9 : Ma joie de le voir émotif.


Assis sur un banc de la place de l'église, une glace à la main, nous avons tous rigolé à la blague de Pierre – qui en réalité n'était pas drôle du tout. Il devait être aux alentours de dix-huit heures et nous avions passé une super après-midi sur cette place. Mon regard a rencontré celui d'Oscar et nous nous sommes souris. C'était comme ça depuis que j'avais reçu son message. Nous n'osions pas nous parler mais nous ne nous ignorions pas pour autant. L'ambiance était atypique.

—  Bon, moi je dois filer mes parents m'attendent, a lâché Charlotte en se levant.

Elle a passé ses mains sur ses jambes nues et a relevé la tête vers nous, en nous offrant son adorable sourire désolé.

—  On se voit demain mes amours, a-t-elle lancé en faisant exprès de prendre une voix suraiguë.

J'ai rigolé. Je me suis apprêtée à me lever à mon tour pour la raccompagner, lorsque mon cousin m'a devancé.

—  Je te raccompagne, s'est-il précipité de dire.

J'ai froncé les sourcils et quand j'ai croisé son regard insistant – qui voulait dire « t'as pas intérêt à venir avec moi » –, je n'ai rien dit et je me suis contentée d'hocher de la tête . Ce que je lui avais dit la dernière fois, sur ses sentiments envers Charlotte, avait dû le faire réfléchir.
La brune a d'abord été surprise, puis un sourire a vite pris place sur son visage. Elle avait l'air contente de voir que Raoul faisait le premier pas. Ils se sont donc tous les deux éloignés, et je suis restée assise sur le banc avec Pierre et Oscar. Ça avait l'air tendu entre ces derniers, puisqu'ils ne se calculaient pas. Ça, c'était étrange.

—  Tu m'appelleras pour me raconter s'il y a eu un rapprochement, m'a dit Pierre.

—  T'inquiète pas.

— Ça serait cool qu'ils sortent ensemble.

J'ai acquiescé mais Oscar nous a vite coupé :

— Vous êtes au courant que s'ils sortent ensemble, leur relation va durer maximum deux mois ?

J'ai roulé des yeux puis j'ai lentement tourné ma tête vers lui.

— Ils ne sont peut-être pas comme toi, a rétorqué Pierre en se levant. Peut-être qu'eux, ils arrivent à tenir deux jours sans vouloir aller voir ailleurs.

Il a lancé un sourire provocateur à Oscar, et moi je n'ai rien dit. J'étais d'accord avec Pierre mais je me suis retenue de l'exprimer à voix haute. Je m'étais déjà suffisamment disputé avec le super pote de mon cousin pour en rajouter une couche.

Oscar n'a rien dit et s'est contenté d'hausser les épaules. Il restait impassible. C'est dingue, j'ai l'impression que rien ne le touche.

— Je vous laisse, on se voit demain ma Beckie ?

— Oui, bien-sûr, ai-je répondu en souriant.

Pierre m'a rendu mon sourire, s'est approché de moi pour déposer un bisou sur ma joue, et il est parti sans réellement prendre le temps de saluer Oscar.

— Je crois qu'il a un truc contre moi, a constaté ce dernier.

— Je crois aussi.

Il a rigolé nerveusement et j'ai tourné la tête vers lui. Il fixait un point imaginaire devant lui, avec son fidèle rictus arrogant.

— Beckie ?

—  Oui ?

Il a inspiré longuement, pivotant la tête vers moi afin que nos yeux s'accrochent et que nous puissions deviner les émotions de l'autre.

—  Écoute, je suis vraiment désolé. J'ai merdé, j'ai été un véritable connard avec toi et je comprendrai que tu m'en veuilles.

J'ai esquissé un demi sourire, touchée qu'il prenne le temps de me présenter ses excuses. Je le trouvais super mignon dans ces moments où il était émotif, vulnérable.

—  T'inquiète pas, je ne t'en veux plus. Puis, je n'aurais pas dû m'énerver comme ça contre toi.

—  Je l'ai mérité.

J'ai haussé les épaules.

—  Tu ne me fais plus la tête ?

J'ai souri et j'ai secoué la tête de droite à gauche.

—  Donc on repart sur de nouvelles bases ? a-t-il ajouté.

—  Oui, à condition que tu ne te foutes plus de ma gueule.

—  C'est promis.

Nous avons tous les deux souris puis il m'a pris dans ses bras – signe qu'on faisait réellement la paix. Après notre courte étreinte, il s'est souvenu d'une autre chose qu'il jugeait importante de me demander :

—  Mais du coup, tu veux qu'on soit juste ami, ou plus qu'amis ?

J'ai d'abord froncé les sourcils, n'arrivant pas à comprendre le sens de sa phrase. Puis après avoir analyser chaque mot, j'ai compris. Malheureusement je suis restée bouche-bée. En vérité, évidemment que j'aimerais que nous soyons des amis avec plus si affinité. Mais n'était-ce pas sa façon de me piéger et de pouvoir connaître ce que je ressentais pour lui ?

—  On est ami et s'il doit se passer quelque chose, il se passera quelque chose, ai-je murmuré.

Il a esquissé un sourire satisfait en hochant de
la tête.

—  Ça marche, a-t-il conclu.


Vingt minutes plus tard, nous nous dirigions chez nous. Plus je discutais avec Oscar et plus j'oubliais pourquoi, il y a encore quelques jours, j'étais énervée contre lui. En fait, il pouvait être vraiment gentil et agréable quand il le voulait. Il ne jouait plus de son âge pour essayer de se rendre supérieur, il ne me faisait plus des réflexions blessantes.

— C'est grave, tu rigoles tout le temps, m'a-t-il dit. Même quand c'est pas drôle. T'es pas normal comme fille.

J'ai souri avant de répliquer :

— J'adore rigoler et je ne vais pas me priver de ça, surtout si ça m'aide à être moins "normal" comme tu dis.

Il a arqué un sourcil et j'ai développé ma pensée tout en continuant de marcher :

—  La normalité ce n'est qu'un phénomène de société. Nous devons obligatoirement correspondre à un modèle jugé "normal" qui est beaucoup trop valorisé alors qu'en réalité nous devrions d'abord être nous-mêmes, ce que nous voulons vraiment être, à être bien dans notre peau sans se soucier de ce que pense un inconnu, un voisin ou un meilleur ami. Alors je prends ta réflexion comme un compliment.

Il m'a regardé déboussolé puis petit à petit un sourire est venu se loger sur son visage de presque adulte.

—  C'est impressionnant comme t'es mature, m'a-t-il dit. Le plus drôle dans tout ça, c'est qu'on dirait que tu t'en rends pas compte.

J'ai haussé les épaules en lâchant un rire gras. Un silence agréable s'est abattu sur nous. Nous marchions tous les deux, sans se presser. Nos pieds se posant lourdement sur le béton abîmé de la route qui me ramenait jusqu'à chez moi.

—  T'habites où aux États-Unis ? a-t-il fini par me demander, cassant au passage le silence qui s'était installé.

—  En Caroline du Sud, à Greenville.

—  Connaît pas.

Il a rigolé. J'ai rigolé, moi aussi.

—  Quand tu parles français, t'as pas du tout un accent américain, m'a-t-il fait remarqué.

—  C'est logique, je parle français avec mes parents à longueur de journée, je passe toutes mes vacances en France et Raoul m'appelle sur Skype au moins une fois par semaine.

Il a hoché de la tête et il a continué à fixer le béton.

—  T'habites à Lyon ?

—  Ouais.

J'ai esquissé un sourire et j'ai moi-même fixé la route, ne sachant plus quoi dire. En vérité, j'avais plein d'idée de sujet de discussions, mais je perdais tous mes moyens devant le super pote de mon cousin. J'avais peur qu'il me juge trop gamine, trop ridicule, trop nulle.

—  C'est quoi tes rêves ? m'a-t-il questionné.

—  Euh... je sais pas trop. Beaucoup voyager je pense, tomber amoureuse de quelqu'un de bien... et puis je dirai être heureuse, tout simplement.

—  Oh...ma petite Beckie, tu me ferais presque pleurer ! a-t-il blagué.

J'ai roulé des yeux et lui, il a ri.

—  Moi aussi j'aimerais beaucoup voyager et fonder une famille.

J'ai souri. J'avais remarqué qu'il faisait souvent référence à la famille. En y pensant, je ne savais rien de lui, ni de sa famille. Oscar m'était inconnu sans plus vraiment l'être. Je le connaissais sans trop le connaître. Étrange.

—  T'as des frères et sœurs ? me suis-je alors renseigné.

—  Un grand frère qui a vingt et un ans.

—  Il s'appelle comment ?

—  Jérémy.

Nous sommes arrivés devant chez moi. Je me suis arrêtée devant le portail et il m'a imité. Il m'a regardé en souriant, ce genre de sourire en coin qu'il aimait souvent faire. Sa main est venue replacer une des mèches de mes cheveux derrière mon oreille.

— Tes cheveux sont magnifiques.

Je lui ai souri, cette fois-ci avec mes dents. J'appréciais chaque compliments de sa part, ils étaient rares mais sincères.

— Ils n'ont rien de spécial, lui ai-je fait remarqué.

— C'est vrai, mais ils ont une tonne de reflets. Ils sont châtains, blonds, légèrement roux. C'est super beau, tu devrais les laisser encore plus pousser.

J'ai haussé les épaules puis j'ai déclaré :

— Bon, je vais y aller.

Il a acquiescé et s'est approché de moi pour me faire la bise. Au passage, je me suis enivrée de l'odeur de son parfum que je reconnaissais à chaque fois que je le sentais. Il s'agissait de mon parfum masculin préféré : l'acqua di Giò de Giorgio Armani.

— À demain petite Beckie, m'a-t-il soufflé.

Il s'est reculé en me faisant un clin d'œil, je l'ai salué d'un geste de la main puis j'ai passé mon portail, avec un immense sourire niais aux lèvres. Je suis entrée dans la maison et j'ai retrouvé ma mère, Ethel et mon cousin Raoul.

— Ça va ma Beckie ? m'a demandé ma mère.

— Ouais super ! T'es déjà rentré Raoul ?

— Depuis longtemps, m'a-t-il dit. Ça va mieux avec Oscar on dirait ?

Ma mère a relevé la tête de son journal et Ethel, de son cellulaire. Elles ont toutes les deux tourné la tête vers moi, attendant patiemment que je réponde à la question de mon cousin. Raoul me regardait d'une façon bizarre, d'un regard que je n'avais jamais vu chez lui. Il me regardait avec un air accusateur et j'avais l'impression qu'il s'apprêtait à être déçu de ma réponse.

—  Mieux, je sais pas... Mais on se reparle, ai-je conclu après avoir longuement réfléchi.

Mon cousin a haussé les sourcils, bien que je ne comprenne pas pourquoi.

—  Qui c'est qui va enfin pouvoir s'acheter sa paire de Louboutin ? s'est écriée Ethel avec sa voix de crécelle.

Et j'ai immédiatement compris pourquoi je trouvais mon cousin bizarre. Il m'en voulait parce que j'allais lui faire perdre son pari. Au départ j'avais cru qu'il me jugeait de bien m'entendre avec Oscar, alors que ça n'avait pas du tout de lien.

— Oh c'est bon, tais-toi, c'est énervé Raoul en sortant de la pièce.

J'ai tourné la tête vers la rousse qui ne comprenait pas la réaction de mon cousin. Ma mère a poussé un petit soupir avant de baisser de nouveau la tête dans son magazine.

—  Bah.. Qu'est-ce qu'il a ?

—  Si tu veux mon avis, Raoul déteste perdre du fric, lui a répondu ma mère.

J'ai esquissé un sourire gêné et je suis partie à la poursuite de mon cousin. Je l'ai retrouvé dans le jardin, assis sur une chaise, les sourcils froncés. Je me suis assise à ses côtés et j'ai tourné la tête vers lui. Ne souhaitant pas passé par quatre chemin, je lui ai directement demandé :

—  Tu me fais la tête ?

—  Non.

—  Si, tu me fais la tête, ai-je confirmé.

J'ai poussé un long soupir. Je ne savais pas quoi dire. Il ne se passait rien avec Oscar, je l'aimais bien mais ça s'arrêtait là. Raoul n'avait donc pas à s'inquiéter pour son fric. Et puis, je n'allais pas me priver d'avoir des sentiments pour quelqu'un juste à cause de tous les paris de mon cousin. Il était extrêmement égoïste de me faire la tête pour si peu. Il n'avait qu'à pas parier à longueur de journée sur ma vie !

Je me suis apprêtée à me lever, maintenant aussi énervée que lui, quand il m'a arrêté.

—  Je suis un putain d'égoïste, excuse-moi Beckie, a-t-il finalement soupiré en tournant sa tête vers moi.

—  Je suis carrément d'accord avec toi !

Il m'a timidement souri, et il a essayé de se faire pardonner en me faisant les yeux du chat bottés.

—  C'est bon fais pas cette tête, je ne suis pas fâchée.

Il a esquissé un large sourire et m'a pris dans ses bras. Il m'a serré fort contre lui et nous sommes restés comme ça pendant quelques minutes.

Quand le vent a commencé à nous refroidir, j'ai levé la tête vers Raoul et je lui ai demandé si on pouvait retourner à l'intérieur. Ce qu'on a fait.
Paola nous a demandé de mettre la table, et étant donné que nous n'avions aucune excuse, nous avons accepté.

La soirée s'est très bien déroulée, nous avons mangé en famille, parlant du mariage, des coups de soleil de mon père – qui s'était fait violemment grondé par ma mère – et de la délicieuse salade de pâtes de Charles. J'ai fini ma soirée, allongée sur le canapé avec Raoul, Noémie et Matteo en regardant Titanic. Matteo a lâché quelques larmes – chose qu'il n'avouera jamais.

J'ai même reçu un message, que j'ai relu des millions de fois.

    De Oscar :
J'ai passé une superbe aprèm, j'ai hâte d'être demain pour te voir.

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