07 ♕︎
Esol avait fouillé dans tous les registres et notes laissés par ses parents pour dénicher la personne idéale pour sa mission. Et finalement, il avait trouvé.
Quelques jours après sa visite du club sous-terrain, le roi avait donné rendez-vous à une potentielle recrue pour une tâche essentielle : interroger Jihal.
Le travail était simple, à condition d'engager le bon personnage. Il lui suffirait alors d'user de ses charmes sur le second de l'Est, puis de lui soutirer un maximum de réponses compromettantes à des questions subtiles sur le roi, ainsi qu'à une proposition alléchante.
— Vous avez tout retenu ?
La jeune femme hocha la tête, sereine. Cette assurance avait immédiatement plu à Esol, elle l'avait conforté dans sa décision d'engager quelqu'un au lieu de tout gérer seul. Leur entretien avait duré près d'une heure, et s'était déroulé de nuit dans un bois non loin du château, à l'abri des regards, surtout de Jihal.
Même si le roi ne faisait confiance à personne, il savait qu'il ne risquait rien si ce n'était l'échec avec une mission pareille. Il avait bien évalué la situation, et tant qu'il croyait en son plan, rien ne pourrait l'en détourner.
Pas même le fait qu'il ne confie un travail à Aélia, dont il ne connaissait que le nom et les notes laissées par sa mère à son sujet.
"Jolie jeune fille, éloquente et talentueuse, pour n'importe quelle cible, fiable".
Il n'aimait pas spécialement cette impression de l'avoir sélectionnée sur un étal de marché, et les appréciations de la reine lui avaient fait froid dans le dos. Ce n'était pas sa méthode habituelle, et jamais il n'aurait pensé utiliser un humain comme outil. Manifestement, c'était comme cela que ça se passait, chez les envoyés spéciaux du royaume.
De son côté, en attendant les résultats, il pouvait prétendre coopérer avec Jihal et reprendre son réel travail de souverain sans trop se soucier de ce qu'il pourrait trahir. Chaque jour, il exécutait ses tâches, répondait à du courrier important, résolvait au mieux les problèmes évoqués durant les doléances, prenait des pauses innocentes dans les jardins…
Et tout cela sans que Jihal ne soupçonne un instant qu'une mission se préparait contre lui. Ou en sa faveur, selon ce qu'il ferait lorsque le plan serait exécuté.
Mais Esol était presque sûr de recevoir une nouvelle révélation de la part de son enquêtrice, une de taille si possible, qui lui donnerait alors une raison de le renvoyer dans le premier convoi vers l'Est.
— Il retourne en ville dans deux jours, je me suis renseigné. Vous serez prête ?
— J'ai tout ce qu'il me faut, répondit Aélia en agitant un petit flacon, tout sourire.
— Parfait. N'oubliez surtout pas cela, c'est l'objet principal de votre mission. Les autres questions ne servent qu'à l'aiguiller, elles m'importent peu.
Elle acquiesça à nouveau.
— Rendez-vous ici dans trois jours pour mon rapport, dans ce cas.
—— ♔︎ ——
Les températures négatives semblaient atteindre leur apogée à la nuit tombée.
Esol avait attendu que tout le château s'endorme pour le quitter sans un bruit et se rendre au rendez-vous avec l'espionne. La veille, elle était censée avoir parlé avec Jihal, et il espérait beaucoup de cette conversation.
Lorsque le second était rentré pour le repas du soir, son attitude avait radicalement changé, et il s'était éclipsé sans un mot dès qu'il l'avait pu. Il paraissait très importuné, et Esol escomptait que cet agacement n'était pas dû à des soupçons de la part du second de l'Est.
En voyant Aélia arriver sous la lueur de la lune, souriante, ses doutes s'évanouirent instantanément.
Elle lui portait de bonnes nouvelles.
— Alors ? s'empressa-t-il. Racontez-moi tout.
— Patience, Sire. Je tiens d'abord à mon paiement.
Suivant sa parole, elle tendit sa paume ouverte vers Esol. Il était évident qu'elle n'allait pas tout dévoiler avant d'avoir reçu sa compensation. Rares devaient être les membres de la royauté à avoir arnaqué quelqu'un qu'ils avaient engagé, au risque des rumeurs, mais chacun assurait ses arrières comme il le pouvait.
Le roi procéda au paiement, qu'elle ne vérifia étonnamment pas, puis ils s'assirent dans l'herbe fraîche pour échanger. Le récit promettait d'être intéressant, d'après Aélia.
Esol s'enroula dans une laine épaisse dont il regretta le choix dès l'instant où il vit qu'elle ne le protégeait absolument pas des bourrasques d'un vent mécontent. Il tâcha d'ignorer la puissance de ce dernier en se concentrant sur l'histoire qu'on lui partageait.
— Lorsqu'il est entré dans le club, il était seul. Il s'est assis au bar, et il jetait fréquemment des coups d'œil vers l'entrée comme s'il attendait quelqu'un. C'était mon occasion, alors je suis allé à sa rencontre. J'ai fait tout ce que vous m'avez dit, j'ai donné tout ce que j'avais pour le charmer et j'ai prétendu penser qu'il était un noble de chez vous. Il n'a pas démenti.
— C'est étrange.
Aélia secoua négativement la tête.
— Pas tant que ça, si on tient compte du fait qu'il n'arrêtait pas de fuir ma présence et qu'il n'écoutait que la moitié de ce que je disais. Il semblait bien plus préoccupé par un groupe de voyageurs qui parlaient fort, pas loin de nous. J'ai dû me répéter plusieurs fois et hausser le ton pour qu'il daigne me donner un peu d'attention. Pas évident, votre type.
— Comment avez-vous amené la proposition, alors ?
— C'est là que ça devient intéressant, fit-elle fièrement. Vous voyez, j'ai quelques techniques pour cela. L'une d'entre elles, la plus efficace, consiste à établir un contact physique. Je l'ai attrapé par la nuque, et j'ai chuchoté votre idée à son oreille pour être certaine qu'il n'entendrait que cela. Puis je lui ai discrètement montré la fiole.
— Comment a-t-il réagi ? s'enquit Esol en se penchant vers l'avant.
— Vous auriez vu ses yeux, écarquillés comme jamais je n'en avais vu ! Soudain, il était entièrement concentré sur ce que je lui disais ! Il m'a demandé si j'étais sérieusement en train de lui proposer d'empoisonner le roi. J'ai répondu que je pouvais même le faire disparaître pour le mettre hors de tout soupçon. Je lui ai vendu tous les bienfaits de cet acte pour Polaris, l'importance de sa contribution…
— Ingénieux, cette idée de le tirer hors d'affaire une fois l'acte accompli. Ca l'aide à se projeter, ça le rassure…
Aélia hocha la tête.
— C'était le but. Et figurez-vous que ça a fonctionné.
— Il l'a pris ?
Le roi avait presque crié de surprise. Il pensait obtenir quelque chose de satisfaisant de cette investigation, mais certainement pas autant.
— Il a essayé de me piéger avec des questions plus ciblées comme pour qui je travaillais exactement, ce genre de choses. Je m'y attendais, avec une proposition si indécente, alors j'avais préparé une couverture vague mais crédible. Nous avons parlé encore quelques minutes, puis il a récupéré le poison et m'a remerciée avant de s'en aller. Il souriait étrangement, comme un rictus mauvais. Je crois que vous avez touché gros, et évité une mort imminente.
Esol n'en revenait pas. Sa méthode pour piéger Jihal aurait-elle fonctionné si facilement ? A la première occasion, le second se serait révélé sans peur avec un plan si peu fiable ? Aélia devait être sincèrement convaincante, et le roi espérait qu'elle n'avait pas exagéré une partie de son récit. Mais il avait le sentiment que ce n'était pas son genre, pas sa technique. Sa mère elle-même l'avait appelée fiable, elle qui ne faisait confiance à personne.
Les deux complotistes se levèrent, sur le départ.
Avant de tracer sa route, la jeune femme soumit au roi la question qui devait lui brûler la langue depuis le début :
— Le poison était du vrai, n'est-ce pas ?
— Pour une question de crédibilité, oui.
— Vous venez de donner à un traître une fiole pleine d'un liquide létal pour vous tuer, résuma-t-elle. N'est-ce pas de la folie ?
Esol haussa les épaules, indifférent.
— J'appelle ça un plan réussi.
—— ♔︎ ——
Le roi se posta devant le second de l'Est, les poings serrés.
— Nous devons parler.
— Ravi que vous le proposiez.
D'un accord visuel, les deux hommes se rendirent dans le bureau du défunt roi de l'Ouest.
Pour la première fois, Esol tira les rideaux d'un coup sec, laissant la lumière aveuglante et révélatrice du jour incendier la pièce. Puis il ferma la porte et resta debout devant elle, trop tendu pour s'asseoir et prétendre que tout allait bien. Le second Anhli était quant à lui appuyé contre le bureau central.
La nuit de sommeil du roi avait été écourtée par sa rencontre avec Aélia, mais il était plus que déterminé à en démordre.
— Où est le poison ?
Esol lança sa première attaque, dans le vif du sujet. Il avait trop joué le jeu du second ces derniers jours, et il était ravi de pouvoir bientôt retrouver son quotidien sans lui.
Jihal sourit de toutes ses dents, plongé dans un état particulier dans lequel personne ne l'avait jamais vu. Son expression distordue jeta un froid au roi, qui remit soudain en doute l'idée de se confronter avec un homme sans doute prêt à tout pour arriver à ses fins. Prêt à le tuer ici et maintenant, s'il le voulait.
Désormais dos au mur, il pouvait tout faire.
— Vous savez ce qui est drôle ? répondit Jihal, en total décalage avec la question.
Esol ne dit rien, déboussolé.
Son interlocuteur ne se fit pas prier pour continuer.
— J'avais beaucoup d'idées toutes faites, à votre sujet. En arrivant ici, j'ai pensé trouver une épave, un maniaque, un enfant capricieux… Je me suis fait un nombre incalculable de scénarios, et je suis quand même surpris. Vous m'avez surpris.
Il sortit d'un mouvement fluide et contrôlé la fiole au contenu mortel.
— Vous êtes, en réalité, le roi des bouffons !
Il serra le flacon plus fort dans sa main avant de le projeter au sol d'un coup sec.
Esol sursauta, et son dos heurta la porte du bureau dans un bruit sourd tandis qu'il fixait, éberlué, le liquide se répandre sur le parquet verni, au milieu des débris de verre. Il s'était cogné assez fort pour ressentir immédiatement une onde de douleur se diffuser à la base de sa colonne vertébrale, qu'il ignora magistralement.
Le moindre son qu'il essayait de produire se retrouvait étouffé dans sa gorge. Il se contenta de lever deux yeux choqués, apeurés, sur le visage fermé de Jihal.
Ce dernier avait repris un calme mortel, à l'image de celui qui sévissait sur la pièce.
— Une vieille technique, celle de l'espion. L'espionne, plutôt, qui a dû user nombre de ses charmes pour tenter de me faire réagir. J'éprouve un peu de peine pour elle, tant d'efforts pour quelqu'un qui se fiche bien de l'envoûtement féminin.
Le plan d'Esol s'était retourné contre lui dès le départ. Jihal avait deviné avec une aisance déroutante la supercherie, et il y était insensible. Rien ne semblait avoir fonctionné, contrairement à ce qu'Aélia avait raconté. Et pourtant, elle avait fourni un excellent travail. L’ennemi était simplement plus malin qu’elle.
Il avait berné et l'espionne, et le roi. D'une pierre deux coups, et bien placés de surcroît.
— Mais passons. De tous les endroits où vous pouviez l'envoyer, il a fallu que vous choisissiez celui de ma mission. Voyez, l'Est rencontre son lot de problèmes également, comme chaque royaume. Depuis quelques temps, le roi et moi sommes sur la trace d'une troupe de marchands que nous soupçonnons de détourner des bijoux pendant leur trajet entre nos deux capitales. Le nombre de richesses varie d'une manière surprenante entre le départ et l'arrivée, et ce dans les deux sens.
— Quel rapport avec…
— Oh, j’y viens, le coupa Jihal d'un ton sec.
Le second bouillait de l'intérieur, de plus en plus à mesure qu'il reprenait la chronologie des événements.
— La dernière fois que j'ai été en ville, et précisément chez la fausse fleuristerie où vous m'avez trouvé, je suivais les consignes de mon roi. Nous savions que la troupe visée était en ce moment à Alioth, et qu'elle fréquentait ce genre d'établissements. J'ai passé du temps à discuter ouvertement avec quelques uns de ses membres, ce qui ne m'a mené nulle part. Alors quand j'y suis retourné, je devais me tenir à l'écart et les écouter, dans l'espoir d'en apprendre plus et de comparer mes deux versions.
Tout commençait à prendre sens pour Esol. Les missions respectives des deux hommes s'étaient entrechoquées au pire moment possible, cela expliquait déjà le regard fuyant de celui qu'Aélia avait confronté.
— Maintenant dites-moi, conclut Jihal. A votre avis, qui a ruiné ma mission ?
— Vous pouvez toujours y retourner bientôt, et…
Esol s'accrochait aux branches mortes. Sa seule solution était de tomber le plus doucement possible.
— Ils partaient hier. Au mieux, vous avez retardé mon intervention de plusieurs semaines. Au pire, vous avez troué vos propres caisses d’or avec celles de l’Est. Alors une nouvelle fois, qui a ruiné ma mission ?
Esol se résolut à avouer sa faute.
Il n’avait que cela à faire, se rapetisser face à l’évidence. Il avait commis une erreur assez conséquente qui n’aidait absolument personne.
— C'est moi.
— C'est vous.
Jihal se tut un instant. De cette manière, il fit peser le poids de son accusation sur le dos du roi, pour lui faire comprendre l'étendue de sa bêtise. Comme à un enfant qu'on punissait pour avoir été trop gourmand de sucreries qui ne lui appartenaient pas.
— Malgré tout, cet incident m'aura permis de trouver un bon moyen de vous faire réagir, et d'avoir ensemble la conversation que nous avons maintenant. Elle est importante et j'espère que vous ouvrez grand vos oreilles.
Le roi comprenait petit à petit où il voulait en venir. Toute cette histoire contenait une morale, une leçon qu'il n'entendrait qu'une fois. Il croisa les bras sur sa poitrine et se tritura les doigts, maigre rempart face au flot des mots de Jihal.
— Vous avez joué le jeu de mon espionne, du début jusqu'à la fin, devina-t-il.
— Exact. Les hommes que je voulais observer ont quitté le bar lorsque votre amie m'a tendu la fiole. Je suis certain qu'ils m'ont repéré par sa faute. Je venais de voir ma mission échouer à cause de votre petit jeu, alors j'ai décidé de m'y prendre. J'ai écourté cette petite discussion et j'ai accepté toutes ses conditions. Puis j'ai attendu que le poisson morde à l'hameçon… Et regardez donc qui j'ai pêché !
Il appuya sa métaphore d'une main tendue vers Esol et d'un rire grinçant.
— Je suis extrêmement déçu, Sire. Déçu de la personne que vous montrez, car celle que vous êtes se tient loin de ces idées enfantines, de ces jeux du chat et de la souris. Que pensiez-vous faire, découvrir à mon propos ?
— Vous êtes l'envoyé d'un ennemi, je ne peux vous faire confiance.
— Mais vous n'essayez pas pour autant. Vous faites preuve d'une mauvaise foi monstrueuse, comme je n'en ai jamais vu.
Sa voix s'adoucit imperceptiblement, devenue presque émotive. Sa colère, sa frustration, cachaient en réalité une peine et le sentiment d'être simplement démuni.
— Vous ne m'avez laissé aucune chance. Dès le départ, vous vous êtes battu contre l'image horrible que vous aviez de moi. Je ne sais pas comment vous me percevez, mais je suis déjà fatigué d'essayer de changer cela. Je n'aurai jamais le contrôle sur vos pensées, et l'univers entier sait que je ne le veux pas ! Mais sachez que vous venez de gagner une bataille contre vous-même, Sire, pas contre moi. Le seul couteau que vous sentez dans votre dos y a été planté par vos propres mains.
Jihal fixa le roi droit dans les yeux. Esol n'y lut ni la rage qu'il y percevait plus tôt, ni la pitié que beaucoup lui offraient. Il ne fut transcendé que par un espoir gigantesque qui demandait à être saisi, un lien fragile désireux qu'on l'attrape. Jihal lui soumettait une demande précieuse de vérité, et le souverain savait qu'au fond, il avait tous les droits de le faire.
— Il est trop tard pour changer ce que vous pensez que je suis. Vous seul pouvez décider de faire évoluer cette idée, ou pas. Je serai votre pire ennemi ou votre meilleur allié. Votre poison ou votre remède. L'homme à qui vous pouvez parler, ou celui qu'il ne faut pas écouter. J'ai une mission, et elle consiste à régler un conflit. Je l'achèverai, qu'importe le personnage que je dois interpréter.
En quelques pas rapides, il rejoignit la porte contre laquelle Esol était toujours adossé. Le roi se décala, et Jihal ne lui jeta pas le moindre regard avant de le quitter, toujours profondément dépité.
Il le laissa sur un dernier conseil, certain que ses mots sauraient toucher l'endroit juste.
— Mais soyez alors sûr de celui que vous voulez me voir jouer.
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03/06 ;;
Une de mes interactions préférée, celle qui m'a foutu des frissons en la rêvant ahhh- jles aime fort :')
(I am en média c'est clairement Jihal, puis elle m'a inspiré la scène)
Si pour vous aussi c'est la guerre parcoursup en ce moment, je vous souhaite bon courage ! Vous allez trouver une bonne formation vous en faites pas, on est dans les premiers jours alors c'est normal que les files d'attente soient bien remplies
Je reviens crier de joie dans quelques jours si j'ai Lyon ou Strasbourg, mais pour l'instant j'ai Lille qui était mon 3eme choix alors je m'en sors bien !
Take care ♡
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