17 ♕︎
— Ainsi, j’ai décidé que ma place était là-bas.
Auriane venait de raconter le périple de sa vie aux trois paires d’oreilles attentives qui buvaient son récit. Elle avait parlé brièvement de son enfance riche et terne à Adara, de la manière dont elle avait fui la pression sociale de son entourage pour parcourir le monde en quête d’aventure et de passion. Elle était passée sur certains séjours marquants de sa formation de maîtresse d’armes, assurée du début à la fin par sa mentor, son modèle de vie.
Elle avait évoqué leur rude séparation après des années de voyages et d’action non sans un trait d’émotion dans sa voix, puis elle avait souri en parlant de ses élèves, dévoués à la couronne plus qu’à leur propre vie. La couronne et le sang royal. Esol avait tiqué à ces mots, mais il avait tâché de se concentrer sur le plus important : Auriane Ovena était la perle rare qu’il cherchait, et ses élèves de Sarin seraient sauvés de leur train de vie habituel en venant jusqu’au château.
Jihal posa la pointe de son couteau dans son assiette. Cela faisait deux heures qu’ils avaient commencé le repas, et même si ce dernier était conclu depuis un moment déjà, ils n’avaient pas bougé d’un pouce.
— Excusez ma curiosité, se permit le second Anhli. Vous ne nous avez pas parlé de votre cicatrice ?
Auriane passa un doigt sur sa joue meurtrie, le sourire aux lèvres.
— Vous imaginez un combat, ou un événement traumatisant au moins. La vérité est bien loin de toutes mes épopées. Un élève a donné un mauvais coup d’épée que je n’ai su anticiper, et voilà le résultat. Je pensais la blessure moins profonde, mais elle l’était assez pour ne pas disparaître en cicatrisant. C’est un bon souvenir qui restera gravé sur moi.
— Bon ? s’enquit le roi.
— C’est le bon choix de mot, Sire, avoua-t-elle fièrement. Les jeunes doivent apprendre, et cette voie qu’ils choisissent grandit en eux dans les erreurs les plus rudes à assumer.
— Intéressant.
— Vous ne cessez de le dire.
— Parce que je le pense.
— Voudriez-vous dire que j’ai mes chances à votre service ?
Esol fit mine de réfléchir. Il but une gorgée d’eau et jaugea ses trois invités du regard. Les deux seconds acquiesçaient sans un geste la moindre de ses pensées sans même les entendre, tandis que la femme qui attendait sa réponse avait déjà tout compris.
— Parlez-nous un peu plus de vos élèves, ajouta-t-il cependant avant de confirmer son idée. Combien sont-ils, peuvent-ils venir jusqu’ici, et qu’est-ce qui les motive autant que vous ?
— Pour faire court, ils sont seize, âgés de treize à dix-sept ans, formés depuis l’âge de huit ans environ à devenir l’élite de l’armée du roi. Ils sont fidèles au sang sous la couronne et dévoués dans leur mission. Leur objectif est de se démarquer parce qu’ils le savent, la vie ne gâte pas les plus méritants mais elle récompense ceux qui se battent pour ce qu’ils veulent vraiment. Evidemment qu’ils sont tous prêts à venir jusqu’ici.
Esol hocha la tête sans rien ajouter. Il avait pris sa décision, et il devait renvoyer des gens chez eux avant qu’ils ne prennent la peine de se présenter devant lui pour rien. C’était cruel, mais il pensait que ce le serait davantage de les faire espérer une place dans un château qui avait déjà trouvé sa salvatrice.
Il décida de laisser patienter Auriane dans la salle à manger pendant qu’il discutait avec les seconds à ses côtés sur le chemin pour le trône.
— Nous sommes d’accord ?
— Ce n’est pas à moi de le dire, commença Jihal.
— Mais vous allez vous le permettre, assura le roi.
— Exact. Elle est assez fidèle à ses valeurs pour être fidèle à votre règne aussi longtemps qu’il durera. Valeur sûre.
— Je ne peux que rejoindre Jihal, enchaîna Lorne sans hésiter. Même si ses idées sur le sang sont très arrêtées.
— Qui n’a pas ces idées bien en tête, à Polaris ? fit le second de l’Est.
Esol tiqua une nouvelle fois. Lorne avait raison, cette pensée pouvait s’avérer dangereuse si elle n’avait pas de limite. Et même si la plupart des gens étaient nés avec l’idée même que le sang royal avait plus de valeur que leurs vies, Esol n’avait jamais trouvé ça sain. Il n’accordait plus d’importance à son sang depuis quelques temps, puisqu’il le savait sans valeur.
Ce n’était que du sang.
Du sang dans un corps de mortel.
Il coulait comme n’importe lequel, et n’était pas fait d’or.
— Passons cela, conclut-il plus froidement. Elle est fidèle, c’est l’essentiel. Je ne vois pas pourquoi ça se retournerait contre moi.
Son second se pinça les lèvres, mais il n’ajouta rien. Il se voyait plus méfiant que son roi face à une nouvelle tête si butée, et il trouvait cela étonnant au vu des peurs d’Esol. D’un autre côté, l’honnêteté des gens qu’il rencontrait semblait être le parfait rempart à ces mêmes angoisses, soudainement dissipées par le peu de vérité qu’on voulait lui accorder. Lorne ne comprenait toujours pas à quel point le mensonge de ses proches l’avait atteint, il n’en avait constaté que des bribes et beaucoup de choses lui restaient encore inconnues.
Il aurait aimé comprendre.
Ils arrivèrent près de la file qui patientait devant la porte de la salle du trône, enthousiaste et à l’affût du moindre mouvement du roi. Ce dernier fit une brève annonce pour convier ses invités à reprendre la route pour leur lieu d’habitation dès qu’il leur serait possible de le faire. Quelques grognements insatisfaits s’élevèrent, mais la plupart des candidats se contentèrent d’un sourire faux pour exprimer à quel point ils étaient reconnaissants d’avoir été invité néanmoins. Esol n’y prêta pas plus attention et retrouva avec plaisir le bureau de Lorne dans lequel il aimait tant se reposer. Les trois comparses s’assirent dans un commun soupir.
— Dites, Sire.
— Qu’y a-t-il, Jihal ? demanda le roi en craignant le pire.
— A propos de la rencontre avec Andor et de mon départ…
Esol grinça des dents, mais il le laissa continuer avant de l’interrompre par simple suspicion.
— Vous m’avez fait comprendre pourquoi vous lui en vouliez tant. Vous avez semé un doute dans mon esprit, mais je compte le vérifier par moi-même avant de croire qu’Andor vous menace vraiment. Je ne lui reproche rien pour l’heure, mais je vous entends clairement. De ce fait… Vous n’irez pas le rencontrer maintenant. C’est trop dangereux.
— Dangereux ? Vous craignez qu’il attente à ma vie ? s’inquiéta subitement le roi.
— Plutôt l’inverse, sourit tristement Jihal. Nous savons tous ici que ça a failli arriver auparavant, alors…
— C’est faux, je l’ai déjà dit et redit.
Lorne toussa dans son poing.
— Si je puis me permettre, c’est un mensonge Sire. J’étais là.
— Nous n’en débattrons pas plus. Sire, vous ne vous en souvenez peut-être pas pour je ne sais quelle raison, mais c’est bel et bien arrivé. En bref, ça ne sert à rien que vous alliez à la rencontre de mon roi si c’est pour le fusiller du regard dès votre arrivée. Ce serait contre-productif, et Polaris n’a pas de temps à perdre avec cela. Ce qui m’amène à mon second propos.
Esol secoua la tête. Il aurait juré sur tout ce qu’il avait de plus cher qu’il n’avait pas revu Andor Odell depuis plus d’un an, et que jamais il ne s’en serait pris à lui s’il était véritablement venu le voir de manière pacifique. Et de toute manière, s’il avait voulu le tuer, il y serait parvenu. Voilà l’ultime conviction qui le poussa à ne pas s’aventurer à nouveau dans ce débat sans fin.
Jihal poursuivit sans attendre :
— Tant que vous ne serez pas enclin à aller à la rencontre de Sire Odell, et puisque venir ici est inenvisageable pour lui… Je vais rester. Rester, et vous aider dans le démantèlement de l’organisation des Pillards. Andor sera satisfait de voir que je vous surveille malgré tout, et le traité que nous espérons pourra attendre tandis que nous nous chargeons des voleurs. Qu’en dites-vous ?
Les deux seconds s’observèrent en silence tandis que le roi réfléchissait, les yeux plongés dans la tasse face à lui. Lorne hésitait à dire quelque chose, Jihal le remarqua. D’un signe de tête, il l’incita à se taire un moment jusqu’à ce qu’il en parle lui-même. Tous deux attendirent ensuite que le principal intéressé réponde à la question du second Anhli.
— Je ne vois pas d’autre alternative, alors… Restez donc. Si ça peut apaiser Andor tout en avançant sur ce nouveau problème que représentent les Pillards, je n’y vois pas d’inconvénient.
— Parfait. Une dernière chose avant que je me retire.
— Déjà ?
Jihal émit un sourire en coin.
— Vous tenez tant que ça à me garder, je me trompe ?
Esol souleva un sourcil et se renfonça dans son siège en signe de contestation. Il ne fit même pas l’effort de répondre à la provocation amusée du second et le laissa parler seul.
— Je disais donc… J’ai fait quelque chose qui ne vous plaira peut-être pas dans un premier temps.
— Pour changer.
— Exact. J’ai parlé à Lorne de l’affaire des roses. Je pense qu’en sachant tout sur votre doute à l’égard de mon roi, nous y verrons tous ici plus clair, et nous pourrons régler cela. Si on ne vous comprend pas, Sire, si vous ne nous dites rien et que vous ruminez seul… Bientôt, nous aurons aussi des raisons de vous appeler fou. Je ne veux pas en passer par là, et je suppose que Lorne non plus. Nous sommes, pour dire, vos seuls amis en ce moment. Ne perdez pas cela en vous renfermant.
— Je n’en reviens pas…
Esol avait les bras croisés sur sa poitrine, les yeux grands ouverts et les lèvres légèrement séparées dans une expression nouvelle de surprise.
— Vous n’avez aucune limite pour parvenir à vos fins, n’est-ce pas ? Ce n’était pas votre rôle de lui en parler.
— Non, vous avez raison. C’était le vôtre.
Jihal ne doutait réellement de rien, le roi le réalisa à cet instant. Son honnêteté finissait par sentir le brûlé tant elle surchauffait, mais il était tellement confiant et sûr de lui qu’il s’en servait sans discontinuer pour se faire entendre. Pas une once de mensonge ou d’embellissement de paroles, malgré le fait que ça pourrait le sauver. Au lieu de ça, il préférait s’enterrer seul en espérant que la réaction de son interlocuteur le sorte de son trou ensuite.
N’avait-il donc jamais appris à se taire ? Ou aimait-il simplement trop l’adrénaline provoquée par les risques qu’il prenait, à sans cesse ouvrir la bouche ?
— Etes-vous seulement digne de ma confiance ?
— Entièrement.
— Comment le prétendre si facilement ?
— Comme cela.
Sur ces deux derniers mots, il se leva et quitta le bureau de Lorne. Celui-ci resta interdit, tandis qu’Esol fut pris d’un rire nerveux qu’il ne put contrôler.
Après avoir retrouvé son calme, il tourna son visage vers son ami comme pour vérifier qu’ils avaient vu la même scène.
— Vous le croyez ? Il est parti. Juste… Parti.
Un petit rire lui échappa à nouveau. Son visage s’était illuminé, à la frontière entre l’amusement futile et l’énervement bouillant.
— Je n’arrive pas à le cerner, fit Lorne. Tout ce que je sais, c’est que je l’aime bien.
— Moi aussi, mais…
— Pardon ?!
Esol se renfrogna immédiatement. Il plaqua une main devant sa bouche et ferma les yeux, mais il avait déjà parlé.
— Vous l’aimez bien, alors ?
Ce fut au tour de Lorne d’être amusé, et il ne cacha pas son large sourire face à la gêne palpable de celui qui venait de se confesser.
— Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Sa présence ne me dérange plus, voilà tout.
— Je me contenterai de ça.
— Tant mieux. Plus sérieusement, Lorne… J’aurais dû vous en parler. Il n’a pas tort à propos de ça. A propos de tout ce qu’il a dit, à vrai dire. Seul, je n’irai pas bien loin, et vous m’avez prouvé votre confiance des milliers de fois. Pardon.
Le second se pencha vers la table basse pour attraper la main de son roi de l’autre côté de celle-ci. Il lui sourit tendrement, comme s’il essayait de tout lui faire oublier.
— Je vous comprends mieux, il n’est plus la peine de s’excuser. Prouvez vos capacités pour vous, pas pour moi.
Esol hocha à peine la tête, non convaincu. Il n’était pas certain de pouvoir encore se prouver quoique ce soit, et trop de choses le tourmentaient pour qu’il puisse penser à ce qu’il était capable de faire ou de croire encore. Il était temps d’agir, il n’avait plus l’occasion de penser. Au cœur de l’action, au milieu du combat, peu de place restait pour la réflexion. Il devait se baser davantage sur son ressenti, car il était la seule chose en laquelle il avait toujours cru sans douter.
— Je vais aller me reposer un instant avant le dîner. Désirez-vous inviter Auriane ?
— Non, pas ce soir. Laissons-la se faire à ses appartements, nous organiserons l’arrivée de ses élèves demain. D’ailleurs…
Sa voix s’éteignit alors qu’il se levait pour quitter le bureau. Arrêté devant la porte, la main sur la poignée, il se perdit dans ses pensées jusqu’à ce que Lorne ne l’en tire.
— Sire ?
— Je vous laisse avec Jihal pour ce soir. Je mangerai dans ma chambre.
Le second n’eut pas l’occasion de lui demander pourquoi cette décision soudaine, le roi était déjà parti, à l’image de Jihal, quelques minutes plus tôt. Les deux hommes étaient de véritables ombres.
—— ♔︎ ——
— Puis-je entrer ?
— Faites donc.
Esol franchit la porte qui le séparait des appartements d’Auriane Ovena pour la trouver sous une toute nouvelle forme. La femme avait troqué sa combinaison modelée pour les entraînements avec une chemise de nuit brune opaque qui marquait toute son enveloppe corporelle sans en manquer un morceau. Ses manches évasées remontèrent jusqu’aux coudes lorsqu’elle leva les bras pour ranger une petite boîte en haut de son armoire. Elle n’eut pas besoin de se mettre sur la pointe des pieds pour l’atteindre, contrairement au roi s’il avait essayé.
— Comment se passe votre installation ?
L’ensemble des affaires de la maîtresse d’armes en disait suffisamment long pour constater d’un coup d’œil qu’elle s’était apprivoisé les lieux sans problème, mais Esol tenait à s’en assurer.
— Très bien, merci. Vous aviez besoin de quelque chose ?
— Pas vraiment.
— Eh bien, je ne vois pas ce que je peux y faire, ricana Auriane.
Esol se frotta la nuque en souriant. Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il faisait ici.
— Venez.
La maîtresse d’armes se tourna vers sa baie vitrée et l’ouvrit en grand. Elle sortit sur le balcon qui lui tendait les bras et s’assit sur un fauteuil face à la nuit. Elle ne fit aucun geste, n’ajouta rien, mais le roi comprit qu’il devait s’asseoir à côté d’elle, alors il le fit.
La soirée était fraîche, presque froide, mais l’ambiance douce de la valse des étoiles suffisait à faire oublier tout le reste. Esol se sentit immédiatement apaisé et moins en surchauffe dans cet environnement. Polaris était si belle, lorsqu’elle ne brûlait pas sous les flammes qu’il voyait toujours à l’Est. Il avait toujours chéri cette planète, son hémisphère encore davantage, et il ne pourrait vivre ailleurs pour rien au monde.
— Laissez-moi vous raconter une histoire, commença Auriane après quelques instants. Puisque vous êtes venu pour rien, rentabilisons donc ce temps passé.
Le roi ne répondit pas. Son regard divaguait vers la lune et ses étoiles, si bien que rien ne pouvait l’en détacher désormais. Il s’imaginait sûrement naviguer parmi elles, très haut et loin de la terre qui l’attirait en son centre pour le dévorer. Il voulait respirer.
— J’ai eu un petit frère. C’est d’ailleurs lui qui m’a fait ça.
Elle désigna la cicatrice qu’elle avait évoquée plus tôt sur sa joue. Elle la caressa du doigt pour en sentir chaque virage.
— Il était courageux. Trop courageux. Ce qu’il faisait passer pour de la bravoure cachait une inconscience dangereuse du risque. La vérité, c’est qu’il ne se maîtrisait pas entièrement puisqu’il lui manquait une jambe valide pour marcher correctement. Ça entraînait des manques cruciaux de précision lorsqu’il essayait de me combattre, ce qui a mené à cet accident. La plaie était profonde et saignait assez. Il a pris peur. Une terreur comme jamais je n’en avais vue. J’ai eu beau essayer de le rassurer, il n’a plus jamais retouché une lame de sa vie, et il ne m’a plus jamais regardée de la même manière.
Elle secoua la tête.
— La vision quotidienne de mon visage défiguré, car c’était pire au début, lui rappelait sans cesse sa faute. Et ce n’était rien. Mais pour lui, c’était le manquement de trop. Un jour, il est parti. La ville riche et noble d’Adara l’avait toujours vu comme un paria, et les rumeurs de l’incident ont achevé sa réputation. J’ai compris son départ, mais jamais pourquoi il s’était isolé de nous, sa famille. De moi, sa sœur. Je pense avoir toujours montré mon soutien et mon amour envers lui, et jamais je n’aurais osé lui faire comprendre qu’il valait moins parce qu’il était différent. Il n’était pas différent. Il était mon sang.
Une interruption dans son récit permit à Esol d’émerger doucement pour presque chuchoter la question qui lui trottait dans la tête.
— Vous parlez de lui au passé. Lui… Lui est-il arrivé malheur ?
— Je n’en sais rien. Je préfère parler de lui comme il le voulait, hors de ma vie. C’est plus simple de faire comme s’il était mort le jour où il est parti que d’imaginer ce qu’il a pu devenir. Il était dévoré par…
Elle ferma les yeux, essayant tant bien que mal de ne pas aller trop loin dans ses souvenirs. Elle semblait mettre de la distance entre tout ce qui pouvait la blesser émotionnellement, tandis qu’elle accueillait à bras ouverts les morsures physiques que son corps recevait.
— Dévoré par la honte. Comme vous.
Esol se tourna vers elle, les yeux écarquillés. De quoi pouvait-il avoir honte ?
— Ne me regardez pas comme ça, fit-elle en lui rendant l’étincelle de ses iris. Si je vous raconte cela, c’est parce que vous me rappelez mon frère depuis la seconde où je vous ai vu. Vous avez les mêmes yeux, le même visage, la même expression que je peine à regarder. Le même air dérangé, tordu, perdu. Je n’ai jamais compris son isolement, souvenez-vous. En vous voyant, je comprends mieux pourquoi il est parti sans un mot.
— Pourquoi ?
La curiosité d’Esol était piquée à vif. Il n’était pas sûr de voir où cela le menait, pourtant la route était dégagée droit devant lui. Il lui suffisait de la suivre.
— La honte. Vicieuse, sinueuse, déterminée. Mon frère l’a ressentie toute sa vie, malgré toutes mes tentatives de l’en éloigner. Elle l’a poussé à s’isoler, se couper de tout et même de ceux qu’il aimait. A terme, elle l’a fait s’en aller définitivement et sans se retourner. Vous vous situez sur l’exact même chemin.
— De quoi aurais-je honte ? Je ne comprends pas.
— Je pense que vous comprenez très bien au contraire. Vous avez honte de votre comportement ces derniers mois lorsque vous réalisez tout ce que vous avez laissé de côté. Il suffit de voir à quelle vitesse vous avez engagé quelqu’un pour reformer vos troupes après vous être rendu compte que ce vide-là n’arrangeait rien. Vous vous corrigez, c’est très bien. Mais c’est aussi un signe de peur, de honte.
Pour toute réponse, le roi replongea dans sa contemplation. Le choix d’histoire d’Auriane n’avait pas été fait au hasard, il le voyait clairement. Il comprenait en quoi son frère pouvait lui ressembler, il comprenait mieux que personne le sentiment déchirant qu’était la honte de soi. Il ne s’était jamais senti coupable d’avoir répondu aux menaces d’Andor, et ne le ferait jamais. Mais tout le reste, tous les faux pas dont il était responsable, ceux-là n’avaient rien à voir avec l’Est et son roi. Il en prenait conscience petit à petit, mais il avait toujours l’impression d’en manquer encore beaucoup.
— Je dois y aller, déclara-t-il enfin. A demain.
Auriane ne répondit pas et laissa Esol se retourner.
Le roi se sentit irrémédiablement attiré vers la salle où se reposait sa harpe, se languissant paisiblement depuis son départ. Voilà longtemps qu’il n’avait pas touché ses cordes, mais l’instrument avait une patience à toute épreuve.
Il ouvrit en grand les fenêtres de la petite pièce, tira sans un bruit son tabouret, et s’installa avant de se pencher vers la harpe. Il écouta ses battements de cœur au travers de la structure en bois de l’objet, attendit un instant de la retrouver entièrement sienne. Il joua une bonne partie de la nuit sans jamais perdre le fil de sa mélodie, sans jamais s’emmêler dans les sons ou oublier ce pourquoi il jouait. Il se perdit dans le vent qui s’engouffrait par les fenêtres, accompagnant avec fracas les sons délicats des fils blancs qui tintaient sous ses doigts assurés.
Mais il ne cessa que lorsque le château entier fut endormi.
A l’exception d’un homme curieux qui écoutait patiemment, penché par-dessus un balcon de la tour nord-ouest, un sourire bienheureux planant sur son visage tout le long de la performance du roi.
Un amoureux des belles choses.
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26/09 ;;
Voilà bien longtemps que je n'avais pas posté :')
J'espère que tout va bien de votre côté, personnellement la fac s'installe doucement dans ma vie, c'est toujours aussi étrange de parler h24 de philo, au lycée tout le monde détestait ça et maintenant je rencontre de jolies personnes qui ne font qu'en parler avec amour :')
Enfin bref, prenez soin de vous comme toujours !
J'essaie de poster de temps en temps quand même, l'écriture ne m'a pas quittée quand bien même je suis lente ~
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