"Cet idiot a faillit perdre l'usage de sa jambe droite !" s'exclama une voix qu'elle perçut confusément, comme à travers une vitre.

"Il est trop négligent avec son corps. Il va falloir que vous veillez à ce qu'il garde bien ses béquilles." renchérit une autre personne, qu'il lui semblait avoir déjà entendue quelque part.

Nova avait une impression étrange. Elle ne savait pas vraiment où elle était, mais une sensation diffuse de chaleur lui parvenait. Elle était bien. Même si il faisait noir, elle se sentait comme sur un nuage, en train de flotter. C'était une expérience étrange, mais très agréable. Si d'habitude elle était un peu angoissée par l'obscurité, car elle savait que c'était l'élément de prédilection des démons, là elle n'avait aucune crainte. Sa respiration était calme, et la berçait doucement. Le brouillard confus de discussions autour d'elle variait d'intensité, sans qu'elle cherche à comprendre de quoi les gens parlaient. A vrai dire, elle ne savait rien de son état. Était elle seulement vivante ?

La jeune femme ne voulait rien savoir. Elle voulait rester comme ça, pour toujours. Sans douleur, sans tristesse, sans responsabilités, sans peurs, sans inquiétudes. C'était si rare qu'elle ne ressente plus d'émotions négatives, qu'elle ait juste envie de sourire, comme ça, pour rien. Elle aimait ça, cette sorte d'insouciance qui s'emparait doucement d'elle, cet amour qui enveloppait. Un cocon de douceur, pour la protéger d'elle même.

Elle s'étonnait. Plus de colère, plus de rancoeur, plus d'angoisse... Rien d'autre que le vide. Un gouffre immense, en elle. Un trou noir. Si profond, si puissant, qu'elle avait envie d'y rester cachée pour toujours. Nova ne voulait plus y retourner. Elle ne voulait plus entendre parler du monde extérieur. De toute manière, pourquoi se battre ? Pourquoi résister, encore et encore, pour se réveiller ? Elle était si bien ici. Elle ne voulait plus. Ne pouvait plus. N'en pouvait plus.

Se rendre de nouveau sur Earthland aux côtés de ses amis ? A quoi bon ? Pour voir le même schéma se répéter indéfiniment ? Bien que le temps soit plus ou moins long entre ce qu'elle avait nommé ses "crises" ou "possessions", au final c'était toujours la même chose. Elle finissait par succomber, puis renaître. Toujours pareil. Mais elle n'en avait plus la force, ni l'envie. Après tout, lorsqu'elle avait fusionné avec le démon rocher Lapitiale, elle s'était préparée à y laisser la peau. Elle s'était dit que c'était le dernier round. Pourtant, sa conscience n'avait pas encore sombré, alors qu'elle s'était livrée toute entière à l'entité maléfique.

Comme à chaque fois, ils prenaient possession d'elle. Et une fois revenue, elle était torturée par ses peurs et sa culpabilité. L'expression "hantée par ses démons intérieurs" n'avait jamais été aussi bien appliquée que sur elle, et de ça elle en avait sa claque. Peu importe ceux qu'elle laissait derrière elle, peu importe la tristesse qu'ils ressentiraient sans doute, au final c'était mieux qu'elle disparaise à tout jamais. Nova avait pris sa décision : cette fois ci, il était hors de question que le manège de sa souffrance continue de tourner. Elle ne se réveillerait pas.

- Alors comme ça, tu baisses les bras ? J'aurais espéré un peu plus de résistance de la part de celle qui m'a vaincu, chère hôte

- Tais toi, Oibre. As-tu décidé de m'imposer ta présence jusqu'à la fin ?

- "Imposer ma présence" ? Comme tu y vas ! Nous sommes en toi, et tu es actuellement retranchée au plus profond de ton âme. Là où nous logeons, somme toute. Tu t'es rapprochée de nous seule. Nous ne pouvons bouger sans ton accord, nous somme enchaînés à ta volonté, scintillam.

- Seul Gale peut me nommer ainsi. Ce nom dans ta bouche est comme une injure, démon de l'ombre évanescente. Pourquoi me parles tu ? Je ne t'ai plus entendu depuis des années.

- Pourquoi ? Je suis le premier, il me semble donc juste d'être le dernier à t'adresser la parole. Après tout, voilà cinq ans que je suis en toi, scintillam.

- Ne mens pas. Tu es fourbe, ta raison est autre, mais je ne la devine pas. Tu devrais être heureux et fêter ce jour avec les autres. Vous m'avez fait plier, n'était-ce pas là votre objectif ?

- Tu suis mal notre raisonnement. Nous sommes une partie de toi, Nova ! Ta mort ne nous serais pas bénéfique loin de là... Nous disparaîtrions dans le néant.

- Parler avec un seul des vôtres me dégoûtait suffisamment, tu n'avais pas besoin de te rajouter, Areos. Je ne peux oublier tes actes abominables, toi que l'on nommait le démon sanglant.

- C'est là un compliment que tu me fais, le sais tu ? N'oublie pas que tu es sans doute la pire d'entre nous, hôte maudite.

- Je le sais, mes mains sont souillées depuis bien longtemps, mais c'est votre sang qui maculait mes paumes. De cela, je ne peux qu'être fière. Retourne cracher ta haine ailleurs, Areos ! Je préfère encore Oibre...

- Tu me flattes, scintillam. Aurais tu commencé à m'accepter ?

- Plutôt mourir. Je ne sais pas comment ma mère à pu le faire. On ne devient pas amie avec des démons.

- Ami ? En effet ce mot ne figure pas dans notre vocabulaire...

- C'est parce que celui de "traîtrise" est bien trop présent !

- Crois ce qu'il te plaira, je ne peux inverser le cours de tes convictions.

- Vous êtes pourtant des entités ayant vu passer nombre d'âges pour les hommes et les mages. Cependant, vous restez maléfiques, plutôt que de devenir sages.

- Notre nature n'est pas "corrompue", comme vous le dites, vous autres, humains. Votre vie est bien trop courte pour que vous puissiez ne serait ce qu'accéder à une infime partie de notre immense savoir. Vous mettez tout dans des cases. Chaque action est définie comme étant "bonne" ou "mauvaise". Vous ne pouvez comprendre qu'il n'y a ni "bien" ni "mal" et que tout est une affaire de point de vue.

- Il y a malheureusement une part de vérité dans tes paroles, Oibre. Je ne suis pas assez aveugle pour tout nier en bloc sans m'en rendre compte.

- Tu disais tout à l'heure que le mot "ami" ne peut qualifier un démon, et c'est vrai. Pas avec les hommes. Cependant, le mot "admiration" peut éventuellement s'inscrire dans notre registre de vocabulaire entre ces deux races.

- Assez de belles paroles. Que me proposes tu ?

- Un pacte. Nous mettons notre pouvoir à ton service, afin que tu puisses l'utiliser sans risque. En échange, nous voulons ta promesse de vivre.

- Qu'y gagnez vous ? Je ne vois pas où se situe l'avantage pour vous.

- Ta méfiance est, je le suppose, légitime. Nous préférons tout simplement nous soumettre plutôt que disparaître.

- Je vois. De toute manière, je n'ai rien à perdre. Si vous rompez le pacte, je meurt et vous disparaissez avec moi. Si vous me restez fidèles... Je vous relâcherai au moment de mourir, contre la promesse de ne plus faire parler de vous.

- Nous sommes sur la même longueur d'ondes, Nova Imako Dreyar. Ce pacte est conclu. N'oublie jamais que nous sommes en toi.

- Aucun risque, crois moi.

****

Dans l'auberge, une mage blonde ouvrit soudainement les yeux, prenant une grande respiration, bien déterminée à vivre.

NDA : Désolée pour les fautes qu'il peut y avoir -je suis crevée-, et pour l'heure à laquelle je publie. Je suis rentrée à 7 h hier, alors j'ai beaucoup dormi X)