Partie 12 - Le dîner
Daryl a passé la journée dans la forêt. Seul. Aaron n'est pas venu le rejoindre. Ou il n'a pas voulu. Daryl se doute que son altercation avec Deanna et Emma n'a pas mis de temps à faire le tour de la petite communauté. Du coup, il se doute qu'Aaron a été pour le moins invité à ne pas le rejoindre pour chasser et trouver des survivants.
Malgré les guerres, les conflits pour toutes raisons, et même malgré l'apocalypse et la quasi extinction de la race humaine, les gens n'ont pas encore compris que tout part la plupart du temps, du jugement, le plus souvent erroné, que chacun porte sur les choses qui se produisent autour d'eux. Sans qu'ils ne connaissent toutes les causes, sans qu'ils n'aient été ni même présents au moment des événements. Il a à peine franchi le portail de métal qu'il à déjà senti des regards lourds sur ses épaules, des murmures dans son dos, des changements de trottoirs inutiles, jusqu'à la maison 101...
Mais une fois à l'intérieur, plus rien. Toute cette tension semble être restée au-dehors, ne pas avoir franchi le seuil avec lui. Tout le monde parait occupé, remplissant l'air d'une sorte d'effervescence. Chacun est accaparé à sa préparation personnelle.
"Judith est prête ! Je me change et c'est bon pour moi ! dit Michonne à la cantonade, arrivant vers lui avec la petite fille dans les bras et un sourire.
Elle s'arrête à sa hauteur et le fixe. Daryl ne se souvient pas d'avoir déjà aperçu ce regard dans les yeux de la samouraï. Elle est métamorphosée. Il n'y a pas ici, la jeune guerrière froide et déterminée qu'il à toujours vue. Il a face à lui une jeune femme dynamique, athlétique, détendue et souriante. Elle a alors un sourire incroyable, lumineux, sincère, heureux. Il soupire doucement, sentant son plexus se détendre sous ce sourire. C'est elle qui a raison.
"Tiens, tu tombes bien. Tu veux bien prendre Judith ? Il faut juste que j'aille enfiler un chemisier propre... puisque celui-ci ne semblait pas lui plaire pour aller diner chez Deanna et Reg. N'est ce pas, petite mademoiselle? posant son index sur le bout du nez du bébé qui rit.
Michonne embrasse le front de Judith une dernière fois avant de la tendre à Daryl qui attrape le bébé sous les bras. Il l'installe sur son avant bras gauche replié sous sa couche rembourrée, tout en rabaissant sa robe, qu'il ne lui a encore jamais vue, afin de la positionner correctement sur son dos. Il aperçoit également les multiples petites taches oranges maculant la chemise de la jeune femme noire.
"Bien joué...dit-il au bébé qui lui fait de grands sourires. Tu l'as pas loupée ta Tata Mimi... la félicitant de sa bonne blague.
-Ouai tu peux être fier d'elle, rit même Michonne décidément de très bonne humeur, avant de monter l'escalier quatre à quatre.
- La douche est libre ! annonce Carol qui surgit à son tour en haut des escaliers.
Elle semble surprise de voir le chasseur toujours sur le palier, portant Judith et n'entendant pas les mots qu'il lui raconte alors que le bébé semble totalement subjugué par ses mèches de cheveux tombant dans son cou.
Daryl lève son regard vers Carol.
" Alors c'est mon tour, dit il en forçant sur sa voix pour être sûr qu'elle l'entende malgré l'agitation ambiante.
Carol se contente de lui sourire en hochant la tête, visiblement satisfaite, comprenant qu'il allait bien venir avec eux tous à ce dîner important pour elle, avant de disparaître à nouveau dans l'étage.
"Ma p'tite dure à cuire, je vais devoir te laisser à... ton frère! alors que Carl surgit de la cuisine comme la Providence.
-Salut Daryl, l'accueille le garçon en prenant l'enfant à son tour. Tu viens diner avec nous cette fois ? lui demande-t-il sans aucun reproche dans la voix
-Ouai... lui répond le chasseur doucement.
-Cool, commente Carl, le regardant gravir les escaliers avec un léger sourire de plaisir.
Durant la journée, Daryl a fort oublié ce dîner, ressassant sans cesse la scène du matin, et sa rencontre si improbable avec Emma. Puis il a bien du rentrer pour la nuit, encore plus à contre coeur que d'habitude. Ce n'est qu'une fois dans la maison, qu'une fois face à Michonne, qu'il s'est souvenu et compris que cette soirée faisait plaisir au groupe, et qu'il devait y participer. Non pas pour lui, non pas pour alimenter les jacasseries, mais pour être avec son groupe à lui, pour être avec eux, avec sa famille. Et rien d'autre.
"Je t'ai mis des serviettes propres dans la salle de bain, lui glisse Carol avec un gentil sourire, qu'il croise sur le palier du premier étage.
-Merci, articule Daryl en lui effleurant l'épaule de la main, la laissant presque interloquée alors qu'il verrouille la porte derrière lui.
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La nuit n'est pas encore totalement tombée quand le chasseur sort de la maison, fin prêt.
Ils sont déjà tous partis chez leurs hôtes quelques minutes avant. Carol l'a prévenu de leur départ à travers la porte de la salle de bains, ne prenant pas la peine de répondre.
Puis Il a pu savourer le calme retrouvé dans la maison vide, glissant son couteau dans son étui accroché à sa ceinture (celui-là, Deanna pouvait bien essayer de venir le chercher) avant de sortir en fermant simplement la porte d'entrée.
Une fois dans la rue, il ralentit volontairement sa foulée, histoire de profiter encore un peu de sa solitude amie, de ce calme qui occupe la petite ville. L'air encore tiède de la nuit d'été soulève doucement ses cheveux encore humides. Le claquement de ses pas sur le bitume ne perturbe pas les pépiements des oiseaux qui chassent les insectes en plein vol.
Il va pour tourner dans la rue suivante quand son regard est attiré par une lumière à une des maisons alentour. Daryl s'arrête, réalisant que c'est la même que le matin, que c'est la maison d'Emma.
Une inquiétude le prend sans trop savoir pourquoi. Pourquoi y a-t-il encore de la lumière ? Emma ne devrait-elle pas être déjà au dîner, sachant qu'il est lui même déjà très en retard ?
Pourquoi est il soudain inquiet ? elle a sans doute oublié d'éteindre la lumière de son salon. Ou bien l'a-t-elle laissée volontairement pour faciliter son retour plus tard, quand il fera vraiment sombre dans la rue.
"ouai, ba ça coûte rien de jeter un oeil, dit il pour lui même.
Il monte les escaliers du perron d'un pas lent et méfiant, à l'écoute. Il s'approche encore et toque deux fois contre la paroi de la porte close.
"Y a quelqu'un ? appelle-t-il un peu plus fort, mais pour la forme, prêt à faire demi tour.
Quand un cri rageur traverse la maison.
Emma hurle.
Daryl se fige.
Daryl hésite.
Avant de porter la main à son étui contenant son couteau, comme pour se rassurer qu'il est bien là où il l'attend. Mais est ce que cela peut suffire ou bien doit-il foncer récupérer son arbalète dans la maison 101 et revenir, au risque d'arriver trop tard ?
Sans réfléchir davantage, il ouvre la porte qui, à son soulagement, n'est pas verrouillée, sortant son arme blanche de son autre main, la vigilance à son maximum, pénétrant dans la maison à grandes enjambées.
"Tu n'as pas le droit de me dire ça ! hurle Emma à l'étage.
Daryl se retrouve dans le miroir de la maison 101. Ici tout est inversé. Mais il grimpe à l'étage. Il doit trouver la jeune femme. A l'urgence qu'il perçoit dans la voix qu'il entend, il comprend qu'il doit intervenir pour stopper la dispute qui est en train de se dérouler dans une des pièces.
Sur le palier, toutes les portes sont closes.
"Tu ne peux pas ! Tu n'étais pas dans ton état normal ! Je devais le faire !"
Il entend Emma se justifier de sa voix éraillée par le volume inhabituel qu'elle y met. Mais cela lui permet de la situer.
Il ouvre la porte d'un coup, la faisant tourner sur ses gonds avec violence, la faisant aller claquer contre le mur.
Emma tourne la tête, surprise par le mouvement de la porte, essoufflée, apercevant Daryl sur le seuil, la lame de son couteau au clair, tendue devant lui, prêt à en découdre.
Emma se tient de profil par rapport à lui, faisant face aux pieds de son lit, comme face à deux personnes devant elle, tournant la tête sur sa gauche pour le regarder lui, le troisième interlocuteur qui surgit.
Il n'a devant lui qu'un corps de gamine. Elle n'est pas plus haute que Deanna, réalise Daryl. Mais elle est encore aussi maigre que dans son souvenir à la rivière.
Bien sûr aujourd'hui, vêtue visiblement pour dormir, d'un simple débardeur de coton clair, et d'un short court et ajusté, elle est propre, sa peau claire et dénudée est saine. Les petites cicatrices rondes qu'il se souvient avoir découvertes sur ses bras et ses cuisses ne sont plus que des points un peu granuleux encore plus pales que sa carnation. Celles de son ventre doivent sans doute être dans le même état. La vision de ce corps qui lui avait fait si mal aux tripes à la rivière semble se remettre doucement à vivre, même s'il ne paraîtra jamais plus âgé que quinze ou seize ans.
Parce que le souvenir de l'autre cicatrice, la plus longue, la plus importante de toute une vie, le frappe à nouveau ici. Il sait que cette femme n'a plus quinze ans depuis longtemps. Et ce sont ses yeux qu'elle pose maintenant sur lui qui ajoutent à sa conviction, toute l'histoire du monde actuel dans ce regard de feu. Elle semble le reconnaître mais il comprend qu'ils ne sont pas seuls dans cette pièce ce soir.
Ses yeux sont rougis de pleurs, son visage blanc de larmes, son expression torturée et épuisée.
"Où est-il ?! demande Daryl, pour la forme, s'attendant peut être à voir la fenêtre ouverte malgré le premier étage.
-Il y a longtemps qu'elle est partie... tombe Emma à genoux, par épuisement, par désespoir.
Beth irradiait l'espoir, littéralement. Il l'a compris en la perdant à tout jamais à l'hôpital.
Carol veut le ramener à tous prix à la société et le tire toujours vers la lumière, à bout de bras.
Toutes les femmes de sa vie d'apocalypse le tirent vers le haut.
Alors pourquoi se sent il si relié à Emma, alors qu'ils n'ont été ensemble que quelques jours, véritablement ? Pourquoi est-il frappé de réaliser qu'elle aussi fait partie des femmes de sa vie, depuis le début ? Parce qu'Emma est comme lui, pas une moins que rien bien entendu, mais une âme détruite et piétinée qui se débat pour remonter à la surface et qui nage de toutes ses forces pour se dégager des entraves de sa vie d'avant.
Alors de la voir devant lui, par terre, recroquevillée, vaincue de souffrances toutes personnelles, Daryl range son couteau dans son étui lentement. Il n'y a définitivement plus personne dans la pièce. Il regarde la jeune femme repliée sur elle-même, le visage contre un de ses bras, tendus, accrochés au montant du lit, sanglotant sans retenue mais aussi sans bruit.
Il soupire. Il regarde la fenêtre bien fermée. Il n'y a jamais eu personne dans cette pièce, si ce n'est Emma et ses démons.
Il s'approche et s'accroupit près d'elle posant son bras autour de son dos rond, l'invitant en silence à se redresser, la guidant doucement vers le lit. Il écarte les draps en chantier de sa main libre, la laissant s'étendre lentement sur le matelas, sur le côté, lui tournant le dos. Puis, sur son corps recroquevillé en foetus, Daryl tire la couette légère et fleurie.
Elle agrippe ses doigts fins à sa main avant qu'il ne lâche la couverture.
"Tu me laisses pas, dis ?
Il retire doucement ses doigts, enveloppant son épaule maigre et à peine tiède de sa main plus chaude, sans lui répondre, mais se voulant rassurant, avant de se redresser.
Il fait le tour du lit, et s'installe dans le rocking chair près de la fenêtre, regardant le visage à moitié enfoui de la jeune femme dans les draps, le reste envahi de cheveux longs et emmêlés, seuls son nez et son front émergeants, encore bien pâles.
Son attention va de la rue maintenant bien sombre, au visage fatigué de la jeune femme. Elle le fixe en silence, sa respiration encore ponctuée de gros sursauts dus à sa crise de larmes. Mais son regard est à nouveau lucide, orange foncé, encore inquiet, intense, mais déjà reconnaissant.
Comme il s'en doutait, Emma ne tarde pas à se calmer et à sombrer dans un sommeil lourd, entendant sa respiration plus régulière, ses yeux clos. Au bout d'un moment supplémentaire, sans bruit, il se dirige alors vers la porte de la chambre et appuie sur l'interrupteur pour éteindre la lumière dans la pièce, la main sur la poignée de la porte.
Il entend bouger dans le lit derrière lui.
"Tu t'en vas alors... constate-t-elle doucement, sans reproche.
Daryl se retourne lentement. Alors qu'il accommode, la lumière de la nuit claire baigne la pièce devant lui. Emma est restée étendue dans le lit, mais a glissé sur la place de droite, et ouvert à nouveau les draps.
Daryl lâche la poignée de la porte et fait un pas vers elle. Ce n'est pas encore ce soir qu'il ira au dîner de Deanna et Reg.
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