Chapitre I : Paramnésie (1)

[ artic monkeys - mardy bum ]

Une lueur rose prenait place dans le ciel, à l'horizon l'aurore pointait le bout de son nez. Tout en traversant le passage piéton face à moi, je réajustais l'anse de mon sac sur mon épaule et continuais d'avancer, les talons de mes bottines claquant au sol. Je longeais les rues étroites bordées de bâtiments couleur brique en direction du campus de l'Université de New York, situé dans le quartier de Greenwich village. Les bruits sourds autour de moi ne cessaient d'augmenter. Manhattan était déjà réveillé, animé par les bourdonnements de moteurs, de klaxon et les murmures et va-et-vient incessants des New-Yorkais. Je pressais le pas et vérifiais une fois de plus ma montre, faisant un détour au Starbucks sur la 7ème avenue non loin de là.

   J'atteignis le petit édifice, tirai la porte et pénétrai à l'intérieur. L'odeur de la caféine me parvint immédiatement aux narines. Je balayais la pièce des yeux et repérais rapidement Ellie, ma colocataire au comptoir. Je lui fis signe de ma présence en lui indiquant ma montre d'un air pressé et elle me répondit par un simple geste qu'elle arrivait bientôt. Je croisais les bras sur ma poitrine et observais le petit café bondé de monde, certains faisant la queue dans le but de commander, d'autres installés sur les quelques tables à disposition. Mon manque de patience s'accentua et se fit ressentir lorsque je commençais à taper du pied. Quelques instants plus tard elle s'empressa de venir à ma rencontre, deux cafés à emporter en mains. Un américain pour moi et un cappuccino pour elle.

   Nous nous précipitâmes vers la sortie et arpentâmes les rues à toute vitesse. L'air New-Yorkais me fouetta le visage tandis que nous forcions le pas jusqu'à l'université pour ne pas être en retard.

   Enfin à destination, je sirotais la dernière gorgée de ma boisson puis la jetais à la poubelle à quelques mètres. Je m'engouffrais ensuite en compagnie d'Ellie dans le bâtiment de la faculté de droit, la New York University School of Law pour assister à notre premier cours de la matinée.

   Ellie, tout comme moi, étudiait le droit afin de préparer son diplôme Juris Doctor. Ce qui nous permettrait d'avoir les bases dans de nombreux domaines. J'espérais par la suite pouvoir me spécialiser grâce à un LLM - Master of Law, dans le droit pénal et puis idéalement obtenir mon doctorat en droit, ce qui s'avérait être assez compliqué. Peu de gens allaient aussi loin, mais je ne perdais pas espoir pour autant.

   J'avais toujours été bonne élève, j'essayais de faire de mon mieux. Pour pouvoir étudier ici, dans cette université figurant parmi les meilleures dans le domaine du droit, je travaillais dur et jeu finalement la chance de décrocher une bourse. Mes parents me soutenaient toujours que ce soit moralement ou financièrement et c'était encore le cas.

   Quand j'eus appris que j'étais admise, je fus forcée de quitter Denver, ma ville natale. Mes parents restèrent là-bas, et je fis le choix de m'installer dans l'une des chambres des résidences du campus. Je rencontrai alors Ellie, et je devais bien avouer que je fus rassurée d'être tombé sur elle et que nous nous entendions bien. Elle demeurait mon opposé. Tandis qu'elle paraissait extravertie et sûr d'elle, je représentais tout le contraire ; plutôt du genre discret. Je n'aimais pas vraiment être le centre de l'attention et exprimais rarement mes émotions. Je me tenais en retrait, ne parlant que très peu. Mais j'étais en contrepartie très observatrice. Au premier abord on pouvait même me penser froide ou hautaine, d'après ce que l'on me confia.

   J'enviais la simplicité qu'Ellie détenait pour s'ouvrir aux gens et être soi-même. L'assurance et le courage qu'elle possédait pour s'affirmer. Parfois en public le sentiment d'être exclue maffectait, lorsque nous étions ensemble elle monopolisait toute l'attention. Sa présence était imposante et je n'osais pas en faire autant, par timidité.

   Ellie poussa la porte de l'amphithéâtre et je la talonnais. Elle descendait de quelques rangées puis s'interrompit avant de s'asseoir sur le banc en bois et d'entreprendre de se décaler pour que je puisse l'imiter à mon tour. Les étudiants continuaient de remplir l'immense pièce.

- Tu y crois toi ? Les cours n'ont commencé que depuis une semaine et j'ai déjà envie de tout laisser tomber, se plaignit-elle.

   Je riais face à son manque de détermination en secouant la tête de gauche à droite. Je l'observais souffler et passer ses mains sur son visage à la peau mate encadré par ses longs cheveux bruns qu'elle ramena en un chignon désordonné. Je sortais mon ordinateur portable de mon sac cabas noir et retirais ma veste en cuir oversize, presque deux fois trop large achetée dans une friperie à Denver, quelques mois auparavant. Je passais ma main sur ma jupe en jean légèrement retroussée sur mes cuisses recouvertes d'un fin collant noir afin de l'abaisser de sorte à gagner quelques centimètres.

   La chaleur de la salle contrastait avec le froid New-Yorkais de l'extérieur et j'étouffais rapidement dans mon col roulé lui aussi de couleur sombre. Je croisais les jambes et replaçais une mèche de mes cheveux châtains derrière mon oreille en attendant le professeur.

- Cara ?

   La voix d'Ellie me sortit de mes pensées et je relevai la tête. Je pivotai de quelques degrés vers la droite dans sa direction pour ancrer mon regard dans le sien. Je remuai ensuite la tête de haut en bas en signe d'approbation pour l'inciter à poursuivre.

- J'ai une proposition à te faire ! Dit-elle enjouée.

   Je la dévisageais suspicieuse, méfiante de ce qu'elle souhaitait m'annoncer. Je m'apprêtais à riposter quand elle reprit.

- Et je te préviens, ne me sort pas une nouvelle fois tes répliques de petite fille sage.

   Je haussai les sourcils, étonnée de ce qu'elle venait de me déballer. Mes yeux s'arrondirent et mes lèvres s'entrouvrirent faisant mine d'être offusquée.

- "Mes répliques de petite fille sage" ? Je répétai. Tu abuses, je ne suis pas aussi coincée. Simplement responsable contrairement à toi. Mais je t'en prie fait moi part de ta charmante idée qui je suis sûr, ne sera pas une décision réfléchie, je me défendis.

   Je la vis rouler des yeux d'agacement. C'était toujours comme ça entre nous ; nous nous châtions mais cela restait purement amicale et en aucun cas nous ne prenions nos reproches mutuels au sérieux.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, je suis une fille sérieuse moi aussi. Mais figures toi que cette fois cela me semble tout à fait raisonnable, mais je te demanderai de me laisser finir jusqu'au bout avant de ne rejeter toute possibilité. C'est compris ?

   J'expirais bruyamment pour lui montrer mon exaspération.

- Je t'écoute.

- Donc je disais, j'ai pensé que ça pourrait être une bonne idée de décompresser un peu des cours en sortant par exemple. Ça serait sympa samedi soir, pourquoi pas en boîte ? On pourrait en profiter pour faire de nouvelles connaissances, car entre toi qui vient de Denver et moi d'Angleterre, nous ne connaissons pas grand monde. Je te rappelle qu'on est à New-York ! On devrait en profiter autant qu'on peut.

   Je pris quelques instants pour considérer son offre avant de ne lui transmettre ma réponse. C'était vrai que sur un point elle avait raison, cette ville était incroyable et nous avions tellement de chance de vivre ici. Nous devrions mettre à profit cette opportunité pour visiter les environs et nous amuser. Mais les études passaient avant tout, je n'avais pas envie de décrocher et de gâcher cette occasion.

- Tu vois, c'est marrant car quand je dis "décision réfléchie" ce qui me vient en mémoire est à des années lumières de ce que tu me demandes. Mais oui tu as raison, cette idée est aussi bonne que ta proposition de sécher les cours le deuxième jour à peine. Ou bien quand tu à eu la fabuleuse envie de monter dans un bus inconnu et qu'on s'est retrouvé à l'autre bout de New York , dis-je d'un ton ironique. Tu ne trouves pas ?

- Bon, c'est pas faux je te l'accorde mais ne me dis pas que tu n'en as pas envie !

- Qu'est-ce-que je vais faire de toi ? Je vais finir par devenir une de ces étudiantes insouciantes, et honnêtement ça ne m'étonnerait pas. Entendu, mais il ne faut pas que ça devienne une habitude, capitulai-je.

   Elle me sauta au cou et m'enlaça le sourire jusqu'aux oreilles.

- Tu as une mauvaise influence sur moi Ellie Harrington.

   Elle riait de façon humoristique, le nez plissé lorsque nous furent perturbées par l'entrée du professeur. Il se faisait à présent neuf-heures, le cours débuta immédiatement et je songeais aux deux heures avec celui-ci qui allaient être longues, bien que passionnantes.

   Les minutes défilaient à une lenteur impressionnante et je m'efforçais de me concentrer sur les paroles de l'homme debout devant la salle débordante d'étudiants. La température de la salle réchauffait mon corps, bien qu'un peu trop et un mal de crâne s'installa. Je plongeai alors le bras dans mon sac à mes pieds pour en extirper une bouteille d'eau et bus une gorgée.

   Tandis que je la remis en place une fois un petit cachet contre les maux de tête avalé, je me sentis soudainement absorbé par l'individu qui s'offrait à moi. Captivée par ses yeux bleus. Ils étaient d'une teinte intense et je me surpris à rester figé l'espace de plusieurs secondes, noyé dans son regard.

   Ma vue déviait ensuite vers ses cheveux d'un blond foncé ébouriffés pour atterrir sur son visage, détaillant chacun de ses traits fins. De la courbe de son nez parfaitement droite jusqu'à ses lèvres pulpeuses légèrement rosées surmonté d'un petit grain de beauté. Son visage pouvait facilement être comparable à celui d'un ange tant il était doux et éclatant.

   Je pris finalement conscience que je le fixais depuis un long moment, fascinée. L'impression d'avoir quitté la terre ferme. Lui aussi me scrutait en retour. Je désirais rester là des heures, à contempler sa beauté. La vision de son regard posé sur moi, scrutant chaque fragment de mon corps avec une délicatesse hors norme, me procurait un sentiment étrange de familiarité.

   Je lui tournais le dos m'étant fin à notre contact visuel, me gratifiant d'une sensation de manque. Mon coeur battait à une rapidité déconcertante. Je tentais de me calmer en vain. Les secondes me parurent être des heures. Je m'évertuais à reprendre mon souffle et reportai mon intérêt sur les paroles du professeur. Mais je n'y arrivais tout simplement pas. Je ne pus m'empêcher de repeindre son portrait dans mon esprit, hypnotisé par son regard appuyé et son air contracté.

   Je fus certaine de ne l'avoir encore jamais vu ici, sur le campus. Pourtant il m'avait tout l'air d'étudier lui aussi dans cette université, ce qui en témoignait par ses feuilles de papier et son stylo disposés devant lui. Bien que je ne me souvins pas l'avoir rencontré auparavant, je sus au fond de moi que nous nous connaissions. Nous nous fûmes forcément déjà croisés quelque part.

   Je continuais d'enregistrer les informations et de prendre note mais je fus déstabilisée par un sentiment de picotement à l'arrière de ma nuque. Je me sentais observé. Dans chacun de mes mouvements.

   Je me convainquis que ce n'était pas le cas, de toute façon le campus était bien trop grand et les étudiants bien trop nombreux pour que je ne puisse remarquer chaque personne.

   Je décidai tout de même de vérifier de moi-même mes soupçons. Du coin de l'oeil je l'aperçus me surveiller. Son comportement était étrange et eu le don de me déstabiliser.

- Ellie, je vais te dire quelque chose mais aie l'air naturel, et surtout sois discrète.

   Je fis part de mon analyse à ma colocataire.

- Un mec louche me regarde avec insistance depuis bien dix bonnes minutes et ça commence à devenir flippant. Il est assis à huit heures. Tu le vois ?

   Elle suivit mes indications et jeta un coup d'oeil discret.

- Oui, tu le connais ?

- Non justement, mais je suis sûr de l'avoir déjà vu quelque part. C'est ça qui me perturbe le plus.

- Ne t'en fais pas, il a sans doute simplement eu le coup de foudre, plaisanta-t-elle.

- Haha, très drôle.

- Sinon on mange toujours ensemble ce midi ?

- Oui, j'irai à la bibliothèque après les cours. Par contre je suis de service ce soir.

   Elle acquiesça puis je lâchai l'affaire.

   Pour pouvoir payer mes dépenses au sein de ma vie étudiante, j'avais dû me trouver un petit job. De quoi me soulager pour éviter de ne dépouiller encore plus mes parents que ce que je ne leur coûtais déjà avec les frais d'inscription. J'avais été engagée comme serveuse dans un petit bar du coin. Mes horaires étaient assez laxistes. Je ne bossais seulement que trois soirs par semaine, le lundi, mardi et vendredi. Mon service débutait à dix-huit heures et se finissait le plus souvent aux alentours de deux heures du matin. Cela serait mentir de dire que cette situation ne m'épuisait pas mais je n'avais pas vraiment le choix. Je voulais apprendre à être indépendante.

   Une sonnerie annonça la fin du cours et je remballai mes affaires. Nous nous rendîmes à la cafétéria pour déjeuner.

   Mon programme de l'après-midi fut nettement plus chargé. Je dus encore assister à deux cours différents. L'un en amphithéâtre et l'autre en groupe plus réduit d'une vingtaine d'étudiants environ. Ellie n'était pas avec moi dans celui-ci.

   Comme prévu, je passai  à la bibliothèque dont disposait le campus pour rendre un livre avant de ne rentrer à la chambre. C'était de loin la plus grande et impressionnante que je fus amenée à visiter. Elle se dressait sur plusieurs étages. Dotée dun hall gigantesque, on s'y perdait presque. Je poursuivais mon itinéraire. Une fois la porte de la chambre claquée, j'ôtais ma veste et retirais mes bottines. Le plancher en bois grinça sous mon poids. J'avançai plus profondément dans la pièce et abandonnai mon sac sur l'un des vieux fauteuils.

   Notre chambre universitaire était plutôt agréable à vivre. L'espace disponible, largement convenable pour y résider à deux, nécessita tout de même un réaménagement pour qu'il soit le plus fonctionnel possible. Une salle d'eau se trouvait directement sur la droite à l'entrée. A l'autre pôle étaient nichés des placards et le strict minimum pour cuisiner. Une petite table était poussée contre le mur ainsi que deux chaises. Nous disposions chacune d'un lit, placé contre le mur au fond de la pièce et d'une table de chevet. La commode d'Ellie trônait entre nos deux matelas. Un bureau présent également, coincé entre le faible espace encore disponible.

   La grande fenêtre située au-dessus de mon lit laissait pénétrer une importante quantité de lumière. Le reste de la pièce était semblable au côté opposé. Un bureau qui m'était destiné au bout de mon lit et une commode dans laquelle je rangeais tous mes vêtements. Deux étagères supportaient quelques livres de mes auteurs préférés. Le petit espace restant fut agencé en salon approximatif. Les deux fauteuils érodés et la table basse campés sur un tapis de style ancien déroulé sur les lames du plancher. La plupart des meubles étaient en bois ce qui donnait un aspect à la fois chaleureux et antique à la pièce.

   J'ouvris la porte du réfrigérateur et en sortis un yaourt nature. Je choppai une pomme puis dévorai ma rapide collation. Je me déshabillai et enfilai l'uniforme requis pour mon job de serveuse. Il se constituait d'une robe de couleur beige à manches courtes, de style rétro, boutonnée le long du torse. Je fermais les boutons en tâchant d'en laisser deux volontairement ouverts puis réajustais le col et nouais la ceinture à la taille.

   J'attrapai un cardigan noir dans le premier tiroir de ma commode et le passai sous ma veste en cuir. Il fut à présent cinq heures du soir et je dus me presser pour être à l'heure. Mon patron ne tolérait aucun retard. Je m'emparai de justesse de mes clés et du strict minimum que je fourrais dans un sac à main. Je verrouillai la porte et traversai le long couloir de la résidence.

   Une brise fit voler mes cheveux et je resserrai les extrémités de ma veste, marchant jusqu'à l'arrêt de bus le plus proche.

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