et concerné.
- Honnêtement ? Tout ce que je voudrais c'est me casser d'ici.
- Alors qu'est-ce qu'on attend ? Viens, on a qu'à s'en aller.
- Quoi ? Et planter mon père ici ? Prendre le risque qu'il me fasse un sermon une fois rentrés à la maison ?
- Il aurait bien trouvé une raison de t'engueuler, non ? dit-elle, comme si ce n'était rien, tout en tendant sa main vers moi.
Je haussai les épaules. Oui, c'était pas faux. Je faisais toujours quelque chose de travers, alors il aurait bien trouvé une excuse pour me faire une énième leçon de morale.
Et puis merde, quitte à se faire engueuler, autant que ce soit pour une bonne raison ! Sans plus réfléchir, j'attrapai la main de Joyce avant qu'elle ne m'entraîne vers la sortie. Nous marchions vite, bousculant parfois des convives indignés et des serveurs paniqués à l'idée de renverser leur plateau. Nous tentions pourtant de ne pas trop attirer l'attention, en tout cas pas celle de mon père, jusqu'à atteindre la sortie.
A partir de là, nous nous mîmes à courir comme des dératés sans s'arrêter. Je ne sais pas quelle distance nous avons parcouru mais nous nous arrêtâmes quelques minutes plus tard seulement quand le souffle nous manqua.
La rue était sombre, seul un pauvre lampadaire clignotant illuminait le visage rieur de Joyce. C'était silencieux aussi, si on oubliait nos éclats de rire qui résonnaient à travers les murs des maisons. J'espérais que personne ne nous remarquerait et appellerait la police.
Cependant cette inquiétude ne nous empêcha pas de nous asseoir sur un petit muret appartenant à une maison quelconque. En plus de nuisance sonore, nous allions nous faire arrêter pour intrusion sur une propriété privée. Mais actuellement, je n'en avais absolument rien à faire.
Du coin du e l'œil, je vis Joyce retirer ses chaussures à talons dans un soupir de soulagement. De mon côté, je glissai ma main dans la poche intérieure de ma veste, poche dans laquelle j'avais pris soin de mettre mon paquet de cigarettes, sachant pertinemment que j'en aurais besoin ce soir. Je l'attrapai et en sortis mon briquet et une cigarette que je glissai entre mes lèvres. D'un geste automatique, et même si je connaissais déjà très bien la réponse, je tendis le paquet vers Joyce. Cette dernière le regarda un instant, un sourcils haussé, avant de me foudroyer du regard en secouant la tête de droite à gauche.
- Tu sais très bien que je ne fume pas, Swann, et tu ne devrais pas non plus, dit-elle sur un ton réprobateur.
Je grognai mais ne répondis pas. Je n'avais aucunement envie de me lancer dans une énième leçon de morale à ce sujet. J'ignorai donc sa remarque et allumai ma cigarette. Ça me détendait, me calmait, j'en avais besoin.
- Tu as parlé à Yaël cette semaine ? lança soudainement Joyce.
Je manquai de m'étouffer en recrachant la fumée de ma cigarette. C'était pas possible qu'il revienne toujours sur le tapis celui-là !
- Pourquoi tu me parles de lui maintenant ? Non, en fait, pourquoi il faut toujours que tu parles de lui ? Tu lui parles de moi, aussi, quand tu es avec lui ?
- Bah c'est que... oui, peut-être bien, avoua-t-elle en fixant ses mains.
- Mais putain, Joyce ! De quoi tu te mêles ? Pourquoi tu fais ça ? En quoi la teneur de notre relation te concerne ?
- Mais parce que je vous connais ! Parce que vous êtes mes amis et que ça me fait chier de vous voir comme ça ! s'énerva-telle à son tour. Toi, Swann, tu fais l'autruche et lui, il ne sait pas comment agir avec toi. C'est toujours la même chose, tu te rapproches de lui, puis tu te braques deux jours après et tu l'ignores pendant une semaine. Et en attendant, Yaël ne sait pas comment se comporter envers toi, comment faire pour te garder auprès de lui. Parce qu'il aimerait te garder dans sa vie, Swann, d'une manière ou d'une autre. Et toi aussi. Mais vous êtes trop occupés à jouer au chat et la souris pour vous en rendre compte. Si tu veux mon avis, je crois que vous êtes aussi perdus l'un que l'autre et qu'il faudrait que vous ayez une bonne conversation calme et posée pour régler vos problèmes, pour vous parler une bonne fois pour toute. Et je t'avoue que je lui ai conseillé la même chose.
- Et bien il n'est jamais venu me parler, rétorquai-je en ignorant tout le reste de son monologue.
- Parce que tu t'enfuies dès qu'il essaye !
Pas faux. J'étais un peu de mauvaise fois, c'est vrai. Mais ça, je ne l'avouerai jamais à Joyce, ni même à qui que ce soit.
- Ecoute, Swann, je veux juste que tu sois heureux, reprit mon amie. Ce que tu n'es pas tellement en ce moment, je le sais bien, je le vois. Yaël et toi, vous étiez amis avant tout, les meilleurs amis du monde, même. Et je sais que c'était il y a longtemps, tout comme je sais qu'il s'est passé beaucoup de choses entre temps, mais des amis comme ça, ça ne s'oublie pas. Votre relation, c'est quelque chose d'autre, quelque chose que toi et moi on aura jamais. Je crois que vous avez besoin l'un de l'autre. Alors arrête de faire l'autruche.
- Mais moi non plus je ne sais pas comment me comporter avec lui, admis-je tout bas. Il... il me perturbe.
Joyce ne répondit rien, elle savait bien qu'elle n'obtiendrait rien de plus ce soir venant de moi. Elle se contenta de trouver ma main pour la serrer dans la sienne alors que le silence de la nuit nous enveloppait à nouveau.
- Tu ne me diras pas ce qu'il s'est passé à la soirée d'Hugo, dans cette salle de bain, pas vrai ? lança-t-elle finalement après quelques minutes.
Je me tendis automatiquement à cette question, qui ressemblait davantage à une affirmation d'ailleurs. Qu'est-ce qu'elle savait ? Qu'est-ce qu'elle avait entendu ou deviner ? Qu'est-ce que Yaël lui avait dit ? Qu'est-ce qu'elle s'était imaginé ? Putain je n'aimais définitivement pas cette conversation, ni cette soirée en général.
- Il ne s'est rien passé à cette soirée, grognai-je
finalement.
- Et tu ne me parleras pas non plus de ce qu'il s'est passé il y a six ans ?
- Il ne s'est rien passé il y a six ans, clamai-je d'un ton sec.
- Tu vois que tu fais l'autruche ! s'exclama Joyce plus comme une taquinerie qu'un reproche.
- C'est sympa une autruche.
- C'est stupide une autruche.
- Attends, est-ce que tu serais en train d'insinuer que je suis...
- Stupide ? Oui, complètement, confirma-t-elle, le sourire aux lèvres.
Les yeux dans les yeux, nous éclatâmes de rire en coeur. C'était comme ça avec Joyce, simple. Et j'avais conscience qu'elle avait toujours cette tendance à alléger la conversation quand elle sentait qu'on m'en demandait trop, quand elle sentait que je n'étais pas à l'aise ou sur le point de craquer. Je crois qu'elle me connaissait sur le bout des doigts. Et je savais que je pouvais avoir confiance en elle. Seulement je n'avais pas encore confiance en moi.
- Tu sais que tu peux tout me dire, pas vrai ? souffla-t-elle une fois redevenue sérieuse.
- Oui, je le sais.
Je finis ma cigarette sans plus jamais rajouter une parole, laissant le silence et l'obscurité nous englober. Je venais de me renfermer dans mes pensées, et Joyce le savait très bien. Elle le respectait même.
Ce fut quelques minutes plus tard que nous nous remîmes en marche pour rentrer, bras dessus, bras dessous, sans plus jamais évoquer cette soirée, mon père ou Yaël. Sans plus jamais évoquer aucun des sujets que je n'étais pas encore prêt à affronter.
♠️♠️♠️
Hey !
J'espère que vous allez bien et que vous êtes en pleine forme !
On se retrouve aujourd'hui pour ce chapitre assez long, très long même ( le plus long de l'histoire pour l'instant). Techniquement, il n'y a pas beaucoup d'action dans celui-ci, ni d'interaction entre Swann et Yaël, mais je voulais surtout montrer dans ce chapitre le quotidien de Swann, ses relations avec sa famille et ce que la carrière de son père implique aussi pour lui. On voit aussi ici le malaise de Swann par rapport à cette facette de sa vie. En fait, je crois que Swann ne se sent pas à sa place dans plusieurs domaines de sa vie.
Et vous, qu'en avez-vous pensé ?
Swann ? Son comportement face à ce gala ?
Des avis sur le personnage de Kaitlyn ? ( un personnage totalement improvisé et qu'on était censé voir qu'une fois mais qui fera finalement sûrement son retour à un moment donné)
Joyce ? Toujours de bons conseils ? ( vous remarquerez qu'elle a à peu près la même conversation avec Swann que celle qu'elle avait eu avec Yaël dans le chapitre précédent, c'est fait exprès, je crois qu'elle essaye de jouer les médiateurs entre les deux...)
Bon j'arrête de parler ou ma note de fin de chapitre va être trop longue...!
Hâte de lire vos petits commentaires.
Sinon, je n'ai plus de chapitres en stock pour l'instant donc je ne peux rien vous promettre pour mercredi prochain. Mais je suis en train d'écrire le 11 donc je fais mon max pour qu'il sorte au plus vite. De toute façon, vous serez informés.
À bientôt, T.
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