Partie 15 - Putain de diable
Ses jambes la brûlent.
Son coeur la brûle.
Sa voix, l'entendant gémir, la brûle.
Elle arrive enfin sur le grand van sombre. Elle s'approche de la portière droite du véhicule, laissant la horde dans son champ de vision, ne voulant pas la perdre des yeux, ne voulant pas leur tourner le dos.
Emma colle son visage contre la vitre fermée. Rien ne semble bouger. Elle aperçoit vaguement le volant, la banquette vide.
Elle tape du plat de sa main sur la caisse arrière dépourvue de vitre. Rien ne lui répond en retour.
Un rôdeur fait le tour du véhicule, attiré par son tapage contre la carrosserie. Il a encore la longueur du véhicule avant de l'atteindre.
"Aller... prie la femme brune en tirant sur la poignée de la portière devant elle de sa main droite, fixant la créature, littéralement en lambeaux, s'approchant nonchalamment.
La poignée s'étire, mais la portière ne s'ouvre pas.
Maintenant, le mort est sur elle, se penche en direction de son cou, les doigts sur son épaule gauche, grattant sa veste.
Mais sa main libre se lève et pousse la tête grise contre la paroi métallique du véhicule. Sa main gauche touche la peau glacée et sèche comme de la pierre et s'enfonce déjà dans la matière molle. Puis la lame au bout de son bras ressort du crane, laissant glisser le corps, inerte, dans le même bruit sourd.
Sa main droite actionne encore la poignée et elle tire de toutes ses forces sur la portière, levant les yeux au ciel.
"ALLEEEER... ! crie-t-elle dans sa tête.
La portière se décolle enfin dans un bruit de succion, manquant de lui faire perdre l'équilibre en arrière.
Un cadavre surgit sur la droite cette fois, ne faisant que le tour de l'avant du van. Elle a juste le temps de mettre la portière ouverte entre eux deux, de balancer son sac plastique resté à ses pieds, à l'intérieur, avant de grimper à l'aveuglette dans l'habitacle et de claquer la porte au nez de la créature qui fait glisser ses doigts osseux, ses ongles crissant contre la vitre.
Elle l'observe comme si elle ne le voyait pas, n'entendant que son souffle rapide, faisant déjà de la buée contre la vitre froide, son corps commençant à trembler. Puis ses yeux sont attirés sur le devant du véhicule, l'ouverture large du pare-brise est emplie de cadavres ambulants. Certains passent sans la voir, traversant la route. D'autres s'arrêtent en croisant son regard, poussés par leurs congénères, s'agrippant au capot du moteur, la fixant, elle.
Comme eux, elle est obnubilée, fascinée par ces regards morts. Les corps s'amassent encore et encore, la route est vite noire de monde, de cette foule lente mais mouvante.
Emma sursaute enfin, revenue à sa réalité à cause du balancement maintenant indéniable que le passage de la horde imprime au véhicule. Le van Vandura, pourtant massif, se balance doucement sur ses essieux, de droite à gauche, perpendiculaire qu'il est par rapport au mouvement de la foule de rôdeurs. Une vingtaine d'entre eux tambourine en plus maintenant aux vitres, l'ayant repérée. Elle n'ose pas bouger pour ne pas les agacer davantage. Elle voit la clé de contact enclenchée mais elle n'ose pas non plus démarrer le moteur. De toutes manières, vu l'amoncellement des corps, elle ne pourrait pas avancer, pas se sauver. Cela ne les rendrait sans doute que plus frénétiques.
Alors elle se glisse à l'arrière du camion, ne quittant pas le pare-brise du regard, doucement, s'enfonçant dans la noirceur de la caisse où elle ignore avec quoi - ou avec qui - elle va passer la nuit.
Le sol de l'habitacle ne semble pas encombré. Mais au toucher, il s'avère également brut, métallique et froid.
Alors elle sort la couette du baluchon de plastique qui fait selon elle encore bien trop de bruit. Elle s'emmitoufle, toute entière, repliée en foetus, dans la couverture qui se réchauffe déjà de son corps.
Le van continue à osciller doucement, de sourds bang ! éclatent sur la paroi gauche. Emma comprend que certains corps se fracassent simplement contre le véhicule, sans doute poussés par la foule qui arrive toujours plus nombreuse. Elle sursaute à chaque bruit et retient de toutes ses forces la crise de panique qui monte le long de son échine.
Alors elle se pelotonne encore davantage dans sa simple protection de coton, et attend. Le plus silencieusement possible. Elle ne sait pas depuis combien de temps, mais les doigts osseux ont cessé de taper aux fenêtres. Son camouflage semble fonctionner. On dirait qu'elle s'est faite oublier du monde.
"Putain de diable..."
.
.
Emma ouvre les yeux.
Elle a mal partout.
Ses membres sont ballants, la tête de coté, le visage recouvert d'une masse de cheveux trop longs, sombres et emmêlés.
Lentement, elle décroche la ceinture qui la maintient encore à son siège, dans cette position inconfortable. Son bassin tombe lourdement contre la portière, ravivant encore ses douleurs multiples mais encore difficilement localisables.
Elle attend encore quelques secondes avant de se décider à se redresser pour atteindre la portière passager. Mais elle lui parait loin, là-haut.
Elle s'appuie doucement sur son bras gauche, même si son épaule lui lance une douleur aigüe, elle se redresse lentement.
Au bout d'un moment qui lui parait une éternité de petites et grandes douleurs, elle se redresse, pouvant presque se tenir debout dans l'habitacle basculé à la verticale. Elle soulève la portière passager et se hisse, se tortille, à l'extérieur, sur le camion, dans un dernier effort laborieux.
Emma reste assise un moment là, sur la paroi du véhicule couché sur le coté, reprenant son souffle et observant le paysage automnal qui s'étire en contre-bas. Une idée saugrenue lui saute à l'esprit. Depuis qu'elle a perdu Daryl, depuis qu'elle se débrouille toute seule, à nouveau, elle n'est tombée que sur des véhicules de séries télé ringardes ! C'est vrai, la Ford LTD bicolore et maintenant le massif GMC Vendura lui rappellent des personnages de fictions hauts en couleurs et en bons sentiments... les gens étaient nostalgiques au possible ! Mais aujourd'hui, leur mécanique somme toute assez simple, et surtout leur manque criant de technologie, font de ces véhicules, auparavant cultes pour certains, et désuets pour d'autres, les plus adaptés et les plus fonctionnels de l'apocalypse. Elle n'aurait jamais songé pu être sauvée un jour par le van de Mister T ! Même si la seule crevaison d'un pneu a eu raison du gros bahut.
Ne retenant pas un sourire, Emma se décide à sauter avec précautions au bas du camion. La partie inférieure de son corps ne semble pas aussi douloureuse que la supérieure. Elle soulève sa veste et son maillot pour examiner son flanc gauche. La peau au niveau de sa cage thoracique est rougie. Elle s'explique mieux la douleur sourde qu'elle ressent à chacune de ses respirations.
"Bonne pour de bons gros bleus... conclue-t-elle, résignée.
Elle sent également quelque chose d'humide sur le côté de son visage et comprend que ses mèches sont toutes poisseuses. Mais en y posant les doigts, elle réalise qu'elle ne saigne plus que légèrement. Le rétroviseur encore entier est dorénavant trop haut perché. Elle doit avoir une plaie à la tête mais évacue l'idée de son esprit d'un haussement d'épaules : elle regardera ça plus tard. Elle entre une dernière fois dans l'habitacle par la porte arrière pour récupérer son sac à dos et son baluchon de couverture avant de continuer sa route.
.
.
« Heath ! Regarde... dit la femme à l'homme près d'elle en lui tendant sa paire de jumelles.
Perchés sur le rempart métallique, l'homme noir prend l'instrument des mains de son amie et vise la route, barrée d'un poids-lourd un peu avant le virage, devant eux.
Il y a bien du mouvement, là-bas, dans la pénombre qui commence à envahir la lisière de la forêt voisine.
« Garde un œil, je vais prévenir Deanna et je reviens... »
La femme hoche la tête en l'observant descendre de l'échafaudage avec précautions et reprend sa surveillance lointaine.
« Ce n'est pas un cadavre... déclare-t-elle, catégorique pendant que son équipier peut encore l'entendre
- OK ! Je me dépêche !" lui répond l'homme en piquant un sprint vers une des grandes demeures.
La femme garde les yeux rivés à ses jumelles, avec l'individu qui approche lentement.
« Putain, elle est dans un sale état... marmonne-t-elle pour elle-même.
- Annie ! Est-ce que c'est un homme ?! l'interpelle la petite femme d'un certain âge qui arrive à petite foulée, suivie du grand homme noir.
- Oui. C'est même une femme... Elle est visiblement blessée à la tête, précise Annie, perchée.
- Que quelqu'un prévienne Pete et Denise ! Qu'ils se tiennent prêts ! ordonne Deanna.
- Attend... ! Pourquoi tu t'arrêtes ?! commente la sentinelle.
- Quoi ?! s'exclame aussitôt la petite femme, du sol.
- Elle s'est arrêtée... Elle me voit autant que je la vois. Elle le sait.
- Elle réfléchit... pense tout haut Deanna. Elle a peur ! Heath, ouvre cette porte ! Elle ne doit pas avoir peur... !"
Mais l'homme hésite aussi. Il jette un regard à la femme perchée sur le rempart, focalisée par son observation.
« A y est, elle approche à nouveau... Tu peux ouvrir, Heath..." conclue Annie.
L'homme déverrouille le portail de fer à deux portes, lentement. Les battants grincent d'un son aigu. Il sent la petite femme qui trépigne derrière lui. Il sait qu'elle ne passera pas le seuil, mais il sait qu'elle est très impatiente de pouvoir sauver un être encore vivant, de pouvoir accueillir un nouveau membre.
Il regarde la petite silhouette maigre qui s'approche lentement sur la route.
Il peut effectivement constater son visage couvert d'une tâche de sang sombre sur toute une partie de son visage blafard et sale. Mais il voit aussi d'ici son regard vif et lumineux. Elle semble totalement épuisée.
Il ne s'accorde pas la possibilité de passer lui-même le seuil de l'enceinte. Elle doit venir jusqu'à eux. C'est la règle.
Elle arrive enfin à sa hauteur et il s'efface pour la laisser pénétrer dans Alexandria.
Il ne parvient pas à lui sourire, ne pouvant s'empêcher de la dévisager, comme un enfant qui observe une personne inconnue. Pourtant, au fond de lui, il est aussi content de voir un nouveau visage.
Deanna, elle, ne se gêne pas pour lui ouvrir les bras en signe de bienvenue et de l'assaillir de paroles bienveillantes.
« Bienvenue jeune fille... ! lui dit-elle avec un grand sourire, observant son visage. Que t'est-il arrivé, pour être dans cet état ?! Nous allons soigner tout ça, viens avec moi... tout est fini maintenant, tu es en sécurité... »
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