Partie 17 - Muskogee

6x15 et 6x16

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Emma est dans la salle de bain, et va pour mener encore sa lutte quotidienne, pour donner un semblant d'ordre dans ses cheveux en bataille. Son regard fixe son reflet face à elle. Tout a encore tellement changé.

Deanna.

Sam, Jessie et Ron.

Carl.

Denise.

Emma ne sourit plus. Elle n'a même plus l'envie d'essayer. Son reflet reste de toutes manières impassible.

Elle rabat tous ses cheveux sur son épaule droite et passe ses doigts écartés dans la masse épaisse et très emmêlée.

Daryl surgit en silence et s'appuie, sans un mot, contre le chambranle de la porte ouverte, sur le même mur que le miroir. Elle le voit dans son champ de vision mais continue à s'occuper, faisant mine de rien. Elle saisit son peigne et brosse vigoureusement, comme à son habitude, voire même encore plus brutalement.

Visiblement plus calme que la veille, Daryl l'observe sans gêne, le bout de son pouce contre ses lèvres entre-ouvertes, son pied droit posé sur le dessus de son pied gauche.

"Tu y vas fort... constate-t-il doucement.

- On s'en fout... continuant son manège auto-destructeur.

Il entre dans la pièce et farfouille dans un tiroir de la commode sur le mur opposé avant de se retourner, ajoutant sa tête au-dessus de celle de la jeune femme dans le reflet du miroir.

Emma fixe enfin les yeux bleus du reflet, interrompant son mouvement, le regard interrogateur.

Daryl s'approche d'elle sur sa gauche et lève sa trouvaille à hauteur de son visage.

"Ho ho ! Que veux-tu me faire avec ça ? Levant son pauvre peigne comme une défense bien dérisoire.

- Denise a bien dit qu'il fallait garder la plaie propre et la peau autour, saine, récitant les mots de leur amie. Il faut donc raser... et je n'ai que cette lame.

Emma ne peut retenir un lourd soupir chevrotant en le regardant, avant de hocher la tête et de fixer à nouveau son reflet pour présenter le côté gauche de sa tête au chasseur.

La veille, quand elle a vu arriver à toute vitesse, le vieux pick-up qui n'a qu'à peine ralenti au passage du portail métallique, et qui a freiné très brutalement quelques mètres plus loin, soulevant un nuage de poussière et de colère, Emma a senti qu'un nouveau malheur avait encore frappé.

En voyant descendre Rosita, lentement, toute pâle, d'un coté du véhicule ; puis Daryl, de l'autre, beaucoup plus rageusement, Emma n'a pas mis de temps à comprendre, comme tous les autres autour d'elle qui se précipitaient vers eux. Avant que les mots ne soient prononcés, elle le sentait. Denise n'était définitivement plus.

Sans surprise, Daryl a disparu pour le reste de la soirée, et Emma est finalement rentrée se coucher, toute abasourdie de chagrin. Elle a laissé une des lampes du salon allumée, au cas où, avant de monter dans la pénombre de l'étage.

Mais elle ne dormait toujours pas quand il a fini par venir se jeter sur le matelas, tout habillé, comme la plupart du temps.

La jeune femme s'est alors recroquevillée encore davantage de son côté du lit, n'osant bouger, n'osant le déranger de sa présence, faisant mine de dormir, alors qu'il gigotait et soupirait sans cesse.

Plongée dans sa propre tristesse, Emma n'a pas eu la force, là, même dans le noir, d'affronter la rage, la culpabilité, et certainement les paroles blessantes, mais involontaires parce que malheureuses, que pourrait lui cracher l'homme près d'elle.

Elle a préféré attendre le jour, pour essayer de briser le silence dans lequel il était en train de se murer, ne réalisant pas qu'elle se construisait la même muraille.

Mais le jour pointe à peine, et elle ne peut que le regarder dans le miroir. Elle voudrait tant pouvoir l'aider, alléger le poids qu'il se met lui-même sur la conscience.

Daryl pose sa main gauche délicatement sur le haut de sa tête, dans les cheveux encore longs et commence à frotter doucement sa lame de barbier sur la partie déjà rase de sa chevelure. Elle sent bien la fraîcheur de la lame quand il l'approche très près de la blessure mais ne bronche pas. Elle se concentre sur le reflet de l'homme qui fixe intensément son crâne, focalisé sur son travail minutieux, un bout de langue rose pointant à la lisière de ses lèvres serrées. Elle aperçoit furtivement le petit garçon camouflé derrière la culpabilité, la peine et la souffrance de l'homme adulte.

Daryl rase la partie gauche du crâne d'Emma, faisant bien attention à ne pas toucher la plaie recousue, à l'horizontal, qui court de la tempe jusqu'au au-delà de l'oreille.

Depuis quelques heures seulement, ils ont enlevé le gros pansement blanc que Denise tenait propre deux fois par jour. De gros fils sombres transpercent la peau fine et blanche. Alors qu'elle passait l'aiguille chirurgicale à travers les lèvres de la plaie ouverte, Denise avait précisé que les fils devraient tomber d'eux-mêmes plus tard. Aujourd'hui, plus personne n'est là pour les enlever donc il faudra bien qu'ils fassent eux aussi leur part du boulot.

Une fois son travail terminé, Daryl passe doucement sa main sur la peau dorénavant lisse pour enlever les derniers cheveux coupés. Il pose sa bouche une grande seconde à la lisière des cheveux longs sur le dessus de la tête de la jeune femme.

"Voilà, ma p'tite Muskogee... murmure-t-il, comme pour la féliciter d'être restée tranquille.

Se sachant seuls et hors de tous regards, Emma se laisse à passer son bras gauche autour de sa taille et pose son front contre son torse.

"Merci Grand Chef, marmonne-t-elle affectueusement.

Emma entend et sent le soupir qui soulève la poitrine de l'homme. Cette seule respiration brise le mur qu'ils ont érigé entre eux dans la nuit. Ils savent aussi tout deux que ce petit rituel va dorénavant se reproduire en souvenir de leur amie disparue.


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"Rick ! Je dois venir aussi ! se précipite Emma vers Grimes, planté devant la porte ouverte du camping-car.

L'homme secoue la tête en la regardant approcher.

"Non Emma...

- Pourquoi non ?! s'écrit-elle. Vous emmenez Maggie, je peux au moins rester avec elle et essayer de la réconforter ! Et Daryl, Rosita et Michonne ont disparu ! Je peux vous aider ! s'écrit elle encore, telle une enfant capricieuse, mais convaincue. Je sais me défendre, je sais le faire ! se penchant, voulant accrocher le regard de l'homme fixé alors au sol devant lui. Je ne peux pas encore rester là à me contenter d'attendre qu'il revienne... !

- Em'... levant les yeux au ciel.

- S'il te plaît, je te promets que je ne serai pas un boulet... encore suppliante.

- Tu n'es pas un boulet Emma... la corrige Rick d'une voix douce. C'est que...

- Laisse la venir, Papa... l'interrompt calmement Carl en s'approchant d'eux, chargé de matériel qu'il va pour installer dans le véhicule.

Son ton n'est pas quémandeur mais plutôt conciliant. Comme si la venue d'Emma est pour lui aussi une évidence.

Rick regarde le garçon monter dans le camping-car, qui ne songe même pas à en rajouter. Son fils est un homme dorénavant et il lui parle d'égal à égal, visiblement.

Ce qu'ils ignorent tous les deux, c'est qu'après l'invasion des rôdeurs, comme tous les autres, Daryl a découvert, avec sans doute plus d'effroi et d'inquiétude, qu'Emma avait été blessée aussi. Même si c'était beaucoup moins grave que pour Carl, bien sûr. Daryl a pourtant donné pour instruction à Rick de la garder dans l'enceinte d'Alexandria ; quoi que lui fasse. Et Rick, sur le moment, a promis à son ami de la garder en sécurité.

Rick se souvient aussi que c'est Emma qui a couvert les arrières de Carl lors de leur avancée périlleuse et meurtrière au milieu des marcheurs. Et que par sa position, elle a pris la balle, en fin de vitesse, qui a failli tuer son garçon. Et c'est encore Emma qu'il a retrouvée derrière lui, quelques minutes plus tard, la première au coté de Michonne, lors de son attaque finale aussi enragée que folle. Il l'a vue se battre contre les cadavres ambulants et il sait qu'elle a fait sa part du travail. Largement...

Peut-être que Daryl n'éprouve pour elle, et son allure très frêle, qu'un besoin irrépressible de la protéger et de la tenir à l'écart de tout danger telle une petite chose fragile. Comme pour la majorité des femmes qui osent dépasser un poil l'espace vital du chasseur, d'ailleurs. Mais Rick a surtout vu ce dont elle est vraiment capable. Elle n'est pas que petite et frêle. Certes, elle ne sait pas a priori tirer. Mais il l'a vue à l'oeuvre au corps à corps contre tous les gabarits pourrissants qui se sont présentés à elle. Et la petite créature maigre n'a jamais fléchi. Jamais. Il le reconnaît maintenant objectivement.

Le flic reporte alors son attention sur la jeune femme toujours plantée devant lui, têtue. En plus, Daryl est encore parti sans les prévenir, et il revoit encore Emma courir dans la rue ce matin-là, ses mèches volant dans son dos, pas encore tressées, contrairement à son habitude, visiblement prise de court elle aussi. Il avait d'ailleurs été frappé par la blancheur de la partie de sa tête blessée, lisse de tout cheveu. Elle était arrivée, affolée, désespérée, frustrée aussi, devant le portail qui se refermait déjà sur le van beige emmenant Glenn, Michonne et Rosita, et le ronflement de la moto déjà loin... Comme si le chasseur avait, ironiquement, prédit l'avenir.

Alors, pour la peine, il lui donne finalement son accord, d'un pincement de lèvres et d'un hochement de tête, convaincu.

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Eugène passe derrière le volant du camping-car, résolu.

Emma s'installe sur le fauteuil passager, regardant l'homme timide à côté d'elle. En même temps, là, il se tortille presque comme un gamin de 16 ans qui prend enfin le volant pour la première fois. La contradiction est flagrante et lui serre le ventre.

Eugène voulait partir seul et laisser le groupe comme leur plan l'avait défini. Sauf qu'elle a levé la main pour attirer l'attention des hommes préoccupés. Malgré l'urgence, ils se sont alors tournés vers elle.

Oui, la stratégie d'Eugène était sans doute la bonne : les Sauveurs ignoraient le nombre qu'ils pouvaient être à l'intérieur du véhicule : un seul ou une dizaine... Sauf qu'à chaque fois qu'ils les avaient arrêtés sur les différentes routes, ils avaient au moins pu voir deux personnes : Abraham et Sasha, au devant du véhicule. Alors elle s'était dit qu'elle pourrait prendre la place de Sasha, histoire d'avoir un leurre le plus fidèle possible.

Rick l'a fixée en silence de longues secondes. Elle n'a osé argumenter davantage, le laissant réfléchir à sa guise, le laissant prendre sa propre décision.

"Elle a raison... a-t-il fini par déclarer.

Il n'a pas décroché ses yeux clairs de la jeune femme, qui l'a remercié en hochant la tête, avant de suivre Eugène dans le long camion aménagé.

Et la voilà là, assise dans un fauteuil encore bien trop grand pour elle, la route grande ouverte devant eux. La route ouverte, toute droite vers la fin. Sans aucun doute. Mais qui offre un but pour le reste de son groupe.

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Eugène est à sa gauche, comme elle, à genoux et quasi en larmes. Quelques Sauveurs ont surgi et les ont arrêtés peu de temps après leur départ. Ils n'ont pas pu s'empêcher de frapper Eugène au visage alors qu'il se débattait mollement pour descendre du véhicule. Emma a alors vite compris que c'était inutile de lutter ou de tenter de fuir. Un des hommes la soulevait déjà à moitié en la tenant par le col de sa veste pour la faire descendre à son tour les deux marches du camion. Mais elle a semblé perdre l'équilibre et d'agacement, l'homme l'a secouée violemment par le pan de son vêtement et étant encore trop proche de la carrosserie, sa tête a oscillé et le côté de son visage a frappé la paroi métallique. La douleur s'est encore réveillée et elle a senti la peau de son arcade sourcilière droite céder, le liquide tiède couler et une brûlure à la pommette juste en dessous. Son oeil a piqué à nouveau, empli de liquide épais et colorant sa vision de rouge sombre. Mais cela n'avait encore aucune espèce d'importance. Parce qu'ils pensaient que leur diversion faisait son office, que les autres avançaient vers leur vraie destination.

Alors voir son groupe, si fort et invincible, pris au piège, tout comme eux, faibles, et alignés tous à genoux, lui fait mal.

Mais sa douleur est bien loin d'être à son paroxysme. Parce que ces pseudo Sauveurs n'ont pas encore lancé leur dernière salve. D'un des véhicules, sont extirpés sans douceur, Daryl, Michonne, Rosita et Glenn...!


Emma ne peut retenir un inaudible gémissement en découvrant l'état général du chasseur visiblement très affaibli.

Evidemment, Maggie, déjà à genoux, le teint gris, l'inquiète tout autant, redoutant qu'elle ne s'écroule à tout instant, et attire ainsi l'attention clairement meurtrière de l'homme à la batte.

Mais la surprise de trouver Glenn, Michonne et Daryl ici lui fait toucher tout le désespoir de leur situation.

Alors que ce Negan s'écoute parler, s'amuse à instaurer sa terreur en exposant les règles de son nouveau monde esclavagiste, joue avec son arme de bois et de ferraille - que sa folie surnomme même Lucille - Emma regarde chaque membre de son groupe, de sa nouvelle famille, dans son coeur à elle du moins. Et sa famille est terrorisée, oui, mais même à genoux, encore fière, toujours droite et digne.


Negan égraine lentement son Am-Stram-Gram sadique. Il s'approche d'elle... tant mieux. Ainsi, il s'éloigne d'autant de Daryl, Rick ou même de Carl... Elle relève son regard flamboyant de haine vers l'homme qui lui rend un sourire de dents blanches, les yeux amusés, penchant la tête vers sa droite, fixant la blessure d'Emma, comme impressionné du style de la jeune femme.

"Gram..."

Elle ferme les yeux en inspirant lentement une dernière goulée d'air, attendant la fin.

Puis éclate le bruit sourd et humide et un autre et un autre et un autre...


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Merci pour votre lecture jusqu'ici... en espérant que ce 2e tome vous a plu... Merci pour vos commentaires et petites étoiles :) C'est vraiment important pour la motivation et la visibilité (que je n'ai pas encore cernée).

A tout' pour le tome 3 ? Ca vous dit ?!

Alors en avant pour le TOME 3 - Pas celle qu'on choisit...

Publié sur FF entre décembre 2015 et juin 2016  

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