Chapitre IV : Défi (1)

[ Woodkid - Iron ]

Cette nuit là, j'eus mal dormi. Le même cauchemar se répétait en boucle, celui d'une jeune femme seule dans un ruelle sombre. Je revoyais sans cesse le visage de cet homme, déposant ses empreintes sur l'entièreté de mon enveloppe charnelle. Quand je voulus crier, aucun son ne franchit mes lèvres. Mes cordes vocales se bloquèrent, nouant d'autant plus ma gorge. Je me réveillai en sueur, avec des difficultés à rependre mon souffle. Ce fut de loin, la pire nuit que j'eus passé depuis mon emménagement à New York. Je ne pouvais pas arrêter de me demander la raison pour laquelle Damian m'avait sauvé. Après tout, nous n'entretenions aucune relation et il ne paraissait même pas m'apprécier.

La fin de semaine s'était déroulée paisiblement, ainsi que la semaine suivante. Ce fut à la fois mieux mais pire également.

Mieux, car j'évitai tout dangers à mon plus grand soulagement. Ces derniers jours avaient été d'une banalité presque inquiétante. Mais il fallait que je me fasse une raison, ma petite vie monotone d'étudiante devait impérativement reprendre son cours. Mon objectif premier restait mes cours ; la validation de mon année et l'obtention de mon diplôme. Je ne désirais en aucun cas rater mon premier semestre. Je mesurais la chance que je possédais de poursuivre mon cursus universitaire dans cette ville.

Pire, par mes terreurs nocturnes répétitives. Mes nuits se présentaient très mouvementées ces derniers temps. Il m'arrivait de me tirer de mes cauchemars avec le coeur qui battait tellement vite, que je crus qu'il sortirait de ma cage thoracique. Mais une partie de moi n'aurait voulu en rien, changer les évènements passés. Ce soir là, je dus frôler l'irréparable pour l'effleurer. Cet homme qui regorgeait de mystères. Mon corps le réclamait tandis que mon esprit le méprisait. Contre toute attente, ce fut l'un des rares moment où je me sentis en vie. Sans doute une réaction méconnue pour les gens sain d'esprit - dans ces circonstances. Et si c'était à refaire, je n'hésiterai pas. Même si pour cela, je devais braver le danger.

Mes cours se terminèrent et je regagnai ma chambre universitaire. Les escaliers en bois craquèrent sous mes pieds. Je traversais le corridor aux murs couleur champagne de mon palier. Devant ma porte, je cherchai mon trousseau de clés et une fois en main, je la déverrouillai. J'abandonnai mes tennis à l'entrée et déposai mon sac au pied de mon lit. J'étais épuisée. Je décidai d'ouvrir ma fenêtre pour aérer la pièce, profitant de la courte manifestation du soleil. Le beaux temps se faisait de plus en plus rare, sûrement par l'aboutissement de l'été et l'arrivée définitive de l'automne. Je m'affalais sur mon matelas quand la porte claqua une nouvelle fois. Ellie pénétra dans la chambre, un sachet à la main. Elle se débarrassa de ses chaussures de la même façon que je le fis un peu plus tôt.

- J'ai rapporté chinois, énonça ma colocataire en brandissant le sac devant mes yeux.

- Tu sais que je t'aime, toi, ironisai-je.

Je quittai mon lit et la rejoignis. Installée sur un fauteuil en face du sien, elle déposa le sac marron sur la petite table entre nous et y sortit le contenu. Plusieurs petites boîtes renfermant différentes spécialités.

- J'ai pris des nouilles sautées – car je sais que tu adores ça - , du poulet impérial et du riz cantonnais.

- Parfait, merci Ellie.

J'ouvris le premier récipient et me munis des baguettes en bois. Je dévorais mes nouilles tout en échangeant avec elle sur notre journée respective.

- Et de ton côté, rien d'intéressant à me raconter ? Je lui demandai.

Elle prit une bouchée de son riz et hocha la tête positivement.

- J'ai dégoté un rencard, annonça-t-elle joyeusement.

- Mais c'est génial ! Comment tu t'y es prise cette fois-ci ?

Elle plissa son nez et me narra son petit récit de la matinée :

- Imagine toi un peu. Je marchais tranquillement dans la rue, mon café à la main quand j'ai accidentellement percuté un homme. Ma boisson a fini étalée sur son pull, elle émit un rire puis poursuivit. Mais il s'est montré très gentil et je me suis évidemment excusée... Et quand il était sur le point de partir j'ai tenté le tout pour le tout. Je lui ai demandé de se revoir. Honnêtement, je n'en espérais pas plus vu ce que je venais de faire mais il a accepté contre toute attente. Il doit m'appeler dans les prochains jours, expliqua-t-elle pleine de fierté, des étoiles dans les yeux.

Son périple fut accompagné tout le long, de secouements de tête positifs de ma part. La voir heureuse me faisait plaisir. Ellie, depuis le peu que je la connaissais, avait toujours été ainsi. Les garçons et tout ce qui s'en rapprochait m'enthousiasmaient. Elle m'eut confié un soir, qu'elle n'avait jamais eu de réelle longue relation ; du moins sérieuse. Elle rêvait secrètement de rencontrer le bon au- delà de l'indifférence qu'elle feignait.

- Du coup, j'en conclus qu'il était mignon, ajoutai-je dans un haussement de sourcils.

Elle me dépeignit son portrait avec admiration.

- Visualise un bel homme aux yeux verts et aux cheveux blonds. Un peu dans le genre Brad Pitt mais la carrière en moins, le décrivit-elle amusée.

Un gloussement sortit de ma bouche et nous finîmes notre repas avant que je ne me rende au « Sinful Bar », mon travail comme chaque lundi soir.

L'établissement se remplissait à vue d'œil et la musique se diffusait puissamment des haut-parleurs. Des éclats de rire et de fortes voix masculines submergeaient la pièce. Tout ce rassemblement de personnes augmentait fortement la chaleur insupportable. Je balayais le bar des yeux et remarquai le petit groupe de motards assis au fond de la salle. Un torchon à la main, je continuais d'essuyer les verres propres pour les ranger ensuite sous le comptoir. Matthew s'afférait à préparer les boissons des clients. Je posai le bout de tissu et me munis de mon calpin pour me diriger vers le groupe. Ma prise d'initiative me surprit moi-même. En quelques secondes, je me tenais devant eux. Mes yeux passèrent de visage en visage et je constatai que Damian n'était pas là. La déception me gagna alors. J'enregistrai leur commande avec autant de mépris de leur part qu'a leur habitude et fis demi-tour. Je communiquai les choix à mon collègue et il prépara le contenu sur un plateau que je servis aussitôt. Les autres clients furent également pris en charge par mes soins.

Quand je m'y attendis le moins, Damian franchit la porte du bar. Vêtu de son éternel blouson de cuir et armé de son attitude désinvolte, il traversa la salle en contournant habilement les tables. Pendant sa progression, il tourna la tête dans ma direction et me gratifia d'un clin doeil charmeur, puis, rejoignit les autres. Mes joues s'empourprèrent jusqu'à devenir cramoisies. Je ne pouvais prétendre que sa présence ne me réjouissait pas. Mon corps parlait pour moi. L'horloge indiquait onze heures du soir et mon service approchait lentement sa fin. Cela faisait plus de deux heures que je bossais non-stop et un pose s'imposait. Matthew mit un terme à la sienne et je lui confiai les rennes pour un court moment. Je poussai la lourde porte du bar et inspirai lair frais nocturne.

La porte grinça dans mon dos et un parfum boisé embauma les alentours. Mes lèvres s'étirèrent en un sourire en coin que je dissimulais en baissant la tête. Il se posta à ma droite et je sentis ses yeux se poser sur moi. Nous restâmes dans un silence de plomb – bien qu'agréable jusqu'à ce que je me décide à le briser.

- Je commençais à croire que tu ne viendrais pas, avouai-je avec une once de soulagement perceptible.

Il me toisa un instant, un sourcil levé puis lâcha un petit rire rauque.

- Je te manquais déjà, ma belle ? Me nargua-t-il avec orgueil.

Je rougis de plus belle. Il en profita pour s'allumer une cigarette et inspira une première bouffée de nicotine. Ses muscles se détendirent aussitôt.

- Très drôle, mais ne prends pas tes rêves pour des réalités.

- Oh mais je crois que ce sont plutôt avec les tiens que tu devrais faire attention, insinua le beau brun. Tes désirs pourraient te mener à ta perte.

Ses avertissements et ses sous-entendues finiront par me rendre folle. Je tentais tant bien que mal de deviner le sens de ses paroles mais je ne trouvais pas. Je fis l'impasse. Je désirais juste suivre mon instinct et tenter des choses nouvelles. Pour connaître ce sentiment et cette excitation chaque jour, celle qui me pousserait à me lever le matin et qui rendrait ma vie moins fade, je devais y mettre du mien. M'ouvrir aux autres faisait parti de mon rôle. J'en avais plus qu'assez d'attendre que cela tombe du ciel ; je devais provoquer le destin.

- Et si c'était exactement ce que je cherchais ? Je confiai avec audace. Comment peux-tu prétendre savoir mes envies ? Peut-être que justement, c'est pile ce que je veux.

Ses yeux noisettes me scrutèrent avec étonnement. Je ne pensais pas quil s'attendait à une telle réponse. Il rapporta le produit toxique à sa bouche et recracha la fumée nocive tout droit dans mon visage. Je frémis. Mon comportement eut l'air de l'amuser.

- Ah oui ? Alors dis-moi, que souhaites tu réellement ?

L'hésitation m'atteignit et les mots restèrent bloqués dans ma gorge. Cet désir, qui paraissait pourtant cohérent dans ma tête sonnerait ridicule, une fois dit à vive voix. Il comprit alors que je n'irai pas plus loin.

- Les paroles ne restent pas sans conséquence. Fais bien attention et méfie-toi de l'eau qui dort, Cara.

Cette situation, plus qu'étrange me déplut.

- Pourquoi fais-tu toujours autant de sous-entendus, Damian ? Tu ne pourrais pas pour une fois, parler de façon claire ? Râlai-je.

- Ça ne serait pas marrant sinon, ma belle, murmura t-il dans un souffle tellement bas, que seul moi pus l'entendre.

- Je dois y retourner.

Il me suivit à l'intérieur et je regagnai le comptoir. Ses coudes se posèrent nonchalamment sur la surface du meuble et il se pencha en avant.

- Une bière, ordonna-t-il.

J'obéis et il rebroussa chemin, la bouteille en sa possession. Le groupe entreprit de faire une partie de billard. Ils s'équipèrent chacun d'une queue et débutèrent le jeu. Celui aux cheveux de jais, plaqués parfaitement en arrière, et à l'expression froide commença et cassa le triangle de billes. Les cinq autres enchaînèrent les coups à tour de rôle. Je m'imprégnais de leurs différences physiques permettant de les reconnaître. Il y avait tout d'abord Damian, l'incarnation de la rébellion de par ses cheveux chocolat ébouriffés et ses pupilles noisettes. L'exact opposé du blond, ses cheveux d'or accordés à de jolis yeux émeraude. Le plus jeune d'entre eux semblait être celui aux cheveux rasés et à la cicatrice sur la tempe, ce qui laissait entrevoir son côté impulsif. Mon regard se posa sur le suivant, aux cheveux noirs également et au sourire éclatant. Ses dents étaient d'une blancheur impressionnante quasi similaire à celle de son t-shirt. Le dernier de la bande – et pas du moindre – paraissait être le chef. Son regard était menaçant et donnait l'impression qu'à tout moment il pourrait vous trucider sur place. Sa mâchoire impeccablement structurée, son teint basané, ses muscles développés et ses cheveux noirs renforçant la dureté de son visage, auraient la capacité de dissuader quiconque de le contrarier.

Les deux seules filles du groupe restèrent sur la banquette, à les observer jouer et commérer. La brune me fit signe d'approcher et je m'exécutai. Accoutrée d'une élégante robe noire mettant en valeur ses courbes et perchée sur de hauts talons, je l'admirais. Ses longs cheveux bruns accentuaient le bleu de ses yeux. Elle me commanda deux nouveaux cocktails pour elle et son amie blonde. Je me retrouvai proche des garçons et je pus entendre des bribes de leur conversation.

- On parie ? Lança le rasé aux cicatrices importantes.

- Une tournée. J'ai hâte de lire ta défaite sur ton visage, Kéhila, compléta celui au t-shirt blanc.

- Je marche, renchérit Damian hilare. Je suis de l'avis d'Adam ; tu vas perdre mon vieux.

Le dénommé Kéhila tendit sa queue au blond et pointa les autres du doigts.

- Regardez et admirez.

Le blond frotta le bout de celle-ci avec une craie, se pencha en avant et visa la boule blanche.

- Franchement, vous avez quel âge pour faire ce genre de choses ?

Deux billes tombèrent dans les trous. Il vint se placer de l'autre côté de la table de billard et joua une seconde fois.

- Epargne-nous tes paroles de grand sage, Joshua, tu veux ?

Ledit Joshua dévisagea Adam en lui montrant bien son exaspération. Je fis le tour des tables et pris note d'autres commandes.

Au loin, Kéhila se tenait aux côtés d'une femme, la quarantaine passée. Ses cheveux roux descendaient en cascade dans son dos. Elle se maintenait debout, devant le comptoir et sirotais son verre d'alcool. Sa robe rouge laissait retracer les courbes de son corps, bien entretenu malgré les années passées. Le parfait fantasme de la femme mûre. Ils échangèrent un moment et elle sembla réceptive à ses avances. Il tenta un rapprochement et leurs visages ne demeuraient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Soudainement, la femme regarda derrière Kéhila et instaura de la distance entre leur deux corps. Elle susurra des paroles accompagnées par un hochement négatif de tête au jeune homme. Tout le groupe suivait de loin la scène dont on ne pouvait discerner que les gestes et expressions.

Je récupérai les cocktails et me dirigeai derechef vers le fond de la salle. Je posai les deux boissons sur la table et ni la brune, ni la blonde ne prit la peine de me remercier.

- Quel crétin ! C'était sûre, se moqua Adam.

- S'il avait pu la gérer, ça se saurait, confirma Damian. J'adore ça, quand on fait des paries.

Ces mots me firent la sensation d'un pic au coeur. Je doutais maintenant de sa sincérité. Et si moi aussi, je n'étais que l'objet d'un défi ?

Kéhila revint sur ses pas, déçu. La bande se mit à rire.

- T'as foiré mon pote, constata Adam, tu nous dois donc une tournée.

- J'étais à deux doigts de réussir, râla-t-il en tant que mauvais perdant. Si son mari ne s'était pas pointé, elle aurait fini la nuit avec moi, se défendit-il.

En effet, un homme eut rejoins cette femme. Ils semblaient se disputer. Quand je décidai d'en avoir trop entendu, je disposai. Je décapsulais une bière quand je vis le mari de la femme se diriger à grandes enjambées vers la table de billard. Ses traits étaient déformés par la colère. En un mouvement, il agrippa le col de Kéhila qui lui, riposta en le poussant. La tension montait et je devais intervenir. À leur hauteur, je détaillais la scène, ne sachant pas quoi faire.

Le plus effrayant du groupe, dont je ne connaissais pas encore le nom, s'interposa entre eux. Il fixa le quarantenaire d'un regard glacial.

- Ne me cherches pas, menaça-t-il avec un calme déconcertant.

- Laisse Shado, je vais lui régler son compte à celui là, insista Kéhila.

Quand il voulut le dépasser, Shado lui barra la route d'un bras sur son torse.

- Alors quoi ! Tu vas rester caché derrière ton amoureux ?! Viens te battre fillette, cracha le quadragénaire en rogne.

La rousse dissimulée derrière son mari lui tira le poignet pour le faire reculer.

- Arrête bébé, ils n'en valent pas la peine. Rentrons plutôt, supplia-t-elle.

Son homme ne l'écouta pas et se défit de son étreinte brusquement, ce qui la propulsa presque à terre. Il s'avança un peu plus de Shado et lança un regard à Kéhila derrière son épaule.

- Non ! D'abord il ose te draguer et ensuite il se défile cette pédale. Il ne s'en sortira pas comme ça. Et vois-tu, je déteste que l'on touche à ce qui m'appartient, brailla l'homme.

Je contournai Adam dans le but d'essayer de désamorcer la bombe sur le point d'exploser mais avant que je n'atteigne les coupables, des bras me retinrent par la taille.

- Ne t'en mêle pas, me souffla Damian.

Je le dévisageai avec agacement. Comment pouvait-il croire que j'allais rester là sans rien faire ? Je ne voulais pas qu'une bagarre éclate dans le bar.

- Écoutez, je suis certain que l'on peut régler le problème en discutant comme des gens civilisés ; sans avoir recours à la violence, plaida Joshua d'un ton serein.

L'ensemble des regards étaient posés sur nous, le silence uniquement altéré par la musique comme fond sonore. Je captais furtivement le regard de Matthew au comptoir et il comprit aussitôt le message. Sans que je n'y sois préparée, un cris strident se fit entendre.

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