02 ♕︎

Des cris résonnèrent dans le château.

Esol protestait, rageait, pleurait presque d'angoisse. Il refusait la défaite, il n'acceptait pas la venue d'un traître de l'Est pour lui rire au nez et danser sur son cadavre.
Lorne tentait de le rassurer, de défaire ses illusions, mais en vain. Esol y était embourbé, et à ce point, son second savait qu'il était pour le mieux de le laisser revenir seul sur terre. Cela faisait un bon moment qu'il ne savait plus comment gérer ses crises.

Alors il se rassit, le visage entre les mains, essayant de lutter contre les maux de tête qui affluaient dès que le roi haussait la voix. Il était à peine réveillé, et voilà déjà qu'il désirait se rendormir pour faire taire la douleur lancinante dans ses tempes. Esol ne s'aperçut de rien, trop enterré dans ses hallucinations. Lorne était certain qu'il s'imaginait sur un champ de bataille, poignardé dans le dos par l'entièreté d'un peuple qui ne voulait que sa peau, que son titre, que son trône. Il ne différenciait plus réalité et fiction, car à ses yeux, une armée se dirigeait depuis des mois vers son château pour en découdre.

Jamais il ne lui était venu à l'esprit qu'il pourrait se méprendre, que le roi de l'Est voulait son rétablissement et uniquement cela. Mais comment croire qu'on lui voulait du bien, lorsqu'il pensait ne pas aller mal ?

— Sire.

Esol n'entendit rien. Il faisait les cent pas dans le bureau de son second, à marmonner des mots presque inaudibles, sans grand sens d'un point de vue extérieur. Lorne distingua des menaces, mais il en avait suffisamment l'habitude pour savoir que le roi n'en exécuterait aucune. L'arrivant de l'Est, en revanche, le prendrait peut-être au mot. Il ne le dit pas pour ne pas alarmer davantage le roi, mais il redoutait profondément que ce ne soient ses derniers jours de règne. Lorsque leur visiteur constaterait le réel état mental d'Esol, il ne manquerait pas de le détailler dans un rapport à Andor qui achèverait de désister le roi de l'Ouest aux yeux de la loi.

Andor récupèrerait son hémisphère. Esol irait sans doute mourir dans sa folie, persuadé qu'il avait perdu la guerre qu'il jouait seul. Lorne se retrouverait sans but, esseulé. Le seul point positif à ce scénario se trouvait en la faveur des Polariens. Ils auraient enfin un royaume stable, et pourraient prospérer à nouveau sans subir les tensions d'un gouvernement mort dans l'œuf.

— Sire.

Il le dit plus fort, mais cela ne suffit pas.
Esol commençait à trier des choses sur son bureau, à ouvrir les tiroirs pour en sortir divers papiers dont il n'avait pas le moindre intérêt. Il ne se rendait sans doute plus compte du lieu où il se trouvait, à cet instant. Lorne ne se leva même pas pour l'arrêter dans ses actions, il n'en avait pas la force. Son cerveau allait imploser à force de trop penser, ses oreilles saigner de subir le vacarme du roi.

— Sire.

Un ton au-dessus, mais ce n'était toujours pas assez.
Lorne releva la tête, fixa intensément le roi pour projeter son dernier mot directement dans sa direction.

— Esol !

Celui-ci fit son effet.
Le silence s'installa dans la pièce, tandis que les deux hommes se regardaient.
Dans les yeux d'Esol dansaient rage et incompréhension.
Dans ceux de Lorne suppliaient pitié et abandon.

— Vous devriez…

Lorne soupira. Il laissait encore un instrument réguler les sentiments du roi, tout bonnement parce que lui, son second, en était incapable. Il aurait dû en être capable, pourtant. Il aurait dû être meilleur, parce qu'Esol méritait mieux.

— Vous devriez aller jouer.

La haine dans les prunelles du roi s'effaça alors, remplacée par une immense peine.
Il baissa les yeux pour constater le chaos qu'il avait créé autour de lui. Il se fit attraper par une vague de culpabilité, comme s'il venait seulement de réaliser ce qu'il venait de faire alors qu'il en était normalement conscient.

— Je vais ranger, et je m'en irai…

— Non.

Le mot sonna plus sec que Lorne ne l'aurait voulu.

— Je m'en charge. Laissez tout en place.

— Lorne…

Le second baissa la tête et la secoua de gauche à droite.
Esol ne se sentit que plus coupable et incroyablement stupide.
Il regrettait le moindre de ses gestes, il regrettait d'avoir cédé à sa peur, mais il était trop tard pour se rattraper. Tout ce qu'il était en capacité de faire, c'était respecter la volonté de Lorne, et s'en aller.

—— ♔︎ ——

Durant les trois jours qui suivirent la crise d'Esol, le château fut plongé dans un calme anormal. Très vite, les gens sentirent la tension émaner du roi, et plus personne ne l'approchait alors à moins de dix pas. Lui se contentait de passer la journée dans son bureau, enfermé dans un noir presque total, dont il ne sortait que pour certains repas. Il avait présenté ses excuses à Lorne, mais le second en avait l'habitude et lui avait déjà pardonné. Il en avait vu plusieurs auparavant, et il en verrait d'autres. Cela ne comptait plus.

Il avait passé ces trois minuscules jours à ruminer principalement, à tenter de se distraire par tous les moyens en s'occupant d'affaires de l'Ouest, mais en vain. Il n'avait tout simplement pas la tête à cela, il ne parvenait pas à maintenir sa concentration sur une tâche plus de quelques minutes avant de repenser à l'intrus en chemin pour son domaine. Il avait également joué avec sa harpe autant qu'il le pouvait, presque toutes ses nuits. Il profitait de ce seul instant où il pouvait se permettre de ne plus songer, ne plus respirer sans pour autant suffoquer.

Peut-être qu'une fois surveillé, il n'aurait plus l'occasion de jouer. Plus le droit.
Il ne parvenait pas à se souvenir de tant de choses par rapport à son nouveau bourreau. Sa mémoire lui faisait défaut même lorsqu'il essayait de se rappeler son visage. Il était connu pour sa justesse, son éloquence et son charme. Pour la majorité, il s'agissait là de qualités qui, mélangées ensemble, formaient un homme bon. Pour Esol, c'était en réalité un piège dans lequel tous tombaient, une langue de vipère qui empoisonnait ses opposants pour mieux les contrôler. Il tombait dans un piège dont il ne pouvait se défaire, puisque l'entièreté des voix importantes de Polaris l'y précipitaient.

"Un roi ne pourra en aucun cas refuser la visite politique d'un membre du gouvernement voisin en cas de conflit ou de doute sur ses intentions".

Esol connaissait la loi par cœur pour l'avoir lue et analysée de toutes les façons possibles. Il n'avait pas eu besoin de compter les signatures en bas de la lettre d'Andor pour comprendre que la majorité des dirigeants à l'Est approuvaient cette décision. Celui de Segin, la ville la plus pauvre de cet hémisphère, était le seul accord qui manquait à l'appel. Là-bas, leurs préoccupations devaient être plus importantes qu'un conflit interminable entre deux rois qui ne les aidaient pas suffisamment.

De toute manière, un seul vote ne faisait pas la différence. Esol subirait bientôt un châtiment qui le guettait depuis trop longtemps, à force de le chercher.
Bientôt, et même d'ici quelques secondes.

On toqua à la porte de son bureau.

— Sire ?

Le roi se leva de son fauteuil, les jambes engourdies d'y être resté trop longtemps. Il ouvrit à Lorne et se tint face à lui, les yeux plissés par l'aveuglante lumière du couloir. Son second tirait le visage de celui qui avait une mauvaise nouvelle.

— Il est arrivé, dit-il simplement.

Il se décala pour laisser Esol le devancer. Le roi parvint à marcher jusqu'au hall sans fléchir, mais une fois devant la dernière arche qui y menait, il se figea. Ses yeux s'ouvrirent à mesure que la réalité le frappait.

Un homme se tenait là, plus grand encore que les piliers qui tenaient la structure immense au-dessus de leurs têtes. Plus puissant aussi, son aura le criait. Il était de dos, mais son élégance et son assurance se ressentaient sans problème à des mètres de là. Son costume noir était soigné, de même que ses cheveux bruns coupés nets à la naissance de sa nuque.

Lorsqu'il entendit les pas d'Esol et de son second, il se retourna. Le roi retint sa respiration, mais il n'en tint pas compte. Il pouvait s'étouffer, se noyer dans les deux yeux d'émeraude qui le fixaient. Il pouvait brûler sur place, avec ce sourire qu'on lui adressait. Personne ne l'avait encore détaillé du regard comme cela, personne n'avait déjà porté cette attention à son être. Une attention particulière, de celles qui étaient pleine de bonnes pensées, de sympathie, de charme, d'envie. L'envie de le voir sourire en retour.

Malgré tout ce que cet homme partageait de bon, Esol ne put s'empêcher de percevoir comme la présence d'une autre identité, dans cette salle presque vide. On l’appelait fou pour moins que cela, mais il était persuadé de ce qu'il voyait, ce qu'il ressentait. Il y avait quelqu'un d'autre ici, quelqu'un venu pour son mal. Quelqu'un qui, caché derrière un visage bienveillant, n'attendait que le bon moment pour lui planter une dague dans le dos. Il fallait se méfier, voilà tout ce dont le roi était certain.

Lorne tapa discrètement sur son bras pour l'inciter à avancer vers leur invité, avant de prendre les devants et de le faire lui-même. Esol se permit de respirer à nouveau, et le suivit sans grande envie.
Une fois à la hauteur de la menace, il parvint à la cerner un peu mieux. L'homme fit tomber son sourire et prit une expression neutre. Il offrit au roi et à son second une révérence.

— Ravi de vous revoir, tous les deux.

Depuis sa dernière rencontre avec Esol, il n'avait pas tant changé. Mais ce qui restait immuable, c'était sa voix, grave sans pour autant tomber dans le rauque, mais davantage dans un calme rassurant. Esol ne se souvenait pas l'avoir vu un jour hausser le ton sous la colère, il doutait même de sa capacité à le faire, tant l'homme était maître de lui-même.

Après tout, contrôler sa propre âme était dans son rôle et son avantage.
Jihal Anhli, second du roi Odell.
Il était parfaitement averti de l'enjeu de sa mission, et sa présence au château en disait long sur ce dernier.

— Nous de même, Jihal.

Lorne répondit pour son roi également, sachant pertinemment qu'il ne le ferait pas. Il ne pouvait cacher sa méfiance, pas moins qu'il ne désirait mentir sur son dégoût de recevoir quelqu'un de l'Est dans sa demeure. Son visage avait au moins le mérite d'être authentique et vrai, au contraire de certains.

— Bien.

Le nouvel arrivant croisa ses doigts dans son dos, et offrit au roi une réponse plus qu'inattendue à l'atmosphère antipathique qu'il instaurait.

— Nous savons tous ce pourquoi je suis ici. Nous avons aussi, j'imagine, songé à de nombreux scénarios quant à mes prochains gestes. Je sais que vous, Sire, me surveillez déjà. Je vois vos yeux découper mon être depuis le début, dans l'objectif de percer mes intentions à jour.

Esol tenta de cacher son étonnement. Il ne se rappelait absolument pas du caractère si vif et franc de l'individu, et cela se vit sur son visage.

— Laissez-moi vous aider. On m'a donné pour mission d'observer ce qui se tramait ici, dans la belle capitale de l'Ouest. Je peux vous dire une chose, c'est qu'après un pas dans cet impressionnant château qu'est le vôtre, j'affirme qu'il ne s'y trame pas grand chose. Vous n'êtes pas le grand méchant monstre du conte pour enfants, et je ne suis pas tombé dans le repère d'une quelconque entreprise secrète.

Lorne rejoignit la surprise de son roi. Il ne semblait pas se remémorer une telle assurance non plus.
Jihal les ignora et poursuivit sa tirade.

— Mais il me reste des preuves de ce que j'avance à trouver, ainsi qu'un royaume à redorer, de ce que j'ai saisi. Alors d'avance, je m'excuse de traîner dans vos pattes les jours, semaines, ou mois à venir si vous décidiez de ne pas coopérer. Ne changez rien, ou presque, à vos petites habitudes. Je suis là pour observer et probablement agir, mais je ne serai pas l'insecte qui scrute vos moindres faits et gestes par-dessus votre épaule. Je suis ici pour une mission, et je compte bien l'accomplir en faisant fi de vos impressions sur moi.

D'une manière qu'il ignorait, Esol parvint à reprendre contenance. Il formula même une réponse concrète aux termes que venait d'introduire le second de l'Est.

— Soit, faites donc comme vous l'entendez. Je n'ai aucun pouvoir là-dessus, de toute manière. Je suis plus ou moins votre prisonnier, je dois commencer à m'y faire. Sachez cependant que je ne compte pas vous lâcher d'une semelle, et que je me ferai un malin plaisir de vous jeter hors de ce château moi-même si vous présentiez un signe de menace envers quiconque ici.

— C'est entendu, acquiesça Jihal en souriant à nouveau.

Ce n'était pas de la moquerie, ou même de l'amusement face à la situation. Il paraissait simplement et purement enjoué de se trouver ici, dans ce château et dans cette mission. Sa tâche lui plaisait peut-être pour l'instant, mais Esol attendait le moment où il n'y trouverait plus aucun entrain. Ce moment essentiel où, enfin, il enlèverait son masque de jeune et parfait effronté.
Son comportement joueur et son faciès innocent le mettait à la place d'un enfant, et pourtant il se trouvait entre deux âges. Plus vieux que le roi Priam, moins que son second.

— Quelqu'un va se charger de porter vos bagages dans la chambre qui vous est attribuée. Faites ce qui vous enchante, nous nous reverrons d'ici quelques heures au repas, j'imagine.

— Excellente idée.

Lorne prit en charge la tâche de montrer ses appartements à leur invité, et tous deux se dirigèrent vers l'aile ouest du bâtiment. Avant de disparaître dans les escaliers, Jihal salua le roi sans se retourner.

Esol se retrouva seul dans un hall aussi vide que lui.
Le temps n'allait que s'étirer, dorénavant, et il n'était pas sûr de faire le poids pour résister à sa douloureuse étreinte.
Il ferma les yeux et souffla.

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29/04 ;;

L'arrivée de mon crush hehe
Sinon je poste à 8h avant d'aller rien comprendre en allemand bye jvais avoir 2

Take care :')

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