Chapitre I : Paramnésie (2)
[Kings of Leon -Sex On Fire ]
Arrivée sur mon lieu de travail, je me précipitai vers les vestiaires pour y déposer mes affaires et enfiler mon tablier. Je nouai mes cheveux en une queue de cheval et commençai sans plus attendre mon service. Le bar, encore vide à cette heure-là, ne tarderait sûrement pas à se remplir comme chaque mardi soir. Je pris un chiffon et nettoyais rapidement le comptoir. Je décapsulai une première bière à l'homme assis sur l'un des tabourets face à moi. Il me remercia en m'octroyant un sourire charmeur de ses lèvres entourées d'une fine barbe grisonnante. C'était un habitué. Il faisait acte de présence plusieurs soirs par semaine, dont mes nuits de service.
Matt pointa enfin le bout de son nez, lui aussi vêtu de son uniforme. Adorable était le mot qui le définissait. Il dégageait toujours une énergie positive. Il faisait preuve d'optimisme – parfois trop - et ne voyait que les bons côtés des choses. Sous ses apparences de séducteur se cachait en réalité un vrai petit coeur d'artichaut. Son physique opulent, de par ses cheveux de jais et son teint halé, remplissait de loin les critères de l'idéal masculin. De quoi en faire frémir la gent féminine. Il n'hésitait pas à user de son charme naturel. Il en jouait. La nature l'avait gâté et il en était pleinement conscient.
J'ébouriffai ses cheveux, les décoiffant ainsi et il ricana de mon geste.
- Arrêtes tout de suite, tu sais très bien que je déteste ça, gronda-t-il.
Il tenta d'afficher une mine sérieuse mais le rictus en coin sur son visage le trahissait.
- Sinon quoi ?
Je m'aventurais sur un chemin dangereux. Mais la vision d'un Matthew énervé me plaisait bien.
- Crois-moi, tu ne voudrais pas le savoir.
Il me débita ces quelques mots bourrés de sous-entendus suivis d'un clin d'œil. Je n'y croyais pas ! Il me sortait son numéro de baratineur.
- Non ! Je ne suis pas bête tu sais, je comprends ce que tu essaies de faire. Mais je suis au regret de t'annoncer que ça ne marchera pas avec moi, je le pointe du doigt les yeux plissés.
Bien qu'un bon nombre de filles tomberaient à ses pieds sur-le-champ, je ne faisais pas parti du lot. Je n'envisageais pas de m'investir dans une quelconque relation pour le moment. De plus, mon cher collègue ne figurait pas vraiment mon type.
- Il va bien falloir que tu te décoinces. Tu es une très belle femme et il y a – j'en suis sûr - un tas d'hommes qui seraient intéressés. Laisse-toi aller pour une fois.
C'était déjà la deuxième personne qui aujourdhui me le reprochait. Lâcher prise. Je ne comprenais pas pourquoi ils me poussaient tant à changer ma personnalité.
- Décidément, vous vous êtes tous mis d'accord à ce sujet ou quoi ! Qu'est-ce que ça peut vous faire que je fréquente ou non quelqu'un ? C'est pas vos oignions à ce que je sache. Ça fait à peine trois semaines que je suis ici, j'ai tout mon temps. Donc foutez moi la paix un peu !
Je n'avais pas pour habitude de me mettre en colère mais cette journée m'avait vraiment exténué. Je grimaçai et il reprit :
- En attendant, prend ce bloc-notes et ce stylo car tu es chargée de prendre les commandes ce soir. Ashley est malade, elle ne viendra pas. Et ne le prends pas mal, c'était simplement un conseil, formula-t-il d'un air taquin.
Je fus forcée de reconnaître que la réflexion d'Ellie ce matin me toucha bien plus que je ne le pensais. Je me contraignais depuis toujours à ne pas prendre en compte le regard des gens sur ma personne. Le problème fut qu'où que je sois, l'impression que les gens autour de moi jugeaient chacun de mes faits et gestes sommeillait. Je ne me sentais à ma place nulle part. Chaque banalité du quotidien devenait source d'angoisse pour moi.
La raison pour laquelle je ne tenais pas à faire entrer d'homme dans ma vie était toute autre, mais ça ne les regardait pas.
Je sortis le bloc-notes de la poche de mon tablier et m'affairai à la tâche. Je débutais par les clients au bar, en dictant à Matt ce qu'ils désiraient consommer. Mon collègue prépara les boissons et je leur remis. Je m'occupais ensuite du reste de la petite salle aux lueurs tamisées. De la musique – du rock – émanait des enceintes accrochées au plafond à un volume élevé.
Je me chargeai de la plupart des tables et restituais les verres aux clients. Le bar était peuplé majoritairement d'hommes entre la vingtaine et la cinquantaine. Il n'y avait que très peu de femmes. Un petit groupe de motards attira mon attention. Ils poussèrent la porte, marchèrent d'un pas décidé, puis s'installèrent dans le fond de la pièce. Emparée de mon stylo et de mon carnet, je slalomai entre les tables vers le groupe.
Une fois à leur hauteur, je pris une grande inspiration – ma timidité refit surface – et leur posai la question récurrente :
- Bonsoir, bienvenue. Que désirez-vous consommer ?
Ils me dévisagèrent un par un. Je fis le compte rapidement dans ma tête, ils étaient sept. Ils adoptaient tous le style du motard classique ; blousons de cuir noir, bottes et attitude rebelle. L'un deux brisa enfin le silence, celui détenant l'air le plus menaçant.
- Un whisky sans glaçons pour moi, trancha-t-il d'un ton sec.
Son expression demeurait impassible, et sa mâchoire contractée. Une mèche de ses cheveux lisses d'un noir corbeau, plaqués en arrière, retombait de façon rebelle sur son front. Ses yeux étaient d'une profondeur presque effrayante. Il soutint mon regard, comme pour me défier de le contredire, puis plaça une cigarette entre ses lèvres.
Je griffonnai ces quelques mots sur mon calepin et me tournai vers la personne assise sur la banquette,à ses côtés. Il arborait une attitude moins stricte. Ses yeux d'un vert émeraude, contrastaient avec ceux de son ami. Il afficha un sourire malicieux.
- Une bière, merci.
Le comportement du reste de la bande fut équivalent à ces deux-là. Les deux filles pésentes me lançaient des regards de travers. La petite brune au sombre regard de biche ne me lâcha pas de vue. Elle me détaillait sans la moindre discrétion et susurra quelques mots de ses lèvres recouvertes d'une teinte rouge vif, à l'oreille de son amie. Celle-ci acquiesça, me jugea de haut en bas et ria. Je me sentis ridicule face à leur prestance. La seconde dégagea ses longs cheveux blonds. Elle ne portait pas de maquillage, ce n'était pas nécessaire. Son visage, proche de la perfection, ferait jalouser nimporte quelle autre femme. Un nez légèrement retroussé, de fines tâches de rousseurs à peine visibles et une bouche pulpeuse. Elles me dictèrent ce qu'elles souhaitaient.
Je mordis ma joue et fis mine de ne pas être touchée par leur mépris. Je dirigeai mon attention sur la personne d'après. L'individu, un cure dents placé entre les lèvres, me fixa. Son sourire s'étira en une expression malsaine, me laissant entrevoir ses dents parfaitement blanches. Il ôta son blouson, qui ne recouvrait auparavant que son unique t-shirt blanc.
- Je prendrai un whisky avec glace.
J'opinai et passai au suivant.
Il possédait une cicatrice sur la tempe, et une autre sur sa lèvre inférieure. Des cheveux, coupés courts, dégradés sur les côtés. Il détenait un rictus mauvais, scotché sur le visage. Le tout laissait déjà deviner la couleur.
- Une bière ma belle, dit-il.
Je fus offusquée par ce surnom mais ne dis rien. Il pouffa d'amusement.
- La même chose.
La voix de mon interlocuteur me fila des frissons, me parcourant l'échine. Il était distant, et sa voix laissait paraître une telle froideur. Je déglutis. Ses pupilles laissaient entrevoir une telle indifférence, je me perdis dans leur lueur orangée. Il se racla la gorge, pour me le faire remarquer - sans doute.
La tension était à son comble et une fois leur commande sur papier, je m'empressai de déguerpir. Mon coeur ne voulait pas ralentir. Je me sentais complètement ridicule. J'essuyai mon front où perlait une goutte de sueur et transmis les choix des boissons à mon coéquipier. Je n'avais qu'une seule envie ; ne pas y retourner.
- Tout vas bien ? On dirait que t'as vu un fantôme, se moqua Matt.
Je lui souriais, ne laissant pas mon trouble transparaître. Il prit la bouteille de whisky et versa le contenu du liquide de couleur ambré dans les deux verres, puis ajouta trois glaçons dans l'un deux. Il additionna les trois bières et pour finir le gin et le mojito.
Je coinça le plateau sur mon avant-bras et rebroussa chemin. Mon appréhension montait à chaque pas que j'effectuais. Je le sentis trembler sur mon corps. J'atteignis pour la seconde fois la petite table en bois, la conversation s'arrêta brusquement et le silence régna à nouveau autour d'elle. Je posai devant chacun sa boisson, de mes mains ébranlées, et ne tardai pas pour me retourner et filer.
Le reste de la soirée se passa sans encombre. Leur oeillades incessantes me déstabilisèrent tout de même mais je me forçais de les ignorer.
Matthew pris une pose et je le remplaçai. Je saisis des verres sous le comptoir quand une ombre me surplomba. Je relevai la tête et le reconnu. Il s'agissait de l'un des motards. Celui au regard de feu et à la voix glaçante. Il appuya ses coudes sur celui-ci et se pencha en avant. Je le reluquai rapidement. Son visage n'était pas digne de celui d'un mannequin. Il n'était pas parfait mais c'était ce qui faisait son charme. Ses traits demeuraient crispés, par son air renfrogné.
- Vingt-et-un shots de téquila.
Il joua à nouveau la carte de l'indifférence, me témoignant de son arrogance. Ses paroles ne contenaient pas une once de politesse. Il me toisa avec dédain. Je pris sur moi et lui répondis.
- Bien sûr.
Ma voix ne dérailla pas et j'en fus fière. J'alignai les petits verres les uns à côté des autres et versai l'alcool. Il empoigna le plateau de ses grands doigts et me tourna le dos.
Je réussis à remarquer une chevalière à son auriculaire. Entièrement de couleur argent, un motif que je ne pus identifier, gravé sur le sommet. Cela représentait une sorte de triangle inversé. Le sommet de celui-ci, dirigé vers le bas se finissait en arcs de cercle. Le tout, barré par une croix, laissait apparaître ce qui ressemblait à la lettre « V ». Je ne connaissais pas sa signification mais je me promis de faire des recherches prochainement.
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