7
Jimin
En arrivant sur le palier de mon appartement, j'ai la tête en vrac.
La fatigue cumulée à ce trop-plein de réflexions me tue à petit feu ; si je n'étais pas entraîné, jamais je n'aurais senti de présence dans mon dos.
La sueur froide est de courte durée : une dose d'adrénaline pulse dans mes veines et je serre les poings, paré à attaquer.
— Je te suis depuis le rez-de-chaussée, il était temps que tu te réveilles.
Il me frôle. Grave erreur.
En l'espace d'une seconde, je suis face à lui. Je lui tords le bras, et son profil fait connaissance avec le crépi de mon étage. Il étouffe un bruit de gorge, mais n'essaie pas de se débattre. Ça ne m'empêche pas de resserrer ma prise, sachant pertinemment qu'il en souffre.
— Les menaces sont livrées à domicile, maintenant ?grogné-je.
— Pour une discussion entre adultes civilisés, je te propose une trêve.
— Tu m'as suivi jusque chez moi, JK. Va te faire voir.
— Malpoli, qui plus est !
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Récupérer mon bras, ce serait un bon début.
L'impression de déjà-vu me percute : nous jouions souvent au gendarme et au voleur quand nous étions petits, sauf qu'il était à ma place, et moi à la sienne. Je
le trouvais parfait dans le rôle du policier, et j'adorais qu'il me coure après. Il ne m'a jamais fait mal quand il m'attrapait, ses gestes envers moi étaient doux. C'est l'une des raisons pour lesquelles je fondais pour lui : il était incapable de me blesser.
Alors, je lui lâche le poignet, puis fronce les sourcils. À l'endroit où mes doigts ont laissé une marque se trouve une ligne rouge. On dirait un tatouage, mais je n'ai pas le temps de l'observer plus longtemps ; il m'empoigne la nuque et, à son tour, ma tête cogne contre le mur.
— Je t'avais dit de ne plus t'approcher de mon business.
Il semblerait qu'il sache contrer les techniques d'autodéfense, puisque mes tentatives pour le repousser ne fonctionnent pas. Ma pommette s'écrase plus
encore, j'ai le bras coincé et commence à avoir des fourmillements.
— Abandonne ta putain d'enquête ! Tout me reviendra toujours aux oreilles, aucun de mes gars ne sera un indic fiable, lance-t-il, énervé.
Je tâtonne du pied, à la recherche du sien. Je tape finalement dans ce que je pense être son tibia, mais ça ne le déstabilise pas.
— Arrête de déconner, Jimin.
— C'est quoi ? Une troisième chance ? Tu n'en donnes pas que deux, d'habitude ?
Il appuie de tout son poids contre moi, m'obligeant à rester immobile. Ma rage se décuple, mais elle est inutile : il a plus de muscles, plus de puissance, et manifestement une envie folle de m'encastrer dans ce mur moisi.
— Ne m'oblige pas à te faire du mal.
Ce murmure, au creux de mon oreille, me statufie. Son humanité aurait-elle encore un peu de crédit ?
— Tu m'en fais. Tu en fais à cette ville. Tu en fais à tous les gens qui s'administrent tes produits. Tu en fais chaque fois que ta bande de gigolos part en guerre contre celle de Kai. Tu es...
— Tu n'as aucune idée de ce à quoi ressemble ma vie ! me coupe-t-il, intransigeant.
— Tu es immonde.
— Il y a largement pire que moi.
— Et alors ? Parce que tu ne tues pas tes balances, je devrais te laisser dans la nature ?
Il retient son souffle et donne un coup de poing dans le mur, juste à côté de mon visage. Je sursaute, plus par surprise que par peur ; si bizarre que ça paraisse, je ne le crains pas.
Je profite de son moment de trouble pour pivoter. La main toujours plaquée sur le mur, il perfore mon regard du sien.
Trop de marron innocent s'y trouve pour un homme si mauvais.
— Mon monde est différent du tien, dit JK , comme si ça lui arrachait la langue. Tout n'est pas qu'une question de légalité, de bien ou de mal.
— Tu es un trafiquant de drogue. C'est mal. Point.
— Et si je n'étais pas à la tête de ce réseau ? Et si ce n'était pas moi qui gérais ce merdier, que crois-tu qu'il se passerait ? Je ne suis pas un saint, mais tu ne trouveras pas de meilleur diable que moi.
— Je me fiche des éventualités. Ce sont les faits qui m'intéressent, et tu...
— Ton esprit est étriqué.
Je m'approche si près que nos nez s'effleurent. La douleur au niveau de mon ventre est réelle : la nostalgie est atroce à ressentir. J'aimerais tellement retrouver celui que je connaissais... Une part de moi veut y croire. L'autre voit l'horrible réalité et tire un trait sur tout espoir.
— Je sais que Namjoon y est pour quelque chose. Mais même la perte d'un être cher ne justifie pas tes actes, Jungkook. Tu n'es pas excusable. Ni défendable.
C'est une avalanche de souffrance qui m'engloutit. J'aimerais effacer les onze
années qui se sont écoulées et revenir à ce jour où il m'a embrassé. Si son frère était encore là, il n'aurait peut-être pas pris ce chemin. J'aurais été son petit ami , je me serais battu pour qu'il ne tombe pas dans cette spirale infernale.
Je désirais être là pour lui. Plus que tout.
— Ça n'a rien à voir avec lui.
— C'est faux ! Tu mènes une croisade contre Kai parce que ses hommes l'ont tué. Il n'est pas uniquement question de territoire, c'est aussi une histoire de vengeance.
Je touche un point sensible. Une ride profonde creuse son front, comme s'il bataillait contre mon intrusion dans son esprit.
— Il faut que ça cesse, Jungkook. Tu impliques beaucoup de personnes qui ne sont pas concernées, notamment des consommateurs, des gens qui font des overdoses à cause de tes substances. Je suis du côté de la justice, tu t'en souviens ? Soit tu te rends, soit je me débrouillerai pour que tu plonges.
J'ignore si je suis convaincant. En revanche, je sens bel et bien le carnage de mes émotions. Ma tête et mon cœur se bagarrent férocement, au point que je
perds à nouveau tout discernement.
Je le hais. Mais pas tant que ça.
Je déteste qu'il soit collé contre moi. Mais pas tant que ça.
Je ne supporte pas qu'il me regarde à en pénétrer mon âme. Mais pas tant que ça.
— Ne cherche plus à m'atteindre, s'il te plaît, dit-il avec une franchise qui me bouleverse.
— Je n'ai pas le choix.
— Tu te mets en danger, mes hommes finiront par régler le problème d'eux-mêmes.
— Ma cause est juste, j'irai jusqu'au bout.
Il me prend le menton en coupe avec une délicatesse infinie.
— Ils te tueront, Jimin. Si tu continues, tu te feras buter.
— C'est ce que tu devrais être en train de faire.
Il acquiesce.
— Comme toi, tu devrais être en train de repousser mes mains de ton visage.
Je n'y arrive pas. Son contact m'a terriblement manqué et je constate qu'il me fait du bien.
Penser une chose pareille est interdit : à part de la détestation mutuelle, tout est impossible entre nous. Nous ne sommes pas faits pour nous comprendre... ni nous apprécier.
— Pour une fois, laisse-moi dominer le jeu et fais ce que je te demande, murmure-t-il.
C'est éphémère, presque irréel, mais j'entends et je sens Jungkook.
Notre connexion n'est pas morte, et elle se faufile par les plus infimes brèches pour refaire surface. Nous sommes des ennemis en carton, et nous en avons tous deux conscience, sauf que ça restera un secret inavouable.
— Je ne pourrai pas te protéger, autrement.
Il se détache brusquement et s'en va, sans un regard. Je m'efforce de tout oublier dans la seconde.
Minho avait raison.
Mes sentiments causeront ma perte.
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