06 ♕︎

La salle n'était pas si grande qu'Esol l'avait visualisée, ce qui n'était pas à son avantage pour se dissimuler de Jihal et d'un potentiel danger. Il ne savait pas ce qu'était exactement cet endroit, qui ressemblait pour l'heure à un bar innocent à l'exception du fait qu'il se trouvait sous une fausse boutique sans lien.

Puisque tout était si secret et dur d'accès, il craignait que l'on comprenne qu'il n'était pas à sa place. Le simple fait d'imaginer ce qu'on pourrait lui faire pour soutirer des informations sur sa présence d'intrus lui donna quantité de frissons d'angoisse. Son seul espoir reposait sur les épaules de Jihal. Il priait pour que le second l'aide, s'il s'attirait des ennuis. Il représentait son coup de poker, si les choses tournaient mal.

Il s'enroula davantage dans sa cape, comme si le froid intérieur qui l'habitait allait le quitter grâce à cela. Avant de continuer son chemin dans son probable couloir de la mort, il se rappela d'une phrase qu'il avait entendue des années auparavant de la bouche d'un professeur.

"Face à l'inconnu, mieux vaut marcher droit que tituber. On se méfie moins de l'homme assuré que de celui qui hésite."

Plus simple de l'entendre que de réellement l'appliquer. Esol se savait capable de le faire, pourtant. Il l'avait déjà fait à de nombreuses reprises, comme beaucoup d'hommes de son rang. Parfois, prétendre d'être un lion dans un inconnu rempli de danger leur avait laissé un répit indispensable à la réflexion qu'ils n'auraient pas eu en avouant être un chaton.

Alors le roi tenta l'expérience une nouvelle fois, absolument incertain de ce qu'il faisait. Il mit ses mains dans les poches de son large pantalon brun pour les réchauffer et par conséquent se détendre, puis il avança finalement, la démarche plus sereine. Son visage était suffisamment relevé pour ne pas paraître suspect à fixer bêtement le sol, et ses yeux oscillaient entre droite et gauche succinctement pour analyser au mieux les lieux.

L'espace se divisait en trois parties distinctes à mesure qu'il le parcourait du regard.
Celle de droite était composée d'un bar en bois sombre verni presque aussi long que la pièce, entouré de tables et tabourets hauts faits pour la consommation. Quelques personnes s'y trouvaient, aux profils variés mais dans l'ensemble, plutôt banals. Rien qui laissait penser à une secte quelconque.

La partie gauche du club sous terre était visiblement réservée à la détente, avec ses canapés rouges courbés et ses tablettes centrales. Jihal s'y trouvait toujours, inconscient de la présence du roi.
Enfin, au fond de la salle étaient pendus des rideaux pourpres menant vers ce qui semblait être des cabines. Lorsqu'un jeune couple en sortit main dans la main en riant, Esol vit que l'intérieur doré était recouvert de miroirs.

— Manteau, veste, sac, couvre-chef et gants, s'il-te-plaît.

Esol sursauta presque lorsque le jeune homme qui s'adressa à lui répéta sa demande. Trop concentré dans son observation, il ne l'avait pas entendu la première fois, ce qui lui valut un jugement prononcé et un haussement de sourcil équivoque. Peu enclin à laisser ses affaires à un parfait inconnu dont il ne savait même pas si c'était vraiment le travail, il tenta de négocier. Une piètre tentative qui aurait pu avoir du potentiel si son interlocuteur ne l'avait pas déjà entendue mille fois.

— Mon argent est dans mon manteau, je ne pourrai pas payer au bar.

— Ecoute, je suis pressé là, j'ai pas le temps de traîner. Tu connais les règles, et comme tout le monde ici tu paieras ta consommation en partant avec ton ticket. C'est pourtant pas compliqué. Et si tu veux pas te ruiner, tu consommes pas.

Impuissant face au système et ne voulant surtout pas se faire remarquer, Esol abdiqua et rendit rapidement son manteau et ses gants au pseudo gardien qui l'avait accueilli. Il espérait pouvoir repartir d'ici sans avoir à les abandonner.

Il réfléchit rapidement à un plan pour se faufiler au plus près de Jihal dans l'espoir de suivre sa conversation et de comprendre qui étaient ses nouveaux amis. Malheureusement, tous les canapés autour du petit groupe étaient occupés par des gens qu'Esol ne tenait pas à importuner. Et puis, il ne pouvait simplement pas arriver de nulle part et demander de s'asseoir avec de parfaits inconnus. De plus, sa voix risquerait d'arriver à l’ouïe fine du second Anhli s'il se rapprochait trop.

Il prit la décision plus sage de se fondre totalement dans la masse en se plaçant stratégiquement au bar sur un tabouret le plus proche de la sortie. Pour assurer sa couverture auprès des serveurs, il se résigna à commander la boisson la moins chère de la carte, qui s'avérait déjà posséder un prix exorbitant. Jihal se permettait manifestement des établissements à la limite du luxe. On lui servit un breuvage limpide certifié sans alcool qu'il porta une première fois à ses lèvres pour le tester. Le goût n'était pas déplaisant, et par ailleurs assez sucré. Il le dégusta sans problème.

De là où il se trouvait, il pouvait voir Jihal sans que ce dernier n'en fasse autant. Il pouvait analyser chacune de ses expressions, et même lire quelques mots sur ses lèvres lorsqu'il ne parlait pas trop vite.
Rien ne l'alarma dans ce qu'il parvint à suivre de la conversation du second.

Le temps passa, les minutes devinrent des dizaines, et Esol se rendit compte qu'il avait passé pratiquement deux heures à observer un homme comme un maniaque. Il constata avec stupeur l'augmentation fulgurante de ses frais, puisqu'il s'était retrouvé à commander plusieurs verres du délice auquel il avait goûté, pensant limiter la casse en prenant le moins cher. Son absorption dans sa mission ne lui avait pas réussi. Si ses dépenses s’étaient au moins avérées utiles, il ne s'en serait pas tant voulu.

Finalement, il avait perdu deux heures à fixer étrangement un homme prendre du bon temps avec des amis. Il ne se rappelait pas avoir fait quoi que ce soit de plus inutile et dérangeant de sa vie.

Lorsque Jihal manifesta son départ, il s'engouffra dans les toilettes situées derrière le bar pour être certain de l'éviter. Il y resta quelques minutes, dans un silence entrecoupé par le bruit des portes qui s'ouvraient et se refermaient sur le passage de quelques clients.
Une fois assuré qu'il éviterait tout ennui et qu'il était normalement hors de danger, depuis le temps qu'il se trouvait dans le club sous-terrain, il sortit de cet énième abri.

Il soupira profondément et se frotta les yeux. Il avait le sentiment d'être coincé dans une interminable partie de cache-cache, et il était ravi d'enfin s'en échapper. Hormis créer un trou dans ses finances, cette sortie en ville n'avait pas servi à grand chose.
Il avait découvert l'existence d'une fausse fleuristerie qui dévoilait un bar assez riche, certes, mais il ne savait que faire de cette information. Il n'y avait décelé aucune activité illégale, et il était pratiquement sûr qu'il en trouverait une origine claire et saine dans ses registres. Il s'agissait sans doute d'un club réservé à une certaine catégorie de personnes ne souhaitant pas se mélanger avec d'autres, et prêtes à payer cher un service de qualité.

Rien d'étonnant dans cela pour Esol, les plus aisés avaient toujours rapidement dénigré ceux qu'ils considéraient en-dessous de leur classe sociale à Polaris, et ce en particulier dans les capitales.

Il retourna au bar chercher sa note de consommation comme indiqué par celui qui avait pris ses affaires, puis il retourna vers lui, à l'entrée du couloir. Il patienta derrière un groupe qui payait, et s'avança, hésitant. Il n'était pas sûr d'avoir assez d'argent en sa possession, la plupart étant allé à l'écuyer qui gardait son cheval.

— Ticket ?

Esol lui tendit le petit bout de papier et attendit ses affaires en triturant ses doigts, anxieux.
Lorsque l'homme revint et annonça la somme totale, il fouilla dans ses poches pour dégoter sa bourse. La surprise ne fut pas si grande lorsqu'il s'aperçut qu'il lui manquait la moitié de ce qu'on lui demandait. Peut-être que s'il avait gardé son cheval…

— Besoin d'aide ?

Son problème s'aggrava lorsqu'une voix forte s'adressa à lui dans son dos.
Il ne la connaissait que trop bien.

Il ferma les yeux une seconde et se retourna finalement, droit comme un piquet, pour faire face à une des personnes qu'il souhaitait le moins revoir de tout Polaris.
Darmin Arius, dirigeant de Phad, capitale marchande et centre éminent des richesses de l'Ouest.

Son sourire narquois et son air arrogant ne l'avaient pas quitté en déjà deux ans à cette fonction. Il ne méritait pas un tel travail pour encenser son égo, d'après Esol, et pourtant il l'accomplissait bien. Grâce à lui, l'économie était stable et mieux que cela, s’améliorait. Il flairait toujours la route idéale pour les transports de marchandises essentielles, il possédait un large réseau de contacts et savait avec qui échanger, tout cela avec une aisance certaine pour parler et charmer les gens à l'aide de sa jeunesse.

Il aurait été un dirigeant exemplaire si son manque cruel d'humilité n'avait pas dévoré tout ce qui faisait de lui un homme agréable. Mais personne n'était parfait.

— Darmin. Ça fait longtemps.

Le roi tendit sa main pour le saluer, réflexe qui ne transmettait plus aucune politesse depuis bien longtemps. Darmin la saisit sans oublier de mettre toute sa poigne dans ce contact, symbole d'une quelconque supériorité dont il ne doutait absolument pas. Il ne doutait de rien, même face au roi.

Il n'était fait que de confiance et d'ambition, deux valeurs disproportionnées dans son cas. Il croyait dur comme fer que le gel qui plaquait ses cheveux noirs vers l'arrière lui allait bien. Il croyait que le maquillage coûteux qu'il s'offrait suffisait à cacher ses cernes et à lui donner un air imposant. Il croyait que sa posture, les mains dans les poches d'un pantalon en velours hideux, lui donnait de la prestance alors qu'elle le faisait paraître négligé. Enfin, il était persuadé que donner de la puissance à sa voix cachait ses sursauts aigus lorsqu'il s'emportait.

— Je ne vous le fais pas dire ! Alors, des ennuis de porte-monnaie ?

Touché. Il allait droit au but, parlant fort et sans gêne. Toutes les occasions étaient bonnes pour asseoir sa richesse évidente, déjà portée sur ses bijoux encombrants. Chaque mouvement qu'il exécutait était marqué d'un bruit de mailles d'or de ses divers bracelets, agités comme un carillon moqueur.

— Je n'avais pas prévu de me retrouver ici, et vous savez ce que c'est… On s'emballe, puis la note tombe.

Esol préféra rentrer dans son jeu, dans l'infime espoir de s'en débarrasser au plus vite. Mais Darmin était une réelle sangsue. Une fois sur sa proie, on ne l'en détachait plus.

— Il y a ceux qui prévoient, et ceux sur lesquels les plans s'écrasent.

Sa remarque provoqua son hilarité solitaire, à laquelle le roi s'accrocha par pitié. C'était bien tout ce que lui inspirait le jeune dirigeant, désormais.

Darmin dépassa Esol, et son parfum à l'odeur exacerbée de sauge et d'agrumes pénétra les narines du roi pour ne plus en sortir. Il donna son ticket et récupéra ses affaires, puis sortit une liasse de billets roulés de sa bourse en cuir. Ses longs doigts pleins de bagues la caressèrent pour en saisir seulement deux qu'il tendit à l'employé du club. Cela acheva de dégoûter le roi de cette entrevue.

— Et voilà Sire, c'est réglé.

Sans même demander son avis, il avait payé la consommation d'Esol. Au vu de la somme qu'il venait de dépenser, il avait même ajouté un supplément, une manière de plus de narguer son supérieur hiérarchique.

— Merci, Darmin. Je vous revaudrai ça.

Un remerciement simple, et il priait pour que cela suffise à quitter les lieux et enfin rentrer chez lui. Il attendait juste l'ultime remarque du dirigeant envers son erreur de prévoyance, et il pourrait s'en aller.

— Si vous voulez surveiller quelqu'un, pensez aux espions. Payez-les bien, et le sale boulot sera fait à votre place, sans dépenses futiles et sans risques. Sinon, augmentez vos taxes !

Il accompagna sa réplique d'un clin d'œil et d'un rire gras, puis emprunta le chemin de la sortie, laissant Esol abasourdi. Avait-il deviné que le roi était là pour observer Jihal, ou se doutait-il simplement que sa présence n'était pas liée au divertissement ?

De retour au château, cependant, il réalisa que cet échange avec Darmin n'avait pas été si inutile.
Il lui avait même apporté un plan concret pour déterminer les réelles intentions du second de l'Est.

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27/05 ;;
J'avais encore oublié de corriger mon chapitre j'ai failli ne pas poster-
Sinon (puisque avant fallen était du junhao en +), je vous invite à écouter le comeback de seventeen d'aujourd'hui il est magistral :)

Sur ce, je retourne baver sur cette beauté auditive ~
Take care ♡

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