10 : Ma victoire qu'il n'imagine pas.


—  Ça t'embêterait de mettre tes culottes sales dans ton panier à linge ? s'est exclamée ma mère en me glissant quelques culottes sales qui m'appartenaient, sous mon nez.

J'ai relevé la tête de mon bol de céréales, vers elle et j'ai croisé son regard noir. Elle avait l'air très énervée et elle me faisait souvent peur quand elle était comme ça. Il n'y avait aucune once de gentillesse sur son visage, seulement des sourcils froncés et des éclairs au beau milieu de l'océan de ses grandes billes.

—  Rebecca, je te rappelle que tu n'es pas une princesse, et que je ne suis certainement pas ta bonne. Donc tu vas me faire le plaisir de ranger ta chambre, de l'aérer, de ne pas laisser tes vêtements sales traîner, et surtout de donner un coup de main ! C'est clair ?

Je suis restée bouche bée, mes yeux accrochés à son regard qui me donnait des hauts le cœur. Je ne supportais pas qu'elle s'énerve contre moi de cette façon. Je préférais qu'elle me fasse des reproches calmement. Les cris ne servaient à rien, les coups encore moins. Ça ne faisait qu'accentuer la provocation.

— T'es pas obligée de me dire ça en criant, lui dis-je d'un ton désinvolte.

Elle a d'abord été surprise de m'entendre lui répondre mais tout de suite après, son visage s'est durci. Je venais d'entrer dans la zone rouge mais aussi de me mettre dans une belle merde. Sauf que je m'en foutais.

— Je t'ai déjà demandé d'arrêter de me répondre Rebecca !

— J'ai le droit de m'exprimer, on appelle ça la liberté d'expression, ai-je répliqué.

— Tu vas immédiatement te taire !

Elle s'était approchée de moi et je pouvais désormais ressentir sa colère qui jaillissait à flot de tout son corps, partant de ses orteils jusqu'à ses cheveux ébènes. Elle avait envie de m'étriper, je le sentais. J'avais cette envie d'aller encore plus loin, de franchir les limites que je n'avais pas le droit de franchir. Je n'aurais certainement pas dû, mais je l'ai fait :

— Arrête de me prendre la tête aussi tôt !

La gifle est partie sans même que je la vois venir. Des larmes sont montées comme par automatisme. J'ai ouvert la bouche prête à répliquer une horreur mais que je me suis abstenue. Je lui ai lancé le regard le plus noir que je savais faire et j'ai quitté la table, la laissant seule, la main sur ma joue rougie. Sur le moment, je détestais ma mère.

—  Et tu n'as pas intérêt à me demander quoique ce soit Rebecca ! Parce que la réponse je te la donne déjà : c'est non ! m'a-t-elle hurlé quand je montais les escaliers.

—  T'as pas le droit de me priver de sorties ! ai-je crié en claquant la porte de ma chambre derrière moi.

J'ai donné un coup de pied dans un coussin qui traînait sur le sol avec une rage phénoménale. Seule ma mère arrivait à me mettre dans cet état. Elle savait quels mots employer, quels gestes effectuer pour que je devienne complètement hystérique.

Mon cœur battait trop vite et cette rage ne cessait de grandir en moi. Il était temps que je me calme sinon j'allais réellement regretter cette dispute ridicule. J'ai décidé de m'assoir sur mon lit et de reprendre une respiration régulière. Le sonnerie de mon téléphone m'a sorti de ma concentration et j'ai posé mon regard sur cet objet qui avait beaucoup trop de valeur à mon goût.

De Oscar :
Ça te dirait que je passe te chercher une heure avant la compétition de surf, histoire qu'on aille faire un tour ensemble ?

J'ai relu son message un milliard de fois avec ce sentiment de désespoir. Maintenant que je m'étais disputée avec ma mère, il m'était impossible de lui demander la permission pour sortir. À cet instant précis, je me haïssais de ne pas avoir fermer ma bouche. J'ai poussé un énorme soupir et je me suis laissée tomber à la renverse sur mon lit. J'avais vraiment une vie de merde.

La porte de ma chambre s'est ouverte, et je me suis redressée à la hâte en espérant qu'il s'agissait de ma mère et qu'elle venait me voir pour que nous nous réconcilions. J'ai directement montré ma déception quand j'ai vu Raoul refermer la porte derrière lui.

— Ah...t'as l'air extrêmement heureuse de me voir Beckie !

J'ai roulé des yeux en poussant un énième soupir. J'ai esquissé un sourire désolé et lui ai indiqué une place sur mon lit juste à côté de moi.

— Non c'est pas ça...lui dis-je.

— C'est quoi alors ? m'a-t-il demandé en passant son bras sur mes épaules. Tes yeux sont tout rouges.

— Une tornade que je nomme Madame Fredson-Davy est passée par là.

Raoul a dégluti puis il m'a fait par de la grimace qu'il faisait pour montrer son empathie. Même si sa compassion me venait droit au cœur, je n'en avais pas spécialement besoin à ce moment. J'avais surtout besoin d'une permission pour sortir, une heure avant notre compétition de surf.

— Y'a eu des répercussions ? a-t-il hasardé en chuchotant comme s'il avait peur de la réponse.

J'ai fixé le coussin dans lequel j'avais tapé il y a moins de dix minutes, en acquiesçant.

— Je suis privée de sorties, ai-je ajouté. En fait si je ne veux pas me recevoir une réponse qui ressemble à un « non » il vaut mieux que j'évite d'aller voir ma mère.

J'ai entendu mon cousin jurer et il a pris sa tête entre ses mains, ses coudes reposant sur ses cuisses musclés.

— En gros, tu peux plus rien faire ?

— En gros, oui.

— Excuse-toi, a-t-il tranché.

Je n'ai pas répondu, et mon cousin a bien évidemment compris ce que mon silence signifiait. Il m'a attrapé le poignet et m'a forcé à le regarder.

— Ah non ! Tu vas mettre ta fierté de côté et t'excuser. Même si t'as rien fait ! Sinon on va passer une semaine de merde.

J'ai haussé les épaules.

— Je vais passer une semaine de merde. Toi, ça sera une semaine normale.

— Beckie, m'a-t-il sermonné de sa voix grave. Une semaine où tu ne peux même pas posé un pied en dehors de ta chambre, c'est forcément une semaine de merde pour moi aussi. Tu ne te souviens pas de ce qu'on avait dit quand on était gosse ?

Je lui ai souri. Bien-sûr que si je m'en souvenais. Je devais avoir six ans et Raoul huit-neuf ans. Ma mère et Paola venait de sortir une tarte au citron du four, qu'elles avaient passé l'après-midi à faire. Personne n'avait le droit d'y toucher car elle était pour l'anniversaire d'Ethel. Elles l'avaient laissée refroidir sur la table de la salle à manger. Je l'avais repérée et je m'étais approchée de la tarte quand ma tante et ma mère étaient sorties de la pièce, laissant au passage la pâtisserie sans surveillance. Elle sentait si bon que je n'avais pas résister à goûter un minuscule morceau, puis un autre, et encore un autre. Raoul m'avais surpris et m'avait tellement grondé que je m'étais mise à pleurer :

Oh non Beckie, arrête de pleurer ! J'aime pas quand tu pleures. T'es moche quand tu pleures. C'est pas grave tu sais, je dirais que c'était mon idée et que je l'ai mangée avec toi.

Mais tu ne vas pas mentir ! Paola et maman n'aiment pas du tout les mensonges.

Je m'en fiche, parce que les histoires de ma cousine ce sont aussi les miennes.

Et il leur avait menti pour que je ne sois pas la seule à me faire gronder. Depuis ce jour-là ses histoires étaient aussi les miennes et inversement.

—  Bon, d'accord j'irais peut-être m'excuser quand la tension sera un peu descendue, ai-je conclu.

Il a poussé un cri de victoire et s'est jeté sur moi pour me faire des guilis, m'allongeant de force sur mon lit. Je lui hurlais d'arrêter, mes cris étouffés par des rires, mais cela ne faisait que le pousser à continuer.

La porte de ma chambre s'est brusquement ouverte, Raoul a arrêté de m'embêter et il a tourné la tête vers ma porte. Je l'ai imité et j'ai immédiatement arrêter de sourire quand j'ai remarqué qu'il s'agissait d'Ethel et qu'elle était super méga énervée.

—  On ne vous a jamais appris qu'il fallait laisser les gens dormir !

Elle nous a foudroyé du regard comme elle savait si bien le faire, ses poings sur ses hanches. Raoul a tourné sa tête d'idiot vers moi et m'a lancé un regard complice que seule moi pouvait comprendre. On s'est alors tous les deux levés et au moment où Ethel s'apprêtait à nous engueuler, on l'a serré fort dans nos bras. Elle s'est tue avant de grommeler :

—  Si vous n'étiez pas ma nièce et mon neveux préférés, je vous aurais déjà enterré vivant !

Et nous avons tous les trois rigolé.

*

Il y avait une règle qu'on respectait coûte que coûte dans la famille, on ne manquait aucune compétition de surf. Qu'on se soit tous disputé une heure avant, qu'on soit malade à en vomir, qu'on soit fatigué ou je ne sais quoi d'autre, on participait toujours aux compétitions de surf. C'était comme pour rendre hommage à Stan qui devait sûrement être très fière de nous d'où il était.

C'est donc pour cette raison, que je me suis avancée sur la plage, suivis de près par Raoul pour allé saluer mes amis qui étaient déjà là. Il devait être aux alentours de quatorze heures et la compétition allait débuter dans moins d'une vingtaine de minutes.

Avec Raoul, Charlotte et Pierre, nous participions à la compétition d'aujourd'hui avec notre école. Nous devions être une dizaine à avoir été sélectionné et j'étais très heureuse d'en faire partie.

—  Ah ! Vous êtes enfin là ! s'est exclamée bruyamment Charlotte en venant me serrer dans ses bras.

Charlotte était stressée. Je le savais car quand elle l'était, elle en faisait des tonnes, elle parlait fort, riait – nerveusement – pour rien, et n'arrêtait pas d'effectuer n'importe quel geste d'affection.

—  Ça va bien se passer, ne t'inquiète pas Cha, lui dis-je.

Elle a arrêté de gesticuler comme une petite fourmi, elle a repris sa respiration puis elle a hoché de la tête.

—  Salut les losers, ai-je entendu à ma droite.

J'ai esquissé un sourire ravi en reconnaissant la voix d'Oscar. J'étais contente de le voir. Lui ne participait pas à la compétition avec notre école, c'était un de nos nombreux adversaires et j'avais l'intention de le battre. Il surfait bien certes, mais il ne m'était pas impossible de gagner contre lui.

—  Ça va mieux avec ta mère, m'a demandé ce dernier quand il s'est approché de moi pour me saluer.

J'ai jeté un regard à ma mère qui était restée avec ma famille, un peu plus loin. Elle ne prenait pas partie à la conversation qui se déroulait devant elle, non, elle était en train de me fixer. Elle était encore très énervée contre moi et nous ne nous étions toujours pas adressées la parole.

—  On peut dire ça comme ça, ai-je nerveusement répondu.

Oscar m'a souri.

—  T'es prête à perdre contre moi petite Beckie ?

—  Tu rigoles ? me suis-je exclamée. C'est toi qui va perdre ! Mon étagère est déjà prête à accueillir mon trophée !

—  Ça, ça m'étonnerait !

Nous nous sommes défiés du regard et c'est Raoul qui nous a sorti de notre bulle.

—  Vous foutez quoi tous les deux ! Ça va commencer et Beckie t'es même pas prête ! Bouge-toi !

Oscar s'est moqué de moi et j'ai roulé des yeux.
J'ai donc laissé mon cousin et son super pote pour aller me préparer à côté du stand de notre école de surf. J'ai enfilé la combinaison qui m'était attribuée par dessus mon maillot de bain, j'étais le numéro 41. J'ai ensuite appliqué une tonne de crème solaire, en particulier sur mon nez, et je me suis attachée les cheveux.

—  Tu fais attention à toi, surtout ? m'a-t-on soufflé à l'oreille.

Je me suis précipitamment retourné. Ethel se tenait devant moi, ses cheveux à la couleur des braises attachés en une queue de cheval. Elle portait un t-shirt où figurait le symbole de notre école. Autrefois, Ethel était monitrice de surf avec Stan. Elle avait tout arrêté à la mort de ce dernier. Malgré tout, il lui arrivait encore de se munir de sa planche de surf et de passer une après-midi à dompter différentes vagues.

—  Mais oui, bien-sûr, l'ai-je rassurée.

—  Tu me le promets, les vagues sont très grosses aujourd'hui.

J'ai jeté un coup d'œil à la mer. J'allais y arriver, aucun doute. Je me suis tournée vers ma tante et je l'ai rassurée comme je l'ai pu. On a ensuite annoncé le début de la compétition et j'ai donc rejoint Raoul, Charlotte et Pierre. De loin, j'ai réussi à reconnaître Oscar qui me soufflait : « je vais gagner ». Impossible.

    Puis j'ai levé la tête vers le ciel. Je gagnerais cette compétition pour toi Stan, pour que tu sois fière de moi comme tu l'étais quand j'arrivais à monter sur ma planche.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top