Fall appart - prequel

Hello !
J'avais bien dit que je reviendrais faire un tour sur cette fic à l'occasion. Occasion que je me suis offerte l'autre jour, parce que j'avais envie d'écrire quelque chose de triste !

/!\Par contre, attention niveau chronologie pour ceux qui arrivent sur cette fic : cette seconde partie est le prequel de celle postée avant (oui, j'écris dans le désordre si je veux !!). Elle se situe donc juste après la bataille de Londres. Il s'agit de l'errance de Garrus dans les décombres de la Citadelle pendant qu'il cherche le corps de Shepard après l'explosion du Creuset.
Autant dire, pas joyeux, joyeux !
Ceci dit, vous connaissez déjà la suite puisque vous l'avez lue avant ;)

Correction : moi-même et moi. Donc si vous trouvez des horreurs, vous pouvez me ronchonner dessus.
Quant au Canon, je lui ai un peu tordu le cou : c'est un mélange de fin rouge et bleue (Moissonneurs détruits, mais les autres synthétiques survivent).

Voilà, bonne lecture :)



Tandis qu'il parcourait les monceaux de décombres de la Citadelle, Garrus tentait de se convaincre qu'il n'agissait que par sens du devoir. Son devoir de Turien qui lui imposait de faire passer le bien commun avant ses propres désirs. Devoir envers son Commandant. Devoir envers leurs peuples qui auraient besoin d'un guide pour tout reconstruire. D'un symbole d'espoir. De Shepard en personne et surtout en vie.

Tout en sachant que le héros de la Citadelle pisserait sur les espoirs et les symboles, surtout maintenant que la lutte était terminée. Le Shepard que Garrus connaissait était fatigué, de guerre lasse, et n'avait accompli son devoir, eh bien, que par devoir... Les idéaux n'avaient jamais vraiment motivé leur Commandant. La seule certitude qui le poussait en avant, c'était qu'il fallait bien que quelqu'un s'occupe de botter le cul des méchants.

Les idéaux – les grands, ceux que chantent les utopistes et les rêveurs – leurraient des peuples entiers et pouvaient conduire au meilleur comme au pire, y compris à l'annihilation la plus totale. L'accomplissement de ce qui doit être fait, en revanche... Le pragmatisme le plus basique, le plus réaliste. Tuer ou être tué. Détruire ou être détruit. Survivre pour survivre. Sans se poser de questions. À n'importe quel prix.

C'était quelque chose avec lequel les gens comme Shepard et Garrus pouvaient vivre. Des soldats. Lucides et terre à terre. Quand une menace pointait le bout de ses mandibules, ils l'éradiquaient. Basta. Rien à ajouter une fois que le taf était terminé. On comptait les morts et les blessés sans vraiment s'attarder et on retournait lustrer son armure en vue du prochain coup dur. Pas le temps de panser ses plaies ou de porter le deuil. Il fallait avancer, sans jamais se retourner, sous peine de trébucher sans plus être capable de se relever.

Et pourtant, Garrus se trouvait là, parmi les décombres, à errer comme une âme perdue, alors que tout le monde n'avait cessé de lui répéter que c'était trop tard. Que même si le corps de Shepard n'avait pas été pulvérisé par l'explosion du Creuset, le Commandant n'aurait pas pu survivre aussi longtemps sans assistance.

Bosh'tet, ils n'en savaient rien ! Ils ne le connaissaient pas. Pas vraiment. Ils n'étaient pas là quand Shepard avait survécu à la rafle des pirates butariens sur Mindoir et aux dévoreurs sur Akuze. Ils n'étaient pas là pour le voir surgir des décombres de la salle du Conseil, déjà à l'époque, droit et victorieux comme une icône guerrière, le cadavre de Saren gisant, désarticulé, un peu plus loin.

Garrus s'en souvenait encore aujourd'hui. Il se souvenait de son souffle de jeune Turien idéaliste bloqué dans sa poitrine alors qu'il se disait : « L'enfoiré, il l'a fait. Il l'a vraiment fait. ». Alors, qu'en fait, il n'en avait même pas douté. À l'époque, il ne voyait peut-être encore que le Commandant Shepard. Un survivant. Envers et contre tout. Une icône presque invincible.

Shepard avait trompé la mort tant de fois. Encore et encore. Lui avait ri au nez. L'avait même bravée pour revenir parmi les vivants. Avec un petit coup de pouce de Cerberus, certes, mais l'esprit de Shepard s'était battu, sa mémoire, sa conscience. Tout ce qui faisait qu'il était lui.

Il était revenu.

Après tant et tant d'épreuves affrontées côté à côte, plus que du respect ou de l'obéissance, ce qui animait Garrus, c'était de la foi. Une conviction si terriblement ancrée en lui qu'il ne pouvait se résoudre à abandonner.

Une forme de certitude particulièrement absurde et irrationnelle s'il devait en croire tous les autres. Même l'équipage du Normandy. Tous ces gens qui auraient dû partager ses certitudes. Qui avaient quotidiennement côtoyé la preuve tangible de ce dont Shepard était capable. Garrus refusait de voir s'éteindre cette loyauté parce que le reste de la galaxie était déterminé à clamer que leur héros était mort.

Son entêtement de Turien était légendaire, aussi les autres avaient-ils pour la plupart cessé de tenter de le dissuader depuis quelques jours déjà. Alors Garrus errait, sans presque dormir ni manger. Juste le strict minimum, entre deux éboulis, pour ne pas tomber, pour que son corps n'entrave pas sa quête.

Parfois Tali ou Liara essayaient de lui parler, de le raisonner. Raisonne-t-on la foi ? Muselle-t-on la certitude ? Elles disaient que c'était du déni, qu'il devait accepter, se rendre à l'évidence et, en prononçant ces mots, leurs visages se tordaient de leur propre chagrin.

Garrus leur posait alors une main réconfortante sur l'épaule et leur souriait, de toutes ses mandibules et de ses yeux bleus battus par l'épuisement. Puis il repartait, charriait une nouvelle pile de gravats, exhumait d'autres corps qui n'étaient jamais celui du Commandant. Parfois il frémissait en avisant une tignasse de cheveux bruns ou une armure N7.

Ça n'était jamais les bonnes.

Alors il recommençait, jusqu'à ce que ses muscles le brûlent, que son corps hurle de faim et que son crâne se fende de douleur.

Au matin du huitième jour, il finit par les ôter ses gantelets ravagés et poursuivre à mains nues, sans se soucier de ses griffes arrachées et de ses plaques soulevées. Il s'entêta sans faillir, même lorsque les secouristes commencèrent à se retirer, disant que s'il restait encore du monde là-dessous, ça ne pouvait plus être urgent. Ça ne le serait plus jamais.

La nuit stellaire enveloppa Garrus en dépit des projecteurs qui demeuraient allumés en permanence. Ordre de Hackett qui, peut-être, n'avait pas non plus complètement perdu la foi. Cela permit à Garrus de continuer, sous les regards de plus en plus emplis de commisération.

Il se murmurait dans les rangs que la bataille de Londres et la perte de Shepard avaient fini par rendre fou son ami Turien. Après tout Vakarian ne serait pas le premier soldat survivant incapable de se relever à l'issue de la bataille ; comme tous ceux avant lui, désormais occupés à poursuivre de vains combats qui n'existaient plus que dans des esprits brisés. Chasseurs de chimères. Autant d'ombres et de fantômes, brumes inconsistantes qui s'effilochaient entre les doigts gourds à chaque fois que l'on s'imaginait les saisir.

Garrus pensa à sa mère que l'argent n'avait pas pu sauver, pas plus que l'omniscience du courtier de l'ombre. Il pensa à son père et à sa sœur, dont la navette avait quitté Palaven sans qu'il sache si elle avait vraiment atterri quelque part. Il pensa à ces moments terribles sur Omega, cerné par des hordes de mercenaires, mais surtout par les dépouilles de son équipe. Ces hommes et ces femmes qu'il n'avait pas su protéger, qu'il avait menés à la mort. Tout ça parce qu'il avait été incapable d'affronter la mort de Shepard, la première, infichu de trouver sa voie sans ce diable d'humain.

De se débrouiller seul.

Solitude.

Solitudes...

Était-il en train de rejouer la même partition ? Comme un fusil qui s'enraille. Le cliquetis de la surchauffe. Tic tic tic. Et aucune balle qui part. Une répétition stérile et dénuée de sens. Une arme mise au rebu, sans but, une fois la guerre terminée ?

Tout à coup, une chape de solitude bien plus pesante que tous ces débris amoncelés s'abattit sur ses épaules. Soudain rattrapé par l'exténuation et les blessures de ces derniers jours, sa poitrine se comprima douloureusement, à la recherche d'air. Il ne trouva que cet ersatz noyé dans la poussière lourde qui semblait ne pas vouloir retomber depuis que la citadelle s'était écroulée autour du Creuset.

Garrus força sur ses poumons, obligea sa poitrine à se soulever, le sang à circuler en lui. Malgré cela, il avait la sensation de n'être plus parcouru que par un flot poisseux et épais qui le glaçait, à chaque seconde un peu plus.

Il se laissa tomber sur l'énorme plaque de béton armé qu'il avait cherché à déplacer depuis des heures. S'acharner sur ce pan de mur était presque devenu vital, la réponse muette et en partie pulvérisée à une question qu'il ne se posait même pas. Il s'y allongea pourtant, les bras étendus de chaque côté de lui et son regard bleu perdu dans l'immensité étoilée au-dessus de sa tête. Ces confins spatiaux qu'il avait si souvent explorés. Familiers et paradoxalement inaccessibles. Comme s'il y avait laissé une part de lui-même. Enterré un petit fragment, à la manière des gosses, pour le retrouver plus tard. Quand il serait assez grand pour y retourner. Quand il en aurait le courage.

Au lieu de quoi, voilà qu'il était là, sur cette carcasse de station en errance dans une atmosphère criblée des épaves de la plus grande bataille de l'histoire de la galaxie. Les vaisseaux des Moissonneurs et des Organiques dérivaient en un ballet lent et merveilleusement anarchique, pulvérisés. Si petits vus d'ici. Si fragiles et dérisoires.

À peine plus tangibles que Garrus lui-même.

Un adulte, un soldat. Le conseiller spécial Vakarian, bras droit du Primarque Victus et des généraux turiens. L'oiseau de mauvais augure devenu héros de guerre.

Foutaises...

Il ne se sentait pas l'âme d'un héros. Pas plus que celle d'un conseiller.

Avec amertume, il réalisa que son père serait sans doute fier de lui. Un comble... Alors qu'ils avaient enfin arraché la victoire aux Moissonneurs, Garrus redevenait ce gosse perdu, coincé entre les attentes des uns et les regrets des autres. Les siens aussi.

Un sacré modèle, tiens... Incapable de remuer son cul, de poursuivre la lutte alors qu'il gisait là, sur ce foutu pan de mur, crucifié. Trop seul pour savoir comment continuer. Ses membres lourds ne lui répondaient plus. Ils abandonnaient la partie pour faire comprendre à sa sale caboche que l'espoir était inutile. Vide de sens. Toxique.

« Il n'y a pas de Shepard sans Vakarian. »

La belle affaire. Y avait-il un Vakarian sans Shepard ? Avait-il vraiment existé en dehors de cette ombre-là ? De la silhouette démesurée de ce héros qu'il aurait suivi jusqu'au bout de l'enfer les yeux fermés. Qu'il avait suivi jusque dans les entrailles de quelque dieu mécanique agonisant. Ce héros auprès duquel il serait mort avec gratitude.

Un grondement qu'il ne reconnut pas immédiatement monta dans sa gorge et résonna sous les voûtes brisées. À mi-chemin entre la rage la plus incandescente et la sensation d'abandon la plus déchirante. Garrus se retrouvait écartelé entre ces deux émotions alors qu'il repliait son avant-bras sur sa bouche pour tenter de contenir ce cri inarticulé. Un râle de bête blessée et agonisante.

Il n'y a pas de Vakarian sans Shepard.

Ne lui restait plus que cette nouvelle vérité à faire mentir. Pour quoi ? Pour vivre ? Continuer à avancer ? Comment ? Dans quel but ?

À demi mort de fatigue et de faim sur un pan de mur réduit à l'état de charpie, Garrus Vakarian venait de perdre la foi. Lui, le Turien issu d'un peuple qui ne vénérait plus en aucun dieu depuis des millénaires. Lui qui ne savait même pas qu'il croyait avant de tout perdre. Lui qui n'avait même pas eu conscience de rechercher avec tant d'ardeur un guide pour donner un sens à sa vie.

Un commandant qu'il respecterait. Un homme qu'il admirerait suffisamment pour que le jeune flic qu'il était quelques années plus tôt abandonne tout le reste. Une icône. Un modèle.

Avec ses failles, ses doutes et ses faiblesses. Cette humanité qui, loin de saper les fondations du piédestal, n'avait fait que contribuer à rendre Shepard plus tangible. Plus proche. Un ami. Comme on ne peut espérer en rencontrer qu'un seul dans toute une existence.

Certains sont amoureux. D'autres détestent, se passionnent, aiment, goûtent, rient, partagent, retiennent, exultent, contraignent, mentent, trichent, aident... Et d'autres encore sont des amis. La loyauté et la fraternité poussées à leur paroxysme. L'essence même du dévouement qui n'attend rien en retour et se nourrit de ce qui est naturellement offert.

Même les quelques femmes qui avaient traversé la vie de Garrus n'auraient pu prétendre à un tel degré d'intimité. Ça n'avait rien à voir avec le corps et pourtant la pudeur n'était pas de mise. Ça n'avait rien à voir avec l'amour et pourtant la fidélité était seule en cause. Rien n'existait en dehors de cette amitié, à part peut-être le reste du monde. Mais est-ce que le reste du monde aurait pu continuer à exister sans leur amitié ?

Garrus avait encore sur la pointe de la langue le goût de l'alcool partagé, de ces plaisanteries douteuses dont les soldats ont le secret, destinées à tout dédramatiser. De ces mots qu'on ne prononce pas, par retenue et par pudeur. Sauf quand se dessine la fin du monde, parce qu'il ne sert plus à rien de chercher à les taire.

Un empilage de petits touts et de grands riens que l'on s'invente pour tenir la mort à distance.

Apparemment, ça n'avait pas bien fonctionné...

À moins que ça ne soit de la faute de ces fameux mots finalement échangés. Trop sérieux. Trop... conscients de la réalité malgré la légèreté du sous-entendu.

« Retrouvez-moi au bar. »

Est-ce que Shepard savait d'avance qu'il ne s'en sortirait pas ? Tous les soldats se préparaient au sacrifice ultime. Et pas uniquement dans les coups durs. N'importe quelle mission de routine pouvait être la dernière. L'attaque des Récolteurs pendant leur poursuite des Geths en avait apporté la preuve alors que tous pensaient la menace écartée. Mais en dépit de ce précédent, la bataille de Londres avait résonné d'une manière bien différente. Plus sombre, plus définitive.

« Il y a la galaxie, il y a les Moissonneurs et au milieu de ce merdier, entre le marteau et l'enclume, y a nous. Juste nous. »

C'est ce qu'avait hurlé le regard de Shepard juste avant qu'il ne presse l'épaule de Garrus, arborant ce drôle de sourire en coin. Un peu trop sage, un peu trop résigné. Sur le moment, il avait semblé sur le point de dire quelque chose. Sa bouche s'était ouverte, avait laissé passer un filet d'air et s'était refermée, emprisonnant ce qui n'était finalement rien d'autre qu'un souffle déjà moribond.

Garrus aussi avait hésité. Ça ne pouvait juste pas se terminer comme ça, non ?

Le début de la fin.

Shepard ne lui avait jamais rien caché, n'avait jamais menti ni triché. Même lorsqu'ils poursuivaient ensemble Sidonis. Il aurait pu pousser Garrus vers l'une ou l'autre voie sans que le Turien lui en tienne rigueur. Venger son équipe. Pardonner. Vivre et laisser vivre. Tuer pour laisser mourir.

Mais non. Shepard ne lui avait jamais rien offert d'autre que le luxe de la vérité toute nue.

Et voilà qu'alors que le monde s'écroulait autour d'eux, morceau par morceau, tels ces serveurs Geths où ils avaient simplement éteint la lumière, Shepard avait pour la première fois retenu ses mots. Comme s'ils pouvaient être de trop, pouvaient encore tout changer.

Ce souvenir donnait envie de hurler à Garrus, alors que son rugissement d'agonie était mort dans sa gorge douloureuse depuis ce qui semblait des heures. Malgré cela, il en avait besoin. Besoin de se saigner de cette douleur, d'inciser son corps pour l'en extraire, comme un poison. Un poids qui l'attirerait vers le fond.

Shepard l'avait abandonné. Pire. Même Shepard l'avait abandonné.

Il ferma les yeux, asphyxié de chagrin et de colère. Cette colère qui ne l'avait jamais déserté face à l'injustice du monde. Une injustice renouvelée qui le frappait ce jour-là de plein fouet. S'il n'avait dû en rester qu'un, cela n'aurait pas dû être lui.

Une masse énorme cacha soudain le peu de la lumière des spots qui filtrait sous ses paupières. De même que le pan de mur trembla sans que Garrus n'esquisse un geste. Le reste de cette maudite Citadelle pouvait bien s'écrouler sur lui si elle en avait envie.

Le silence s'éternisa, lourd et aride. Vide de sens.

_Ça, c'était de la baston, gronda finalement la voix caverneuse de Wrex.

Un rire sec et désabusé secoua brièvement Garrus. Le Krogan n'avait pas tort. La fin des Moissonneurs, rien que ça... La fin des cycles et de la destruction systématique des espèces conscientes.

Personne n'aurait pu prédire cela. Ne l'avait jamais accompli ou vécu. Un baroud d'honneur unique en son genre. Qui, avec un peu de chance, le demeurerait si plus aucun robot fêlé du circuit ne se mettait en tête de jouer les démiurges pour éliminer toute vie de la galaxie.

Au loin, un frémissement poussa Garrus à ouvrir les yeux. Des Geths avaient pris le relai des secouristes et s'employaient à dégager les débris, assistés de Quariens. Les créateurs et leurs... unités. Des IA éveillées à la conscience et leurs inventeurs. Côte à côte. Égaux. L'apogée des Cycles.

L'image de Légion surgit à l'orée de sa conscience. Mort pour les siens. Sacrifié. De même que Mordin, pour racheter sa faute et sauver l'espèce qu'il avait condamnée. Thane, l'assassin qui avait absous ses péchés en offrant le seul bien encore en sa possession : le temps.

Un peu de temps qu'il aurait pu passer avec son fils. Ce temps que l'on peut choisir de consacrer à ceux que l'on respecte, que l'on admire. Que l'on... aime. Ceux sans qui on n'envisage plus la vie.

_Allez, damné cul de Turien, debout ! On a encore du pain sur la planche ! Déjà que les Krogans ont fait tout le boulot avec ces saloperies d'endoctrinés !

Un nouveau rire amer secoua Garrus. Et en même temps... étrangement affectueux. Ce bon vieux Wrex.

_Je sais ce que vous essayez de faire, Krogan. Allez donc engrosser une ou deux femelles maintenant qu'on vous a rendu vos couilles. Histoire de voir si vous savez toujours vous en servir...

Un rire de Krogan cela ressemblait à un écho tonitruant qui remplissait tout, secouait tout, jusqu'à la plus infime particule de chaque chose. Sans qu'il sache trop pourquoi, Garrus se sentit légèrement revigoré par ce son. Familier à sa manière.

Pas aussi familier que ce qui lui manquait vraiment, mais c'était déjà un début.

Il ouvrit les yeux pour découvrir que le foudre de guerre lui tendait sa grosse paluche écailleuse. Au loin, perdue sur un horizon noir, se détachait la silhouette claire et élancée du Normandy.

Ma foi, pourquoi pas...

Une patte devant l'autre, un pas après l'autre. Ne plus penser à rien. Meubler le vide de petites choses, comme on entasse des briques dans un soubassement ravagé pour tenter de reconstruire des fondations.

Alors qu'il maintenait une façade neutre face à la fadeur de cette résolution, Garrus sentit une intense douleur éclater en lui. Sa propre trahison répondant à l'abandon de Shepard. Pourtant il se releva et se laissa emporter par la poigne ferme de Wrex. Projeté, remis sur ses deux jambes, un peu malgré lui, ballant, sans savoir quoi faire.

Les deux amis fixèrent un moment le décor d'apocalypse qui les entourait, devenu tellement quotidien ces derniers mois. Des ravages était née l'union. Pour combien de temps ? Personne ne voulait répondre à ces questions alors que fumaient encore les décombres, que les morts et les disparus se comptaient par dizaine de millions. Les dissensions renaîtraient bien assez tôt.

« Reconstruire », hurlait l'agitation presque fébrile de tous ces gens qui avaient réinvesti la Citadelle sur des restes de vaisseaux bringuebalants. Comme un symbole un peu dérisoire. Une reconquête. Même branlante et à la dérive dans l'espace, aucune des espèces de la Voie lactée n'aurait abandonné la station. Elle avait été l'incarnation de la lutte, de cette guerre stupide ; elle serait désormais celle de la renaissance.

Garrus soupira et se tourna vers Wrex.

_Un petit dernier pour la route, dit-il en désignant un pan de mur effondré à leurs pieds.

Presque semblable en tous points à celui sur lequel il avait failli abandonner.

Wrex acquiesça et, ensemble, ils soulevèrent le débris qui s'écroula un peu plus loin avec un bruit effrité. Autant que les filaments de foi de Garrus qui, sans trop bien s'en rendre compte, avait espéré un miracle. Plus que tout et sans oser se l'avouer.

Pire que de l'espoir, il en avait eu... besoin.

Un miracle qu'il avait appelé de tous ses vœux à chaque morceau de béton déplacé, à chaque éboulis déblayé. Depuis des jours. À en hurler. Parce que c'était nécessaire. Vital.

Parce qu'il le fallait. Que le reste était illusoire.

Un espoir qui se brise ne produit aucun bruit. Pas même un soupir. C'est un silence assourdissant qui s'abat à l'intérieur d'un être. Plus terrible que la mort elle-même. Car il condamne à vivre sans but et sans cause.

Garrus se détourna à la manière d'un automate. Le regard vide et les gestes raides. Aussi poussiéreux et friable qu'un guerrier de terre cuite.

_Vakarian, souffla Wrex.

Il ne l'entendit pas. N'entendit pas l'incrédulité ni ne perçut cette manière dont Wrex se statufia, jusque dans sa voix de stentor.

_Vakarian, répéta celui-ci, plus fort, plus impérieux.

Garrus se retourna, presque indifférent. Il ignora cette étincelle en lui, cette infime floraison. Car les espoirs déçus font bien trop mal lorsqu'ils explosent et agonisent. Ils ravagent tout, détruisent tout, à la manière d'une vague acide et sombre. Alors mieux vaut ne pas les réveiller à la légère.

L'incrédulité la plus profonde marquait les traits du vieux Krogan, qui avait pourtant dû en voir des vertes et des pas mûres en quelques centaines années de combat.

_Mais quel fils de pute ! C'est pas possible !

Un éclair rouge sous la poussière. Terni, enseveli.

Il aurait été si facile de le rater.

En dépit de ses bonnes résolutions, Garrus ne put empêcher son pouls de s'emballer comme un fou, jusqu'à bondir hors de sa poitrine, jusqu'à le déserter. Sa vie s'enfuyait ailleurs, dans d'autres mains, dans un autre corps. Elle ne tenait qu'à un fil. À un souffle.

Une poitrine dans un plastron rouge sang marqué d'un N7 au noir d'encre.


Voilà, j'espère que ça vous aura plu :) Quant à savoir quand j'aurai envie de rouvrir cette fic pour un nouveau chapitre, seul l'avenir nous le dira.
Bises à tous


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