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Heimdall fit rapidement son rapport à celui qu'on appelait communément « le Père de toutes choses », car le soleil avait continué sa course, comme Odin l'avait prédit. Si certaines zones de l'univers restaient dans l'ombre éternelle, puisqu'elles étaient cachées par des galaxies et des planètes, certains lieux se voyaient dépourvus de ténèbres. L'œil du Bifrost voyait s'inquiéter une bonne part du cosmos, et notamment les Midgardiens, trop éloignés de l'existence des Asgardiens pour pouvoir comprendre quoi que ce soit.
Et ce furent trois jours pendant lesquels ces guerriers légendaires attendirent leur promesse de combat. Trois jours durant lesquels Heimdall s'obstina à garder les yeux ouverts en toutes directions.
Mais il n'y eut pas besoin de trois jours pour laisser l'occasion à Loki et Nótt de distinguer le détail de la pupille de l'un et de l'autre. Leurs iris ne cessaient de se rencontrer, pour échanger une quelconque parole, un geste, et créer bien tranquillement une complicité grandissante.
- Les répercussions sur Yggdrasil seront indicibles, soupira Loki en prenant son verre de vin entre ses doigts fins.
- Et en attendant, nous, on s'ennuie, grommela Volstagg en posant ses mains sur ses épaisses joues gonflées de gourmandises.
Tous assis à a grande table qui habillait l'immense salle de repas, ces héros patientaient autour d'un diner trop opulent.
Muette et observatrice, Nótt avait la patiente céleste, celle qui faisait que son don lui appartenait entièrement, et qu'il ne pouvait être livré à personne d'autre.
- Elle me fait peur à pas manger, comme ça, murmura Volstagg à Sif.
Evidemment, tout le monde avait eu le privilège de l'entendre, notamment la concernée. Volstagg était un être auquel Nótt n'avait pas porté grande importance. En réalité, elle ne lui avait pas non plus adressé la parole.
Ce comportement que Nótt entretenait n'avait échappé à personne, et les asgardiens qui avaient l'habitude de l'entourer depuis ces derniers jours en étaient même agacés. Cette grande reine ne parlait à quiconque, semblant toujours se trouver plus en haut d'ils ne savaient quelle mer, perdue dans un lointain qui l'appelait avec ardeur. Nótt ne mangeait pas, ou si elle le faisait, c'était de mets bien précis, en très petite quantité. Cette pâle perfection était le témoin de ce régime drastique, qui n'avait été provoqué par personne, et qui était né avec elle. Les yeux noirs de Nótt se levèrent sur Volstagg, les longs doigts de la Nuit entourant un grand verre en or.
- Il est vrai que la délicatesse n'est pas exactement une part de la culture asgardienne. Du moins, pas pour tout le monde, ajouta Nótt.
Elle porta le vin à ses lèvres, comme pour provoquer cette assemblée qui venait d'être les proies inconscientes de la franchise de Nótt. Si l'un d'entre eux avait passé son regard ne serait-ce qu'une seconde sur Loki, alors il aurait pu voir la profonde satisfaction qui venait de s'afficher sur son visage, un rictus moqueur agrippé au coin de sa bouche. Il avait appris à connaître la personne de Nótt, et ce qu'elle venait de dire n'avait pas été fait pour être blessant, mais simplement pour être sincère.
La belle avait aussi l'innocence de la pureté nouvelle-née.
Thor se leva subitement, comme s'il retenait depuis des jours ce mouvement brutal, effaçant les expressions des autres présents à la table.
- Comment osez-vous faire preuve d'une telle insolence devant les fils d'Odin ? s'enragea-t-il, touché dans sa chaire.
Une chaire habitée d'orgueil et de fierté.
Le vin courut la gorge de Nótt, et le verre suivit le chemin pour revenir à son lieu supposé.
- Pardonnez mon insolence, Prince d'Asgard, je ne voulais pas porter atteinte à votre personne. Je n'ai pour convives que les étoiles, et je suis l'hôte des ténèbres... Ne soyez pas blessé par les paroles d'une inconnue du monde, votre souveraineté ne fait de moi que votre humble servante.
Un orgueil caressé, éduqué, et calmé. Thor se rassit, le regard et la fougue apaisés. Nótt poussa légèrement le verre en or, et se leva à son tour.
- Profitez alors de ce délicieux repas, et puisse Asgard rester opulente.
Elle se retira alors, faisant doucement voler sa cape noire dans le vent de ses pas. Lorsqu'elle fut sortie de la grande pièce, les regards qui y restaient s'interrogèrent.
- Vivement que ce loup arrive, conclut Volstagg en plongeant à nouveau ses dents dans son morceau de viande.
- Allons ! souffla Sif.
- Il faut dire ce qui est, cette... Nuit, on-ne-sait-quoi, commence à être agaçante.
- Tu lui dois du respect, reprit Sif, son statut est plus haut que le tien.
Volstagg se mit à rire grossièrement.
- Un coup de hache, et quel statut est plus haut que le mien ?!
Un pouffement de rire de Fandral eut le don de faire perdre son sourire au barbu en face de lui. Avant qu'il ne puisse répliquer, le mouvement que Loki engagea coupa nette la voix qui s'apprêtait à fuser.
- Eh bien, sourit-il en se penchant à l'avant pour écarter sa chaise avec ses jambes, je vous laisse à cette conversation, chers guerriers.
- Où vas-tu ? demanda Thor avec cette curiosité spontanée.
Le jeune prince ne répondit pas immédiatement, se redressa tout à fait, et ajusta son vêtement.
- Surveiller les étoiles, dit-il en lui offrant un clin d'œil.
Si Thor et Volstagg ne comprirent immédiatement, ce sont Sif et Fandral qui s'échangèrent en premier un regard confondus.
Loki trouva rapidement l'étoile qui l'intéressait le plus, celle qui brillait aussi en journée, et la rattrapa facilement.
- Il ne faut pas leur en vouloir, ils ne pensent qu'à finir au Valhalla, expliqua malicieusement Loki en s'approchant de Nótt, alors qu'elle continuait d'avancer.
Nótt se retourna en dissimulant difficilement un sourire amusé.
- Et vous, Prince de la Magie, où voulez-vous finir ?
Loki s'arrêta tout à fait, et leva le menton, geste qui appartenait presque à la personnalité du jeune prince, comme si ce mouvement était un mot.
- Pour l'instant, je n'envisage pas de mourir.
- J'espère alors que votre insolence vous sauvera, ironisa Nótt.
Les lèvres de Loki s'étirèrent jusqu'à laisser découvrir toutes ses dents, et le léger rire qui sortit d'entre elles ressembla à un soupire heureux.
- Votre insolence aura tôt fait de vous expulser d'Asgard, répliqua-t-il. Vous n'avez même pas laissé le temps à Thor de vous courtiser.
- Il n'y a pas autant de... courtisants, dans le ciel, répondit Nótt.
- Autant ? reprit Loki en envoyant doucement ses pas vers l'avant.
- Un autre prince me suit, eut-elle presque l'air de roucouler. Un prince enflammé par des motivations et des ambitions qui peuvent être bien noires, n'est-ce pas ? Pourquoi avoir peur ainsi ? Vous n'êtes ni ombre, ni ténèbres, ne devenez ni l'un ni l'autre.
Un silence répondit à cette annonce, à cette presque prophétie que venait de délivrer Nótt. Cette dernière laissa le silence couvrir un long moment, alors qu'ils avançaient dans le large couloir.
- Vous me faites penser à quelqu'un, continua-t-elle. Je ne vous donnerai pas son nom, cela serait tout à fait inutile puisqu'elle vous est inconnue. Vous lui ressemblez, mais en moins pire, en moins ambitieux. Cela est étrange d'ailleurs, vous n'avez avec elle aucun lien de famille. Ce qui l'animait, c'était le pouvoir, c'est le contrôle. Vous aimez manipuler. N'aimez pas cela à l'excès. Cette créature, je l'ai combattue, aux côtés de votre père. Une femme, aux cheveux noirs, aux yeux noirs, mais par-dessus tout, à l'âme obscure. Elle a commis de nombreux crimes, au nom d'une noble cause – c'est ce qu'elle entendait. J'ai vu ce que vous possédiez, non pas en extérieur, Prince, mais je sais quel voile pourrait couvrir vôtre âme.
Loki écoutait attentivement, et respecta la fin de la parole de cette illustre cavalière.
- Il est une chance dans tout cela : mes yeux sont verts.
Cela eut le don de faire perdre un peu de sérieux à Nótt, qui perdit subitement de sa sublime tragique. Mais elle n'ajouta rien, bien que tout ce qu'elle avait aperçu ne fut pas dit. Nótt n'avait pas de don de voyance, mais elle avait cette inexplicable magie, qui ressemblait étrangement à celle du prince cadet d'Asgard. Ces connaissances lui venaient de ce jour où Loki avait pénétré sa mémoire, et cherché la raison de sa chute sur Asgard. Il avait laissé la trace de son cœur, de ce qu'il y cachait ; car même entrant dans la mort, Nótt avait pu entendre quels étaient les murmures couvés par les rêves cachés de Loki.
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