09 ♕︎
— Ah ! Enfin de l'air !
Esol sourit. Il n'avait pas vu Lorne si libre et vivant depuis longtemps. Rester constamment enfermé au château ne réussissait à personne, alors la reprise spontanée de leurs sorties à cheval ne faisait que prouver ses bienfaits.
Le ciel était peint d'un bleu profond presque immaculé, tâché de nuages voyageant au gré du vent. A l'orée du bois de Sham, côté fleuve, les chevaux se reposaient et broutaient une herbe verdoyante et fleurie. Ce lieu se trouvait être le favori du roi pour son implacable tranquillité et sa beauté sans pareille. Il était proche du château, à seulement une heure sur une bonne monture, et la vue depuis son extrémité changeait constamment. Elle introduisait le charme de l'aube, laissait place à la chaleur du soleil du midi, tirait sa révérence sur la dorure du crépuscule, et s'endormait avec la berceuse de la lune, des étoiles.
Ils se trouvaient certainement dans le seul endroit de tout le royaume de l'Ouest où le temps lui-même s'arrêtait reprendre son souffle.
— Rien à signaler, aujourd'hui ? demanda Lorne, allongé au bord de l'eau.
Esol était assis près de lui, les bras en arrière soutenant son dos. Il fixait l'Est, les yeux plissés à cause du soleil.
— J'essaie d'ignorer les lumières, la fumée, et les visages malicieux au loin. J'essaie.
— Un jour peut-être, vous ne verrez plus rien.
— Ou bien vous commencerez à voir.
— Eternel débat sur lequel je refuse de revenir en une si belle journée, coupa Lorne. Innocent jusqu'à preuve du contraire, vous le savez.
— Vous êtes trop naïf.
— Et vous extrêmement borné.
Souvent, une seule chose troublait l'apaisement des promenades solitaires du roi à Sham. Il lui suffisait de s'asseoir quelques minutes sur la rive du fleuve, et des formes se dessinaient face à lui, des interprétations variées se frayaient un chemin dans son esprit toujours trop actif, et la relaxation se transformait rapidement en réflexion épuisante.
Que faisait Andor, en ce moment ? Pourquoi cette étrange fumée blanche se dégageait d'une forêt inoccupée ? Étaient-ce des troupes armées jusqu'aux dents, au loin, ou bien des marchands et leur convoi ? La montagne venait-elle vraiment de lui faire un clin d'œil ?
Lorsqu'il en avait parlé avec Lorne, la première fois, son second lui avait répondu qu'il devait halluciner la moitié de ce qu'il voyait. Puis il s'était répété en lui prouvant par mille explications que les images qu'il décrivait ne lui apparaissaient pas, ou bien d'une façon rationnelle et logique.
Esol n'en démordait pas, mais il apprenait avec le temps à patienter pour vérifier que les choses qu'il observait ne disparaissaient pas après trois clignements de paupières.
Si tel était le cas, il trouvait une nouvelle excuse et finissait souvent par dire que si le roi Odell prévoyait vraiment un attentat quelconque, il ne le montrerait pas si aisément.
— Sire ?
Lorne roula sur le côté et observa le roi, l'air intrigué.
— Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de revenir ici ? Je veux dire, ensemble ?
Esol fit mine de réfléchir. En vérité, il ne savait pas trop ce qui l'avait motivé à proposer cela à son second. Depuis plus d'un mois, Jihal partageait son quotidien et celui de Lorne constamment. Alors même si sa présence ne se faisait pas encombrante, s'éloigner de lui et des responsabilités qu'il amenait ne faisait pas de mal.
Le second Anhli était rentré auprès de son roi quelques jours pour établir un rapport concret sur les activités d'Esol, mais également s'occuper d'affaires pour son pays qui le nécessitaient. Il savait que rien de bien malveillant ne se préparait à l'Ouest, alors retrouver sa maison le ravissait. Dans le même temps, le roi Priam profitait de sa solitude reconquise.
— J'imagine que ça me manquait, répondit-il enfin. Ça fait un moment que nous n'avons pas été seuls, et le printemps commence à reprendre sa place.
Lorne hocha la tête, satisfait de la réponse.
— Il est vrai que vous n'avez pas été seul depuis ce qu'il me semble être des lustres, il nota ensuite. Je n'entends presque plus le son de la harpe.
— Je dors davantage. Enfin, quand Jihal me laisse une minute de paix, et elles sont rares.
— Il vous manque malgré tout.
Esol s'étouffa presque sous le terme employé.
Lorne fut pris d'un fou rire qu'il peina à calmer.
— Pardon ?
— J'ai bien cru que vous alliez le tuer, au début. Mais, d'une manière qui m'est inconnue, il a réussi à éviter ce sort. Puis, lorsque vous m'avez raconté l'affaire du détournement de bijoux, j'ai pensé que vous alliez vous faire exécuter. Enfin, après cela, aucun de vous deux n'a été le même. C'est à peine si je vous trouvais seul, alors que vous auriez pu le fuir de nombreuses fois.
— C'était sa tâche de me suivre partout, je n'y pouvais rien, se dédouana le roi.
— Il avait été clair sur ça dès le début, il ne comptait pas le faire parce qu'il savait cela inutile. Alors je vous rassure, il ne le faisait pas par obligation. Pas plus que vous ne le subissiez parce que vous le deviez. Et maintenant…
— Il est rentré chez lui et je serais satisfait qu'il y reste.
Le second retint mal son rire et reçu un regard noir d'Esol.
Certaines choses étaient dures à dire, tandis que d'autres ne voulaient pas être entendues.
— Je ne dis pas que je sers à combler un vide, je vous connais trop bien pour ça, mais… reprit finalement Lorne. La solitude ne vous a jamais perturbé, et nous ne venions plus à Sham ensemble un moment avant le décès de la reine. C'était votre endroit parfait pour être en paix. Mais vous ne cherchez pas à vous retrouver malgré le départ de Jihal, et vous fixez l'Est différemment. En conclusion…
Il n'eut pas l'occasion de finir sa phrase. Esol s'était levé en un mouvement net et calculé pour courir vers lui et l'attraper par les bras. Rapidement, Lorne se fit tirer jusqu'au bord du fleuve laiteux, où la situation se renversa en sa faveur. Il réussit à se débattre en passant sous les bras tendus du roi, qui fut obligé de lâcher sa prise et perdit l'équilibre de ce fait. Il tomba à la renverse dans l'eau froide de Rigel, abasourdi, tandis que son second affichait un air de vainqueur.
— Bien tenté, mais je ne boirais pas la tasse aujou… AH !
Esol avait remonté son pied du fond, et venait juste de l'envoyer de toutes ses forces au niveau des ménisques de Lorne. Ses jambes fléchirent pour accuser le coup, mais elles perdirent en stabilité et il tomba à son tour.
Le fleuve n'était pas très profond, mais il atteignait son maximum pratiquement au niveau de la rive, alors les deux hommes eurent rapidement de l'eau jusqu'à la nuque. Un bain vivifiant qui réveillerait les morts, au moins.
— Vous avez déclaré la guerre, Sire, et en assumerez les conséquences !
Sans plus réfléchir, Lorne se servit du faible courant pour rattraper le roi, qui écarquilla les yeux en constatant son sérieux et tenta de fuir en sortant de l'eau. Il avait atteint l'endroit où elle ne recouvrait plus que la moitié de ses jambes lorsque son second en attrapa justement une, le faisant basculer à nouveau. Les deux hommes se retrouvèrent vite à rouler sur un bout de terre, le reste du corps dans l'eau blanche, à tenter de prendre le dessus malgré leurs forces quasiment égales.
Lorne possédait certaines tactiques agiles que lui seul connaissait pour avoir l'avantage, mais Esol avait souvent combattu avec lui durant leurs entraînements pour deviner à quel moment il allait les utiliser, et donc quand les déjouer. Le roi se servait quant à lui de son esprit vif pour anticiper les moments de faiblesse de son adversaire, mais il y en eut trop peu pour lui permettre d'agir et de gagner.
Finalement, après de longues minutes à essayer de se faire couler, aucun n'y parvint réellement et ils abandonnèrent la victoire au rivage qui vint recueillir leurs corps fatigués et leurs sourires vainqueurs.
—— ♔︎ ——
Une semaine plus tard, le château reçut une lettre de l'Est accompagnée d'un petit paquet. Celle-ci fut ouverte avant toutes les autres, car elle était sertie du sceau royal.
"Le lendemain du jour où vous recevrez cette missive, je serai à Alioth.
Et oui Sire, je reviens mais rassurez-vous, je ramène avec moi de bonnes nouvelles qui sauront vous ravir.
En attendant, devinez qui a finalement mis la main sur les petits malfrats que vous avez failli m'enlever ? Un petit cadeau juste ici en guise de preuve.
Bien à vous,
Jihal Anhli."
Esol déchira l'emballage en papier qui entourait une boîte noire qu'il ouvrit avec précaution.
Le couvercle laissa apparaître un bracelet de fils argentés qui se mêlaient, figés. Apposée sur eux se trouvait une opale coupée nettement en deux, semblable à une moitié de Polaris.
Ne pouvant résister à l'attractivité du bijou, le roi le porta sans hésiter.
—— ♔︎ ——
Jihal apparut à l'horizon sur un cheval. Il n'était pas seul, deux hommes en armure l'entouraient du mieux qu'ils pouvaient. Lorsque le château se rapprocha de son champ de vision, le second de l'Est accéléra jusqu'à l'arrivée aux grilles, qui se levèrent en parfaite synchronisation avec son cheval et sa rapidité incomparable. Ceux qui l'accompagnaient renoncèrent à le poursuivre, visiblement lassés du comportement de leur protégé.
Lorne et Esol attendaient non loin des grilles, et Jihal se dirigea immédiatement vers eux une fois l'entrée passée. Il sauta de son cheval, le félicita pour sa course d'une caresse, et arriva tout sourire devant ses hôtes.
— Bienvenue à nouveau, Jihal, commença Lorne. Je déduis que vous avez fait bon voyage.
Le second frotta une main dans ses cheveux recoiffés par le vent avant d'offrir une légère révérence aux deux hommes.
— Excellent, même. Sauf pour mes compagnons, je présume. Ils n'ont pas su suivre le rythme, et c'est tant mieux.
Il suivit ses mots d'un salut vague aux soldats qui repartaient déjà, manifestement épuisés mais pas suffisamment pour demander une brève hospitalité.
Les grilles se refermèrent, et ils décidèrent de poursuivre leur conversation au chaud.
L'heure du dîner approchant, cela se fit autour d'un repas préparé avec soin pour le retour du second, composé de plusieurs spécialités de l'Ouest qu'il appréciait.
Il se fendit d'un grand sourire en notant cette attention, qui s'élargit lorsque la manche du roi se releva pour dévoiler le bracelet au morceau d'opale.
— Pourquoi être revenu à cheval, alors ? s'enquit Esol. La route est assez longue depuis l'Est.
— Pour le simple plaisir de profiter des paysages que j'avais manqué en arrivant. Et celui de faire voyager mon cheval, qui mourait d'ennui à Mizar. Andor veillait sur lui, mais il m'a proposé de le ramener ici en voyant qu'il me manquait.
— Vous l'avez depuis longtemps ?
—Cadeau du roi lorsqu'il m'a nommé second.
La conversation se poursuivit avec le récit de Jihal sur la manière dont il avait enfin coincé la troupe qui détournait les richesses des capitales. Il énonça fièrement être parvenu à récupérer la plupart des récents vols, sans oublier de dire que ce qui devait revenir à Alioth y serait bientôt envoyé par une nouvelle troupe sélectionnée avec attention.
Le dîner s'ensuivit, oscillant entre des périodes de calme et d'autres histoires échangées d'Est en Ouest.
A l'approche de la fin de ce dernier cependant, Esol n'avait pas oublié la promesse de Jihal.
— N'aviez-vous pas de bonnes nouvelles à nous partager ?
Le second posa ses couverts et acquiesça vivement.
— C'est exact.
— Et bien n'attendez plus, de quoi s'agit-il ?
— Ma mission ici est terminée. Je peux rejoindre l'Est dès que je le souhaite, à partir de maintenant.
Lorne fut le premier à réagir, tandis que le roi se figea.
— Déjà ? N'est-ce pas un peu tôt ?
Jihal fronça les sourcils, étonné de la réponse.
— A moins que vous n'ayez quelque chose à m'annoncer sur les futurs plans du roi Priam, je ne trouve pas. Nous savions tous que je ne venais pas pour analyser ses moindres faits et gestes ou encore retourner le château en quête d'indices incriminants. Nous connaissons la source du problème et c'est là ma deuxième nouvelle.
Il prit une pause le temps d'avaler quelques gorgées de son vin. De là où il se situait, Esol avait l'impression de le voir boire son sang. Il reprit soudain l'usage de la parole :
— Vous jugez donc que la situation s'est améliorée ?
Jihal observa alternativement les deux hommes.
— Je dois dire que vos réactions me surprennent. Moi qui vous voyais déjà danser sur la table, à l'heure qu'il est. Sachez que cette décision a été prise par Andor et qu'elle a une contrepartie évidente. Mais avant de vous la donner, je peux dire que j'étais d'accord avec son propos, et que ma présence ici n'est plus utile. J'ai des tâches importantes en attente à Mizar depuis pratiquement deux mois que j'ai hâte de retrouver. Pardonnez-moi si je me trompe, Sire, mais je pense vous découvrir aujourd'hui plus en forme que lors de mon arrivée. Vous pouvez faire seul le reste du chemin.
Esol secoua la tête. Une bonne nouvelle ne venait jamais seule, la règle se confirmait à nouveau ce soir.
Et celle de Jihal comportait évidemment un échange, une offre de sa part qu'il n'était certainement pas prêt à faire à l'Est. Il s'était montré patient, compréhensif, et moins méfiant envers le second Anhli. Il n'était pas certain de parvenir à en faire autant avec le roi Odell sous prétexte qu'une version sympathique de son allié le lui demandait.
— Encore une fois, j'étais bien assez en forme deux mois plus tôt… Bon, soit, je ne l'étais pas tant que ça et c'est admis. Et je veux bien vous laisser le bénéfice du doute ainsi que mon appréciation, mais je n'ai pas le même regard vis-à-vis de votre roi.
— Justement, c'est ce que nous espérons vous offrir maintenant. En échange de mon départ et de la reprise de nos vies respectives, Andor propose votre venue à Mizar dans l'objectif de signer un traité officiel de paix et de respect mutuel. Nous verrons les termes ensemble le jour venu, il s'agira d'un réel accord commun. Notons d'ailleurs que…
— Non.
Silence dans la pièce.
La voix d'Esol venait de s'élever, grave, cassante.
La douceur de Lorne tenta de le contenir dans ses propos, mais il était déjà trop tard.
— Sire, avant toute chose… Nous devrions réfléchir à sa proposition.
— Non, répéta le roi. Ne voyez-vous donc pas ce qu'il se passe ? Ils sont pressés. Pressés de se débarrasser de moi, je présume. Le traité n'est qu'une excuse, le départ de Jihal qu'une couverture, un cadeau empoisonné. Tout est allé bien trop vite pour que ce soit naturel, et si je ne me fais pas piéger en allant à Mizar, alors le papier futile qu'on signera sera bien vite brisé pour enfin débuter l'attaque que le roi attend de lancer.
Jihal ne tenta même pas de l'interrompre. Son visage venait de prendre une teinte fatiguée que personne ne remarqua. Il se contentait d'être un spectateur immobile de la scène, le regret dansant dans ses yeux.
— Il est prêt, et c'est pour cela qu'il rappelle son second. Et ma venue à la capitale ? Ce n'est qu'une façade pour m'évaluer, voir mes capacités de défense pour s'assurer qu'il peut s'en prendre à moi sans faire d'erreur.
— Sire, je pense que vous devriez y songer davantage, enchaîna Lorne. L'idée ne cache sans doute rien, et ce depuis le début, mais vous refusez de le voir. Pourquoi Andor n'aurait-il pas le droit au bénéfice du doute aussi ?
— Parce qu'il ne m'offre aucun doute, voilà pourquoi !
Le ton monta du côté d'Esol. Il retombait dans ses travers, plongeait la tête la première dans une de ses crises où tout se dirigeait contre lui et où rien ne faisait sens d'un point de vue extérieur. Habituellement, Lorne le laissait continuer puisqu'il finissait toujours par s'interrompre seul lorsqu'il l'abandonnait à sa propre parole. Mais il en avait assez de se taire, et ne comptait certainement pas le faire. Jihal était présent, il méritait qu'on le défende même si cela ne ressemblait qu'à une conversation avec un mur. Et que le mur était tenace.
— Il ne m'a rien prouvé, et l'Est nuit à ma famille depuis des décennies, vous le savez très bien. S'il avait vraiment voulu la paix, il serait venu ici lui-même, et…
— Mais il est venu ! Vous avez manqué de le tuer, ne me dites pas que ça ne vous revient pas ! Vous avez été enfermé des jours après ça pour la sécurité de tous, et nous avons frôlé l'incident diplomatique !
— Foutaises ! Je ne l'ai jamais vu ici, je ne me souviens pas. Et si c'était le cas, croyez-moi que je n'aurais pas manqué mon coup.
— Vous voyez ? C'est exactement pour cela qu'on ne peut pas vous faire confiance, et que la paix continue de nous échapper.
— Si la paix nous échappe, c'est justement parce qu'Odell ne veut que l'inverse ! Ne voyez-vous donc pas ce que je me tue à dire ?
— S'il voulait la guerre, ça fait bien longtemps que vous seriez six pieds sous terre Sire ! C'est uniquement grâce à lui que vous tenez encore debout, mais l'admettre vous ferait trop mal !
— Vous avez tout faux, il n'a rien fait pour moi depuis le…
La porte émit un cliquetis à peine audible.
La salle tomba sous le silence complet, les voix cessèrent de s'entretuer.
Jihal était parti.
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17/06 ;;
La relation Lorne / Esol vit dans mon cœur h37.
Alors selon vous, Andor est-il vraiment pressé pour ruiner Esol, ou bien est-ce que le roi est vraiment parano ? ~
Prenez soin de vous, reposez vous entre les examens si vous êtes en plein dedans, que ce soit les oraux du bac ou le brevet c'est bientôt fini et bientôt vraiment les vacances ! Vous allez gérer ♡
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