04 ♕︎
Esol ne revit pas Jihal de la matinée. Pourtant, on ne put dire qu'il ne le chercha pas.
Le roi erra dans les couloirs des heures durant, les yeux hagards, se mouvant comme un papillon à qui on aurait brûlé une aile. Tout se brouillait autour de lui. Les salles dans lesquelles il entrait lui devenaient étrangères, les portes closes qu'il forçait de tout son être prenaient une forme disproportionnée par rapport à son corps minuscule. Il s'était fait de nombreuses ecchymoses, à force de lutter contre une serrure qui ne cèderait pas à ses avances.
Il aurait dû le croiser, ce n'était pas normal. Il n'avait fait que le chercher, scruter chaque pièce, même celles où il n'entrait plus depuis longtemps. Impossible pour lui de trouver Lorne non plus. Il se mit à craindre le pire, et entra dans un état second inquiétant. Plus rien ne lui paraissait réel, chaque personne ou objet qu'il croisait prenait une forme d'ombre menaçante qui s'étirait autour de lui pour l'envelopper, le dévorer.
Il se rappela avoir jeté un vase dont il avait jugé le visage mauvais. L'objet de porcelaine s'était heurté au mur du couloir et avait simplement explosé en une centaine de morceaux. Avec l'intensité du choc, Esol en avait senti quelques uns lui déchirer la peau des jambes et du bras gauche.
Ce fut ce qui le ramena à ses esprits. Soudain, il comprit qu'il ne réalisait plus ce qui se trouvait réellement autour de lui, et qu'il pouvait se mettre en danger, ou pire, mettre en danger autrui.
Exactement comme sa mère.
Cette pensée lui glaça le sang. Il ne finirait pas comme elle, il se l'était promis. La pauvre femme avait subi un sort qui ne dépendait pas de sa personne, et Esol refusait de laisser une quelconque maladie inconnue le tuer. Personne n'avait jamais saisi ce à quoi la reine avait succombé, mais tous s'accordaient à dire que son fils y passerait aussi. Esol prouverait l'inverse.
Il entreprit de cacher les débris du vase derrière un rideau en entendant quelqu'un arriver au loin, et se promit d'y revenir dès que possible pour les nettoyer.
Puis il se souvint qu'il était bientôt l'heure de manger, que sa recherche désespérée avait occupé sa matinée. Il décida de se rendre dans la salle à manger, et d'attendre patiemment le retour de Jihal, ainsi que l'arrivée de Lorne.
Il s'assit dans son fauteuil, devant un couvert déjà mis en place, et patienta. Les minutes se firent assez longues pour le laisser divaguer à nouveau. Il avait besoin de voir un visage familier. Il n'en avait croisé que des atroces, ce matin. Il avait besoin de Lorne, de son calme, de son aura qui était bien la seule à toujours parvenir à le rassurer. Il entrait petit à petit dans une colère noire, qui s'intensifiait avec les secondes. Le pire, c’était qu’il ne savait plus dire ce qui l’avait tant énervé en premier lieu.
Lorsque Lorne passa la porte de la pièce, tout sourire, cette rage implosa.
Esol se leva de sa chaise, la fit tomber au passage, se rua vers son second et…
… changea de direction à l'ultime seconde pour empoigner Jihal par le col.
Il plaqua le second de l'Est contre le mur, et le sourire de Lorne laissa échapper un cri de surprise.
— Esol ?!
Son appel ne servit à rien. Le roi fixait Jihal droit dans les yeux, regard empreint d'agressivité à laquelle l'homme qu'il tenait fermement répondit d'yeux adoucis. Plus Esol resserrait son emprise, plus les perles émeraude qui le sondaient se teintaient de bienveillance.
— Vous comptez me tuer ?
Esol ne se laissa déstabiliser par rien de cela. Il aurait aimé que Jihal soit également fait de porcelaine, qu'il puisse le jeter contre un mur et le voir tomber en minuscules pièces détachées. A cet instant, il ne désirait qu'une chose par-dessus tout. Entendre son souffle disparaître entre ses mains, voir ses yeux se fermer, arrêter de le scruter avec cette pitié mal dissimulée, sentir son corps s'alourdir alors qu'il se laissait aller à l'état de cadavre.
Il ne voulait que cela, c'était bien tout ce dont il avait songé depuis l'instant où il s'était levé. Pourtant, il n'en fit rien, et il ne résista pas lorsque Lorne le tira vers lui. Il lâcha Jihal, qui respira correctement à nouveau. Pas une trace de peur ou de colère ne sillonnait son visage. Comme s'il s'attendait à une telle réaction, ou bien comme s'il y était habitué.
— Jihal, je suis désolé, je ne comprends pas, c'est la première fois qu'il…
Messire Anhli leva une main pour l'interrompre.
— Je sais, répondit-il en se raclant la gorge. Ça se voit. Ne vous excusez jamais pour les autres, Lorne.
Esol glissa sur le sol et vint plaquer son dos contre le mur, à la manière d'un enfant puni. Il nota malgré sa torpeur l’usage de leurs prénoms respectifs entre les deux seconds, signe d’une familiarisation nouvelle. Mais ça ne rajouta pas de bûche à son feu intérieur. Il n'était plus en colère.
— Mais il… Il est hors de lui, il ne maîtrise rien, et…
Jihal s'agenouilla et fit face au roi qui, la tête cachée contre ses genoux, semblait voguer entre le conscient et l'inconscient. Il n'était pas recroquevillé de la sorte par vulnérabilité, encore moins par culpabilité. Il cherchait ses repères, et il ne les trouvait pas.
— Je crois au contraire qu'il sait parfaitement ce qu'il fait.
Lorne écarquilla les yeux. Impossible, Esol n'avait pas les idées en place.
— Pouvez-vous nous laisser ?
— Non, Jihal, je ne peux pas vous laisser seul ici avec lui. Qui sait ce qu'il pourrait faire ?
— Nous le savons, je pense. Il ne s'agit pas d'un chiot apeuré au comportement imprévisible. Il a ses raisons, et je crois en connaître la plupart.
Messire Dyrne secoua négativement la tête.
— Quand bien même, ce n'est pas prudent.
Jihal tourna un visage résolu vers l'autre second.
— En vertu de ma mission, Lorne, et pour sa réussite, je vous demande de quitter cette pièce. Il n'est pas nécessaire de nous attendre à la sortie non plus.
La demande, à la manière d'une formule magique, fut plus efficace que n'importe quel argument. Lorne n'avait pas le droit d'interférer avec la mission diplomatique de Jihal, et il le savait. Résigné, il quitta la salle après un dernier regard peiné et anxieux vers son roi.
Lorsqu'il se retrouva seul avec Esol, il se mit à sa hauteur, et sortit un objet pointu de la poche de sa veste. Le roi vit le tranchant briller à la lumière du soleil, la tête à moitié sortie de sa cachette. Sous l'effet de surprise, il donna un coup dans le bras de Jihal et envoya valser l'objet cinq mètres plus loin. Il se releva en une fraction de seconde, et se mit en position de défense.
Jihal se contenta d'aller récupérer son bien à l'autre bout de la salle d'un pas naturellement posé. Il le mit en évidence en revenant auprès d'Esol, qui se ravisa.
— Si je comptais vous tuer, j'aurais sûrement employé un moyen plus efficace et moins… Sanglant.
Ce que le roi avait pris pour un poignard se trouva être un morceau du vase qu'il avait projeté contre le mur du couloir quelques minutes plus tôt.
— Personne ne l'a remarqué, pour l'instant, et j'ai ramassé cela sans que Lorne ne me voie. Mais vous voudrez sans doute nettoyer le reste avant qu'il ne constate que vous n'en étiez pas à votre premier excès de colère.
Il se frotta la nuque dans un geste évident.
— Vous avez un second empli de bienveillance, Sire. Mais la bienveillance cache souvent un brin de naïveté. Un conseil, n’abusez pas de cela.
Esol ne répondit pas, le visage toujours repeint par la menace. Son expression s'adoucit cependant légèrement en constatant que Jihal l'aidait à réparer sa bêtise. Son comportement ne changea pas, chargé de mauvaise foi, et il arracha presque le bout de porcelaine des mains de Jihal avant de se détourner.
Il partit seul dans le couloir où gisaient encore les pièces détachées du vase, très mal dissimulées derrière un épais rideau. Jihal le suivit de près, et il s'assura que personne ne les voyait depuis la cour intérieure de l'autre côté des fenêtres. Heureusement, le petit jardin resta vide tout le long de leur bref nettoyage.
— Il vous arrive souvent de menacer des gens avec une telle… Véhémence ? demanda le second en replaçant son col, duquel on observait encore le passage du roi.
Esol se mura davantage dans son silence. Il n'avait pas à lui répondre, il n'avait rien à lui dire. Jihal n'était qu'un intrus, un fauteur de trouble. Il ne savait pas pourquoi il l'aidait à ramasser les morceaux du vase brisé, après son agression plus qu'évocatrice, mais il ne lui devait rien en échange. Après tout, c'était de sa faute, si le mauvais côté du roi ressortait.
— Je vois, fit Jihal, adossé au mur. Vous savez, Sire, je commence à vous cerner. Il ne m'aura pas fallu longtemps pour le faire tant vous m'offrez tous les indices sur un plateau d'argent.
Esol le laissa poursuivre dans son interprétation, qu'il savait fausse d'avance. Il était curieux de savoir ce que ce pseudo devin aurait décelé sur son compte.
— Vous êtes effrayé. Pas de moi, c'est certain et à vrai dire, tant mieux. Vous avez peur de vous, ou plutôt de ce que vous pourriez faire en ma présence qui trahirait ce côté violent et distrait que vous cachez. Vous avez peur pour votre trône, évidemment, peur que je rentre immédiatement à Mizar faire un rapport peu fameux de vos actions qui vous enlèverait votre titre.
Jusqu'ici, il n'avait pas forcément tort. Le roi craignait plus que jamais de voir sa place lui être arrachée par des rumeurs confirmées.
— Et peu importe combien vous dites me vouloir parti au plus vite, il n'en est rien. Vous voulez au contraire me garder le plus longtemps possible ici, parce que c'est le seul moyen d'être sûr que je ne dise rien de mal de vous.
Esol s'était interrompu dans son action. Ce fut un signe d'attention suffisant pour Jihal, qui conclut en appuyant chacun de ses mots.
— Laissez-moi vous donner un conseil. Cessez de vous cacher. Je vois vos mensonges, et ils vous trahissent. Ce sont eux qui vous poussent à faire des erreurs, pas moi. Ma présence ne fait que révéler vos faiblesses alors que vous les déguisez soudainement en forces. Admettre ses faiblesses est aussi important que mettre en avant ses capacités, pour un roi.
— Je n'ai pas peur, hachura sèchement le roi Priam. Je ne suis pas faible. Je n'ai rien à recevoir de votre part, surtout pas des conseils.
Il venait de se relever, un sac rempli des morceaux du vase à la main. Il fixait Jihal, le regard désormais vide de tout.
— Vous n'avez pas besoin de moi, affirma le second. Mais vous avez besoin d'aide, et je vous en propose. Si vous désirez réellement garder votre titre, je vous l'impose.
Pour simple réponse, Esol haussa les épaules. Il se savait démuni, dans cette situation, et son combat contre Andor était inégal depuis le début. Il était épuisé, alors il se laissa tenter. Une manière pour lui d'attirer au moins un peu Jihal de son côté, car il paraissait être le seul enclin à le croire, du moins à essayer de le faire. Et puis, il méritait sans doute un plus courtois échange que ce que le roi avait été capable de lui offrir jusque là.
Pour la première fois, Esol accorda à quelqu'un le bénéfice du doute. A reculons, certes, mais il le fit.
— Que me proposez-vous ?
Jihal acquiesça, comme satisfait. En guise de symbole pour sa bienveillance et sa sincérité, il enleva le sac pesant des mains du roi.
— De vous délester d'un poids.
Sans un mot de plus, il avança dans le couloir, persuadé que son compagnon le suivrait. Et il s'exécuta.
Après avoir jeté les restes du vase, les deux hommes s'en allèrent dans la direction opposée, fuyant les lieux du crime. Jihal menait la marche, tandis qu'Esol le talonnait de près, scrutant ses moindres faits et gestes. Il avait accepté de jouer le jeu, et de ne pas demander où ils se rendaient avant d'y être, mais sa curiosité naturelle mêlée à sa méfiance ne concevaient pas ce choix.
Heureusement pour lui, la destination ne tarda pas à apparaître clairement.
— Après vous.
Jihal indiqua l'intérieur de la pièce au roi, qui s'y engouffra à tâtons. Malgré le noir complet dans lequel l'espace était plongé, il savait pertinemment où le second l'avait amené. Et il fallait admettre que le choix était juste et réfléchi. Ils se trouvaient dans un des rares lieux où Esol avait sincèrement passé du bon temps dans le passé ; le bureau de son père.
Depuis la mort de ce dernier, presque dix ans auparavant, l'endroit était resté intact. Un entretien régulier y était fait, à la demande d'Esol, mais personne n'avait l'autorisation de prendre ou déplacer ne serait-ce qu'un bibelot. Toute la pièce sentait encore les fleurs, odeur mélangée avec celle de la poussière sur la tranche de livres anciens.
Jihal alluma quelques bougies pour y voir assez clair, au lieu d'ouvrir les rideaux pour laisser passer la lumière du soleil, qui aurait pourtant fait le plus grand bien au bureau. Il savait, d'une manière inconnue au roi, que celui-ci n'aimait pas la clarté trop puissante du jour dans des endroits si spéciaux à ses yeux. Il était bien renseigné, et Esol ne sut dire si c'était pour mieux le faire tomber dans son piège ou bien par pure sympathie. Il penchait toujours pour la méfiance, elle était garantie de sécurité.
— Je sais à qui appartenait ce bureau. Appartient toujours, visiblement.
Suivant sa parole, Jihal désigna les nombreuses plantes bien vivantes qui parsemaient les lieux. Certaines tombaient en rideau floral sur les bibliothèques. D'autres, en grand besoin de soleil, se cachaient sur le rebord des fenêtres. Mais la plupart étaient déposées çà et là dans la pièce, et demandaient à être enjambées. Un vrai parcours pour arriver jusqu'au bureau massif central qui jugeait les nouveaux arrivants d'un œil inquisiteur. Il avait toujours impressionné Esol, et ce depuis l'enfance.
— Voulez-vous que l'on s'asseye ?
Le roi ne répondit pas. A la place, il s'enfonça dans un fauteuil large comme deux hommes situé au fond à droite du bureau, collé à une première bibliothèque. Se revoir à cette place si spéciale raviva ses souvenirs et le chargea de réconfort. Il en avait bien besoin, après sa frayeur. Comme un enfant sorti d'un mauvais rêve, il se réfugiait dans les bras de son père pour échapper à une ombre au-dessus de sa tête, son nouveau cauchemar.
La différence avec ses années de prince, c'était que désormais, il emmenait ses peurs nocturnes dans sa zone de confort pour les confronter. Ainsi, il fit signe à Jihal de le rejoindre sur le fauteuil face à lui.
— J'aimerais vous faire une proposition, commença le second.
— Je vous écoute.
— Cet endroit ne sera fait que d'honnêteté. Si cela vous convient, nous pouvons y aller n'importe quand et parler avec sincérité. En tout cas, je le ferai. Vous faites ce que bon vous semble.
— Parce que si je vous demande ce que manigance votre roi, vous serez honnête ? Arrêtez les plaisanteries, vous ne ferez que mentir.
La main sur le cœur, Jihal répondit sans une once d'hésitation dans la voix.
— Andor ne pense pas que du bien de vous en ce moment, c'est vrai. Il est fatigué d'essayer de vous faire comprendre qu'il ne prépare rien contre vous, qu'il ne veut que votre ancienne entente, et qu'il a besoin de vous pour servir les Polariens. La seule chose qu'il a manigancée, c'est mon arrivée ici. Il cherche à vous convaincre de ses bonnes intentions par mon biais. Mon rôle, au travers du sien, est de vous prouver notre innocence tout en vous montrant enfin votre culpabilité.
— Ma culpabilité ? s'offusqua Esol. Je ne suis coupable que d'avoir entendu et vu des menaces à mon égard.
— Lesquelles ?
Le second allait droit au but, sans détour par un quelconque embellissement de ses paroles. Tout son être criait la vérité qu'il prônait, au grand désarroi du roi. Alors Esol décida, lui aussi, de ne raconter que le vrai et de cesser de se cacher derrière lui. Messire Anhli devrait comprendre son histoire mieux que personne, et sa réponse déterminerait la vision que le roi de l’Ouest aurait de lui.
— C'est une histoire intéressante, vous verrez, débuta l'interrogé. Exclusive, de plus, puisque je doute que votre roi vous l'ait racontée. Depuis ce jour, je n'ai fait que surveiller la moindre de ses actions, et chacune s'est déclinée en une étape de ma destruction.
— Je vous écoute.
Jihal s'installa plus confortablement sur son fauteuil, les jambes croisées en tailleur.
Esol commença à raconter.
— Il y a précisément onze mois, peu après le décès de ma mère, Lorne et moi nous sommes rendus à une soirée organisée par Andor à Mizar, pour ses six ans de règne. La capitale était illuminée et bruyante, à l'instar du château. Pour la faire courte, votre roi et certains de ses amis se sont isolés dans une pièce pour converser tranquillement. Ce qui devait arriver arriva, je suis passé devant et me suis arrêté à l'instant où j'ai entendu mon nom. Curieux, je me suis caché derrière la porte entrebâillée, et j'ai écouté la suite.
L'expression du second s'était changée en celle de l'homme qui anticipait la chute d'un récit qui ne lui plairait pas. Le roi ne la remarqua pas, pourtant elle l'aurait stoppé dans son élan tant elle était flagrante.
— Il se trouve que vos amis ne parlaient pas exactement de moi, mais plutôt de ma mère. J'ai entendu plus de rumeurs, rires, et expressions de pitié que je ne peux en compter. Après… Le registre a changé quand cette voix, cette maudite voix s'est élevée. Et c'est de sa faute, si nous en sommes ici aujourd'hui, c'est elle qui a trahi les intentions d'Andor. Si je rencontrais l'homme derrière ces mots, je ne saurais si je dois le haïr ou bien le remercier.
— Et… Qu'a-t-il dit, exactement ?
— Oh, je peux vous le citer, tout cela résonne encore clairement dans ma tête.
Le ton d'Esol s'aggrava.
— Lorsque le fou qui a pris sa place tournera comme sa mère, vous n'aurez qu'à vous pencher pour ramasser les débris de son royaume. Tout sera à vous.
Un rire nerveux résonna dans le bureau.
— Et vous savez ce qu'Andor a fait ? Il a ri. Non pas d'un rire de courtoisie envers l'homme et sa plaisanterie, non... Ce rire d'accord, celui qui veut dire oui, vous avez raison. Et comme si ce n'était pas suffisant, une nouvelle voix s'est faite entendre, disant que s'il voulait récupérer une terre à peu près potable, il ferait mieux de se dépêcher de me faire couler.
Esol se frotta rapidement le crâne. Il était pris de bouffées de chaleur, raconter cette histoire une nouvelle fois ne lui réussissait pas. Tout était encore trop frais dans sa mémoire, trop clair et trop bruyant. Il ne parvenait pas à l'analyser, et la seule réponse qu'il avait tirée de toutes ses interrogations était celle qu'il hurlait partout ; on lui voulait du mal, Andor comme tous les autres. Sinon, il aurait fait taire les voix, il aurait prouvé son amitié.
Ainsi, Jihal conclut son récit à sa place, lui enlevant le poids des mots qu'il ne parvenait plus à prononcer sans avoir envie de vomir sa rancœur.
— Et Andor a répondu à toutes les voix. Celles des deux plaisantins, et la vôtre, murée dans le silence.
Esol leva deux prunelles interrogées vers le second Anhli. Comment pouvait-il savoir cela, alors qu'il n'y était pas ?
La réponse qui parvint à ses oreilles lui glaça le sang.
— Je ne compte pas le laisser détruire la moitié de notre planète. Il faut agir avant que cela n'arrive, sinon il est clair que plus rien ne sera à récupérer. L'Ouest est une fleur impure, fanée, et il est grand temps qu'on le lui fasse réaliser.
Esol se leva brusquement. Il se positionna derrière son fauteuil, un doigt accusateur tendu vers Jihal. Il tremblait, presque sûr d'avoir connecté tous les liens. Il souhaitait encore se tromper, être coincé dans une gigantesque méprise.
Pourtant on lui avait promis la vérité, et il venait de l'obtenir.
Le second ne bougeait pas, entièrement de marbre. Il acceptait le vrai, et il restait sincère dans son engagement de ne dire que cela. Il allumait les lumières dans l'esprit du roi, il le libérait d'un brouillard aveuglant qui l'empêchait d'avancer sans peur. Un épais nuage fumeux qui risquait pourtant de coûter cher dans sa mission, car il dévoilait le chemin menant directement jusqu'à sa véritable nature.
— C'est… Comment pouvez-vous… Qui vous a dit…
— Et il ne le pensait pas de la manière dont vous l'entendez, Sire, je vous le jure. Mais vous ne le croirez pas de ma bouche, puisqu'elle est responsable de tous vos maux.
Esol secoua vivement la tête de droite à gauche. Son doigt toujours tendu s'agita, et il le porta à sa bouche pour le mordiller frénétiquement. Jihal ne baissa pas les yeux un seul instant, insoumis à la vérité, prêt à l'affronter.
D'une voix posée, il prononça les derniers mots nécessaires pour se trahir :
— Tout sera à vous.
— Non. Non, c'est impossible. Je refuse. Vous n'êtes pas lui. Vous n'êtes pas la plaisanterie, pas la cause, pas le poison, pas la vérité. Vous n'êtes pas la voix.
Le roi reculait, centimètre par centimètre. Il s'écartait de celui qui l'avait traité de fou en premier, qui avait promis à son roi une terre donnée par sa déchéance. Celui qui, inconsciemment, l'avait poussé un peu plus dans ce tourbillon interminable de pensées douloureuses, de remises en doute, de questions sur sa légitimité.
— Pour moi, il était évident qu'Andor allait récupérer votre part, à terme, avoua Jihal. Il le méritait, et vous étiez totalement hors de votre esprit depuis la perte de votre mère. Avec les rumeurs, la vérité sur son état… Les probabilités que vous y passiez de la même manière étaient hautes.
Jihal se leva à son tour pour s'approcher lentement vers Esol, comme on avançait vers un animal apeuré pour l'apprivoiser. Le roi, quant à lui, recula jusqu'à buter dans le mur. Il ne cessait de trembler, il voulait que tout s'arrête, que la voix cesse de parler.
— Andor a su me ramener à la réalité, et il m'a fait comprendre qu'il ne voulait pas de l'Ouest, jamais. Pour lui, si Polaris tient encore debout, c'est parce que depuis toujours elle a été sous le règne de deux rois fonctionnant ensemble. Il est inquiet pour vous, et depuis que je vous ai vu en action je le suis aussi. Regardez ce qui vous a mis dans cet état de suspicion permanente, de rage non maîtrisée et de dégoût vis-à-vis de l'Est. Une mauvaise blague. Il doit y avoir plus que cela, mais si de simples mots sont le déclencheur de ce chaos, admettez que quelque chose cloche peut-être dans votre comportement.
Désormais à la hauteur de son cadet, le second baissa la voix pour presque chuchoter :
— Je peux être ici pour deux raisons, Sire. Pour vous faire reprendre confiance, ou bien pour vous donner une réelle raison de croire que vous allez vous effondrer. J'ai envie de vous aider, mais vous devez d'abord admettre qu'il peut y avoir deux versions à une histoire.
Esol ne répondit rien. Un vide profond avait pris place dans son être, le rendant incapable de réfléchir. Il avait trop surchauffé, et il était maintenant impossible pour lui de penser. Il fixait Jihal, le regard suppliant de le laisser respirer. Le second comprit et quitta la pièce sans rien ajouter. Il avait tout dit, confessé ce qu'il pouvait malgré les risques qu'il prenait. Il devait offrir plus que des mots pour aider le roi de l'Ouest, du silence et du temps.
Une fois seul, plongé dans le calme et la noirceur, Esol pleura.
Il ne sut ce qui lui causait le plus de larmes.
Était-ce les mots, et la constatation de leur pouvoir sur lui ?
Ou bien était-ce Jihal, ce même pouvoir entre les mains ?
————————
13/05 ;;
Jihal était pas si sympathique que ça alors
Vos pronostics ; c'est toujours le gars qui veut ruiner Esol, ou est-ce qu'il a changé d'avis depuis le temps ?
Anyway, j'espère que l'avancée de l'histoire vous intrigue toujours, j'ai hâte de poster chaque semaine en tout cas :')
Prenez soin de vous,
With loʌe ♡
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