Fall appart
Pourquoi ce texte-là maintenant ? Pourquoi convoquer les vieux copains ? Je n'en sais foutre rien ! J'avais envie de cracher un peu de bile l'autre soir, et vla que Shepard et Garrus se pointent. En avance sur la sortie de ME Andromeda en plus. Peut-être que j'avais besoin de tourner la page de la première trilogie. En tout cas, voici que ce petit OVNI s'est pointé dans ma galaxie. Une bromance en plus. Le truc à n'y rien comprendre...
Mais j'ai eu l'impression de retrouver des vieux potes. Pire, de me réconcilier avec eux. Y a des chances que je relance une partie avec ces conneries.
Bon sinon, à part ça ! Correction maison, donc c'est moi qu'on engueule pour les horreurs qui traînent dans le texte. Et la grande question : ce texte est-il un OS ? Ptêtre ben que oui, ptêtre ben que non. Je me tâte à ouvrir ça version série ou recueil. Histoire de rajouter une pierre à l'édifice quand m'en prendra l'envie, sans autre fil rouge que la relation entre ces deux-là.
Allez, je vous laisse lire en paix, et advienne que pourra...
Ce maudit appartement tenait bien plus de la souricière que du nid douillet. Quoiqu'un nid douillet ne répondait pas non plus exactement aux exigences de Garrus Vakarian en termes de sécurité. Les petits cocons dans lesquels on se drape pour oublier à quel point le monde extérieur est merdique, c'était bon pour les civils. Ces dizaines de millions d'organiques qui se comportaient déjà comme si la guerre n'avait jamais eu lieu. Et, damned, c'était pour ça que l'équipage du Normandy s'était battu. Pour offrir une nouvelle chance à la galaxie. Pour que les braves gens puissent s'enfermer dans leurs apparts, se lover dans une couverture, ouvrir un bouquin ou lancer un holo sans plus penser à ce monde à reconstruire.
Ce genre de petite vie bien rangée, ça n'était pas pour les vétérans. Pour les gars qui en avaient soupé. Ceux qui connaissaient la vraie crasse des champs de bataille et avaient goûté à l'horreur de la moisson. L'avaient tâtée de près. Ceux qui trimbalaient cauchemars et souvenirs comme autant de fantômes. Les spectres des camarades tombés au combat, des foules endoctrinées, des sacrifiés. Legion, Mordin, Thane, Ashley, Kaidan et tous les autres.
C'était à eux que Garrus pensait à chaque fois qu'il foutait les pattes dans le trop luxueux appartement de Shepard, le sauveur de la galaxie. Et aux calculs froids. À toutes ces décisions poussées par la nécessité. Sacrifier un million de personnes pour en sauver trois un peu plus loin, dans un système où demeuraient encore quelques ressources exploitables pour la guerre. Ne plus penser au passé, piétiner les cendres froides d'une existence que l'on avait crue immuable. Ne percevoir les planètes que comme les cases d'un gigantesque jeu d'échecs.
Les Turiens vivent toutes leur vie en se préparant à la guerre. Servir et protéger son peuple. Plus qu'une maxime, une ligne de conduite ou une devise, ces mots forment presque un fragment de leur ADN à eux tous seuls. Garrus aimerait parfois se libérer de ce fardeau. Se convaincre égoïstement qu'il en a bien assez fait. Qu'il mérite bien quelques vacances après avoir survécu à cette boucherie. Que cette foutue Citadelle pourrait bien se démerder sans lui. Puis la réalité reprenait ses droits. Un simple regard par la fenêtre de son bureau lui rappelait que tout restait à reconstruire. Alors même qu'il fallait réapprendre à vivre en portant le deuil de ces milliards de vie balayés sur l'autel d'une folie synthétique.
Les peuples oublient vite. La preuve : sans vraiment se poser de questions, ils s'étaient réapproprié la Citadelle. Le rôle clé de la station dans l'invasion des Moissonneurs oublié par commodité, enterré au plus profond de la mémoire collective. Car, quelque part, en dépit de sa duplicité, le lieu possédait la force rassurante des habitudes. Et même Shepard avait fini par réintégrer ses quartiers, ce luxueux appartement reçu de l'amiral Anderson.
Garrus était là le jour où le héros de la galaxie avait enfin été suffisamment remis de ses blessures pour quitter l'hôpital mémorial. Pendant tous les mois que le commandant y avait passés, suspendu entre la vie et la mort, le corps de nouveau brisé et privé du secours de ses implants cybernétiques, Garrus n'avait pas bougé de son chevet. À peine quelques heures par-ci par-là, le temps de récupérer des fringues, quelques affaires de toilette et d'envoyer paître ce qu'il demeurait du reste du monde. Les infirmières avaient fini par le plus rien dire, débordées qu'elles étaient par leurs centaines de milliers de patients. Puis le flux des morts et des blessés s'était tari ; les jours et les mois avaient passé sans que Garrus ne bouge. Il se lavait dans la petite salle de bain attenante à la chambre, mangeait l'infâme nourriture lyophilisée de l'hosto. Et il restait là, guettant les inspirations laborieuses de la poitrine décharnée, le moindre frémissement, un mouvement réflexe, un battement de cil. Le plus petit indice qui lui aurait permis de savoir qu'une âme habitait encore ce corps broyé.
Shepard l'entendait-il ? S'était-il raccroché à la voix rauque et grondante du Turien pour retrouver le chemin de la vie ? Personne ne le saurait jamais. Garrus n'avait pas arrêté de parler. Tous les jours. Il revivait leur épopée, rattrapait le temps perdu, toutes ces conversations qu'ils n'avaient pas pu partager, trop occupés à sauver le monde. Alors il racontait Oméga, Sidonis, son enfance sur Palaven. Une fois les souvenirs épuisés, étaient arrivées les nouvelles du monde. Petit à petit. Parcellaires et lacunaires, à mesure que les réseaux de communication étaient reconstruits, désenclavant parfois des systèmes entiers d'un coup. La galaxie pansait ses plaies au rythme de son héros. Lentement. L'on comptait les morts, les blessés, mais plus les larmes. Trop de larmes, trop de visages jaunis dont les photos agrafées sur les murs finissaient par s'envoler.
Garrus avait passé presque deux ans dans cette foutue chambre. C'est long deux ans. Et c'est très court aussi. Surtout lorsque les moniteurs s'emballent d'un coup et que les médecins accourent, affolés. Parce que la seule chose à laquelle il pouvait penser pendant que les toubibs s'agitaient, c'était que si la fin, la vraie, devait survenir à cet instant, il aurait voulu plus de temps. Quitte à ne plus jamais sortir de cet hôpital.
Et puis Shepard s'était réveillé. D'un bond, comme le soldat qu'il était, enragé plus que terrifié en réalisant que son corps le trahissait. Le commandant ne s'était calmé qu'en sentant la grande main griffue du Turien se poser sur son épaule.
_Alors, Shepard ? La sieste était bonne ?
C'était tout ce que Garrus avait été foutu de dire. Durant quelques secondes, Shepard l'avait fixé sans comprendre, sans le reconnaître. Puis le rire était né à l'intérieur même de son regard, sans que la gorge desséchée du commandant ne puisse le laisser passer. Mais ces foutus yeux bruns ne mentaient pas. En dépit de son corps lacéré de profondes cicatrices et de ses membres paralysés par le poids de deux années de coma, cet enfoiré d'humain riait comme un perdu.
_On a gagné, Shepard. On leur a botté le cul. Et non, vous n'avez pas encore passé l'arme à gauche. Si on était là-haut tous les deux, c'est au bar que je vous ai donné rendez-vous, pas à l'hosto. Le room service est bien trop merdique ici.
Shepard se souvenait.
Ensuite, le sommeil avait laissé place à la rééducation. Une nouvelle forme d'attente et de frustration. D'abord la parole. Puis les membres. Animé d'une volonté farouche, Shepard s'était battu comme le survivant qu'il était. Sans la moindre concession, sans jamais reculer ni renoncer. Son but ? Traîner le cul osseux de Garrus hors de cette foutue chambre, au moins aux heures de bureau.
« Le monde avait besoin de Turien de sa trempe pour se reconstruire sur des bases un peu moins vermoulues que les précédentes », disait-il.
La mort dans l'âme, Vakarian avait fini par céder. Après tout, Shepard n'avait plus vraiment besoin de sa présence permanente à ses côtés. Une part très sombre et très profonde de lui le déplora, même s'il préféra ne pas l'écouter lorsqu'elle lui susurrait que le coma du commandant avait été un prétexte bien commode pour ne partager l'humain avec personne. Et surtout pas avec le reste de la galaxie qui attendait le retour de son héros.
Garrus s'était pourtant montré intraitable sur certains points. Notamment sur les séances de rééducation. Il assisterait à chacune d'elles, point barre. Non négociable, fin de la discussion. Le kiné n'était là que pour expliquer les exercices. Si quelqu'un devait aider et soutenir Shepard, Garrus s'en chargeait, dissuadant toute autre proposition d'un regard féroce. Même celles de Liara et Tali lorsqu'elles vinrent en visite. Joker, lui au moins, n'essaya même pas, arguant que si Shepard se débrouillait bien, l'un d'eux deux remarcherait un jour sans béquilles. Comme toujours, Wrex s'était montré égal à lui-même alors qu'il profitait d'une session du Conseil pour prendre des nouvelles.
_Je ne me rappelais pas que les humains se tortillaient comme des larves. Vous régressez, Shepard.
La soirée s'était terminée dans la chambre du Commandant, avec une bouteille de Rincol et les plaintes des voisins de couloir. Plaintes rapidement étouffées en découvrant un chef de guerre Krogan couturé de partout dans l'encadrement de la porte à laquelle ils venaient de toquer. Tout le monde s'était réveillé avec une superbe gueule de bois le lendemain matin, et l'impression d'être enfin revenu à la vie.
Shepard avait fini par quitter l'hosto lorsque les toubibs l'avaient considéré comme suffisamment rafistolé. À l'extérieur, une grande conférence de presse l'attendait, organisée par l'amiral Hackett. De quoi foutre les pétoches à n'importe qui. Mais Shepard n'avait pas peur, il était simplement las, fatigué d'avance de ce rôle qu'on allait lui coller. Le héros de la Citadelle ? Il avait déjà donné, merci bien. Il n'y avait qu'à voir où toutes ces conneries l'avaient mené.
Aussi, au lieu de se plier bien gentiment au protocole, s'était-il tourné vers Garrus.
_On se démerde comme vous voulez, Vakarian, mais hors de question de passer par la grande porte. J'ai laissé mon Écorcheur sur le Normandy et ils sont trop nombreux pour qu'on se les fasse tous à l'OmniLame.
_Ça nous laisse le toit. Ou les conduits d'aération. Ceci dit, j'aimerais autant éviter de finir à quatre pattes dans un goulot.
_Va pour le toit alors. Et après ?
_J'avais pensé que le protocole vous emmerderait. Joker nous attend là-haut avec une navette...
_Rappelez-moi de vous offrir une bouteille, avait gloussé Shepard en lui tapant sur l'épaule.
_Juste une ? Je ne vous croyais pas radin, Commandant...
Et après ? Ils auraient pu retourner sur le Normandy. Après tout, s'il existait un lieu susceptible de leur servir à tous de foyer, c'était bien ce foutu vaisseau. Shepard avait préféré demander si l'appartement d'Anderson tenait encore debout. Étonnamment oui. L'attaque des Moissonneurs sur la Citadelle, aux derniers jours de la guerre, n'avait pas épargné la population. Mais la station si. La gigantesque corolle stellaire était demeurée intacte, et ce en dépit de son rôle de catalyseur dans l'assemblage du Creuset.
Garrus et Joker avaient donc ramené leur commandant chez lui. L'appartement n'avait pas changé. Vaste et spacieux. Luxueux. Toujours ces mêmes gigantesques baies vitrées. Une véritable invitation pour n'importe quel sniper en vérité. Shepard n'avait jamais semblé se préoccuper de ce détail, pas plus ce jour-là qu'avant. Sans doute trop occupé à tituber jusqu'à son lit sur lequel il s'était effondré, épuisé par l'effort fourni.
Quelques mois plus tard, Garrus en était lui aussi revenu au même point. À fixer ces mêmes foutues fenêtres en crevant d'envie de les barricader. Exercice auquel il s'était déjà livré lors d'une soirée arrosée. Sauf que Shepard avait moyennement apprécié de voir sa cafetière transformée en bombe à retardement. L'appareil avait d'ailleurs atterri dans le plumard de Zaeed qui n'avait eu que quelques secondes pour évacuer les lieux, complètement à poil et encore gris de la veille, avant que l'engin n'explose, carbonisant au passage la chambre d'hôtel crasseuse dans laquelle Shepard l'avait retrouvé.
L'appartement dans lequel Garrus venait de pénétrer était anormalement calme. Même pour un dimanche matin. Midi. Début d'après-midi... Shepard n'était de toute façon pas connu pour se lever aux aurores les lendemains de fêtes. Ou de samedi soir, ce qui revenait au même. Mais même pour lui, quinze heures, ça faisait un peu tard pour poursuivre la grasse matinée. Il était pourtant là, l'IV de la résidence l'avait confirmé à Garrus au moment de le laisser entrer chez le commandant.
Ça sentait la gueule de bois carabinée. Mieux valait préparer une tasse de café avant de se lancer à la recherche du héros. Même les sauveurs de l'univers ne fonctionnent pas bien sans leur dose de caféine au décollage. Garrus activa la cafetière flambant neuve. Non programmable celle-ci. Elle lui délivra néanmoins le précieux liquide en un temps record.
Finalement armé pour affronter le fauve, il se mit en quête.
En ce dimanche matin, Shepard hantait bel et bien son endroit de prédilection : sa piaule. Allongé sur le ventre, des ronflements sonores soulevaient son thorax tandis que ses bras entouraient un oreiller. Garrus n'aurait voulu remplacer le malheureux accessoire pour rien au monde, ne nourrissant aucune envie de mourir étouffé.
Quelques bouteilles d'alcool asari avaient roulé sur le sol, au pied du lit, tachant les précieux tapis. Les draps bouchonnés et rejetés sur le côté dévoilaient le corps de Shepard, d'apparence presque fissuré tant il était couvert de cicatrices. Pour le soigner, les toubibs avaient dû réactiver comme ils le pouvaient certains des implants cybernétiques datant de la reconstruction de Cerberus. Mais pas tous. Certains étaient définitivement HS. Aussi Shepard cicatrisait-il désormais comme un simple mortel. Autant dire mal. On lui avait bien proposé des greffes de peau qu'il avait refusées tout net, arguant qu'on l'avait déjà bien assez charcuté comme ça.
Cette grande carcasse de soldat marquée par les batailles formait un contraste saisissant avec celle d'un second humain couché dans le grand lit double. Un autre mec, à la carrure lourde et puissante, comme les aimait généralement Shepard. Sans doute aurait-il peur de briser quelqu'un de plus chétif que lui.
Garrus ne releva pas. Il était habitué. Tous les soldats faisaient ça un jour ou l'autre. Noyer les cauchemars dans les souvenirs et les putains. Celles que l'on paye et celle que l'on ne rappelle pas. Lui-même ne s'en était pas privé sur Oméga, lorsqu'il avait cru Shepard mort, la première fois. Pourquoi se serait-il permis de le juger ?
À la place, il avança dans la pièce et posa la tasse de café sur la table de chevet, juste assez près pour que le fumet parvienne jusqu'aux narines de Shepard qui grogna. Une paupière se souleva, papillonna et se referma.
_Trop de lumière, gronda le commandant.
_Il est trois heures de l'après-midi. Bougez votre cul.
_Vous m'emmerdez, Vakarian. C'est dimanche. Pourquoi je ferais ça ?
En dépit de ses récriminations, Shepard consentit néanmoins à s'exécuter. Il repoussa les draps et se remit sur ses pieds, prenant le temps de passer la main dans ses cheveux toujours coupés en brosse. Un bâillement à s'en décrocher la mâchoire lui échappa lorsqu'il se leva. Garrus suivit les pas un peu titubants de l'humain tandis que celui-ci gagnait la salle de bain, les courbes de son corps rude se détachant à contre-jour.
Shepard ne prit même pas la peine de verrouiller la porte derrière lui alors qu'il commençait à pisser, debout et les jambes écartées devant les toilettes. Un gémissement de satisfaction s'éleva de sa gorge. Garrus en conclut que l'humain était désormais bien assez lucide pour se démerder tout seul et quitta la pièce. Pas vraiment par souci d'intimité. La pudeur est un luxe rare sur un vaisseau spatial, et les douches communes laissent rarement ignorer l'anatomie des autres espèces.
De retour dans la cuisine, Garrus se prépara à son tour une boisson chaude et emprunta un datapad à Shepard. Même le dimanche, les messages ne cessaient de s'empiler dans sa boîte de réception. Pas de repos pour l'exécuteur du SSC. Le successeur de Pallin, son ancien boss. Rien que ça. C'était à cette place qu'on l'avait propulsé lorsqu'il avait enfin décidé de reprendre le boulot. Et puisque tous les autres étaient morts...
Un honneur qu'ils avaient dit. Après le conseiller spécial Vakarien, voilà qu'il se retrouvait à la tête du service de sécurité de la Citadelle. Autant dire qu'il se sentait autant à sa place qu'aux pieds de la reine rachni. La paperasse s'entassait autour, menaçant de le submerger. Les politiques se méfiaient de lui, conscient de leur marge de manœuvre limitée, eut égard à cette aura de prestige qui entourait Garrus. Et les flics, les agents du SSC ? Une bande de petits couillons idéalistes. Comme Garrus l'avait été à leur âge. Ou alors des vieux de la vieille, ceux qui avaient connu la guerre, comme lui, et ne s'en laissaient pas compter. De quoi vous filer une migraine carabinée. Du moins dans les meilleurs jours.
Alors qu'il parcourait distraitement un rapport sur les nouvelles filières d'approvisionnement en sable rouge, les marches de l'escalier craquèrent. Shepard descendait, douché et rasé de frais, vêtu d'un pantalon cargo qui avait connu des jours meilleurs et d'un t-shirt blanc sur lequel cliquetaient ses plaques d'identification.
_Café ? proposa-t-il à Garrus en levant sa tasse.
_Servi... Mais faut pas vous priver pour moi.
Le glouglou de la machine meubla le silence, du moins jusqu'à ce que Shepard rejoigne son vieil ami dans le salon, le bruit de ses pieds nus étouffés par les tapis. Il se laissa choir dans un fauteuil, pressant la tasse contre son front.
_Ça ressemble à une vilaine gueule de bois, ça...
_Je ne me rappelais même pas d'avoir ramassé ce type, maugréa Shepard sans rouvrir les yeux qu'il avait fermés.
_Voyez le bon côté des choses : ce n'est ni un Elcor ni un Hanari...
_La zoo' et les tentacules me branchent moyen, Vakarian. Mais c'est gentil de vous inquiéter.
Ils ricanèrent de concert, puis la conversation s'éteignit quelques instants durant, dans le confort tranquille de l'habitude.
_Vous vouliez me parler de quelque chose ? finit par demander Shepard.
Garrus hésita.
_Ça se pourrait.
_C'est forcément ça. Sinon vous n'auriez pas pris le risque de venir me botter le cul à une heure pareille un dimanche.
Depuis le retour de Shepard, Garrus disposait d'un droit d'accès total à son appartement. Sans motif ni justification préalable. L'IV avait ordre de le laisser rentrer quand il le désirait, sans même l'annoncer. Il était rare que le Turien en abuse.
« Pourquoi précisément aujourd'hui ? »
Telle était la question qui flottait dans le silence suivant la remarque de Shepard.
_J'ai reçu une proposition hier.
_Du boulot ? demanda Shepard en ouvrant un œil. Je pensais que ça aurait suffi aux pontes de vous utiliser comme épouvantail à la tête du SSC.
_Visiblement pas, répondit amèrement Garrus.
C'était un goût qu'il n'appréciait pas foncièrement. Il n'avait pas été assez idéaliste pour penser que le monde changerait après la guerre. Que la victoire rendrait les organiques moins cons. Mais il se surprenait de plus en plus à contempler ses semblables avec un détachement cynique. Tout comme il lui arrivait de se demander si ça valait bien la peine de s'être battu pour ça. Au fond, sans l'épineuse question du libre arbitre, peut-être que les Moissonneurs n'auraient pas eu tout à fait tort.
_De quoi s'agit-il alors ?
_L'armée turienne. Réintégration pleine et entière. Apparemment, il aimerait rajouter un général à leur collection.
_Belle promotion. Ils reconnaissent enfin que vous n'êtes pas si mauvais en stratégie...
Garrus aurait pu rebondir sur la boutade comme il en avait l'habitude. Engager une plaisante joute verbale, un petit concours de bite pour évaluer leurs capacités mutuelles. Une manière comme une autre de tester leur camaraderie. Ce jour-là, il n'en fit rien.
_Je serais stationné sur Palaven.
Cette fois, rien ne vint briser le silence qui se prolongeait et Garrus se décida enfin à regarder ailleurs que son datapad. Shepard le fixait, une expression impénétrable lissant ses traits humains. Garrus connaissait bien cette poker face. C'était celle qu'arborait son commandant lorsqu'il tentait d'absorber une mauvaise nouvelle. Ou, du moins, quand il ne savait pas encore comment réagir.
_Oh, finit-il par lâcher. C'est une opportunité en or. Vous auriez tort de la laisser filer. Et ça vous rapprocherait de votre famille. Ils ont survécu à la guerre, ce serait stupide de ne pas profiter de ça.
Les sincères félicitations de Shepard n'atteignirent pas son regard. Il ne lâcha pourtant pas Garrus alors qu'il portait sa tasse à ses lèvres. Ce fut cette intensité qui poussa le Turien à écarter son datapad et à se remettre debout. Se plantant face aux baies vitrées, il observa le flot constant et lumineux de la circulation au-dehors.
_Ça n'a pas l'air de vous réjouir ? insista Shepard. On sait pourtant vous et moi que votre boulot au SSC vous emmerde.
_Tout comme nous savons vous et moi qu'il ne s'agirait que d'échanger un bureau pour un autre. Des peigne-culs de politiciens pour d'autres. La crête change, les emmerdes restent. Au moins ici...
_Au moins ici ?
_Il reste les souvenirs, dit-il sans se retourner, les yeux dans le vide.
_La guerre est finie, Garrus, rétorqua Shepard d'un ton dur. Wrex est reparti sur Tuchanka pour construire un nouvel avenir aux Krogans. Tali est amirale de la flotte quarienne. Liara est redevenue le courtier de l'Ombre. Il ne reste guère que Joker pour s'accrocher à l'épave du Normandy. Et vous à la m...
Shepard ne termina pas sa phrase, car de nouveaux pas se firent entendre dans l'escalier. Tout à leur conversation, les deux soldats avaient oublié que quelqu'un d'autre dormait à l'étage. Habillé de ses vêtements fripés, le gars acheva de descendre les marches et les observa, sans doute rendu nerveux à l'idée d'affronter la tension et l'animosité qui régnait dans la pièce.
_Heu, salut. J'interromps quelque chose ?
Shepard fronça les sourcils et Garrus se secoua. Les mots que son commandant n'avait pas mâchés lui rappelaient leur première rencontre, alors qu'il n'était qu'un jeune flic qui rêvait e faire la différence. Celui qui n'était encore que le survivant d'Akuze lui avait remis les pattes sur terre vite fait bien fait. Shepard était doué pour coller les gens face aux réalités qu'ils ne veulent pas voir.
_J'allais partir, dit le Turien en éteignant le datapad qu'il avait laissé traîner sur la table.
_Heu, je peux y aller en premier si je gêne, dit l'homme en se frottant la nuque. Je ne voudrais pas interrompre une réunion super secrète. J'imagine que vous avez plein de choses à vous dire. Entre héros, tout ça... Non, je ne vais pas vous demander un autographe, rassurez-vous. Mais, vous savez...
Débuta alors un inlassable babillage et, en moins d'une minute, Garrus rêvait déjà de coller le canon de son flingue au fond de la gorge du mec. Pour qu'il s'étouffe dessus et se taise. Il ne demandait pas d'autographe ? La belle affaire. Comme si lui et Shepard s'étaient mués en quelques rock-stars que l'on est fier d'accrocher à son tableau de chasse. Parce qu'après tout, qu'y avait-il de plus cool au monde que les types qui ont vaincu les Moissonneurs ?
Dégoûté, Garrus n'écouta pas la fin de la tirade et se détourna.
_À plus tard, Shepard.
Alors que la porte s'ouvrait face à lui, il se retrouva épinglé contre le chambranle et un corps fut propulsé dans le vide du couloir.
_Vous, vous ne bougez pas d'ici, lui ordonna Shepard. On n'a pas fini de parler. Et toi, en s'adressant au visiteur qu'il venait de foutre dehors, n'oublie pas ce que je t'ai dit hier soir : il n'y aura pas de seconde fois. Maintenant, du balai !
Le bruit du battant qui glissa sans une plainte dans son logement se révéla bien plus tranchant que si la porte avait été claquée. Un « connard ! » retentissant résonna de l'autre côté, presque complètement assourdi par l'épaisseur d'acier blindé.
_Bon, où on en était avant de se faire emmerder par les groupies ?
_J'allais partir aussi, répondit Garrus avec un sarcasme non dissimulé, toisant l'humain du haut de ses deux mètres.
_Foutaises ! éructa Shepard, peu sensible à cette tentative d'intimidation. C'est la première fois que je vois un Turien qui essaye de s'enfuir. Et ça m'a donné envie de peindre une cible sur son cul pour voir si je pouvais le faire danser avec mon flingue. En plaçant correctement les balles...
_J'ai un doute que vous arriviez à quoi que ce soit. Tout le monde sait que vous avez un sens du rythme complètement merdique, Shepard.
Non seulement la plaisanterie ne suffit pas à détendre l'atmosphère, mais cela parut même aggraver les choses. Garrus se retrouva décollé du mur et propulsé au milieu de la pièce par une poigne rageuse. Dès qu'il fut stabilisé, Shepard marcha droit sur lui, aimable comme un char d'assaut, et se planta face au Turien.
_Vous vous souvenez de cette petite conversation qu'on avait eue sur le vaisseau, vous et moi ? Juste avant les Récolteurs ?
_Pas vraiment, non, s'étonna Garrus, les mandibules écartées.
_Comment évacuer la tension sur les vaisseaux de combat... La souplesse et l'allonge, tout ça...
Sans qu'il ait vu le coup venir, Garrus récolta un superbe crochet du droit qui envoya son crâne valser sur le côté. Face à lui, Shepard s'était repositionné, les poings levés en une garde parfaite, un défi visible teintant toute son attitude.
Un direct à l'estomac n'atteignit jamais sa cible, car Garrus n'était pas Turien à tomber deux fois dans le même panneau. Il bloqua adroitement, et esquiva le coup suivant. Ils commencèrent alors à exécuter une danse vieille comme le monde. Parer, esquiver, cogner. Parer, esquiver, cogner. Ils en connaissaient tous les pas par cœur, tels deux virtuoses, se contentant pour le moment de jouer l'un avec l'autre. Mais une seule erreur et la faute serait fatale.
Se tourner autour comme deux fauves. Les poings levés, l'œil concentré pour anticiper le moindre mouvement de l'adversaire. Laisser les réflexes conditionnés par le corps et l'entraînement prendre le dessus. Ils se connaissaient trop pour se surprendre, avaient trop combattu côte à côté. Ils en étaient presque arrivés à partager un même instinct de survie.
Il n'y a pas de Shepard sans Vakarian.
Les derniers mots du commandant avant qu'il ne se jette dans la bataille de Londres. Avant qu'ils ne traversent les décombres de cette foutue ville pour affronter l'absurde logique d'une machine. Ces paroles-là avaient maintenu Garrus en vie, pendant et après cet ultime carnage, sans savoir si Shepard rouvrirait les yeux un jour. Elles sonnaient comme une promesse.
Et si vous arrivez là-haut avant moi, retrouvez-moi au bar...
Ils n'étaient pas là-haut. Pas plus qu'ils ne s'étaient retrouvés au bar. Tout ce qu'on leur avait rendu au sortir de la guerre, c'était une vie merdique, pas bien différente de celle d'avant. Comment reprendre le cours de cette existence-là après les Moissonneurs ? Comment combler les failles, les vides et les manques ?
Le monde redevenait lentement ce qu'il avait été avant la guerre, telle une entité douée d'une conscience propre. Indifférente aux consciences brisées dont elle se nourrissait. Que restait-il alors ?
Esprits, que restait-il après l'espoir et la rage ?!
Garrus cognait de plus en plus fort. Shepard aussi. Ils ajoutaient de nouvelles balafres aux anciennes. Des plaies toutes neuves qui, elles aussi, devraient cicatriser. Et pourtant, les abîmes semblaient refluer face à cette explosion de douleur presque primitive. Les deux soldats les meublaient de ces fragments de vies volées et de cette inutilité qui les minait depuis leur retour dans le monde. Comme une épée exposée, prisonnière des vitres incassables d'un musée. Des machines à tuer domestiquées, reléguées loin de regards, parées de décorations et de dorures destinées à cacher ce dont elles sont vraiment capables quand les circonstances l'exigent.
La fureur troublait la précision. Un crochet mal placé et, en retour, Shepard balaya les jambes du Turien qui se retrouva au sol, le souffle coupé. Il y poursuivit le combat, rejoint par son adversaire, se bourrant de coups aveugles. L'écho de deux furies qui se répondent. Jumelles.
Garrus réussit à prendre l'ascendant en basculant le corps trop souple de l'humain sous le sien. Shepard se débattit avec plus d'acharnement, mais il l'agrafa au sol, chaque poignet enserré par ses doigts griffus, les cuisses à cheval sur les hanches de son adversaire. Ils se fixèrent, haletants, dressés sur leurs ergots. Ce n'était ni une victoire ni une défaite, car il n'existait aucun avantage à concéder. Rien à gagner.
Garrus roula finalement sur le côté, à plat dos, sa hanche frôlant celle de Shepard et son avant-bras posé sur son front.
_La boxe, y a rien de tel.
Shepard semblait avoir retrouvé son humour, après cette explosion qui les avait obligés à affronter ces terreurs sur lesquelles les soldats ne peuvent mettre de mots. Ne veulent mettre de mots.
_Votre salon n'est pas de cet avis...
L'humain se redressa sur les coudes, évaluant les dégâts d'un œil critique avant de se laisser retomber lourdement. Un carnage. Aucun autre terme n'aurait pu décrire l'état de la pièce après cette tornade qui venait de la secouer.
_Merde. On se croirait sur Tuchanka.
_Dans les bons jours...
_Ça me dirait bien d'y retourner. Voir si Urz me reconnaît toujours. Si Wrex s'en sort avec toutes ces femelles qu'il doit baiser. Faire un peu le tour de la galaxie...
_C'est tentant, répondit prudemment Garrus. Sauf que, vous connaissant, vous allez encore tomber sur des emmerdes plus grosses que vous sans même les chercher.
_Alors j'aurais bien besoin d'un ami pour m'accompagner dans la tournée des grands-ducs. Histoire de surveiller mes arrières. Et puis ça éviterait à ce gars de s'encroûter dans un bureau. Je n'ai pas envie de savoir à quoi ressemble un Turien obèse.
_Je vous l'ai déjà dit, Shepard : les emmerdes, c'est comme la chtouille, c'est meilleur quand on partage avec les amis.
_Ouais...
Il y avait un vrai sourire dans la voix de Shepard. De ceux qui atteignaient ses yeux avant que la guerre ne tourne au massacre. Quand ils n'étaient encore qu'une bande de salopards parcourant la galaxie sans rendre de compte à personne. Lorsque les missions suicides ressemblaient au dernier concert d'une tournée de rock'n roll.
_L'Alliance m'a réintégré. Mais je suis toujours un Spectre du Conseil. Ça pourrait valoir le coup de se pencher sur la question. Et j'ai un ami bien placé au SSC, il pourrait peut-être nous filer un ou deux tuyaux. Histoire qu'on aille secouer la fourmilière, comme au bon vieux temps.
_Vous savez quoi, Shepard ? grogna Garrus en se relevant. Je crois que vous avez foutrement raison... Il est temps d'aller voir comment se porte la galaxie loin de cette foutue station. Peut-être bien qu'on devrait laisser les souvenirs là où ils sont. Et retourner botter des culs. Je ne sais pas si ça changera le monde, mais ça nous changerait les idées.
Il tendit la main à Shepard qui la saisit sans hésiter, s'appuyant sur son ami pour se remettre debout. Une fois face à face, la tension crépita. Tranquille et familière. Un sourire s'invita au coin des lèvres rouges de l'humain et Garrus y répondit de toutes ses mandibules.
_Alors, c'est décidé... On remet ça. Et peut-être qu'on n'aura pas à voler le Normandy ce coup-ci.
_Bah, ce ne serait pas la première fois. Au pire, on s'arrangera avec Joker.
_Alors en piste, Vakarian.
_Je vous suis, Shepard.
À suivre. Peut-être...
Voilà, en espérant que ça vous plaise. N'hésitez pas à me laisser un petit mot si le cœur vous en dit. J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire cette petite variation sur le thème de mon doudou en chef, Garrus. L'après-guerre et ce dont souffrent les soldats, ça me cause. Si je développe une suite, ce sera sans doute dans cette veine, entre angst et humour.
À voir si je le fais et quand ;)
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