05 ♕︎
Tout était plus simple lorsque la vie d'Esol n'était faite que de mensonges et de trahisons.
Tout était limpide. Andor avait répondu favorablement à une proposition de le faire tomber, et les actes qui s'en étaient suivis n'avaient fait qu'ancrer son avis. Pour couronner le tout, il avait envoyé sa marionnette, Jihal, directement dans le château de l'Ouest pour tout dévorer depuis les entrailles.
Mais après une simple conversation, une énième révélation, Jihal avait offert une pièce supplémentaire au puzzle distordu de l'Est qu'Esol reconstituait. Deux nouvelles théories s'offraient à lui, désormais.
Soit le second s'était trahi sans gêne, et avait révélé qu'il était la menace, le meneur et non le jouet.
Soit il se trouvait bel et bien sous le contrôle d'Andor, et sa version de l'histoire était réellement faite pour rassurer Esol.
Le roi ne savait plus quoi croire. Ou qui.
Si sa harpe avait su calmer ses pleurs, remettre les événements dans l'ordre, chacun à sa place, elle n'avait pu lui apporter une réponse plus précise à ses éternels questionnements.
Il était cependant certain d'une chose. Il s'était montré prudent vis-à-vis de l'arrivée de Jihal, mais à partir de ce jour, il se ferait méfiant, paré à l'attaque. Chaque parole, même criante de vérité, devrait être remise en doute. Chaque geste, même anodin, devrait être interprété. Chaque proposition pouvait être un rouage dans une mécanique géante orchestrée par le second Anhli.
Pour l'heure, Esol possédait entre ses mains plusieurs ébauches de plans visant à trahir Jihal, ou bien son roi, selon celui qui devait être démasqué. Le plus difficile jusqu'ici avait été de trouver des parades contre son ennemi, mais depuis la veille, la partie la plus rude était de deviner celui avec qui les utiliser.
Et le tout ne devenait que plus complexe lorsque Jihal avait décidé de disparaître du château.
Le roi avait appris de ses erreurs, et cette fois, il ne perdit pas sa matinée à chercher le second dans le moindre recoin de la bâtisse. Par une fenêtre, il l'avait vu quitter les lieux, galopant comme pour échapper à l'ambiance tendue et assombrie qui siégeait. Il s'était dirigé vers le sud, probablement pour rejoindre le centre de la capitale. Sans réfléchir davantage, sans prévenir personne, Esol l'avait suivi à la trace.
Il n'avait pas été trop complexe de le traquer, puisque le sol laiteux gardait la moindre marque de pas ou de sabot visible des heures durant, grâce à la récente pluie. Lorsque les chemins de terre laissèrent place aux routes pavées, cependant, la chasse fut plus ardue.
Esol avait oublié combien la ville d'Alioth était vivante, de jour comme de nuit. Il dut ralentir lorsqu'il vit à quel point la foule était compacte. Malgré ses longs cheveux qui couvraient son visage et le cachaient des gens, quelques regards curieux le convainquirent de laisser son cheval à une écurie avant d'être trop remarqué. Ses déplacements dans cette vaste fourmilière seraient plus libres à pied, et le seul inconvénient à cela était la perte de visibilité en hauteur. Jihal avait dû troquer son cheval pour ses bottes aussi, s'il voulait circuler en paix.
La première chose qui frappa Esol, ce fut le manque de courtoisie des gens. S'il ne se rappelait pas de la ville comme étant si chaleureuse, il se souvenait encore moins du manque d'enthousiasme chez ses habitants. Il s'était fait traité comme un voyageur ennuyant mais opportun à arnaquer avec des prix flamboyants, en faisant garder son cheval. La politesse avait dû être arrachée de la bouche de l'écuyer, un trentenaire grisonnant bien avant l'heure.
Si les bordures de la ville étaient remplies de résidences de nobles, plus riches par leur cirage de chaussures que par leurs réelles capacités, le centre n'en voyait pas le reflet. La population d'ici se situait dans un entre-deux assez déroutant. Personne n'était manifestement aisé, ou au contraire visiblement pauvre. L'ensemble des structures, des routes jusqu'aux toits des divers bâtiments, restait propre et entretenu dans le temps. Mais un cadre respectable et abordable ne suffisait pas à rendre les gens plus sympathique, encore moins heureux.
Le brouhaha auquel Esol s'attendait en avançant entre les étals du marché était ennuyant à la manière d'une mouche qui tournait autour de lui sans se décider à se poser. Pas un rire, pas une relation visible entre vendeur et client, pas la moindre trace d'envie d'être ici, plutôt une nécessité ambiante.
Le roi parcouru encore quelques ruelles à la recherche d'un calme approximatif qu'il ne trouva que dans les roucoulements d'oiseaux gris et noirs, aussi ternes que le troupeau d'humains au-dessus duquel ils volaient. Il n'avait passé qu'une demi-heure en ville, et déjà il voulait rentrer. S'il avait désiré s'échapper du silence morbide et de ses pensées fracassantes du château, c'était manqué. Il retrouvait autant de tout cela dans le reste d'Alioth.
Déçu, il s'accrocha néanmoins à la mission qu'il s'était attribuée pour se redonner un semblant de courage et de volonté. Il devait mettre la main sur Jihal et comprendre ce qu'il venait faire dans une ville si fade.
Il sut d'avance qu'il aurait bien des difficultés à le retrouver dans un centre-ville si vaste et bondé, alors il ne se fit pas trop espérant et se contenta de bien observer. Il se dit que si la chance le voulait, il finirait par l'apercevoir quelque part. Sinon, cette escapade solitaire et risquée n'aurait pas été inutile puisqu'elle l'aurait distrait de ses responsabilités ainsi que de ses songes.
Alors qu'il rebroussait chemin pour se rapprocher de la sortie où l'attendait son cheval, par mesure de précaution, une musique discrète parvint à ses oreilles. Curieux, il la suivit sans y penser. La mélodie s'intensifia et le ramena un peu plus profondément au cœur d'Alioth, pour se transformer en véritable concert sur la place principale. Elle était étrangement vide, à l'exception d'une fontaine qui voyait s'ériger une sculpture haute comme trois hommes d'un des deux fondateurs de Polaris, Médor. Lui et son frère, Phild, étaient les premiers rois de la planète, et une statue à l'effigie de chacun se tenait fièrement dans leurs hémisphères respectifs.
La musique qu'Esol avait suivie naissait aux pieds de Médor. Un petit groupe jouait d'instruments de cultures bien différentes et inhabituellement manipulés ensemble. Le roi aurait juré assister à son premier sourire de la journée, lorsqu'il le discerna sur les visages des cinq membres de la bande. A son grand étonnement, les personnes qui s'étaient arrêtées pour les regarder jouer se comptaient en un coup d'œil. Loin de la foule déchaînée qu'il imaginait danser ou au moins taper en rythme du pied autour d'une telle sonorité.
Il faillit oublier la raison pour laquelle il s'était rendu en ville tant il se laissa absorber par la musique, jusqu'à ce qu'un mouvement n'attire son regard, non loin de lui.
Il s'éloigna doucement du groupe pour prendre de la hauteur et s'assurer de ce qu'il venait de voir. Lorsqu'il reconnut la carrure du second de l'Est, il ne douta plus.
L'homme s'était également stoppé un moment pour apprécier la musique, et il repartait tout juste de la grande place. Il se rendait à l'opposé de la sortie dont Esol voulait se rapprocher, mais celui-ci n'y songea même pas en le suivant.
Par chance, sa traque ne le mena pas très loin, puisque Jihal entra chez un fleuriste après avoir traversé une paire de rues. Le roi se demanda ce qu'il pouvait bien vouloir faire dans une boutique si reculée et certainement pas parmi les plus jolies de la ville. Certainement pas lui acheter des fleurs, en tout cas.
Il resta caché sur le côté de l'enseigne dans sa longue cape bleue nuit, scrutant le moindre geste du second. Ce dernier s'adressa à la gérante de la boutique, une jeune dame vêtue d'un costume complet à rayures, sans rapport évident avec son métier. Ils rirent ensemble, puis elle lui fit signe de la suivre plus loin dans la boutique.
Lorsqu'ils disparurent de son champ de vision, Esol s'empressa d'entrouvrir la porte en évitant soigneusement de toucher le fil de la sonnette, qui l'aurait immédiatement trahi. Il passa non sans mal dans le petit espace disponible, et fit ses pas aussi discrets que possible. Il profita dans son passage de l'odeur de la végétation, bien plus flagrante que les fleurs elles-mêmes, abîmées pour la plupart, sèches pour d'autres. La fleuriste n'avait définitivement pas l'air dans son élément, quelque chose ne tournait pas rond.
Esol arriva dans un couloir qui tournait à droite à son extrémité. Pour être certain de ne pas se faire repérer au retour de la gérante, il ouvrit la première porte qu'il trouva et se dissimula derrière elle sans la refermer complètement.
— … Sonnez, je viendrai.
Il rata le début de la consigne donnée à Jihal, mais il ne manqua pas le retour de la soi-disant fleuriste au comptoir de l'entrée. Sans un bruit, il sortit de sa cachette et se faufila jusqu'au tournant du couloir. Il jeta un coup d'œil avant de poursuivre son chemin, qui s'arrêta sur une ultime porte à moitié blindée. Rien ne collait, dans cette boutique. D'abord, la gérante ressemblait davantage à une femme d'affaire qu'à une fleuriste, et ensuite, les locaux étaient plus probablement ceux d'une secte qu'un lieu propice pour la pousse de plantes.
Esol posa sa paume sur la poignée de la porte en fer. De l'autre côté, il put entendre un bruit constant de musique mêlé à celui de conversations animées. Cela le rassura autant que ça l'inquiéta. Ce qui se trouvait derrière cette porte avait peu de chances d'être un petit groupe en réunion secrète, qui le repèrerait dès son entrée. Néanmoins, il n'aimait vraiment pas les endroits bruyants et mouvementés, spécialement en intérieur et sans sortie visible. Et puis, rien ne disait qu'il ne se ferait pas arrêter directement dans son enquête par un potentiel garde.
Il tâcha de mettre ses doutes de côté, et attrapa fermement la poignée.
La porte s'ouvrit dans un cliquetis imperceptible.
—— ♔︎ ——
Sans le vouloir, Esol avait fermé les yeux.
Lorsqu'il les rouvrit, le volume de la musique avait augmenté et un escalier en béton trop peu éclairé était apparu devant lui. Le tout descendait sur environ trois mètres.
Le roi retint son souffle. La situation ne faisait qu'empirer, et il songea à s'enfuir en courant avant de s'enfoncer là où il ne désirait surtout pas aller, à savoir dans un lieu bondé, confiné, bruyant et sans issue.
Il parvint cependant à avancer sur deux marches, les jambes flageolantes, pour refermer délicatement la porte blindée. Il s'assura qu'il pouvait toujours l'ouvrir depuis l'intérieur, et ne poursuivit sa descente qu'une fois cela fait plusieurs fois. Il ne comptait pas risquer de se faire enfermer dans la gueule du loup.
Si Lorne avait été là, il l'aurait sans doute traîné hors des lieux sans attendre. Sans parler du fait qu'il le connaissait par cœur, lui et son aversion pour ce genre d'endroits, il était aussi dans son rôle de protéger le roi d'éventuels dangers dans lesquels il n'avait clairement pas besoin de se fourrer. Poursuivre cette enquête seul, sans préparation, était tout bonnement imprudent de sa part, Esol le savait. Pourtant, malgré ce que lui soufflaient sa rationalité et sa peur, il accéléra le pas pour se retrouver en bas de l'escalier plus rapidement qu'une inspiration.
Un énième couloir partait cette fois-ci à gauche, là où l'ambiance changeait radicalement. Esol colla son dos contre le mur et fit redescendre son rythme cardiaque au mieux avant de décaler sa tête pour analyser rapidement la pièce que desservait cette allée.
Il reconnut bien vite Jihal, installé sur un canapé rouge au milieu d'un groupe qui riait ensemble.
Au fond, il était effrayé et rebrousser chemin le tentait toujours irrésistiblement.
Mais malgré ses appréhensions, sa méfiance envers lui, envers ce lieu…
Le sourire de Jihal le rassura indéniablement, source attirante de lumière dans l'ombre qui l'engloutissait.
Il avança.
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20/05 ;;
Actuellement aux Pays-Bas en train d'acheter des bubble teas partout (donc tout sauf des choses de touriste)
Et en train de ruisseler sous la pluie, du détail ça
Take care ♡
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