A U B E
- Note de l'auteur : Elwing est une fée mâle. Il sera donc appelé "fée" tout au long de l'histoire. -
Ses lourdes paupières s'ouvrirent, retrouvant l'agréable obscurité de sa chambre. Il bailla, se retourna et replongea doucement sa tête contre son oreiller. Les bras de Morphée le saisirent de nouveau, et son esprit rejoignait petit à petit le monde des rêves.
Tout à coup, il sursauta. Quelque chose clochait. Ses mains affolées cherchèrent rapidement son téléphone entre les draps du lit, et Éros manqua de s'étouffer avec sa salive en s'apercevant qu'il ne lui restait plus que dix minutes pour se préparer. Pourquoi diable était-il toujours en retard ?
Et pire encore, il avait mal branché son chargeur la veille et sa batterie n'était plus qu'à un maigre 7%. Pas de quoi tenir un 8h-18h, ça c'était certain. Il maudit sa maladresse et bondit du lit sans attendre, en espérant ne pas se prendre l'armoire.
- Et merde, jura-t-il en coiffant ses cheveux.
La case petit-déjeuner allait être sautée ce matin. Il ouvrit les volets de sa chambre et continua de réarranger quelques mèches tout en marchant jusqu'à la salle de bain. La brosse à dent recouverte d'un petit pois de dentifrice trouva sa bouche. Il frotta avec vigueur, en cherchant du regard les ailes de son meilleur ami.
Il le trouva bien vite, enfoncé derrière la pile d'habits sur sa chaise de bureau, tentant d'échapper aux maigres rayons du soleil. Deux grandes ailes d'un noir charbon laissaient échapper quelques grains de poussières de fée, et luisaient face à l'étoile.
Super ! Il allait encore devoir passer l'aspirateur ce soir. Ces particules envahissaient tout son espace personnel. Il en retrouvait même dans sa gourde. Éros avait beau savoir qu'elles étaient probablement les particules les plus précieuses du monde et qu'elles aidaient magnifiquement bien les fins de mois difficiles, elles n'en restaient pas moins très agaçantes.
- Pourquoi tu ne m'as pas réveillé ? parvint-il à articuler entre son bain bouche et son verre d'eau.
- Tu dormais.
Son ton semblait avoir pointé une évidence, et il décida de passer outre avant qu'il ne songe à jeter cette fée inutile par la fenêtre. Éros se rua ensuite vers son armoire où il saisit un t-shirt noir et un pantalon. Il s'habilla tout en vérifiant que son sac était prêt, et partit telle une fusée en direction de la porte.
Les quatre étages de la résidence étudiante furent dépassés en un clin d'œil et il put rejoindre le brouhaha incessant de la ville. Une pluie fine commençait à s'abattre sur la ville, et il se demanda si des manches courtes sauraient le garder d'un rhume, avant de se rendre à l'évidence : il n'avait de toute manière pas le temps de remonter.
Ce mois de septembre débutait définitivement mal. Il faisait froid. Il pleuvait. Les télévisions parlaient soit d'incendies, soit de guerres soit de réchauffement climatique. Et venir à l'heure au lycée était un défi quotidien.
Si ses parents avaient été là, peut-être que la pente vers laquelle il s'écroulait serait moins raide. Néanmoins, ils avaient décrété que le faire habiter à cinq minutes du lycée contribuerait à sa réussite scolaire. Cela aurait pu. Mais non.
Il préférait largement jouer aux jeux vidéos avec Elwing plutôt qu'apprendre comment dériver une fonction. Et même lorsque la fée s'absentait quelques heures, compter le nombre de poils que possédait son tapis de salle de bain était bien plus intéressant que de décrire les différents courants littéraires.
Éros soupira, constatant avec résignation ses bras se couvrir de chair de poule. Il accéléra son allure, esquiva deux ou trois trotinettes maudites et parvint avec plus ou moins de mal à l'entrée de son lycée. Toutefois, tout allait presque trop bien. Et ce fut une voix émanant de son sac qui le lui fit rappeler.
- Pourquoi as-tu une boîte de mouchoirs dans ton sac ?
Sa tête se secoua, effrénée, de peur qu'une personne ait entendu un sac à dos parler. Voyant qu'aucun élève ne faisait attention à lui, et qu'il avait surtout l'air d'avoir perdu la tête, Éros ouvrit prudemment la fermeture éclair.
Son ami s'y trouvait, posé nonchalamment sur sa trousse, et observait d'un air attentif la boîte de tissus. Dans d'autres circonstances, Éros aurait bataillé pour que la fée rentre chez elle, mais la sonnerie le contraignit avec d'autres priorités.
- Projet de SVT, souffla-t-il au détour d'un couloir. Mais la vraie question serait pourquoi, toi, tu te trouves dans mon sac.
- Projet de SVT.
Le rang d'élèves, qui ressemblait plus à un troupeau de moutons désordonné qu'à une file, commençait à rentrer dans la classe. Il fit son meilleur sprint et rattrapa sans peine le dernier élève, tout en adressant un "Bonjour" rapide au professeur qui se tenait devant la porte. Celui-ci ne lui répondit pas, comme à son habitude. Malpoli.
Éros s'assit devant son bureau, reprenant lentement son souffle. Il posa son sac sur ses genoux pour en sortir sa trousse et son cahier, saluant d'un unique geste Claude à ses côtés. Ce dernier logeait également dans sa résidence, mais était, contrairement à lui, un élève modèle. Si Elwing n'occupait pas 90% de son temps, ils auraient pu s'entraider.
Son ami était une véritable catastrophe en français tandis qu'Éros brillait dans cette matière. Mais mis à part ce petit détail, ce petit chanceux excellait dans toutes les matières. Il aurait bien volontiers échangé n'importe quoi pour ce don.
- Je me demande si un jour, tu viendras à l'heure, chuchota Claude en rattachant ses cheveux blonds.
- Tu me le répètes constamment.
Il sortit son téléphone pour le mettre en silencieux, et sourit en voyant la batterie afficher 100%. Éros allait remercier la fée lorsque son regard croisa seulement des cahiers et deux ou trois manuels. Il releva subitement la tête et observa son meilleur ami confortablement assis sur l'écharpe du professeur, accrochée au porte-manteau.
La fée se cachait du soleil, comme toujours, et haïssait Claude plus que tout, ce qui expliquait son départ précipité. La fée n'aimait guère les humains en général, mais éprouvait une certaine rivalité quant à son ami. Et même s'il lui avait maintes et maintes fois répété que l'un ne pouvait remplacer l'autre, Elwing était têtu, et n'approchait jamais le blond à plus de deux mètres.
- Il vous faut être capable de décrire les chaînes énergétiques de votre environnement. Et je vous avertis dès à présent que lors du contrôle, il y aura forcément un exercice qui portera sur ça. Vous êtes prévenus.
Son cahier fut griffonné de quelques notes, au fur et à mesure que l'enseignant décrivait de quelle manière il les évaluerait. Plus il insistait sur l'une des parties du cours, plus cela signifiait que le barème de l'exercice était conséquent. Et obtenir une note suffisante à ce devoir suffirait peut-être à illuminer ce début de trimestre peu glorieux.
- On devrait travailler ensemble à la bibliothèque. Tu m'aides sur l'exposé de français, et je tente de te faire comprendre les bases du chapitre.
- L'exposé ? Quel exposé ?
- Sur la vie de Rimbaud, ses principales œuvres et son analyse. Le truc que tu as fait en cinq minutes dimanche soir, précise son ami.
Comment avait-il pu l'oublier ? Elwing l'avait fracassé à son jeu préféré durant cette soirée. 5-0. Ça lui avait fait si mal qu'il avait commandé son repas nocturne en se noyant dans ses larmes. La fée n'avait même pas eu recours à sa forme humaine. Il l'avait éclaté en ne mesurant que treize centimètres. Son égo ne serait plus jamais le même.
Plus jamais il ne parierait avec lui. Dès que l'on mettait en jeu de la crème de marron, peu importe si l'on était surpuissant ou un homme digne d'Einstein, on se faisait misérablement écraser. Elwing ne plaisantait jamais lorsqu'il s'agissait de ça.
- Du coup, ce soir ? relança Claude en le voyant rêvasser.
- Ouais. Y a pas aussi un exercice de maths à rendre pour demain ?
- Toujours aussi perdu, Éros. Il est absent, pour sa journée de formation ou je ne sais quoi. Du coup, c'est reporté pour vendredi.
- Ça nous fait une heure de trou, c'est-à-dire une heure de plus pour réviser ce satané devoir de physique. Si je n'ai pas la moyenne, je brûle le professeur.
- Tu dis ça avant chaque contrôle, rit-il.
Son rire faiblit immédiatement lorsqu'ils virent le regard de Satan, l'adorable surnom de ce fameux enseignant, rivé sur eux. Son attitude était tellement désagréable que tous plaignaient sa famille. Et cette fois, c'était contre lui que son courroux se dirigeait.
- Éros, voilà à peine une semaine que nous sommes rentrés de vacances et je connais déjà votre prénom. C'est très mauvais signe.
- Je m'excuse.
- Peut-être que si vous parliez moins et que vous travailliez plus, vous arriveriez à un niveau convenable. Alors taisez-vous, rajouta Satan.
La sonnerie annonça une brève libération. L'enseignant effaça le tableau, prit ses affaires et partit, Claude à ses trousses afin de le questionner sur le cours. Elwing choisit cet instant pour revenir, évitant savamment même l'ombre de son ami.
- Il y a un cafard dans ton sac, lui annonça-t-il.
Éros balança sans réfléchir son sac à l'autre bout de la salle, écoeuré. Il pouvait tout supporter sauf ces immondes créatures qui ne crevaient pas même sous trente-six coups de tong. L'idée que cette bestiole ait pu voyagé librement entre ses affaires le mettait mal à l'aise. La fée afficha une expression amusée et le rassura :
- Je plaisantais.
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