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Jimin

Dongpyo lève les yeux au ciel en me découvrant sur le chemin qu'il emprunte pour rentrer du lycée.

— Le harcèlement, c'est pas un truc puni par la loi ?

Je me détache du capot de ma voiture et lui tends un sachet.

— Il y a deux sandwichs sans viande à l'intérieur.
— En plus, t'es là par intérêt, marmonne-t-il, ce qui ne l'empêche pas de récupérer la nourriture.
— Je viens prendre de tes nouvelles.

J'ausculte son visage et n'y distingue aucune ecchymose. Comme il n'a pas boité pour me rejoindre, et qu'il ne semble pas sur le point de s'évanouir, j'en déduis qu'il n'a pas encore été passé à tabac.

— On m'a dit que JK avait su d'où venaient les infos, je veux voir comment tu vas.
— C'est réglé, lance-t-il.
— « Réglé » ?

Il sort un sandwich de son emballage, puis s'adosse à la carrosserie, l'air badin.

— Réglé, ouais. Personne ne me fera de mal, l'ordre vient d'en haut.
— Comment ça ?
— JK m'a dit que j'avais grave déconné et que je ne devais pas recommencer, mais qu'il s'assurerait lui-même de ma sécurité, m'explique-t-il en croquant dans son bout de pain.

Mon incrédulité est totale.

— Attends... tu as rencontré JK ?
— Mmm.
— C'est tout l'effet que ça te fait ? Dongpyo, cet homme est à la tête d'un trafic de drogue, tu ne peux pas m'annoncer une chose pareille et ne pas avoir l'air un minimum effrayé !
— Il a été plutôt cool, en fait.

Comme il porte plus d'intérêt à son sandwich qu'à moi, je le lui retire des mains.

— Hé !
— Il y a quelques jours, tu me mettais en garde contre lui et aujourd'hui, tu me dis avec le plus grand calme que vous avez eu une conversation ? Que s'est-il passé ?
— Rien d'important. Rends-moi ce sandwich.

J'écarte le bras pour qu'il ne puisse pas l'atteindre.

— Casse-couilles de flic...
— Ton langage !

Il me fait des yeux noirs.

— Il ne s'est vraiment rien passé, je te le promets, finit-il par m'avouer. Il m'a rendu visite avant-hier, c'est tout. Sur le coup, j'ai cru qu'il allait m'exploser la figure, mais il m'a juste prévenu que je ne devais plus donner d'infos à qui que ce soit.
— Il t'a menacé ?
— Non.

J'expire bruyamment par le nez.

— Il essaie de te mettre dans sa poche, Dongpyo. Il l'a joué ami-ami pour que tu acceptes de ne plus bosser pour moi. Ne te laisse pas avoir par sa fausse sympathie.
— Je pense qu'il était sincère.
— C'est exactement ce qu'il tente de te faire croire.

Il abandonne l'idée de reprendre son sandwich, et regarde au loin.

— Tu n'étais pas là, objecte-t-il. Je sais comment ça marche, dans le milieu. JK a une réputation à tenir parce qu'il concurrence Kai, et que Kai est un vrai salopard. Il ne peut pas passer pour un type sympa alors que son ennemi est le roi des abrutis.

Kai est l'autre plus gros trafiquant de Séoul. Il détient la moitié, et livre une guerre de territoire sans merci avec JK. Les rumeurs qui me sont parvenues aux oreilles ne sont pas belles à entendre, mais elles ne me concernent pas. Ce n'est pas ce drogué jusqu'à l'os que je veux coffrer.

— Je crois que JK n'a pas un mauvais fond, poursuit-il. Il y a des bruits de couloir chez nous, certains disent qu'il donne une deuxième chance, mais personne n'en est sûr... je suis la preuve que c'est la vérité.
— Tu te fais embobiner...
— Peut-être, mais je n'ai pas une seule blessure et, pour une balance, c'est exceptionnel. Je veux pas la lui mettre à l'envers.

Voilà comment JK gagne l'estime de ses sbires : en leur faisant miroiter un semblant de gentillesse. Il est doué.

— J'en déduis que notre collaboration s'arrête là, grogné-je, agacé.
— Je suis désolé, Jimin.

Il prononce rarement mon prénom.

— Je pense aussi que t'es quelqu'un de bien, dit-il avec une moue d'ado gêné.
— JK n'est pas quelqu'un de bien, si c'est ce que tu insinues.
— Il est humain, et je croise pas souvent des êtres vraiment humains ici. Ça mérite le respect.

Je suis terriblement frustré de le voir m'échapper. Dongpyo était mon seul indic sur cette enquête, de plus, j'ai fini par apprécier les qualités et les défauts de ce gamin, je n'aime pas penser qu'il va être livré à lui-même dans cet univers de délinquance et de danger.

C'est avec un pincement au cœur que je lui tends le sandwich.

— Pour ce que ça vaut, t'es un flic kiffant.

Il parvient à m'arracher un sourire.

— Fais attention à toi, sale gosse.
— Ouais, m'sieur.

Il s'éloigne aussi simplement qu'il est venu, et j'ai comme un instinct protecteur qui se réveille.

— Dongpyo !

J'extirpe mon porte-monnaie de la poche arrière de mon jean, et le rattrape. Il lève un sourcil interrogateur lorsque je dépose du liquide dans sa paume.

— Si tu as besoin de moi, je serai là, dis-je, les yeux dans les siens.
— Tu peux pas me filer ta thune comme ça...
— Je fais ce que je veux de mon argent. Va faire plaisir à tes parents.

L'espace d'un instant, il doute. Mais la raison est plus forte et il enfouit les billets sous son sweat-shirt. S'ensuivent un silence, puis un raclement de gorge. Je m'apprêtais à entendre un
« merci » ; c'est tout autre chose qui sort de sa bouche.

— L'un des mecs qui me fournissent la marchandise à refourguer dans les rues vit à Sinchon. Je suis allé chez lui une fois, et il cache les sachets derrière le tableau en liège, dans la chambre de sa frangine.

Je le dévisage sans trouver les mots. C'est une information qu'il n'aurait jamais dû me transmettre : elle est trop utile pour moi, et extrêmement dangereuse pour lui.

— Il y a assez de matos pour le mettre en garde en vue. Ou pour pousser ton enquête. Je ne t'ai jamais dit ça.

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