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Jimin

— Qu'est-ce qui vous fascine autant ?

Je lâche des yeux mon gobelet de café, et accueille le sourire froid du commissaire ; avec un automatisme d'employé modèle, je masque alors mon état déplorable et souris à mon tour.

— Vous avez besoin de quelque chose ?

Il détaille mon bureau
-bordélique- , puis mon ordinateur -pas encore allumé- , avant de revenir à moi.

— Il est 10h30, Park. Vous devriez être en train de travailler.
— Je m'y mets sur-le-champ.

Avec un entrain totalement feint, j'appuie sur une touche du clavier. Je compile quelques dossiers. J'ouvre un tiroir, m'empare d'un stylo, le referme...sous l'œil scrutateur de mon chef.

Pourquoi reste-t-il planté là ?

— Vous n'avez vraiment pas besoin de quelque chose ? répété-je.

Il vient rarement à nous. La plupart du temps, je le croise à la pause de midi, ou avant de partir en intervention. Sa présence me rend anxieux, encore plus après la nuit que j'ai passé...

— Je suis à la recherche de votre intégrité, vous ne sauriez pas où elle se trouve, par hasard ?

Le temps que je fronce les sourcils, Minho apparaît à la porte. Tout, dans son comportement, indique qu'il est en pleine tourmente. S'il pouvait parler, il se ferait pardonner. Pour quelle raison ? Je l'ignore.

Les rouages de mon cerveau se mettent brusquement en route et, la conclusion me sautant aux yeux, je me fige.

Je ne l'ignore pas du tout.

Il m'a vendu. Minho a tout dit.

— Vous percutez ? demande le commissaire.
— Je crois que oui, acquiescé-je, nauséeux.
— Bien.

Il fait signe à Minho d'entrer et s'installe sur la chaise en plastique dur, face à moi. J'ai envie de rendre la surcharge d'alcool que j'ai ingurgitée hier, et qui me brûle l'œsophage ; je me doutais que ce moment arriverait, mais j'espérais avoir un plan pour le contrer.

— Je vais vous éviter la leçon de morale. Vous êtes l'un de mes meilleurs, je suppose donc que vous vous en voulez déjà assez.

Je jette un coup d'œil à Minho, qui est blanc comme un linge. Il m'avait prévenu, mais sa trahison me reste néanmoins en travers de la gorge.

« Un coéquipier, c'est un membre de ta famille. Que tu l'aimes ou que tu le détestes, tu te dois de le protéger. » Il a, semblerait-il, fait un pied de nez à son mantra.

— Est-ce réellement vrai, Park ?

J'inspire discrètement.

— Tout dépend de ce qu'on vous a dit.

Je subis un monologue de cinq minutes, durant lequel toutes mes bavures de flic sont révélées. Minho s'en est donné à cœur joie : il a évoqué mes planques, mes indics, mes recherches ; il est même allé jusqu'à suggérer un lien entre JK et moi. En clair, il a signé mon arrêt de mort.

— Je ne connais pas JK, commissaire. Tout ce que j'ai récolté sur lui est dû à l'enquête que je poursuis depuis plus d'un an.
— Minho a un avis différent, déclare-t-il.
— Mon coéquipier s'est fondé sur des suppositions incorrectes. C'est le résultat d'une mésentente entre nous.
— Jimin..., soupire Minho.

Je ne cille pas et continue de broder autour de mon mensonge.

— Nous nous sommes toujours bien entendus, c'est l'une des raisons pour lesquelles notre duo fonctionne. Minho est très protecteur envers moi, et il n'a pas supporté que j'agisse dans son dos. Il vous a effectivement livré de bonnes informations, mais tout ce qui est relatif à un quelconque passif entre le
délinquant et moi est faux.

Mentir est douloureux. Je m'en veux à un point délirant, d'autant plus que je comprends l'attitude de Minho. Sauf qu'il est hors de question qu'on touche à Jungkook.

Je ne peux pas m'y résoudre.

Pas après ce qu'il s'est passé entre nous. Et je ne pense pas uniquement aux dernières heures, dont les folies sont imprimées sur ma peau. Je parle d'un tout. De notre histoire depuis ses débuts.

J'ai aimé le garçon avant de haïr l'homme. Désormais, je suis perdu dans une foule de sentiments contradictoires, mais ça ne changera rien au fait que je suis prêt à choisir le mauvais chemin. Si cela implique de tirer un trait sur une amitié professionnelle, eh bien ! Soit. Je ne renoncerai pas.

— Faux ou non, vous avez dépassé les limites, Park. Entre les indics, la perquisition sans papier officiel... Vous avez usé de votre statut pour mener à bien une enquête que je considère comme personnelle.
— Que dois-je en déduire ?

Minho et lui échangent un regard lourd de sous-entendus.

— Vous ne niez pas ? s'étonne-t-il.
— Même si je vous prouvais par A + B que vous avez tort, vous mettriez encore mes paroles en doute. Avant même d'entrer dans mon bureau, vous saviez ce que vous feriez : je n'ai pas respecté les règles tacites de la profession, et vous ne l'accepterez pas.

Il opine une seule fois. Nous avons au moins le mérite d'être sur la même longueur d'onde.

— J'ai mal agi et j'en suis conscient, poursuis-je. Quoi que vous fassiez, je me plierai à votre décision.

J'attends patiemment que le couperet tombe. L'idée de me faire virer m'aurait tué il y a encore deux mois. Ce métier était également celui de mon père, mon modèle. J'ai grandi dans l'espoir de lui ressembler, souhaitant qu'il distille des principes en moi. Quelque part, je voulais qu'il soit fier de son fils. Mais je commence à comprendre que ce n'est pas la police qui lui tient à cœur, mais plutôt les valeurs qu'elle prône.

Justice.

Honnêteté.

Droiture.

Respect.

Jungkook correspond à l'inverse de tout ça. C'est un homme qui défie les lois, qui répand un mauvais poison. Aux yeux du monde, il est aussi respectable qu'un paria. Aux miens, c'est une âme à sauver.

Personne ne voudrait aider un monstre à s'en sortir. Moi, je le ferai. Parce que j'ai confiance en mon instinct, et qu'il me dit qu'il a misé sur le bon cheval. Envers Jungkook, je serai honnête et droit. N'en déplaise à la société.

— Minho m'a fourni plusieurs lieux stratégiques au sein desquels nous ferons
prochainement une descente.
— Qu'attendez-vous de moi ? demandé-je.
— Dans l'idéal, que vous
rachetiez vos fautes en coopérant. Mais je présume,
à votre air, que ma sympathie à votre égard ne changera pas la donne.

Le silence qui suit bourdonne dans mes tympans. Ma décision est prise, si déraisonnable soit-elle, et ils s'en doutent.

Calmement, je ramasse mes affaires et pose mon insigne sur le bureau, puis mon arme de service. J'éteins l'ordinateur à peine allumé et termine mon café froid d'une traite. Enfin, je me lève.

— Ne fais pas ça, m'intime Minho.
— Travailler pour les forces de l'ordre ne vous protégera pas de la prison, renchérit le commissaire.

Vu de l'extérieur, m'interner serait une solution adéquate. Comme je l'ai inlassablement répété : je suis le seul à avoir le droit d'arrêter Jungkook. Si ce privilège m'est retiré, alors personne ne l'approchera.

— Jimin, s'il te plaît...

Minho m'agrippe le coude, l'air désespéré.

— Reprends tes esprits. Ne te laisse pas aveugler par les promesses d'un mec comme lui.
— Il ne m'a rien promis.
— Alors, mets-toi deux claques et reviens à toi !

Je me défais doucement de son emprise.

— Je ne peux pas. Ce que je fais là, c'est exactement moi. Être plus honnête est impossible.
— Tu pars en live ! s'écrie-t-il.
— Probablement. Et, pour la première fois de ma vie, ça me paraît juste.

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